L’un des prêtres d’Anatot…(Jérémie 1:1-5 ; 1 Rois 2:12-27 ; 1 Samuel 2:12-17 et 22-25)(écouter l'enregistrement - culte entier) Dimanche 13 août 2017 Le diable se cache dans les détails : l’expression est proverbiale ! J’y pensais en relisant l’ouverture du livre de Jérémie qui indique que le prophète était le fils d’Hilkiyahu, l’un des prêtres résidant à Anatoth. L’un des prêtres d’Anatot. C’est sur ce détail que j’aimerais m’attarder ce matin. Anatot était un petit village de Judée, dans le canton de Benjamin, à cinq kilomètres au Nord de Jérusalem. Au livre de Josué, dans un vieux cadastre, on nous explique que c’était une cité lévitique. Le territoire d’Israël, de Dan jusqu’à Ber-Sheba, était en effet parsemé de quarante-huit cités résidentielles pour les prêtres et pour leurs familles. Anatot était même une des bourgades réservées à la plus prestigieuse des familles sacerdotales, celle des enfants d’Aaron, frère de Moïse, le premier des grands prêtres. Les prêtres de cette époque menaient une vie très ordinaire. Ils étaient mariés et avaient des enfants. Ils cultivaient leurs vignes et leurs champs. Ils élevaient leur bétail et faisaient paître leurs troupeaux. Deux ou trois fois par an, ils montaient à Jérusalem ou dans un autre sanctuaire pour assurer leur tour de service au temple. Pendant une semaine, ils priaient, ils chantaient, ils offraient les sacrifices, ils faisaient brûler encens et parfums avant de rentrer à la maison, avec la bonne conscience que donne le sentiment du devoir accompli, surtout quand ce devoir est purement rituel. C’étaient d’honnêtes fonctionnaires du culte. Dans leurs villages, ils étaient entourés du respect et de la considération qu’on accorde à ceux qui s’occupent des choses sacrées. Ils menaient une vie simple et honorable. C’étaient des petits notables de villages que seul le service de Dieu distinguait de la masse du peuple. Et Jérémie appartenait à l’une de ces familles sacerdotales au village d’Anatot. Dans ce monde patriarcal où les fils ne pouvaient que marcher sur les traces de leurs pères, son destin était tracé d’avance. Mais cette simple notation d’Anatot évoque immédiatement une vieille histoire qui, elle, n’a rien de glorieux. Une histoire racontée au premier livre des rois. Vous l’avez entendue. Elle met en scène un ancêtre de Jérémie, le prêtre Ebiatar. C’était un des compagnons du roi David. On nous raconte qu’il avait trempé dans un complot contre Salomon pour faire monter sur le trône un autre prétendant, Adonias, le frère de Salomon. Salomon, se souvenant de son père, fit grâce à Ebiatar et commua la peine de mort en relégation à Anatot, avec interdiction d’exercer les fonctions sacerdotales. Les descendants d’Ebiatar étaient donc assignés à résidence dans ce village et interdits d’exercice. Cela durait depuis des siècles. Il n’y avait jamais eu d’amnistie. La sentence du roi continuait de s’appliquer. Les prêtres d’Anatot étaient frappés en quelque sorte d’indignité nationale, déchus de leurs droits et de leurs prérogatives. Dans le récit du livre des Rois, il y a une remarque suggestive, au verset 27. Il est écrit, en effet, que le jugement de Salomon vint accomplir « la parole que l’Eternel avait prononcée sur la maison d’Eli à Silo ». La sanction qui a frappé Ebiatar et qui continuait de peser sur les prêtres d’Anatot avait été prononcée par Salomon, c’est vrai. Mais pour l’auteur biblique, elle venait sanctionner une faute encore plus ancienne. Cette histoire est racontée au premier livre de Samuel. Cela s’était passé à Silo. Du temps de Josué et des Juges, Silo était un grand sanctuaire desservi par le prêtre Eli. Eli était l’un des descendants d’Aaron. Or ses fils étaient des vauriens. « Ils ne connaissaient pas l’Eternel. ». On nous explique très crûment qu’ils détournaient à leur profit la viande des sacrifices divins et qu’ils exerçaient un droit de cuissage sur les femmes qui venaient faire leurs dévotions. Abus de biens sociaux et harcèlement sexuel. C’étaient des pourris, des corrompus. Eli aurait dû les destituer Mais c’était un homme à la conscience molle et à la volonté