Qu’avons-nous en commun ? La foi ?( Hébreux 11:1-3 ) (écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 30 mars 2014 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, la foi chrétienne est ce qui nous réunit. Je pourrais tout aussi bien dire que la foi chrétienne est ce qui nous sépare. Nous avons l’habitude, dans cette Eglise, de varier les confessions de foi, de privilégier la pluralité des expressions théologiques. Nous affirmons que des images différentes de Dieu peuvent coexister en ce même lieu sans que cela donne lieu à des anathèmes. Dans ces conditions, la foi est-elle vraiment ce qui nous unit, ce qui fait communion entre les membres de l’association cultuelle et, plus encore, entre toutes les personnes qui fréquentent ce lieu de culte et y trouvent leur place ? La foi chrétienne est-elle véritablement notre dénominateur commun ou faut-il le chercher ailleurs ? Avec ce passage de l’épître aux Hébreux, il me semble que nous pouvons concevoir une approche de la foi qui nous soit commune, en tout cas qui fasse largement consensus entre nous tous et qui puisse donc constituer notre identité spirituelle commune. Ce passage biblique ne définit pas la foi comme le ferait un dictionnaire, en en traçant l’exact périmètre. Ce passage aborde frontalement la question de la foi, mais sans chercher à la délimiter. Il s’agit plutôt de l’évoquer en exposant quels sont les bénéfices que l’on retire de la foi. Et ce que j’aimerais mettre en évidence, c’est que ces bénéfices de la foi, c’est ce que nous avons en commun, raison pour laquelle il me semble que nous puissions dire que nous avons une foi commune. La foi nous permet de penser le mondeLe premier bénéfice de la foi est de nous permettre de comprendre le monde. Littéralement, le rédacteur écrit que, par la foi, nous comprenons, nous avons l’intelligence (noos) des époques (aion), qui est aussi le terme utilisé pour exprimer ce que nous traduisons par « éternel ». La foi, c’est ce qui nous permet de comprendre l’éternité. Si vous ne comprenez rien à l’éternité, ne partez pas tout de suite, il est possible que vous compreniez dans quelques instants. Notons, déjà, que cette phrase ressemble aux versets qui inaugurent la Bible, et qui sont donc en tête du récit de la Genèse. Dire que l’éternité est organisée par la parole de Dieu, c’est une manière de dire que Dieu a créé le ciel et la terre par sa parole. Dieu a créé, mais pas fabriqué. Le texte de Gn 1 ne parle pas d’une fabrication de notre monde. Il est dit que des paroles divines ont retenti dans le tohu-bohu, que ces paroles ont donné un nom et une fonction à tout ce qui composait ce tohu-bohu et que plus les paroles retentissaient, plus le monde devenait vivable. Ces paroles ont organisé le bazar pour en faire une création, notre monde. L’éternité, c’est le monde lorsqu’il est arraché au tohu-bohu. L’éternité, c’est lorsque des paroles font sens au milieu du fouillis, de la pagaille. L’éternité n’est pas une histoire de temps qui s’étire à l’infini. Ce n’est pas une quantité. L’éternité est une manière de désigner la qualité de la vie. « Comprendre l’éternité », c’est penser le monde, c’est prononcer des paroles qui rendent le monde plus vivable. C’est faire de la politique, l’art de rendre l’espace commun habitable par tous et toutes. La foi n’est pas le but de la vie, mais ce qui nous permet de prendre pied dans un monde en mouvement, en création. Justement, nous pouvons avoir ceci en commun de considérer que le monde a besoin de notre parole pour être plus vivable. Nous pouvons avoir en commun d’estimer capital l’engagement politique qui consiste pour les uns à solliciter un mandat, pour les autres à soutenir des convictions politiques, pour tous à s’exprimer lors des élections ou des référendums. Et, plus que cela, l’action politique qui consiste à penser la société, à proposer des modèles d’organisation plus adaptés, à donner une juste place à ce qui constitue notre société, à faire en sorte qu’il puisse y avoir un septième jour où le loup et l’agneau séjournent tranquillement ensemble sans se lancer des invectives, des insultes, des balles, ou des missiles. La foi nous donne accès à la métaphysiqueSi la foi nous permet de penser le monde, le deuxième point que je note est qu’elle nous donne accès à la métaphysique. En écrivant que, par la foi, nous pouvons voir ce qui n’est pas advenu par des choses apparentes ; en disant d’emblée que la foi, c’est la preuve des choses qu’on ne voit pas, nous sommes entraînés au-delà du visible, au-delà du sensible, au-delà de la physique, dans la métaphysique : ce qui vient après la physique. Et l’espérance en fait partie. Il y a ici cette conviction