Éternel, rends-nous agnostiques
pour nous éviter la sclérose

( Matthieu 25:14-30 )

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Culte du dimanche 26 juin 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, la vie est… une pomme de terre crue. Et nous, nous sommes une paille bien emballée. Face à une pomme de terre crue qui lui ferait obstacle, la petite paille à de quoi se sentir bien modeste, bien incapable de faire quoi que ce soit contre ce qui lui bouche l’horizon. Ainsi en va-t-il de ce serviteur à qui le maître a donné un talent et qui va l’enterrer pour le cacher. Ainsi en va-t-il de nous à chaque fois que nous sommes confrontés à une situation semblable à la pomme de terre. Qu’a-t-elle de particulier cette pomme de terre crue ? Elle est dure, comme le maître de ce serviteur qui a reçu un talent. « je savais que tu es un homme dur », dit-il au moment de se présenter à son maître. « Tu es dur », en grec : « tu es sclérosé », rien de moins. Face à la dureté d’une situation, ce serviteur a appliqué la politique de l’autruche qui consiste à faire profil bas, à se terrer, à se cacher.

Comme il le dit lui-même, ce qui a motivé sa conduite, c’est la peur qu’engendre la dureté de son maître, dont il dit qu’il moissonne où il n’a pas semé, qu’il rassemble là où il n’a pas vanné, bref, qui dépasse les bornes, qui a une conduite déraisonnable, au-delà de la raison. Le serviteur a eu peur. Il a peur de la réaction de son maître, peur du « qu’en dira-t-il ? », peur de perdre la face, peur de perdre le talent qui lui a été confié, peur de perdre au change. La peur est vraiment mauvaise conseillère, elle fait faire n’importe quoi. La peur réduit notre capacité d’action, elle nous tétanise, elle nous fait nous replier sur nous-mêmes.

Ce serviteur, nous le comprenons d’autant mieux qu’il nous arrive d’être face à des situations très dures qui nous font tellement peur que nous en perdons nos moyens, nos facultés. Ce serviteur, c’est l’étudiant qui se retrouve muet devant son examinateur, c’est cette personne qui tremble quand elle passe son permis de conduire et qui oublie de regarder dans son rétroviseur, de mettre son clignotant, ce qui ne lui arrive jamais en temps normal. Ce serviteur, c’est cet employé qui doit présenter un projet à son chef de service et qui a peur de ne pas être à la hauteur de la situation. C’est cette chanteuse qui se retrouve aphone devant le public, c’est l’acteur qui oublie son texte sur scène, c’est l’homme qui est désemparé devant la maladie grave de son ami et qui a tellement peur de le blesser un peu plus qu’il en devient maladroit et blessant. Ce serviteur, c’est l’amoureux qui a peur de perdre son être aimé et qui en devient gauche et désagréable. La peur nous fige, elle nous sclérose, elle nous endurcit et, comble du paradoxe, elle rend les choses encore plus difficiles, les situations encore plus dures à affronter. Ce serviteur rend son maître dur, plus dur encore qu’une pomme de terre crue. Il en fait un être au cœur de pierre, impitoyable, inhumain. Pourquoi ? Parce qu’il pense savoir. « Je savais que tu es un homme dur ». Le drame de cette scène est le savoir de ce serviteur qui fige l’autre dans une image dont il ne peut plus s’échapper. Le serviteur durcit le trait, sclérose un peu plus son maître et s’enfonce dans un cercle vicieux où la peur endurcit et fait encore plus peur. Le drame de cette scène est ce savoir qui fixe tout et empêche la vie. La gnose, puisque c’est ce terme qu’utilise la langue grecque, enferme la vie dans ces fameux stéréotypes qui emprisonnent, qui pétrifient, qui arrête le dynamisme de la vie. La vie, qui est ce processus de changement incessant est comme arrêté dans sa course par le savoir qui n’est qu’une image figée, à un instant T, toujours à la traîne de la vie qui nous échappe en permanence. Ce serviteur s’est enfermé dans son obsession intérieure et y a enfermé son talent avec. Sa vie s’est arrêtée dans son élan.