faible. Au lieu d’agir avec autorité, il se contenta de leur faire quelques reproches. Tout cela devait très mal tourner. Les fils d’Eli sont tombés sous les coups des philistins. Eli est mort en apprenant la nouvelle et sa bru a mis au monde un enfant nomme Ikavod, ce qui veut dire privé de gloire. Alors quand on parlait des prêtres d’Anatot, on savait de quoi il en retournait ! Voilà donc la lignée de honte à laquelle appartient Jérémie. Il est l’héritier d’une histoire de déshonneur et d’infamie. A jamais il serait attaché à cette destinée fatale, à ce lignage de crime et de forfaiture. Or il se trouve que Jérémie a été rejoint par la parole de Dieu. Dieu lui parle. Dieu advient dans sa vie. Quand Dieu parle, c’est toujours un événement. Le rejeton de cet arbre apparemment mort est interpellé par le Dieu vivant et vrai : « Avant que je ne te forme dans le sein maternel, et avant que tu ne sortes de son sein, je te connaissais ». Cette affirmation n’est pas destinée à nous faire pénétrer dans l’éternité de Dieu, à nous faire passer en quelque sort de l’autre côté du voile. Elle est comme un dièse sur une portée musicale. Elle donne la juste tonalité du récit qui va suivre, celui de la vocation de Jérémie. Elle nous indique que le choix de Dieu précède la naissance de cet homme. Il est présent à sa vie avant sa vie. Cet événement qui s’inscrit dans l’histoire d’un être humain n’a pas ses racines dans l’histoire, dans la chair et le sang, pas plus que dans l’affect ou la raison. Tout ceci ne vient pas de l’homme, mais de Dieu. Il y a donc un originaire plus radical que la naissance. Avant que je sois ce que je suis, il y a une pensée de Dieu pour moi, qui me fonde et qui m’oriente. Dans son absolue liberté, Dieu appelle un homme. Dieu fait grâce. Le récit de l’appel de Jérémie est sans doute l’un des meilleures illustrations de ce que nous appelons la justification par la grâce. Oui, la grâce seule. Devant Dieu, il n’est nulle autre qualification que celle de la grâce et la grâce justement ne regarde pas les qualités de l’homme. Dieu reconnaît le sujet humain sans tenir compte de ses prestations, de ses appartenances, de ses loyautés, de sa position sociale, de son genre et de son sexe. Dieu ne nous choisit pas selon nos compétences et nos appartenances. Il rompt avec toute idéologie de performance. Toute personne a une valeur infinie devant Dieu. Nous sommes qualifiés par le libre choix de Dieu. La grâce se reçoit comme un cadeau, brisant la règle du donnant-donnant. Celui qui en est le bénéficiaire peut vivre dans la confiance sans avoir sans cesse à se justifier. Il est aimé et accueilli indépendamment de ses qualités. L'illumination première et ultime de toute vocation n'est pas un sentiment, c'est le témoignage intérieur du Saint-Esprit qui place le sujet, dans le rapport à Dieu, comme connu avant que de connaître, comme précédé par un don absolument gratuit. Ce coup de grâce revêt deux aspects. Il est libération et vocation. Libération, parce que l’événement de la parole vient rompre une chaîne. Ne l’oublions pas : Jérémie est l’ultime rejeton d’une lignée de vauriens et de maudits. Dieu lui dit et Dieu nous dit qu’il n’y a pas de fatalité, qu’il n’y a pas de destin, qu’il n’y a pas de nécessité, qu’il n’y a pas d’enfermement. Dieu nous donne l’assurance que nous ne sommes pas prisonniers de nos héritages, de nos ascendances, de nos déterminismes. La psychologie nous enseigne que, sans le savoir, nous subissons le contre coup de traumatismes qui ont frappé nos ancêtres. Beaucoup de personnes sont tributaires d’héritages familiaux, de pesanteurs ancestrales, de lourds secrets de famille dont ils ignorent parfois tout. Porteurs de nos passés occultés, de nos bouts de mémoire manquants, d’événements enfouis, nous avançons dans la vie chargés de fardeaux, à l’image de ce Jérémie issu de la lignée d’Eli et d’Abiatar. Mais avec l’irruption de Dieu dans la vie de Jérémie, il est proclamé qu’aucune malédiction n’est irrémédiable. Dieu lui donne l’assurance qu’il n’est plus asservi à l’antique esclavage et à la force du destin. Jérémie n’est plus le