Saül et les reliques de la mort

( 1 Samuel 28:4-25 )

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Culte du dimanche 10 juillet 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, comment expliquer le succès international de la saga Harry Potter ? Certainement en raison des thèmes qui sont abordés : l’amitié, l’enfance, l’éducation, la loyauté, la violence… et la mort. La mort, c’est précisément de cela dont il est question dans ce passage du livre de Samuel qui met en scène le roi Saül, qui se sait condamné par l’approche de l’armée des philistins. Il pressent qu’il ne lui reste plus que quelques heures à vivre et cette mort imminente l’obsède. La mort l’obsède tellement qu’il en vient à commettre l’impensable, l’irrationnel par excellence, en demandant à entrer en contact avec un mort, alors que cela est formellement interdit non seulement par les prescriptions divines, mais par Saül lui-même, ainsi que le rappelle la sorcière d’Eyn Dor.

Approche anthropologique

Avant de condamner un peu plus Saül en le traitant de renégat, d’homme de trop peu de foi, laissons-le nous parler. Laissons-le nous interpeler sur notre propre angoisse face à la mort. Laissons-le mettre des mots, des attitudes sur ce dont nous sommes capables ou ce dont nous serions capables en pareille situation. Avant de lui jeter la première pierre, laissons-lui le soin de révéler la poutre qui barre notre regard et nous rend prompt à le condamner, du haut de notre rationalité bien trempée par un protestantisme intransigeant sur ces questions métaphysiques.

Saül n’est pas notre contemporain. Son espérance de vie ne côtoie pas les cent ans. Tout au mieux peut-on espérer atteindre les 50 ans, à son époque. Un enfant sur trois meurt à la naissance. La plupart des maladies sont incurables. La mort est omniprésente, on vit avec. Les deuils sont fréquents, nombreux, ils font partie intégrante du quotidien. De nos jours, les choses ont bien changé. Nous avons changé d’horizon. Dans le monde à la vie longue, nous ne voulons plus rien concéder à la mort. Du moins en théorie. Parce qu’en pratique, dès que la maladie pointe le bout de son nez, qu’elle touche un proche ou nous atteint personnellement, nous perdons de notre superbe. Les observations du travail de deuil montrent qu’une phase de ce deuil consiste dans la négociation. Pour éviter la mort, nous sommes prêts à transiger avec nos convictions les plus assurées. Nous sommes prêts à faire des concessions pour peu que la mort s’en aille.

C’est bien connu, en protestantisme, on ne prie pas pour les morts, alors leur parler… C’est pourtant ce que fait Saül, le premier roi d’Israël, le premier messie de la Bible, dans ce chapitre qui est l’un des derniers le concernant. Dans peu de temps Saül va mourir, vaincu par les Philistins, rejeté par Dieu à qui il n’a pas obéi. Acculé à cette mort certaine, Saül est désemparé et il va porter ses derniers espoirs auprès d’une sorcière comme d’autres essaient la médecine parallèle en dernier recours. Le texte biblique dit que cette sorcière est efficace et qu’elle parvient à faire remonter Samuel du séjour des morts pour parler, encore une fois, à Saül. Puis le chapitre se termine sur le dernier repas du messie Saül. Tout cela semble bien anecdotique et bien peu important. Pourtant, celui qui prendra le temps de compter les mots des deux livres de Samuel se rendra compte que ce passage se situe à l’exact milieu de cet ensemble littéraire. Alors cela mérite qu’on s’y penche avec un peu d’attention.