Un moyen de l’en sortir, c’est de lui retirer ce qui le bloque, ce qui l’empêche d’avancer. En lui retirant son unique talent, le maître le libère de ce qui le retient captif, il le libère de ce qui le rend esclave : son talent. En voulant cacher son talent pour le préserver à tout prix, cet homme était devenu une sorte de fanatique, à la manière de l’Harpagon de Molière qui ne jurait plus que par ses écus et qui, lorsque sa cassette avait disparu en venait à s’écrier « je me meurs, je suis mort, je suis enterré ». Retirer au serviteur ce talent qui le mine, c’est lui retirer l’écharde de la chair pour que prenne fin l’infection, c’est retirer la tumeur qui se répand à tout le corps, c’est retirer l’œil ou la main qui le fait chuter constamment.

Mais l’attitude du maître ne s’explique pas totalement par cette pédagogie qui consisterait à retirer les problèmes quand ils se présentent à la manière des parents qui retirent tous les objets sur le passage de leur jeune enfant. Cela ne reviendrait qu’à déplacer le problème qui ressurgirait plus tard, d’une manière ou d’une autre. Lorsque Jésus, en racontant cette parabole, en vient à dire qu’à celui qui n’a pas, il sera ôté même ce qu’il a, ce n’est pas un conseil qu’il faudrait suivre ou une explication de la manière dont Dieu agit. C’est une description de la condamnation que s’inflige lui-même la personne qui se met dans cette situation. Pour le dire avec le théologien du Process, John Cobb, lorsqu’on se ferme à ce que Dieu nous propose, lorsqu’on se prive des nouvelles possibilités que Dieu nous offre, nous réduisons nos possibilités d’être, nous amputons une partie de nous-mêmes, nous limitons nos potentialités, nous nous refermons sur nos capacités propres qui ne sont souvent pas plus brillantes que celle d’une pauvre paille face à une pomme de terre crue.

C’est la raison pour laquelle, au rugby, vous serez pénalisés à chaque fois que vous retiendrez le ballon au sol car, en agissant ainsi, vous empêchez le jeu de se développer : cacher le ballon au sol, c’est mettre un terme au champ des possibles et, si l’arbitre vous sanctionne, c’est parce que vous vous êtes condamnés à l’impasse. L’arbitre ne fait qu’annoncer haut et fort que vous avez arrêté le jeu… il n’y a plus qu’à passer le ballon à l’autre équipe, le talent à l’autre serviteur.

Cet autre serviteur, celui qui avait reçu 5 talents et qui, les ayant faits travailler, en a obtenu 5 autres, illustre l’attitude qui convient mieux en pareille circonstance. Ce serviteur, qui ne vit pas sous l’influence de l’illusion que son maître serait dur, a agit bien plus tranquillement en remettant ses talents en jeu. Ce serviteur ouvre le jeu, il fait preuve d’un esprit d’ouverture contrairement à l’autre serviteur qui avait tellement le souci d’être irréprochable qu’il en était devenu égocentrique. Ce serviteur aux 10 talents a fait preuve d’un bel esprit d’ouverture qui n’est pas sans rappeler ce que Calvin dira au sujet de l’économie quelques siècles plus tard : « Or l’Ecriture nous montre que tout ce que nous avons reçu de grâce du Seigneur, nous a été confié à cette condition que nous le conférions au bien commun de l’Eglise » (l’Eglise n’étant pas à comprendre au sens limitatif du christianisme mais du peuple que Dieu suscite). Et, un peu plus loin « de tout ce que le Seigneur nous a donné, en quoi nous pouvons aider notre prochain, nous en sommes dispensateurs, ayant un jour à rendre compte comment nous nous serons acquittés de notre charge » (IRC III, VII, 5). Ce que Calvin développe, c’est une véritable éthique de l’économie où le commerce est envisagé comme un moyen de communication, comme une possibilité de relier les hommes entre eux, comme une manière de décloisonner le monde et de le rendre plus humain, plus fraternel aussi. Cette éthique de l’économie est agnostique en ce sens qu’elle n’est pas une idéologie sclérosée qui se cramponnerait à une vision dogmatique du monde, des hommes, des sociétés.

