Pourquoi l’incarnation ?( Tite 3:4-8 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 28 novembre 2010 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, nous abordons ce temps de l’Avent et il n’est pas inutile de se demander pourquoi. Pourquoi le temps de l’Avent ? Non pas seulement le temps de l’Avent comment période qui précède Noël, avec ses décorations plus ou moins lumineuses, parfois ses couronnes, son vin chaud, ses marchés de Noël et le début des repérages des cadeaux, les marrons chauds qui deviendront glacés dans quelques semaines, les cantiques qui prennent des accents de nativité ou qui sentent bon l’hiver : l’Avent comme temps théologique qui annonce l’advenu de quelque chose, en l’occurrence, dans une perspective chrétienne, l’advenue du Messie, l’advenue du divin dans l’histoire de l’humanité. Pourquoi l’Avent, ce processus qui conduit à la naissance du Christ ? Pourquoi Noël ? Pourquoi l’advenue du Christ tel qu’il s’est manifesté en Jésus de Nazareth ? Pourquoi Noël et tout ce qui s’ensuivit ? Noël est-il si nécessaire à Dieu ? De fait, Noël, l’incarnation, est une spécificité du christianisme qui, plus que l’Islam qui intègre aussi la figure de Jésus dans des termes très semblables à ceux des évangiles, mais qui n’a pas produit les mêmes développements, en a tiré de profondes conséquences pour sa spiritualité et sa compréhension de Dieu. C’est une spécificité qui ne peut être passée sous silence alors qu’elle est assez embarrassante pour certains chrétiens qui y voient là une résurgence malheureuse des mythologies anciennes, de ces humains qui s’accouplaient à une divinité pour donner naissance à des demi-dieux qui n’étaient ni tout-à-fait homme ni tout-à-fait dieu. L’incarnation pose problème à des esprits éclairés qui voient dans l’incarnation une concession faite à ceux qui veulent du merveilleux, à ceux qui veulent que la religion fasse rêver, quitte à ce qu’elle n’ait plus aucun rapport avec notre vie. J’aimerais vous montrer deux intérêts majeurs à ne pas reléguer cette incarnation dans les poubelles théologiques dans le rayonnage des contes à dormir debout. J’aimerais vous rendre attentifs à deux raisons pour lesquelles l’incarnation a non seulement sa place dans notre théologie, mais qu’elle était une nécessité dans la pédagogie de Dieu. Dieu se fait homme pour que nous le comprenions mieuxLe premier aspect a trait à notre connaissance de Dieu : je pose que Dieu se fait homme pour que nous fassions mieux connaissance de Dieu, pour que nous le comprenions mieux. Certes, Dieu n’a attendu ni le christianisme ni la naissance de Jésus pour se révéler. Nombreux sont les prophètes, nombreux sont les témoins qui nous ont rapporté leur expérience et leur compréhension du divin. Nombreux sont ceux qui ont réfléchi à la question de Dieu, à ce qu’il est, ce qu’il espère, ce qu’il nous recommande. Nombreux sont ceux qui ont réfléchi à ses qualités, à sa justice, à sa volonté. Tous ceux-là nous révèlent Dieu en levant un coin du voile, en quelque sorte, en jetant quelques rais de lumière sur cette zone obscure qu’est le divin. Et, tous ceux-là, témoins bibliques ou non, nous aident à faire un pas vers l’Eternel, à en découvrir quelques aspects, à la manière de Moïse qui peut voir les arrières de Dieu, qui sont les paroles de l’alliance (Ex 34). Mais tout ce qu’ils nous en disent sont des mots mis sur des traces de Dieu, sur des réflexions faites au sujet de cette confiance en Dieu qui s’élabore, qui grandit. Tous ces récits sont le fruit d’une intelligence mise au service d’une meilleure connaissance de celui qu’on ne voit pas, de celui qui est caché, pour reprendre l’expression du prophète Esaïe (Es 45/15). Et tout ce que nous recevons de ces témoins touche notre propre intelligence, elle vient se frotter à notre propre raison, elle vient chercher sa place dans notre cerveau curieux de ces choses. Mais alors un drame terrible se joue car ce n’est que notre intelligence qui offre un abri à cette révélation. Ce n’est pas qu’il n’y ait plus de place dans l’hôtellerie de notre existence… c’est que seule notre raison est au contact de ces témoignages et que seule notre raison sera le réceptacle de la révélation. Tout