Dieu à travers les âges

( Ephésiens 4:1-6 ; Deutéronome 6:1-9 )

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Culte du dimanche 3 juillet 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Une seule espérance, un seul corps, un seul Esprit, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême… chers frères et sœurs, il ne manque plus qu’un règne de mille ans pour être en plein totalitarisme. Avec un texte pareil, nous ne sommes pas seulement dans le registre du « je ne veux voir qu’une seule tête », nous sommes en plein fascisme et il n’y a plus qu’à déclarer qu’en dehors de l’Eglise point de salut pour commencer à couper des têtes ou envoyer au bagne si l’on est bien disposé. En disant cela, je ne fais aucune récrimination à ce texte biblique, mais à l’usage qu’il est possible d’en faire si l’on se méprend sur son sens, si nous ne le lisons pas en tension avec ce passage du Deutéronome qui donne une clef de compréhension fort utile : « l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est un ». Quelle est donc cette unité dont il est question dans ces deux textes bibliques ? S’agit-il d’une unité en forme d’unicité qui impose le règne de la pensée unique ?

Unité externe

L’interprétation courante explique que cette formule du Deutéronome pose le caractère exclusif de YHWH, le nom propre du Dieu d’Abraham et d’Isaac et de Jacob que nous traduisons volontiers par « l’Eternel ». Il y a l’Eternel et aucun autre : il n’y en a qu’un seul, sans autre à côté de Lui. A vrai dire, cette formule ne pose pas le principe du monothéisme absolu. Cette formule impose au peuple d’Israël de ne rendre un culte qu’à l’Eternel, à l’Eternel seulement. Autrement dit, on ne doit aimer que l’Eternel, sans tenir compte des autres qui prétendent, également, au titre de Dieu.

Sur le plan technique, c’est ce qu’on appelle l’unité externe : l’Eternel est le seul Dieu qui vaille, le seul Dieu qui vaille la peine d’être confessé. En dehors de lui point de salut. Cet exclusivisme externe, cet exclusivisme de façade entraine que le Dieu des voisins n’est qu’une mascarade. Notre Dieu est le bon, contrairement à celui des autres. Cela a pour conséquence que les croyants d’autres religions se trompent sur toute la ligne et, s’ils veulent accéder à la vérité ultime, ils doivent rejoindre nos rangs, se rallier à notre foi, adhérer à nos convictions. C’est, pendant longtemps, la manière dont une partie du christianisme envisageait non seulement le dialogue interreligieux mais aussi le dialogue œcuménique, au sein du christianisme : pour accéder à la pleine vérité, il fallait se rallier au parti majoritaire, abandonner sa religion pour rejoindre la sainte Mère Eglise seule détentrice de la vraie foi.

Seul petit problème, ce texte du Deutéronome ne dit pas que l’Eternel soit l’unique Dieu. Ce texte ne dit pas que l’Eternel, notre Dieu, est le Dieu unique : c’est l’unité de l’Eternel qui est au cœur du sujet. Ce texte ne dit pas que l’Eternel est le Dieu unique mais que l’Eternel, notre Dieu, est l’Eternel un.

Unité interne

L’Unité de l’Eternel, c’est l’unité interne de Dieu. Drôle d’idée, me direz-vous, que d’envisager que l’Eternel soit désuni, fragmenté, voire dispersé façon puzzle. Et pourtant… aujourd’hui encore, combien de fois entendons-nous qu’il y aurait le Dieu juste de l’Ancien Testament et le Dieu bon du Nouveau Testament ? et que penser des oppositions entre christianisme libéral et christianisme orthodoxe, ou entre christianisme social et christianisme sacramentel, sinon que chacun confesserait un Dieu sensiblement différent. Que penser des différentes manières de célébrer l’office du dimanche ? ne serait-ce pas une manière de dire que le Dieu de l’Oratoire est sensiblement différent du Dieu de l’Etoile, lui-même sensiblement différent du Dieu de Marseille ou de Genève ? Oui, tous, nous confesserions le Dieu de Jésus-Christ, mais l’Eternel, puisque c’est ainsi que nous le nommons, ne serait pas tout à fait le même d’un endroit à l’autre, chacun n’aurait conscience que d’un visage de l’Eternel mais ne serait pas en relation avec l’intégralité de Dieu.