Dieu nous encourage à être agnostiques, c’est-à-dire à refuser cette sclérose de l’esprit qui empêche toute forme de communication des idées, des biens, des ressources. Dieu nous encourage à être agnostiques, c'est-à-dire à refuser d’avoir une idée, une seule et à nous y tenir. Le chrétien est agnostique au sens où il est sans idée, sans une seule idée, ce qui lui permet de les avoir toutes. Dieu ouvre notre esprit à toutes sortes de possibilités pour libérer notre énergie créatrice, pour nous rendre capables de faire preuve de souplesse en fonction des situations que nous rencontrons, pour ne pas avoir peur tout de suite de ce que nous découvrons. Dieu ouvre notre esprit à toutes les libéralités qu’il nous propose et qui sont autant de moyens qu’il met à notre disposition pour féconder le monde, pour le rendre plus beau, plus intéressant. Cette parabole nous révèle que Dieu tient compte du fait que chacun à des capacités différentes, des rythmes différents, des idées différentes et que ces différences ne sont pas un obstacle dans la vie. Ce qui fait obstacle, c’est lorsque nous nous enfermons dans le fanatisme d’une vision unique des choses, dans le fanatisme d’une orthodoxie qui ne fait que nourrir la peur : la peur de l’extérieur, la peur de l’autre, la peur de l’échec.

La vie est une pomme de terre…crue. Et nous, nous sommes une paille bien emballée. Mais si nous ne nous en tenons pas qu’à nous-mêmes, si nous accueillons ce que Dieu nous donne et que nous le mettons au travail, si nous nous ouvrons à ce qu’il nous offre, si nous acceptons de sortir de notre emballage qui nous donne peut-être un sentiment de sécurité, mais qui nous empêche absolument de vivre… alors, que de merveilles nous serons en mesure d’accomplir, que d’obstacles nous serons à même de traverser et, pour reprendre l’idée du théologien Nicolas Berdiaev : notre génie créateur, notre capacité d’invention, nous permettra de surprendre Dieu lui-même.

Amen

 

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
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Lecture de la Bible

Matthieu 25:14-30

Il en sera comme d’un homme qui, partant pour un voyage, appela ses serviteurs, et leur remit ses biens.
15 Il donna cinq talents à l’un, deux à l’autre, et un au troisième, à chacun selon sa capacité, et il partit.
16 Aussitôt celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla, les fit valoir, et il gagna cinq autres talents.
17 De même, celui qui avait reçu les deux talents en gagna deux autres.
18 Celui qui n’en avait reçu qu’un alla faire un creux dans la terre, et cacha l’argent de son maître.
19 Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint, et leur fit rendre compte.
20 Celui qui avait reçu les cinq talents s’approcha, en apportant cinq autres talents, et il dit: Seigneur, tu m’as’as remis cinq talents; voici, j’en ai gagné cinq autres.
21 Son maître lui dit: C’est bien, bon et fidèle serviteur; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup; entre dans la joie de ton maître.
22 Celui qui avait reçu les deux talents s’approcha aussi, et il dit: Seigneur, tu m’as remis deux talents; voici, j’en ai gagné deux autres.
23 Son maître lui dit: C’est bien, bon et fidèle serviteur; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup; entre dans la joie de ton maître.
24 Celui qui n’avait reçu qu’un talent s’approcha ensuite, et il dit: Seigneur, je savais que tu es un homme dur, qui moissonnes où tu n’as pas semé, et qui amasses où tu n’as pas vanné;
25 j’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre; voici, prends ce qui est à toi.
26 Son maître lui répondit: Serviteur méchant et paresseux, tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que j’amasse où je n’ai pas vanné;
27 il te fallait donc remettre mon argent aux banquiers, et, à mon retour, j’aurais retiré ce qui est à moi avec un intérêt.
28 Otez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a les dix talents.
29 Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a.
30 Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.