Comment en vouloir à Saül qui, au seuil de la mort met tout en œuvre pour l’éviter ? Oui Saül nous parle. Il nous interroge sur nos propres réactions en pareilles circonstances. Ne serions-nous pas prêts à agir de même si nous avions l’intuition que cela pouvait être efficace, ne serait-ce qu’avec 1% de chance ? Qui rejetterait ce 1% de chance d’échapper au terme ultime qu’est la mort quand tout semble fichu, même si cela suppose de confier au surnaturel ? D’autant plus de nos jours que nous n’apprenons plus à vivre en compagnie de la mort ; que la mort s’est réfugiée au fond de quelques services hospitaliers alors qu’il y a quelques dizaines d’années encore elle côtoyait notre quotidien et nos demeures ? Refuserions-nous, vraiment, un petit coup de pouce de l’au-delà, un petit coup de main de la part d’un trépassé qui viendrait nous apprendre ce qu’on ne sait qu’après la mort ? Cet épisode aussi étrange que mystérieux, qui n’a rien à envier aux aventure du sorcier Harry Potter, nous rend attentif à nos élans naturels, à nos réactions soudaines en cas de coup dur, non pas pour les condamner, mais pour les mettre en évidence et pour nous préparer à mieux faire face à ce genre de situation lorsque c’est nous qui devons les affronter.

Conviction théologique

L’au-delà intéresse ; il suscite la curiosité. On consulte les théologiens pour savoir ce qu’il y a après la mort, comment ça se passe. On consulte ceux qui disent manier le paranormal. Ici, nous avons mieux que cela : nous avons Samuel qui monte du séjour des morts, nous avons un témoin de première main. Que nous apprend-il ? Rien qu’il n’ait déjà dit. À Saül qui l’interroge sur son avenir, Samuel n’a rien de plus à dire que ce qu’il a déjà annoncé et largement rabâché par le passé. Autrement dit, celui qui passe par le séjour des morts n’est pas détenteur d’un savoir supplémentaire. Il n’y a pas de surplus de connaissance dans la mort. Inutile, donc, de se précipiter vers la mort pour bénéficier d’une révélation complémentaire. C’est aussi ce que nous avait appris l’épisode de l’homme riche et Lazare dans l’évangile selon Luc 16,19-31 : un ressuscité d’entre les morts n’apporte rien de plus que Moïse et les prophètes. Une fois de plus, la Bible nous recommande ne pas porter d’espoir insensé en direction de la mort, qui ne résout pas les problèmes : c’est ici et maintenant que Dieu se révèle dans sa plénitude ou, pour le dire dans des termes moins religieux, nous avons tout à disposition pour réussir notre vie et c’est cette vie là qui compte.

C’est l’intuition que le philosophe Paul Ricoeur développait également en disant : « je crois de plus en plus qu’il faut se désinvestir du souci de la vie après la mort pour se poser le problème de la vie avant la mort ». Certes, la mort nous éduque. Toute situation qui nous confronte à la mort nous aide à savoir ce qui compte vraiment dans la vie. La mort nous permet de mieux savoir ce qui est nécessaire et ce qui est accessoire, de discerner ce qu’est la vie authentique et ce qui n’est que préoccupation futile. Mais la quête d’une connaissance provenant de l’au-delà est sans cesse disqualifiée car l’au-delà n’ajoute rien à ce que nous avons à notre disposition, ici et maintenant. Pour être plus précis, la quête de l’au-delà nous prive de la vie présente, elle nous fait fuir ce monde qui est pourtant le monde que Dieu aime, le monde dont il prend soin, le monde dans lequel il nous appelle à prendre notre place.

C’est ce que confirme la fin de ce chapitre. Saül sait qu’il va mourir dans quelques heures. Il est d’autant plus abattu qu’il ne s’est pas nourri depuis vingt-quatre heures, précise le texte. À quoi bon se restaurer maintenant ? C’est pourtant ce à quoi la sorcière le contraint, en préparant pour lui un repas digne d’un messie. La sorcière s’avère être une femme sage qui prend soin du corps, jusqu’au bout, de même que Marie prendra soin du corps de Jésus avec excès à la veille de son arrestation, en le couvrant d’un parfum fort cher. À la manière de la sagesse de l’Ecclésiaste, la sorcière affirme par ses gestes que chaque instant mérite d’être vécu. Ce dernier repas du messie le prépare à assumer ce qu’il lui reste à vivre. Cette finale nous dit aussi qu’un homme ne perd jamais sa dignité : même rejeté, il n’est pas abandonné. Même dans ses derniers instants un homme reste un être humain ; il n’est pas un déchet ou un encombrant.