Cet aspect polémique est certainement assumé par ce texte qui est contemporain de l’inscription de Kuntillet Ajrud, qui date du VIIIème siècle BC et qui mentionne un « YHWH de Samarie » et un « YHWH de Téman ». Pour mettre un terme à cette polémique de la pluralité des YHWH, le Deutéronome poserait le principe d’une seul YHWH et imposerait la reconnaisse mutuelle de tous les croyants, quelle que soit la sensibilité ou le sanctuaire auquel ils appartiennent. Quelques siècles plus tard, c’est d’ailleurs ce que feront les premiers chrétiens qui avaient, tous, une vision différente de Jésus-Christ (légaliste pour la communauté de Jérusalem, prêchant un enseignement radicalement nouveau selon les hellénistes, centrant son message autour de l’amour selon les pauliniens, accomplissant plus de miracles selon les galiléens). Ainsi que les différents évangiles en témoignent, cela aurait pu conduire à penser qu’il y a eu différents Jésus-Christ, mais non, en dépit de leurs différences, ils se reconnurent les uns les autres comme liés à un même Dieu dont Jésus avait incarné la volonté par son ministère. L’unité dans la pluralité aurait pu être leur mot d’ordre.

Cette interprétation pose qu’il n’y a qu’une espérance, même si elle est formulé différemment selon les endroits, qu’il n’y a qu’un seul corps même s’il prend des formes différentes d’un lieu à l’autre, ou, pour le dire clairement, il n’y a qu’un seul peuple de Dieu même s’il est organisé différemment selon les lieux. Il n’y a qu’un seul Esprit même s’il porte des fruits variés en fonction des personnes qui en sont animées. Il n’y a qu’un seul baptême même si les rituels diffèrent. Il n’y a qu’un seul Dieu même si certains disent qu’il est tout Autre (au dessus) alors que d’autres disent qu’il est en nous (au-dedans), Ep 4/6.

Unité à travers les âges

Cette interprétation est intéressante et utile, mais elle ne rend pas tout à fait compte de l’intention du Deutéronome qui ne s’intéresse pas tant à la variété des pratiques, des discours sur Dieu, qu’à la variété des générations. Ce qui revient, dans ce chapitre 6, c’est la question du passage d’une génération à l’autre et à la suivante. L’unité de l’Eternel n’est donc pas un problème spatial mais temporel : le Dieu ne nos pères est-il aussi notre Dieu ? Question qui sera reprise plus tard dans l’hymne national « La Cévenole ». Autrement dit, l’Eternel arrive-t-il à traverser les siècles ? Oui répond Paul qui écrit qu’il y a un seul Dieu et Père de tous qui traverse tous (διὰ πάντων Ep 4/6). Oui, répond le Deutéronome qui affirme qu’il y a une seul Eternel pour nous, nos fils et les fils de nos fils.

Cette unité de l’Eternel à travers les âges est absolument capitale, elle revient tout au long de ce livre puis de Josué qui assure le passage de relai avec la génération qui entrera en terre promise. L’unité de l’Eternel est capitale car nous pouvons en tirer deux bénéfices majeurs.

La mémoire vive

Le premier bénéfice consiste dans le fait que nous nous inscrivons dans une histoire qui nous précède et dans laquelle nous pouvons puiser pour mieux comprendre notre présent et affronter l’avenir fort de l’expérience de ceux qui nous ont précédés. Parce que l’Eternel accompagne les différentes générations au travers des âges, nous sommes au bénéfice de la mémoire qu’il a accumulée au fil des siècles et qui constitue une sorte de bibliothèque dans laquelle nous pouvons trouver les enseignements qui nous permettront de prolonger nos jours. La Bible qui est composée des archives de nos ancêtres dans la foi, nous offre une mémoire d’appoint que nous pouvons interroger pour nous aider à nous orienter au jour le jour. Dans une certaine mesure, grâce à Dieu, nous sommes riches de toutes ces tranches de vie qui peuvent informer notre vie quotidienne et la rendre plus compréhensible. Dans une certaine mesure, j’étais là, dans le jardin où Adam et Eve décidèrent de faire un petit pique-nique. J’étais là lorsque les Hébreux furent libérés de la servitude d’Egypte. J’étais là lorsque le temple de Jérusalem fut détruit. J’étais là lorsque Marie emmaillota son fils nouveau-né. J’étais là lorsque Pilate se lava les mains. J’étais là quand Paul écrivit à la communauté d’Ephèse. J’étais là, aussi, quand Augustin devint chrétien. J’étais là quand Luther afficha 95 thèses contre les indulgences, à Wittemberg. J’étais là quand Louis XIV signa l’Edit de Fontainebleau. J’étais là aussi quand Newton reçut sa pomme sur la tête. J’étais là quand Picasso dessina Guernica.

