Un enseignement nouveau, plein d’autorité…(Marc 1:21-28)(écouter l'enregistrement - culte entier) Dimanche 6 août 2017 Des enseignants, nous en avons tous eu. Quand j’étais lycéen, des professeurs, dont je conserve d’ailleurs un excellent souvenir, m’ont par exemple appris que le théâtre classique obéissait à la règle des trois unités : Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Dans ce récit de Marc, on retrouve l’unité de temps : l’épisode se déroule le jour du Sabbat. Il en va de même pour l’unité de lieu : la scène se passe dans la synagogue de Capharnaüm. En revanche, il y a un vrai problème en ce qui concerne l’unité d’action, puisque Marc, en fait, entremêle deux récits. L’un qui concerne l’enseignement de Jésus. L’autre qui est la mise en scène de l’exorcisme d’un possédé : Jésus chasse un esprit impur. Le lien entre ces deux éléments, l’exorcisme et l’enseignement, ne s’impose pas à nous de manière évidente. Pourquoi associer la nouveauté de l’Evangile à l’archaïsme d’une pratique qui inscrit Jésus dans une tradition, ancienne mais peu originale. Elle le met au nombre des guérisseurs et des thaumaturges aux pouvoirs plus ou moins merveilleux. On pourrait certes interpréter l’exorcisme comme la confirmation de l’enseignement de Jésus. Si la parole du prophète de Nazareth est à ce point efficace, elle serait donc vraie. L’exorcisme viendrait en quelque sorte illustrer et valider, de manière spectaculaire, l’autorité de Jésus. La puissance de son action confirmerait la vérité de sa parole. Jésus serait alors l’homme aux super pouvoirs ! Mais en fait la manière dont s’articulent l’enseignement et l’action sont plus subtiles. Dans cette perspective, je vous propose quatre remarques sur l’enseignement de Jésus. Première remarque : Marc ne nous donne aucune indication sur le contenu de cet enseignement. Ce qui peut paraître frustrant. On aurait attendu un discours ou une prédication. Non, rien de tel ! Comme pour nous suggérer que c’est le récit lui-même qui constitue un enseignement. L’enseignement réside dans ce qui est en train de se dérouler entre trois personnages : la foule, l’homme prisonnier d’un esprit impur et Jésus. C’est l’action elle-même qui est un enseignement. Deuxième remarque : Cet enseignement impressionne. Il est stupéfiant. Il suscite l’étonnement. Qu’est-ce que c’est ? Telle est la question de la foule. C’est d’ailleurs la même question que celle posée par les enfants d’Israël dans le désert, lorsqu’au petit matin, à l’heure de la rosée, ils ont découvert quelque chose, de fin, de crissant, tel du givre sur le sol : La manne. Man hou ? Littéralement : quoi çà ? Qu’est-ce que c’est ? Oui qu’est-ce que c’est, l’enseignement de Jésus ? Qu’en est-il de cette parole ? Qui est-il donc cet homme ? Il y a un cantique évangélique dont le refrain affirme que Jésus est la réponse au monde d’aujourd’hui. Peut-être. En tout cas, il est avant tout une question. La foi se nourrit de questionnement. Il est trop simple, trop facile, trop illusoire de se bercer de croyances ou d’opinions toutes faites. Troisième remarque. Jésus n’enseigne pas comme les scribes. La scène se passe à la synagogue le jour du sabbat. Le jour et le lieu de l’enseignement par excellence, où l’on procède à la lecture et au commentaire de la loi de Moïse. Et c’est là que les scribes interviennent. Ce sont eux les enseignants. Ils connaissent le texte. Ils l’ont lu et relu. Ils l’ont médité en s’appuyant sur les commentaires. Ils se réfèrent à une tradition écrite et orale, la tradition des Anciens. Les scribes appartiennent à une institution, à une structure socio-religieuse, à une corporation qui les a formés, les a intégrés, a reconnu leurs compétences et leur a donné le droit d’enseigner. C’est le fait d’appartenir à cette institution et de se conformer à cette tradition qui les autorise à prendre la parole et qui accorde du poids à ce qu’ils affirment. Ce sont les spécialistes et les interprètes officiels de la Torah. Ce sont des experts officiels et autorisés. Alors on s’aperçoit que l’autorité des scribes, c’est le contre-modèle, l’antithèse de l’autorité de Jésus. Quatrième remarque. L’enseignement de Jésus fait autorité et il est nouveau. Les deux sont liés. Il est neuf parce qu’il a de l’autorité et il fait autorité parce qu’il est neuf en qualité. A la différence des scribes, Jésus, lui, ne se réclame d’aucune autorité. Il ne se réfère à aucune institution. Il n’est pas prêtre, il n’est pas légiste. Il n’est pas docteur en Israël. C’est un sans-grade. Il n’appartient à aucune corporation. Il n’invoque aucune tradition. Il ne revendique pas non plus une autorité personnelle, charismatique, comme le font tant de messies auto-proclamés. Il n’a pas même la prétention de parler au nom de Dieu. Jésus, en fait, n’a pas d’autre autorité que celle de sa parole. C’est par elle que peut s’attester ce qui l’autorise. Une parole qui surgit du tréfonds de son être, du plus intime de sa personne. Et la parole de jésus s’impose en ce qu’elle parle à ceux qui l’entendent. Son autorité est reconnue à la réception de son enseignement par un auditoire qui est bouleversé. C’est du point de vue des auditeurs que la différence avec les scribes est faite. Le vrai de la parole se fait reconnaître parce qu’elle touche et qu’elle persuade ceux qui la reçoivent. Cela ne tient pas à la fonction de celui qui parle et ne dépend pas des