Perspective éthique

N’est-ce pas ainsi que Jésus agit à la veille d’être arrêté et condamné ? Plutôt que fuir ou se laisser mourir, il rassemble ses amis pour un repas qui va renforcer leurs liens, un repas fraternel qui sera précisément celui que nous partagerons dans quelques instants, un repas qui nous fait découvrir que Dieu nous prodigue ce dont nous avons besoin pour assumer notre existence ici-bas, un repas par lequel nous affirmons que faisons ce qui est nécessaire pour vivre, que nous prenons soin de nos corps au lien de nous abandonner à une sorte de déclin de la vie.

Cette histoire biblique nous apporte des éléments qui viennent enrichir notre réflexion éthique autour de la question de fin de vie, lorsque nous nous interrogeons sur le bien-fondé d’abréger ou non la vie de quelqu’un dont les jours ou les heures sont comptées. La sorcière, que l’on serait tenté de disqualifier d’office parce qu’elle est sorcière et que les sorcières ne sont pas en odeur de sainteté, la sorcière, donc, s’avère être particulièrement préoccupée par la vie, bien plus que par la mort et l’au-delà. Elle me fait penser à cette dame rose qui va rendre le petit Oscar à la vie, dans la pièce d’Eric Emmanuel Schmitt. Alors que cet enfant se sait condamné à mourir dans quelques jours, la dame rose, ce personnel employé par l’hôpital où il est soigné, va s’appliquer à ressusciter la vie, et le désir de vivre chez lui. Elle ne va pas lui faire miroiter une guérison ni même une rémission, elle ne va pas le noyer dans le chagrin de la mort à venir : elle va le ramener à la vie, en le considérant comme un vivant, jusqu’au bout et en lui faisant vivre ce qu’il peut, et bien plus que ce qu’il pouvait envisager.

La sorcière d’Eyn Dor agit de la même manière avec Saül : grâce à cette sorcière, un quart d’heure avant sa mort, Saül était encore vivant ! « Jusqu’à la mort accompagner la vie », exhortait le professeur René Schaerer en mettant en place les soins palliatifs à Grenoble. Abréger les souffrances, oui, mais pas abréger la vie, bien au contraire : lui redonner de l’éclat, une véritable dignité, dans la mesure du possible, alors même qu’il n’y a peut-être plus que quelques heures à vivre.

Le caractère fantastique de ce récit me semble être une bonne manière de dire qu’il n’est pas un aspect de notre histoire qui serait sans Dieu, qu’il n’y a pas de « no God’s land » au sein du monde. Même les situations « odieuses » ne sauraient constituer une terre délaissée par Dieu, un espace entièrement marqué par la mort où la puissance de l’amour divin ne pourrait plus se manifester. Ce faisant, ce récit justifie l’interdit d’invoquer les défunts en montrant que nous courons à la déception en espérant obtenir auprès d’eux ce qu’on n’arrive pas à obtenir des vivants. La seule fois où Saül parviendra à se lever, au sens de ressusciter, c’est lorsqu’il écoutera, enfin, ce que les vivants lui disent. C’est au verset 23 où se trouve, justement, le centre du livre de Samuel. C’est à cet instant que l’Eternel nous sauve de la mort.