que la vie n’est pas réductible au paraître. C’est cette conviction qu’il y a plus à vivre, plus à éprouver, plus à désirer que ce qui est à portée de main, là. De même que l’Homme a des capacités bien supérieures à ses seules forces physiques, notre histoire a bien d’autres ressources que les seules équations que les sciences physiques mettent à sa disposition. Ainsi l’histoire de cet homme qui meurt et qui lègue à ses chameaux à ses trois fils en indiquant que le premier aurait la moitié, le second en aurait un quart et le troisième en aurait un sixième. Seul problème, le père avait onze chameaux. Comment faire ? Les trois fils auraient pu partager selon les lois mathématiques. Ils se seraient retrouvés avec des bouts de viande, certes utiles pour se nourrir. Mais les animaux auraient été réduits à n’être que des objets, désormais inertes. Ils décident de faire confiance à leur père, et d’envisager qu’il y a plus à recevoir que des pièces de chameaux. Ils vont consulter le sage du village, qui les écoute, et puis se lève, s’en va, et revient quelques instants plus tard avec son unique chameau. Un chameau bien vieux, pas en forme ; un chameau qu’il donne aux trois fils. Les trois fils ont désormais douze chameaux. Le premier fils pourra donc recevoir 6 chameaux, le second 3 et le troisième 2, ce qui fait onze chameaux. Le sage pourra retrouver son vieux compagnon. Oui, nous avons en commun cette conviction que la vie ne se réduit pas aux gros titres des journaux, ni à ce qui est écrit noir sur blanc dans nos livres de chevet. Nous sommes des « voyants », comme Arthur Rimbaud. Nous venons ici parce que nous avons la conviction que des miracles peuvent encore se produire : des miracles au sens de signes que notre vie n’est pas entièrement soumise à des déterminismes, que notre histoire n’est pas déjà consignée dans un scénario. Nous sommes croyants ensemble parce que nous sommes persuadés que nous pouvons dépasser notre état, que nous pouvons rompre l’accoutumance à la médiocrité. Nous avons en commun de considérer que nous sommes libres de pouvoir donner des impulsions au cours des choses, que nous pouvons transcrire en actions ce qui constitue notre espérance. La foi nous fait vivreLa foi nous permet de penser le monde, elle nous donne accès à toutes les dimensions de l’Être ; notons en troisième lieu que la foi est justement ce qui nous fait agir. En faisant référence aux anciens, le rédacteur va convoquer des personnages bibliques dont l’histoire est citée en exemple. Il y a aussi bien Noé qui sauve l’humanité, qu’Abraham qui part à l’aventure, ou Moïse qui fait sortir le peuple d’Egypte. Il y a ceux qui exercèrent la justice, ceux qui obtinrent des promesses, ceux qui fermèrent la gueule aux lions, qui éteignirent la puissance du feu, échappèrent au tranchant de l’épée ou, au contraire, qui furent soumis aux moqueries, au fouet, aux chaînes de la prison, à la lapidation, ou encore qui vécurent en guenilles, dans les entrailles de la terre ou errant dans les déserts, mais qui jamais, ô grand jamais, ne se départirent de cette foi chevillée au cœur et qui étaient pour tous ceux là leur raison d’être, leur véritable moteur. Tous ces anciens révèlent à quel point ils ont vécu. Aucun n’a eu une vie conforme à un modèle qui vaudrait pour tous. Chacun a suivi son chemin, chacun a répondu à son appel, et tous en commun d’avoir véritablement vécu. C’est aussi l’expérience de ces deux disciples en route vers le village d’Emmaüs dont le cœur brûle chemin faisant. C’est aussi l’expérience de Gaspard de Coligny qui « n’avait au cœur que la gloire de l’Etat ». C’est l’expérience de tous les ouvriers de l’ombre qui n’œuvrent pas pour le paraître, mais qui s’investissent de tout leur être dans le présent. Ce sont les acteurs de La Clairière, auxquels le ministre chargé de la Ville a rappelé l’apport décisif notamment pour « faire vivre la promesse d’égalité de notre République. » C’est aussi nous qui ne retenons pas captif notre désir de vivre, notre désir de découvrir, de comprendre, d’entreprendre, de nous réjouir. C’est nous qui quittons les angles morts de la création et qui nous mettons à danser parce que quelqu’un joue de la flûte ou alors qui nous mettons à pleurer parce que quelqu’un chante des complaintes. Nous avons à cœur de célébrer cette vie-là avec celles et ceux qui sont animés du même feu sacré ou qui rêvent de brûler de cette ardeur-là, de célébrer l’existence authentique, la vie menée au grand air, poussée par le souffle qui nous fait découvrir de nouveaux horizons, « une patrie meilleure, c’est-à-dire céleste ». Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
Pasteur dans la chaire de
|