l’Ancien Testament résonne de ce drame, de cette parole de Dieu qui reste au bout des lèvres des croyants mais n’atteint jamais leur cœur qui reste incirconcis à Dieu. L’histoire du peuple hébreu, avant d’être la révélation de Dieu, est la révélation d’un échec maintes fois répété, d’un peuple qui reste sourd au commandement de Dieu, non pas par mauvaise volonté mais, avant tout, parce que Dieu reste à la surface de leur être, que Dieu ne trouve pas sa place au plus profond d’eux-mêmes, que le cœur, symbole de l’intelligence qui fait agir, de l’intelligence mise au service du quotidien, n’est pas l’écrin dans lequel Dieu vient besogner. Dieu reste cantonné à l’intelligence formelle, celle qui est capable de produire des discours sans conséquences. Et Dieu s’évertue à ce que notre connaissance de Lui ne soit pas qu’intellectuelle, que le divin ne soit pas qu’une hypothèse plausible dans l’esprit du croyant qui pourrait tout aussi bien s’en passer. Dieu s’évertue à ce que nous le connaissions par cœur, selon les manières qu’il a de se manifester, de se rendre sensible à nous. Or, selon ce que l’apôtre Paul écrit, l’incarnation permet la manifestation de la bonté de Dieu et de son amour pour les hommes, ce que Karl Barth appelle à juste titre la « philanthropie de Dieu », suivant en cela le texte grec. Continuons avec Karl Barth, justement, qui a écrit cette admirable conférence de l’automne 1956 intitulée « L’humanité de Dieu ». Karl Barth y souligne l’importance de l’humanité de Dieu qui évite de considérer Dieu comme le Tout Autre, ce qui reviendrait à considérer Dieu dans son isolement, dans son absoluité. Dès lors, Dieu n’aurait plus rien à nous dire, plus rien à nous apprendre ; Dieu vivrait dans son univers et nous dans le notre. L’incarnation, c’est la possibilité de faire droit à l’humanité de Dieu mais, surtout, de permettre à chacun d’accueillir Dieu personnellement, non pas comme une idée, peut-être belle, mais comme celui qui vient à nous avec les paroles de la vie éternelle, celui qui vient nous régénérer par son Esprit, pour reprendre les mots écrits à Tite. C’est en prenant figure d’homme que Dieu peut vraiment prendre chair en nous et cesser d’être une sorte de principe parmi d’autres. Disons-le plus fortement, cette fois avec les mots de Charles Wagner qui s’adresse à Dieu en ces termes : « je ne peux te penser qu’avec des moyens humains, sous une forme mortelle et semblable à celle de mes frères. Et si tu veux t’approcher de moi, ne faut-il pas que tu descendes aux sentiers de la terre ? Pour me parler, ne dois-tu pas employer les termes de ma langue maternelle ? Autrement qui te comprendrait, puisque l’homme est un muet et un sourd pour son propre semblable s’il n’en saisit pas le langage ? C’est pour cela que tu t’es fait homme et que tu as marché parmi nous sous les traits du Fils de l’homme (Devant le témoin invisible, p. 230) ». Dieu ne pouvait faire autrement que nous rejoindre là où nous sommes, là où nous en sommes, ce qui signifie que Dieu se révèle à nous tous, petits et grands, théologiens de renom ou mécréants patentés. Dieu se révèle dans l’ordinaire de notre vie, sans attendre que nous soyons diplômés pour cela car ce n’est pas à une intelligence supérieure qu’il s’adresse, c’est à nous, l’humanité réelle, qu’il veut offrir cette vie éternelle. Disons-le encore plus fortement avec Wilfred Monod dans l’une de ses plus belles pages sur la justice de Dieu où il s’exprime sur la question du mal dont on fait parfois de Dieu la cause. S’exprimant sur la crucifixion de Jésus qui montre que Dieu ne peut pas agir expressément contre le mal, il écrit : « c’est toujours le drame du calvaire qui recommence. Eh ! bien, ce Dieu vaincu c’est celui qui parle à mon cœur (Aux athées) ». L’incarnation, c’est ce qui permet à Dieu de se faire connaître véritablement et d’habiter vraiment notre humanité. Dieu se fait homme pour que nous soyons plus humainC’est d’ailleurs là le deuxième intérêt de l’incarnation : habiter non pas seulement nos pensées ou nos rêves, mais notre humanité, pour nous rendre, chacun, plus humain. C’est, me semble-t-il, le sens de la deuxième partie du propos de l’apôtre Paul qui parle à la fois de la justification par grâce seule et de nous rendre héritiers dans l’espérance de la vie éternelle. