Se calmer, se reposer et laisser vivre l’Esprit(Actes 16:6-23) (écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 4 août 2013 à l'Oratoire du Louvre Ce passage des Actes des apôtres est le début d’une partie très personnelle de ce livre. Nous voyons que le récit passe ici à la première personne du pluriel, l’auteur écrivant au début « Ils ont été empêchés par le Saint-Esprit d’annoncer la parole en Asie… », l’auteur passe au « nous » pour la suite du récit « nous cherchâmes à nous rendre en Macédoine, concluant que Dieu nous appelait à leur annoncer la bonne nouvelle… ». Quand l’auteur, peut-être Luc, écrit ces lignes, il vient donc d’intégrer l’équipe d’évangélisation de l’apôtre Paul. Il découvre l’ambiance autour de lui, ces voyages à l’aventure, la foi énergique de Paul, sa puissance intellectuelle et spirituelle, son charisme. Luc donne ses impressions dans ce carnet de voyage, il note, dès le début, quelque chose de significatif. L’apôtre Paul tâtonne. Il est sans cesse en tension entre ce qu’il pense intelligent de faire et ce qu’il discerne comme étant la volonté de Dieu. Par deux fois, Paul avait le projet d’aller quelque part et l’Esprit Saint l’en empêche et il doit choisir une autre destination. Pourtant, à chaque fois, Paul avait sans doute réfléchi, prié, discuté, réfléchi encore et prié encore avant de décider d’aller en Phrygie, en Galatie, en Mysie, en Bythinie ou ailleurs. Ils s’étaient élancés, pensant suivre la volonté de Dieu et c’étaient pourtant de fausses pistes. Alors finalement la Macédoine pour suivre l’impulsion de son rêve ? C’est délicat, tant d’autres voix que celle de Dieu peuvent parler au fond de nous, tant d’événements peuvent passer pour des signes. C’est pourquoi Paul délibère avec l’équipe, Luc dit que finalement « nous avons conclu que Dieu nous appelait à annoncer aux Macédoniens la Bonne Nouvelle ». On sent qu’il y a là encore une hésitation. Cette recherche et en même temps cette prudence dans l’attribution est un vrai respect pour Dieu. Tant de personnes parlent avec une stupéfiante assurance de ce que Dieu a certainement dit, de ce qu’il est censé être, de ce qu’il veut ! Paul, Silas et Luc tentent donc la Macédoine. Là encore, ils restent souples. Le rêve de Paul faisait parler un homme mâle, ce sont des femmes qu’ils rencontrent, c’est égal pour eux, visiblement, et ils leur offrent la bonne nouvelle du Christ. Et cela montre que Paul n’est pas le gros macho que certains font de lui. Dans les églises que Paul a créées, les femmes peuvent être apôtre ou diacre (Rom 16:1,7). Et ici, Lydie est baptisée, elle et toute sa maisonnée, enfants et serviteurs compris. Ce n’était pas évident dans le contexte du judaïsme, où les femmes ne recevaient pas de signe de l’alliance avec Dieu comparable à la circoncision subie par les hommes. Ensuite, Lydie impose littéralement à Paul et ses amis d’enménager chez elle et d’y instituer la première église chrétienne dans la ville de Philippes. La femme était donc alors non seulement chrétienne à part entière mais digne de faire de la théologie et de recevoir tout l’enseignement, digne d’avoir autorité le cas échéant, digne d’annoncer l’Évangile et de secourir les autres. C’est donc pour des raisons particulières et non pour des raisons absolues que Paul apporte dans certaines de ses lettres des restrictions à la liberté des femmes , c’est pour des raisons plus ou moins connues mais qui n’ont pas tellement d’importance pour nous qui vivons dans une autre époque et un autre contexte. Ici, nous voyons que Paul confirme par ses actes son principe fondamental de neutralité vis-à-vis du sexe, de la condition sociale, et de l’origine devant Dieu et dans l’Église : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme car tous vous êtes un en Jésus-Christ. » (Gal. 3:28 ). Ce n’est donc pas pour des raisons de sexe, d’origine ou de statut social que Paul va malmener la petite esclave diseuse de bonne aventure qu’il va rencontrer ensuite. Le court récit qui raconte cette rencontre est étrange, il est dérangeant. Il ressemble à ces passages des évangiles où Jésus chasse un démon qui martyrise une pauvre personne. Mais dans le fond il y a des différences essentielles entre ce que Paul fait ici et ce que Jésus fait en libérant une personne de ses démons intérieurs. La première chose c’est la cause du geste. Luc nous dit clairement la raison pour laquelle Paul