prêtre d’Anatot, mais un enfant de la grâce et de la liberté. Jérémie est libre, car si ce qui est né de la chair est chair, ce que ce qui est né de l’Esprit est esprit. Quand Dieu passe dans une vie, c’est en soufflant un grand vent de joie, d’audace et de liberté. Et le signe que Dieu agit, c’est qu’il tourne l’homme d’Anatot vers l’avenir en lui confiant une mission : « Je fais de toi un prophète pour les nations ». Jérémie reçoit vocation. Alors que Jérémie subissait son destin, qu’il était au passif, il va devenir acteur d’une histoire. Prophète de la parole. Cette mise à part, ce n’est pas l’entrée dans un monde enchanté qui placerait Jérémie dans une position exceptionnelle de privilégié de Dieu, supérieur au tout-venant du peuple d’Israël. C’est une délimitation. Être appelé, c'est accepter de se limiter, en renonçant au fantasme de la toute-puissance. Être mis à part, c’est accepter d’être envoyé dans le monde, s’engager dans un service, une tâche, avec ses exigences et ses lourdeurs, c’est renoncer à la stabilité du prêtre ou au prestige du sage. Car il faut bien en prendre la mesure, la réponse de Jérémie à l’appel de Dieu suscite dans sa vie une rupture instauratrice. Jérémie était prêtre. Il devient prophète. Dans son existence, il y a quelques chose de tranché, net, comme une coupure. Un monde ancien s’en est allé. La rupture fait éclater un monde, un discours, celui de la religion et du confort spirituel. Il y a chez Jérémie une critique acérée du temple, du rituel, des sacrifices. De par la tradition familiale, il savait tout ce qu’il peut y avoir d’illusion et de grâce à bon marché dans l’économie religieuse du sacerdoce. Et les crimes des Fils d’Eli, ceux du prêtre Abiatar étaient là pour lui rappeler que les institutions de salut ne valent jamais que par les hommes qui les font vivre. Ce que Jérémie dénoncera à temps et à contre temps, c’est l’illusoire sécurité qu’apporte le rite bien accompli, la formule prononcée au bon moment, le sacrifice offert afin de mieux manipuler le divin. Ce qu’il dénoncera aussi c’est l’hypocrisie de ceux qui tout en faisant le mal ou en commettant l’injustice, offrent à Dieu sans sourciller ce qu’ils pensent être le culte véritable et propice. On comprend alors que Jérémie ait suscité l’hostilité de ses contemporains et que son ministère ait fait de lui un serviteur souffrant et un prophète persécuté. Gracié, appelé, envoyé, Jérémie fait aussi figure d’un homme entre deux rives. Appelé à la liberté, c’est vrai. Mais Jérémie sait d’où il est issu. Il ne saurait oublier d’où il vient. Il a quitté le monde de la religion close pour s’engager sur les chemins de Dieu. Il voit où l’Eternel veut le conduire : au lieu du désert et des lieux arides, les chemins de la paix et les sources jaillissantes, au lieu de la malédiction, la bénédiction. Il est en route. Il est dans un entre-deux. C’est ce qui rend cet homme pathétique et attachant. Il fait en son cœur, en sa chair, l’expérience de la pesanteur et de la grâce, de la servitude et de la liberté, de l’angoisse et de la joie. Il est l’homme de la blessure et de la guérison, c’est un marcheur blessé. Car la grâce, si elle introduit dans une vie nouvelle, n’abolit cependant pas la finitude. C’est dans sa vulnérabilité et sa fragilité d’enfant humilié, dans la claire conscience de ne pouvoir tout maîtriser que Jérémie répond à l’appel de son Seigneur. Tel notre Père Jacob, il fait route la hanche brisée, avec la parole comme seul soutien. Mais pour lui, comme pour nous, c’est dans la marche chaotique de l’existence que jaillit un sens, non comme une certitude mais comme un éclat, celui que nous accorde l’Eternel lorsqu’il vient à nous et qu’il nous dit : « N’aie pas peur, je suis avec toi ». Le Dieu de Jérémie, notre Dieu, n’est rien d’autre que cela, ce marcheur sur nos routes qui vient renverser tous les murs de nos enfermements et nous ouvrir l’espace de la confiance. AMEN Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
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Pasteur dans la chaire de
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