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, notre sens de la justice dépend de l’idée que nous nous faisons de la justice divine. Notre rapport au monde, à la création, aux personnes, dépend de l’idée que nous nous faisons du rapport que Dieu lui-même entretient. Si nous n’avons pas au cœur cette image offerte par Jésus-Christ d’un Dieu qui aime l’homme, nous aurons l’image d’un Dieu inhumain et donc d’un Dieu impitoyable et même d’un Dieu homicide. C’est ce que nous enseigne cette histoire que l’on trouve dans un écrit intertestamentaire, Le Testament d’Abraham X. Nous y lisons qu’Abraham survola la Terre en compagnie de l’achistratège Michel. Abraham y voit tout ce qui s’y fait et, à un moment, il voit des hommes armés de poignards. Il demande à Michel qui sont ces gens ? et il lui répond : « ce sont des voleurs qui veulent commettre un meurtre, voler, tuer, détruire. » Abraham dit alors à Dieu : « Seigneur, écoute ma voix ; ordonne que des bêtes sauvages sortent de la forêt et les dévorent ! » A ces mots, des bêtes sauvages sortirent de la forêt et les dévorèrent. Dans un autre endroit, il vit un homme et une femme qui se livraient à la prostitution. « Seigneur, dit Abraham, ordonne que la terre s’ouvre et qu’elle les engloutisse ! » Et aussitôt la terre s’entrouvrit et les engloutit. Cela continue sur la même lancée et une voix vient du ciel qui dit à l’archistratège : « Michel, ramène Abraham en arrière, pour qu’il ne voie pas toute la terre habitée. En effet, s’il voit tous ceux qui vivent dans le péché, il détruira toute la création ; car voici, comme Abraham n’a pas péché, il n’a pas pitié des pécheurs. Mais moi, j’ai créé le monde et je ne veux pas que l’un d’eux périsse. Au contraire, je diffère la mort des pécheurs jusqu’à ce qu’ils se convertissent et vivent. Conduis Abraham à la première porte du ciel, pour qu’il y voie les jugements et les rétributions et qu’il se repente des âmes des pécheurs qu’il a fait périr. » Cette histoire édifiante nous aide à comprendre à quel point nous avons besoin des pensées de Dieu pour être plus humain, c’est-à-dire pour être un peu plus à la ressemblance de Dieu. Sans l’incarnation, nous pourrions vivre sous ce régime d’une souveraineté de Dieu éloigné de l’humanité à l’image de ces souverains d’autrefois devant lesquels il fallait se prosterner sept fois avant de franchir les dizaines de mètres qui nous séparaient du trône et obtenir une audience. Si Dieu était un tel grand souverain éloigné de nous, reclus dans son univers, coupé de nos préoccupations, de nos inquiétudes, de nos besoins, de nos conditions de vie, nous pourrions ressentir un éloignement semblable envers ceux qui nous entourent, porter sur eux un regard dénué de compassion et espérer, comme le trésorier d’une mosquée de Roubaix, l’instauration de la charia qui préconise la lapidation ou les mains coupées pour les voleurs. Dieu se fait homme pour nous rendre plus humain, pour nous ouvrir à de meilleurs sentiments que ceux qui nous animent naturellement. Dieu se rend humain pour nous rendre héritier de cette vie éternelle qui éloigne les flammes de l’enfer que nous sommes prompts à attiser ; Dieu se rend humain pour nous montrer ce qu’est la vie lorsqu’on retire les habits de la barbarie ; Dieu se rend humain pour nous rendre plus humain, pour que nous ne soyons pas du genre à offrir des pierres à celui qui nous demande du pain. La tendresse, le pardon, la miséricorde, la philanthropie… voilà ce que nous expérimentons vraiment au contact du Christ. C’est pour cela, chers frères et sœurs, que la dynamique d’incarnation toujours à l’œuvre dans notre histoire, est un fait central de foi : nous seulement elle nous aide à mieux comprendre Dieu mais elle nous révèle à nous-mêmes et nous aide à exceller dans les œuvres bonnes, selon la recommandation de l’apôtre. Le bénéfice de l’incarnation, c’est de nous révéler la douceur de ce nom, Emmanuel, qui, en nous rendant plus proche de Dieu, nous rend plus proche de nous-mêmes. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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