chasse l’esprit de cette femme : Paul était fatigué. Point. Ça arrivait aussi à Jésus d’être fatigué, il se retirait alors à l’écart pour réfléchir et pour prier. Paul a ici une fatigue explosive. Nous savons ce que c’est. La seconde différence, c’est que Paul ne s’intéresse apparemment pas au sort de cette jeune esclave, nous ne savons même pas son nom, nous ne savons pas ce qu’elle devient, alors que sa situation a peu de chance d’avoir été améliorée par l’action de Paul. Elle était déjà une esclave et le reste ensuite. Mais au début, la fortune qu’elle rapportait à ses maîtres lui donnait visiblement une grande liberté puisqu’elle peut s’extraire de son service « de nombreuses journées » pour suivre le groupe de Paul. Ayant perdu son don, que peut-elle devenir dans la maison de ses maîtres ? Une autre Cendrillon ou Cosette ? S’il y avait quelqu’un à libérer dans cette histoire, ce n’était pas cette fille mais ses maîtres qui m’ont l’air possédés par leur espérance de jolis revenus. Alors quel problème est-ce que cette fille posait à Paul ? Comment a t-il chassé son don ? Luc nous la présente comme étant en forme, et même plus que cela. Il y a de la liberté chez elle, une étonnante liberté, même. Elle est libre intellectuellement, spirituellement, existentiellement. La foi chrétienne lui était étrangère et la Bible n’était pas sa culture, elle est pourtant capable de discerner au quart de tour la puissance de salut qu’il y a dans l’Évangile que Paul propose. Non seulement elle voit l’intérêt de la chose, mais elle va sur le champ entrer dans cette dynamique de la foi, elle se rend disponible pour suivre Paul et ses compagnons pour progresser dans cette voie. Jusqu’à ce point, les parcours de Lydie et de la jeune esclave sont a peu près équivalents, elles comprennent les paroles de Paul et saisissent la foi proposée pour en vivre. Lydie accueillant les apôtres chez elle, la jeune fille se mettant en mouvement pour les suivre. Ces deux images sont fréquentes pour exprimer le salut, qui est à la fois comme recevoir Christ en soi mais en même temps le suivre comme s’il nous devançait, ces deux gestes évoquant la contemplation et l’action, évoquant la communion à Dieu et une conversion à poursuivre. Mais la petite esclave anonyme a franchi une étape supplémentaire par rapport à Lydie. Dans une fulgurante intuition, la jeune fille saisit que le salut n’est pas simplement un salut personnel mais qu’il est également se sentir concerné par les autres autour de soi, et elle se met au service de l’annonce de ce salut qu’elle reçoit. Elle le fait par grâce, sans rien gagner ni pour elle ni pour ses maîtres. Elle le fait avec humilité, ne se mettant pas en vedette comme source de vérité mais renvoyant à Dieu comme étant la source du salut, et renvoyant à l’équipe de Paul comme aide pour trouver cette source. Par rapport à elle, Lydie reste à la marge. Quand Paul la découvre, elle s’intéresse à la foi juive mais elle reste à moitié convertie, faisant partie des personnes que l’on appelait les « craignant Dieu ». Le texte nous qu’on la trouve hors de la ville, Lydie est ni vraiment de la cité ni vraiment de l’extérieur. Ce sera la même chose pour sa foi chrétienne, elle s’intéresse, elle accueille mais sans crier la nouvelle dans la ville comme le font Paul et comme le fait la gamine. Et réellement, dans ce récit, c’est elle, la petite, qui est à l’image du Christ, perdant tout pour sauver les autres en espérant les voir se mettre en route dans la voie du salut du Dieu très haut. Finalement, comme le Christ, elle disparaît, elle rend son esprit, elle est anéantie dans ce service, frappée comme Jésus par les princes de la religion (il vaut mieux se méfier de la religion quand elle cesse d’être modeste). Paul est fatigué. Du coup, il est comme nous alors plus sensible à la colère, voyant tout plus négativement, et jugeant à l’emporte pièce. L’annonce de la fille était pourtant parfaite. Elle criait : « Voici des hommes, des serviteurs du Dieu Très-Haut, ils vous annoncent la voie du salut. ». Appeler Dieu « le très haut » est dans la ligne d’Abraham, des Psaumes, ou de l’ange Gabriel qui annonce à Marie que son fils Jésus sera appelé « Fils du Très-Haut ». C’est parfait de dire que Paul est serviteur de ce Dieu, c’est comme ça que Paul se présente lui-même (Rom. 1 :1). C’est parfait de présenter le salut en Jésus-Christ comme une dynamique, un