Amen

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
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Lecture de la Bible

1 Samuel 28:4-25

Les Philistins se rassemblèrent, et vinrent camper à Sunem; Saül rassembla tout Israël, et ils campèrent à Guilboa.
5 A la vue du camp des Philistins, Saül fut saisi de crainte, et un violent tremblement s’empara de son coeur.
6 Saül consulta l’Eternel; et l’Eternel ne lui répondit point, ni par des songes, ni par l’urim, ni par les prophètes.
7 Et Saül dit à ses serviteurs: Cherchez-moi une femme qui évoque les morts, et j’irai la consulter. Ses serviteurs lui dirent: Voici, à En-Dor il y a une femme qui évoque les morts.
8 Alors Saül se déguisa et prit d’autres vêtements, et il partit avec deux hommes. Ils arrivèrent de nuit chez la femme. Saül lui dit: Prédis-moi l’avenir en évoquant un mort, et fais-moi monter celui que je te dirai.
9 La femme lui répondit: Voici, tu sais ce que Saül a fait, comment il a retranché du pays ceux qui évoquent les morts et ceux qui prédisent l’avenir; pourquoi donc tends-tu un piège à ma vie pour me faire mourir?
10 Saül lui jura par l’Eternel, en disant: L’Eternel est vivant! il ne t’arrivera point de mal pour cela.
11 La femme dit: Qui veux-tu que je te fasse monter? Et il répondit: Fais moi monter Samuel.
12 Lorsque la femme vit Samuel, elle poussa un grand cri, et elle dit à Saül: Pourquoi m’as-tu trompée? Tu es Saül!
13 Le roi lui dit: Ne crains rien; mais que vois-tu? La femme dit à Saül: je vois un dieu qui monte de la terre.
14 Il lui dit: Quelle figure a-t-il? Et elle répondit: C’est un vieillard qui monte et il est enveloppé d’un manteau. Saül comprit que c’était Samuel, et il s’inclina le visage contre terre et se prosterna.
15 Samuel dit à Saül: Pourquoi m’as-tu troublé, en me faisant monter? Saül répondit: Je suis dans une grande détresse: les Philistins me font la guerre, et Dieu s’est retiré de moi; il ne m’a répondu ni par les prophètes ni par des songes. Et je t’ai appelé pour que tu me fasses connaître ce que je dois faire.
16 Samuel dit: Pourquoi donc me consultes-tu, puisque l’Eternel s’est retiré de toi et qu’il est devenu ton ennemi?
17 L’Eternel te traite comme je te l’avais annoncé de sa part; l’Eternel a déchiré la royauté d’entre tes mains, et l’a donnée à un autre, à David.
18 Tu n’as point obéi à la voix de l’Eternel, et tu n’as point fait sentir à Amalek l’ardeur de sa colère: voilà pourquoi l’Eternel te traite aujourd’hui de cette manière.
19 Et même l’Eternel livrera Israël avec toi entre les mains des Philistins. Demain, toi et tes fils, vous serez avec moi, et l’Eternel livrera le camp d’Israël entre les mains des Philistins.
20 Aussitôt Saül tomba à terre de toute sa hauteur, et les paroles de Samuel le remplirent d’effroi; de plus, il manquait de force, car il n’avait pris aucune nourriture de tout le jour et de toute la nuit.
21 La femme vint auprès de Saül, et, le voyant très effrayé, elle lui dit: Voici, ta servante a écouté ta voix; j’ai exposé ma vie, en obéissant aux paroles que tu m’as dites.
22 Ecoute maintenant, toi aussi, la voix de ta servante, et laisse-moi t’offrir un morceau de pain, afin que tu manges pour avoir la force de te mettre en route.
23 Mais il refusa, et dit: Je ne mangerai point. Ses serviteurs et la femme aussi le pressèrent, et il se rendit à leurs instances. Il se leva de terre, et s’assit sur le lit.
24 La femme avait chez elle un veau gras, qu’elle se hâta de tuer; et elle prit de la farine, la pétrit, et en cuisit des pains sans levain.
25 Elle les mit devant Saül et devant ses serviteurs. Et ils mangèrent. Puis, s’étant levés, ils partirent la nuit même.