Cette mémoire n’est pas seulement une mémoire des faits, ce n’est pas seulement une connaissance historique qui ferait de moi un savant. C’est la mémoire des gestes, des paroles, des odeurs, des sentiments. C’est une mémoire vive inscrite dans mon corps, dans le corps de l’univers auquel j’appartiens, que Dieu accompagne, et qui me rend bien plus grand que Baudelaire qui écrivait : « j’ai plus de souvenirs que si j’avais vécu mille ans ». Car cette mémoire n’est pas celle d’un spectateur, passif, mais la mémoire de l’acteur qui s’est engagé sur tous les fronts de l’histoire des hommes.

Oui… j’ai sauté à Dien Bien Phu et j’ai marché sur la lune. J’ai joué de la batterie au concert des Rolling Stones à Altamont. J’ai tenu la main d’Helmut Kohl à Verdun. J’ai été assassiné sur la place Tien An Men. J’ai marqué le troisième but de la finale de la coupe de monde de football ’98. J’avais les yeux plein de cendres en septembre 2001. Je puis affirmer que Francis Fukuyama a tort d’avoir annoncé la fin de l’histoire que je n’en finis pas d’écrire.

L’Eternel est le Dieu de nos pères, celui de nos enfants : il traverse les âges et tient à notre disposition cette mémoire de laquelle nous pouvons tirer les grands commandements qui instruirons nos choix aujourd’hui et demain et qui nous permettrons de ne pas succomber trop vite aux pièges de la vie et d’écrire de nouveaux chapitre d’une vie marquée par le bonheur.

L’élan vital

Le deuxième bénéfice que nous pouvons retirer du fait que l’Eternel traverse les âges, c’est l’élan qui nous propulse vers notre avenir. Si nous sommes forts de cette histoire multiséculaire, nous sommes forts, aussi, des promesses que l’Eternel fit autrefois à nos aïeux et qui valent pour nous aujourd’hui encore. En insistant sur l’unité de l’Eternel, ces textes nous révèlent que nous sommes, aujourd’hui encore, bénéficiaires de l’alliance que Dieu a conclue avec son peuple. Le Deutéronome y revient plusieurs fois en disant par ailleurs « ce n’est pas seulement avec nos pères que l’Eternel a conclu cette alliance, c’est avec nous, nous qui sommes là aujourd’hui, tous vivants » (Dt 5/3) ou encore « Cette alliance proclamée avec imprécations, je ne la conclus pas seulement avec vous, mais avec celui qui se tient là avec nous aujourd’hui devant l’Eternel notre Dieu, aussi bien qu’avec celui qui n’est pas (encore) là avec nous aujourd’hui » (Dt 29/13-14).

Cela signifie que nous partons lancés dans la vie, que nous sommes déjà au bénéfice de ce que l’Eternel a inauguré autrefois : cette alliance par laquelle il nous aide à donner de l’allant à notre existence, de l’ampleur à nos projets, de la profondeur à nos désirs et de l’épaisseur à nos réseaux de relations. Nous ne partons pas à vide dans notre vie, nous ne partons pas arrêtés. Nous partons portés par cet élan que l’Eternel renouvelle sans cesse en suscitant et ressuscitant en nous le goût de la vie. C’est là grâce que l’Eternel nous fait, lui que nous pouvons confesser comme « un » à travers l’histoire, pour toutes les générations qui se succèdent et qui forment toutes devant lui un seul et même peuple de frères.

Amen

 

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2

Lecture de la Bible

Éphésiens 4:1-6

Je vous exhorte donc, moi, le prisonnier dans le Seigneur, à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée,
2 en toute humilité et douceur, avec patience, vous supportant les uns les autres avec amour,
3 vous efforçant de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix.
4 Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance par votre vocation;
5 il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême,
6 un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et parmi tous, et en tous.

Deutéronome 6:1-9

Voici les commandements, les lois et les ordonnances que l’Eternel, votre Dieu, a commandé de vous enseigner, afin que vous les mettiez en pratique dans le pays dont vous allez prendre possession;
2 afin que tu craignes l’Eternel, ton Dieu, en observant, tous les jours de ta vie, toi, ton fils, et le fils de ton fils, toutes ses lois et tous ses commandements que je te prescris, et afin que tes jours soient prolongés.
3 Tu les écouteras donc, Israël, et tu auras soin de les mettre en pratique, afin que tu sois heureux et que vous multipliiez beaucoup, comme te l’a dit l’Eternel, le Dieu de tes pères, en te promettant un pays où coulent le lait et le miel.
4 Ecoute, Israël! l’Eternel, notre Dieu, est le seul Eternel.
5 Tu aimeras l’Eternel, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force.
6 Et ces commandements, que je te donne aujourd’hui, seront dans ton coeur.
7 Tu les inculqueras à tes enfants, et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras.
8 Tu les lieras comme un signe sur tes mains, et ils seront comme des fronteaux entre tes yeux.
9 Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes.