Ne confondons pas isolement et solitude nous dit TillichAdam (Genèse 2:15-23) ; Jacob (Genèse 32:23-27) ; Jésus (Matthieu 14:22-23)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo ci-dessous) Dimanche 30 juillet 2017 Le théologien Paul Tillich fait une différence entre isolement et solitude (loneliness and solitude). Il fait une distinction entre « l’isolement qui est la douleur d’être seul, et la solitude qui est la gloire d’être seul ». Il est très utile de distinguer les deux pour tenter de vaincre le tragique isolement, mais par contre d’honorer la bonne solitude, la reconnaître comme bonne et même glorieuse pour nous, utile et féconde. En ce temps d’été, il m’a semblé utile de ruminer un petit peu ces deux faces de la même réalité : le fait d’être seul. D’abord il y a la terrible réalité qu’est l’isolement, dont souffrent tant de personnes de tout âge. Cette réalité est fréquente aussi pour le héros biblique. Avec Élie, le prophète de tous les prophètes : « je suis resté, moi, isolé » (1 Rois 19:10). Avec le roi David «je suis seul et malheureux, les angoisses ont rempli mon cœur »(Psaume 25:16), avec l’apôtre Paul «personne ne m'a aidé, mais tous m'ont abandonné » (2 Timothée 4:16), avec le Christ Jésus même « l'heure vient, et même elle est venue, où vous serez dispersés chacun de son côté, et où vous me laisserez seul » (Jean 16:32). L’isolement n’est donc pas réservé aux pauvres, aux pécheurs et aux maladroits, ni aux malades ou aux malchanceux. Ce n’est de toute façon pas la question, selon le sage principe de l’évangile, quelle qu’en soit la cause, le malheur de quelqu’un est toujours l’occasion pour Dieu d’agir en vue du bien, et donc pour nous aussi (Jean 9:3-4) De toute façon, la Genèse nous dit que l’isolement n’est jamais la volonté de Dieu : « Il n’est pas bon que la personne humaine soit seule » (Genèse 2:18) et il fait tout pour y remédier. Car même si nous étions dans les meilleures conditions du monde, avec pour nous le paradis et son jardin des délices, l’isolement est une chose qui n’est « pas bonne ». Car la personne humaine n’est pas une île déserte, même paradisiaque, l’homme est fait pour être membre d’un corps, en articulation avec d’autres membres. L’isolement est encore plus terrible quand l’isolement n’est pas seulement un manque mais la perte de vrais bons liens de communion : son couple, dans sa famille, un ami, un groupe ... C’est encore pire quand cette expérience de l’isolement survient après une trahison, c’est à dire non seulement par la perte mais par une négation d’une certaine forme de communion. Il y a là une blessure qui peut salir même jusqu’à l’idée que l’on a de liens avec d’autres, un isolement qui est à la fois une détresse et une crainte devant toute issue. Il y a l’isolement douloureux de l’amour pour une personne qui ne nous aime pas, l’isolement tragique de la personne qui aimerait trouver l’amour, ou qui aimerait avoir au moins un véritable ami et qui n’en trouve pas dans nos foules urbaines ? Il y a aussi l’isolement ressenti face à la responsabilité personnelle, vécu dans l’angoisse de prendre une décision, dans la fierté ou dans la culpabilité. Il y a l’isolement dans la perspective de notre propre mort. Isolement d’un moment ou isolement qui marque tout une existence... La peine, la douleur, la plainte, les soupirs des isolés est incommensurable et nous touche. Ou elle devrait nous toucher. Vraiment. « Il n’est pas bon qu’une personne soit seule ». C’est la toute première souffrance de la personne humaine évoquée dans la Bible, comme le manque d’eau et le manque de soins y est la première souffrance de la terre dans ce récit, avant que Dieu intervienne. Car Dieu intervient. Il entend le soupir de la personne humaine, il entend même nos manques qui peinent à s’exprimer comme celui d’Adam qui ne dit mot. Dieu vient au secours de l’isolé avec les moyens dont il dispose. C’est ce que dit la Genèse, c’est aussi ce que disent Élie, David, Paul et Jésus dans les épisodes que j’ai cités en exemple. « Mes yeux sont toujours tournés vers l'Éternel, Car c'est lui qui fait sortir mes pieds du filet . »(Ps. 25), dit David, « C'est le Seigneur qui m'a assisté et qui m'a fortifié » (2 Tim.), dit Paul, mais quand même, il supplie Timothée de venir le rejoindre, avec des larmes et une joie par anticipation. « Vous me laisserez seul », dit Jésus « mais je ne suis pas seul, car le Père est avec moi. » pourtant, comme Paul, Jésus demande à ses plus proches disciples de l’accompagner au Jardin de Gethsémané pour le soutenir. Et l’aide qu’il reçoit de Dieu dans la prière n’empêche pas de ressentir la douleur de l’isolement quand ses amis s’endorment au lieu de veiller avec lui et sur lui. Le pire des isolements, c’est quand nous sommes trahi, abandonné. C’est pourquoi, face à cette réalité du « il n’est pas bon que la personne soit seule », Dieu se rend présent, certes, mais il réagit aussi en cherchant pour Adam un secours face à ce manque essentiel. Adam, nous dit la Genèse est fait de la poussière du sol et du souffle de Dieu, il est un être spirituel, certes mais aussi un animal vivant. En plus de son aide spirituelle, Dieu essaye donc de placer Adam en compagnie d’autres animaux. C’est pas mal, Adam apprécie l’intention à sa juste valeur, nommant chaque bestiole. Mais le compte n’y est pas, bien sûr. Ce qu’il nous faut, c’est un vis à vis. Il n’y a que ça qui puisse nous secourir face à l’isolement et sa nocivité. Pa seulement un poisson rouge ou Dieu mais quelqu’un comme nous. Et donc, comme le dit Jésus, « il faut que NOUS fassions les œuvres du Père qui (l’)a envoyé » et qui nous envoie, tant qu’il fait jour, tant que nous avons des yeux pour voir, mais encore un peu de cœur et d’intelligence. Briser l’isolement de celui qui est tragiquement seul et vers qui nous sommes envoyé. Qui ? Et que faire ? C’est parfois tout simple, et c’est souvent bien complexe de venir au secours de l’isolement. En tout cas, prier ne suffit pas. Cela peut aider de prier si c’est pour demander à Dieu d’attendrir notre cœur quand nous ne ressentons rien, d’éclairer notre vue quand nous ne voyons pas qui soutenir, de muscler notre intelligence quand nous ne voyons pas de solution, de délier nos articulations quand nos mains sont trop crispées et nos petites jambes faibles. Comment arrivons nous à faire mine de rien face au scandale de l’isolement de tant de personne ? Je ne veux pas donner des exemples de peur de culpabiliser les uns ou les autres. De peur aussi de lier sur les épaules d’un autre un fardeau qu’il n’aurait pas la force de porter. C’est à chacun de voir cela, pas seulement par le cœur mais aussi par l’intelligence en discernant sa vocation et en mesurant ses propres talents et ses forces. C’est donc, oui, dans la prière que cela se travaille afin que nous fassions, que je fasse les œuvres de notre Père à tous. Et que personne ne soit oublié. Et quand donc un salaud passe à côté de sa vocation, qu’est-ce que peut faire Dieu ? La mission va tomber sur un autre qui avait lui, déjà fait son boulot. C’est ce que Jésus nous dit dans la parabole des talents (Matthieu 25). Mais, franchement, il y a autour de nous, à notre porte mil petits gestes dont nous sommes témoins qui ont ouvert une certaine fenêtre dans l’isolement de quelqu’un et qui ont rempli ainsi les deux protagonistes d’une bonne joie saine. Par un geste d’un instant comme un cadeau surprise, ou par une fidélité sur des décennies. En regard de ces miracles, nous avons un manque immense de secours de l’isolé. Qu’est-ce qui a pu rendre notre société et même nos familles aussi individualistes ? Chacun dans son isolement, finalement. Car il n’y a pas que celui sui est tout seul qui est isolé, il y aussi celui qui se contente du cercle le plus restreint, ou celui qui est en réalité isolé au milieu d’une foule, ou isolé dans sa tout d’or et d’ivoire. Je ne suis pas amateur des discours moralisateurs de l’apôtre Paul, souvent en décalage avec la grâce de l’Evangile du Christ. Mais dans cette lettre à Timothée où Paul a un ardent besoin d’aide dans son isolement, il est d’une incroyable actualité, et qui est donc intemporel sur les causes des poussées d’isolement dans la société : « Sache (dit-il à Timothée) que, dans les derniers jours, surgiront des temps difficiles. Car les hommes seront égoïstes, amis de l'argent, fanfarons, orgueilleux, blasphémateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, sacrilèges, insensibles, implacables, calomniateurs, sans frein, cruels, ennemis des gens de bien, traîtres, impulsifs, enflés d'orgueil, aimant leur plaisir plus que Dieu ; ils garderont la forme extérieure de la piété, mais ils en renieront la puissance. Éloigne-toi de ces hommes-là. » (2 Timothée 3:1-5) Paul termine cette magnifique tirade par deux pistes intéressantes :
Ces deux conseils n’en font qu’un. C’est le rôle de la piété vraie qui est une prise de distance par rapport au quotidien qui nous habite et une ouverture à la transcendance. C’est l’irremplaçable apport de la bonne solitude qui est à distinguer du tragique isolement. « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » au sens d’être isolé, mais il est bon que l’homme se retire dans la solitude pour avancer. Et régulièrement. C’est ce que font Jacob et Jésus dans les exemples que je vous ai lus. Ce temps d’été permet peut-être de prendre ou de reprendre cette bonne hygiène. L’histoire de Jacob est faite pour être lue à plusieurs niveaux de lecture, bien sûr. Au sens moral nous avons un homme qui est séparé de son frère, et donc isolé de son peuple, de son pays. Pour se préparer à une réconciliation il prend le temps d’un travail sur lui-même, seul par rapport à ses plus proches, dans un combat intérieur où il est rejoint par Dieu. Parfois, Dieu est réconfort, souvent il est heureusement un dérangement, un combat jusqu’à ce que le jour se fasse, c’est aussi une blessure : une blessure dans notre suffisance, une faille dans notre nuit, ce qui nous permet enfin d’avancer. Au sens spirituel, Jacob est notre part divine, habitée de ce souffle de Dieu et Ésaü est notre part animale, terrestre. La question est de réconcilier ces deux natures en nous et que l’animal soit effectivement domestiqué par le spirituel, par la foi, l’espérance et l’amour (dirait l’apôtre Paul). Pas facile car l’animal en nous est féroce. Jacob est plein de richesse et d’intelligence mais il est dans la peur et il ne sera jamais lui-même, il ne sera jamais chez lui tant qu’il ne se réconciliera pas avec son être de chair, avec son être incarné en ce monde. Jacob s’extrait de ses possessions, de son avoir qu’il fait passer devant. Il prend du recul aussi par rapport à ses tout proches, femmes et enfants pour rester seul. Seul face à lui-même, nu devant Dieu, avec sa parole, dans un combat pour arracher encore la bénédiction, jusqu’à ce qu’un peu de lumière se fasse. Et vivre réconcilié avec la vie. De même Jésus, tout au long de son difficile ministère, se retire seul quand il fait nuit. Tant qu’il fait jour, il avance et fait les œuvres pour lesquelles il a été envoyé, il accomplit sa vocation. Bien entendu, nous sommes toujours dans ce clair obscur, le mot « crépuscule » désigne en français aussi bien le soir qui tombe que le jour qui vient. Dès qu’en nous l’ombre augmente ou même dès qu’en nous la lumière n’augmente plus : il est urgent de prendre délibérément un temps de vraie solitude, ce retrait de ce que l’on croit posséder, écart même de nos plus proches pour les redécouvrir autrement, pour nous voir nous-même aussi autrement grâce à ce Dieu auquel nous faisons place, et nous écartant. « Quand tu pries », nous dit Jésus, « entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret, et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra . » (Matthieu 6:6). Jésus sait de quoi il parle. Se réconcilier avec notre corps, avec notre être, avec notre vie, avec nos possessions et nos manques, avec nos proches tels qu’ils sont. Trouver notre vocation et la façon de la vivre, l’affiner, la rectifier. Et alors, tant qu’il fait un petit peu jour, accomplir un peu à notre façon les œuvres de celui qui nous a envoyés. Mais alors, bien sûr, nous sentons qu’en réalité nous sommes réellement seuls, mais d’une façon glorieuse bien que difficile par la responsabilité qu’elle implique. Ce pourrait être un isolement. Mais c’est juste une solitude à vivre en vérité. Elle ne devrait pas être désespéré, elle est un privilège, une vraie noblesse, une grandeur. Dans la bonne solitude nous saisissons que nous sommes nous-même et que personne d’autre n’est nous. C’est la capacité à dire « je », et être soi-même personnellement source d’une opinion, source d’une action, source d’un changement dans le monde. Seule cette vraie solitude me permet d’échanger avec les autres, d’aimer en vérité parce que je suis détaché, alors je peux tendre la main, voir et écouter, dialoguer, travailler en articulation avec l’autre. Seuls devant nos capacités, nos faiblesses, nos décisions, et donc nos fiertés et nos hontes, nos blessures et nous joies... il est inutile et néfaste d’essayer d’oublier cette singularité et donc cette solitude en nous étourdissant, ou en essayant de la tromper en nous noyant dans la foule ou en nous anéantissant devant Dieu ou nous accrochant désespérément au matériel pour ne pas être saisi de vertige. Mieux vaut, là encore apprivoiser de vertige d’est seul en son genre au monde, comme Jacob, comme Jésus au désert. Et se réconcilier avec cette glorieuse solitude, avec cette dignité extraordinaire d’être soi et d’être pas si mal que ça. Cela nous prépare à mieux entrer en relation et même en communion avec l’autre. Car nous avons en commun d’être seul, chacun, dans notre genre, seul en soi-même, seul chacun dans son corps, son histoire et sa vie. Cela nous aide à mieux l’aimer tel qu’il est. Et mieux aimer Dieu aussi. Car lui aussi, est sacrément seul. Alors soyons seuls ensemble. Fraternellement, joyeusement. Glorieusement. Amen Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
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Pasteur dans la chaire de
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Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 10:06)
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