cheminement. Et cette fille parle en connaissance de cause, elle témoigne de ce qu’elle vit. Le texte dit qu’elle « avait un esprit de Python », mais encore faudrait-il qu’il y ait un dieu Python qui existe réellement. En d’autre temps où il devait être plus en forme, Paul disait que « personne ne peut dire: Jésus est le Seigneur! si ce n’est par le Saint-Esprit. » (1 Cor. 12:3). S’il était moins fatigué, moins en colère, plus strictement monothéiste aussi, Paul aurait compris que ce n’était pas par l’esprit d’un dieu qui n’existe pas que la fille donnait ce beau témoignage, mais par l’Esprit de Dieu, par l’Esprit Saint, par l’Esprit qui animait Jésus lui-même. La fatigue et la colère peuvent nous entraîner dans une spirale, une dégringolade où nous entraînons ceux qui nous entourent. Quand cela nous prend, le truc de Jésus, si je puis dire, ne marche pas si mal. Se poser, prendre du recul, seul, respirer un grand coup, et réfléchir, et prier tant que l’aube n’est pas levée. Ou comme Jacob au gué de Yabboq, lutter avec la Parole, lutter avec Dieu et ne pas le lâcher tant qu’on n’a pas obtenu de force sa bénédiction. Mais « Paul fatigué, se retourna et dit à l’esprit: Ce n’est pas si facile de faire la lecture du monde et de notre vie pour y discerner la trace du souffle de Dieu. Paul avait l’humilité de reconnaître qu’il tâtonnait dans sa recherche d’itinéraire. C’est encore plus difficile, plus risqué de juger ce qui anime une personne. « Paul fatigué, se retourna ». « Se retourner », c’est le verbe utilisé dans la Bible pour parler de la conversion à Dieu. Mais ici, c’est l’inverse, se prenant pour Jésus-Christ, Paul juge que l’esprit qui anime la fille est démoniaque. Et à l’instant même, elle perd cet esprit, elle perd cette foi qui l’animait, elle perd cet enthousiasme et cette liberté, elle perd cette soif de témoigner de cette dynamique de vie qu’elle avait découverte, qu’elle avait reçue. Parce que la parole de Paul la place sous une double contrainte, face à deux nécessités contradictoires, comme ces double-binds qui peuvent perturber bien des enfants et des adultes qui y sont soumis. Premier lien : Elle a une véritable expérience spirituelle qui lui a fait reconnaître que le salut en Jésus-Christ dont parle Paul est bien réel, bien vivifiant, qu’il vient du Dieu très haut Second lien, contradictoire, ce même Paul au nom du même Jésus-Christ qui l’a ouverte à la vie, se tourne brusquement contre cette vie nouvelle qu’elle vient de recevoir d’eux ! Pauvre jeune femme, pauvre Paul, pauvre Dieu très haut, et pauvre Jésus-Christ. J’espère qu’avec sa force spirituelle, après un moment de stase, elle pourra retrouver cette foi, cette liberté, cet amour et cet enthousiasme qui l’animait, comprenant avec bienveillance que c’est la fatigue qui a fait agir Paul ainsi. Peut-être qu’à l’occasion des autres passages que Paul fera dans la ville de Philippes il la retrouvera et qu’elle fait partie des femmes que Paul salue avec reconnaissance à la fin de sa lettre aux Philippiens (4:2) ? Qu’est-ce qui a été, dans les paroles de cette fille, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la fatigue de Paul ? Si c’est le nombre de décibels de ses cris, il aurait pu lui dire : merci, c’est sympa, mais s’il te plait, j’ai une migraine terrible. Mais peut-être que Paul avait peur que les gens confondent l’Esprit de Jésus qu’ils annoncent avec le pseudo esprit de Python des cartomanciennes ? Paul aurait pu expliquer qu’en réalité elle ne parlait pas par l’esprit d’un bout de bois inerte taillé en forme de serpent, mais que c’est effectivement par l’Esprit du Très Haut qu’elle parle. Et que le projet de Dieu en Christ est que nous soyons tous, homme comme femme, garçon comme fille, prophètes du Très Haut comme elle (Jérémie 31:31-35, Actes 2:17). Mais peut-être que c’est le message même de la fille, message qui le concerne personnellement, qui a fatigué Paul, et qui peut nous fatiguer aussi : Voici des hommes, des serviteurs du Dieu Très-Haut, ils vous annoncent la voie du salut. Oui, cela peut sembler fatiguant, invraisemblable d’entendre en vérité cette parole qui parle de nous, au nom de Dieu. Moi ? serviteur du Très Haut ? Moi, porteur d’une parole de salut, une parole qui peut ouvrir un autre à la résurrection ? Et bien oui. Amen. Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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