critères communément admis (mandat, délégation de pouvoir, diplôme...). Ceux qui la reçoivent se rendent compte qu’elle les éclaire, qu’elle les interroge, en tout cas qu’elle a de l’effet sur eux, et que leur vie peut en être transformée. C’est à ce moment-là qu’ils reconnaissent l’autorité du maître de l’Evangile. A cet égard, la personnalité de l’homme possédé prend un relief particulier. C’est lui qui interpelle Jésus, dans une démarche extraordinairement agressive. Lui, il sait. Il sait que Jésus est le saint de Dieu. Il a vingt sur vingt à l’examen de catéchisme. Il est possesseur d’une certitude. Il est comme les scribes, à l’image de tous ces religieux, riches de leur savoir et du pouvoir qu’il confère. Mais en fait ce discours de l’hyper-savoir trahit l’aliénation de l’homme qui fait face à Jésus. Sa parole est dans le « nous » de la confusion. Il oscille entre le Je et le Nous. La vérité ne peut pas venir de ce mélange confusionnel qui fait face à Jésus et qui n’est pas un sujet humain capable d’une parole personnelle. Avec une brutalité qui impressionne, Jésus alors impose silence à cet homme : Tais-toi ! Ferme-la ! Jésus fait taire un savoir péremptoire qui prétend détenir la vérité dernière sur son identité. La vérité sur la personne de Jésus ne peut pas advenir sous la forme d’un discours dont celui qui l’expose s’affirmerait le maître. Dans un deuxième temps, la parole de Jésus est libératrice parce qu’elle délivre le possédé de cette prétention à savoir et qu’elle va lui permettre d’accéder enfin à une parole personnelle et authentique. Ce que Jésus souhaite à cet homme, c’est qu’il puisse enfin prendre la parole afin de parler vrai ! En lui adressant la parole, Jésus lui fait du bien, tout simplement. L’homme est ainsi réunifié, libéré et apaisé. Un sujet autonome et réconcilié avec lui-même émerge de cette rencontre avec Jésus. Quelle leçon tirer de ce récit ? Nous sommes invités à une réflexion sur l’autorité. Marc nous donne à voir une situation renversante. Les autorités religieuses n’enseignent pas avec autorité, alors que Jésus qui ne s’appuie sur aucune autorité enseigne avec autorité. Cet évangile laisse entrevoir la possibilité d’une religion où la vérité ne s’impose pas de l’extérieur à l’homme. L’autorité des scribes vise à maintenir ceux qui les écoutent dans la soumission et la dépendance. Il y a beaucoup d’autorités, qui dans le cadre même du christianisme, fonctionnent de la sorte. On peut invoquer la tradition, par exemple. On peut invoquer un magistère de l’Eglise qui prétend définir l’interprétation juste des contenus de la foi. On peut invoquer l’autorité d’une Ecriture qui s’imposerait à la lettre ou encore celle de l’Esprit qui agirait de manière immédiate en dictant à ceux qui en sont illuminés ce qu’ils doivent dire et faire. L’Evangile suggère l’existence d’une autorité indissociable d’un consentement intérieur à une parole qui touche le cœur, l’intelligence, la volonté de celui qui l’écoute et qui se l’approprie librement. Le mot autorité vient du latin « auctoritas », dont la racine se rattache au même groupe que « augere » qui signifie augmenter. On retrouve aussi cette racine dans le mot auteur. L’autorité a une fonction de croissance. La véritable autorité est celle qui grandit l'autre. C’est celle qui permet à l’autre de grandir. L’autorité désigne le fait d’être « auctor », d’être auteur, c’est-à-dire fondateur, instigateur, conseiller, garant, et aussi responsable d’une œuvre. Avoir autorité, être auteur, c’est finalement autoriser. Et autoriser, c’est donner permission. Si un auteur est bon, s’il est vrai, son œuvre en porte la marque et augmente celui qui le lit. Il le rend plus humain, plus conscient de son humanité. Il le fait grandir. Dans la vie, il y a beaucoup de donneurs de leçons de morale, d’instruction religieuse et de catéchisme. Mais les hommes qui parlent vrai, qui cherchent à être avant tout des éveilleurs, sont moins nombreux. Jésus, lui, est l’auteur de l’Evangile d’abord au sens où il responsable de sa parole, qu’il se porte garant de ce qu’il dit, qu’il l’assume personnellement. La mission de Jésus, à travers l’annonce de l’Evangile, est de faire grandir ceux qui l’écoutent. Les auditeurs de l’Evangile se rendent compte qu’il touche en eux quelque chose de très profond, qu’il les remue et qu’il leur fait vivre des déplacements intérieurs afin qu’ils puissent devenir eux-mêmes. Ils entrent dans une dynamique de croissance et leur vie en est transformée. Se mettre à l’écoute de la parole, ce n’est pas compiler un savoir sur Jésus et sur Dieu en accumulant les dogmes, les rituels, les lois, tels qu’ils sont débités par les corporations de scribes, c’est s’engager sur un chemin qui réclame du temps et des étapes. Ce chemin passe par des questionnements, des silences, peut-être même parfois des cris d’indignation ou de désespoir. Il passe aussi par des remises en cause et des approfondissements, des découvertes et des changements de perspective. Alors le croyant devient capable à son tour de prendre la parole. Ce qu’il dit alors, ce n’est pas un discours conforme au credo normé des scribes. C’est une parole personnelle, une parole libre, une parole pour la vie. AMEN Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
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Pasteur dans la chaire de
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