En avant par la Parole( Ésaïe 11:1-11 ; Romains 15:1-13 ; Matthieu 3:1-12 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du 5 décembre 2010 à l'Oratoire du Louvre
Le temps liturgique de l’Avent, dans lequel nous sommes entrés dimanche dernier, est un temps de cheminement : nous faisons route. Vers quoi donc faisons-nous route, vers qui donc nous sommes-nous mis en route ? Vers une étable et dans cette étable vers un enfant couché dans une crèche. Il y a diverses manières de faire route, plusieurs moyens de transport peuvent être employés, de la limousine à la bicyclette et même, pourquoi pas l’aéroplane ou l’hydroglisseur ! En fait, tout dépend de la route que l’on veut suivre, de la voie qui s’ouvre devant nous. Ah ! Nous avons ce matin, dans l’évangile, entendu Jean le Baptiste nous mettre en garde contre les chemins tortueux, escarpés, dangereux, qui doivent nécessairement être aplanis pour que le trajet soit possible. Le prophète Ésaïe, quant à lui, nous a prévenus qu’au bout de la route, nous découvrirons des choses inattendues : le loup et l’agneau gîteront ensemble et la panthère et le chevreau feront couche commune… Bon, je sais, tout cela, ce sont des images. Mais l’image est-elle nécessairement éloignée de la réalité ? Précisément, si j’ai voulu ce matin lire avec vous ces trois textes dans notre Bible, ces trois textes-là, peut-être est-ce parce que dans l’Église dont je suis pasteur, l’Église évangélique luthérienne de France, ce sont les textes du lectionnaire pour le deuxième dimanche de l’Avent, et que je trouve personnellement que c’est une bonne discipline de s’astreindre à quelquefois prêcher des textes qu’on n’aurait pas soi-même forcément eut l’idée de choisir. Mais peut-être aussi, et même certainement, est-ce parce que je pense qu’ils ont quelque chose de singulier à nous dire aujourd’hui et tout particulièrement l’épître que j’ai lue et plus particulièrement encore ce verset que j’ai relu à l’instant. Voyez-vous, nous nous sommes, c’est vrai, mis en route vers Noël, notre temps de l’Avent. Mais il y a une autre route que nous suivons ensemble. Je vais être obligé de faire un peu de grec : la route suivie en commun, un Grec, littéralement, l’appellerait un synode. Le synode, en effet, suivant son étymologie, c’est le chemin emprunté de conserve. Or depuis 2007 et le synode de Sochaux-Montbéliard où se sont retrouvées ensemble l’Église réformée de France et l’Église évangélique luthérienne de France, votre Église et mon Église ont décidé d’aplanir ce qui est montueux afin de tâcher de trouver une encourageante unité, afin que notre commun témoignage dans le monde soit plus audible, mieux compris, davantage efficace : que l’Évangile soit plus fort proclamé. Il est probable que d’aucun parmi vous, je les entends presque, sont en train de se dire que j’ai une originale et peut-être malhonnête propension à solliciter les textes de l’Écriture. Et si c’était eux qui se méprenaient ? Car précisément ce à quoi je voudrais venir, c’est à montrer que le moyen que nous devons emprunter pour faire route, c’est l’Écriture, ou plus précisément que ce n’est pas l’Écriture en elle-même, mais la parole que nous entendons, qui nous touche, nous stimule, nous console, nous met en mouvement, cette parole qui retentit en nous lorsque nous nous appliquons à lire, et pourquoi pas à lire ensemble, les écrits des prophètes et des apôtres. o0o Auparavant, il me paraît toutefois devoir faire un sort à un lieu commun, à mon gré en tout cas trop souvent répété pour qu’il soit bien exact, et je suis sûr que vous-mêmes l’avez souvent entendu. C’est cette affirmation selon laquelle le christianisme serait une religion du livre. Vous verrez en fin de compte, en tout cas je le souhaite, que ce faisant je ne m’écarterai guère de la préparation de Noël qu’est aussi notre temps de l’Avent. Vous vous souvenez en effet que l’on a voulu trouver et que l’on continue de trouver comme point de convergence aux trois grandes religions monothéistes, le judaïsme, le christianisme et l’islam, ce que l’on voudrait auprès de nous faire passer pour une vérité intangible, que toutes trois reposeraient sur un livre, la Thora, la Bible ou le Coran, un livre inspiré, un livre unique, dans les pages duquel les lecteurs trouveraient toute loi bonne à observer, tout précepte capable de les aider à vivre dans la société des hommes, la réponse en bref à toute question que ceux-ci se poseraient. C’est ainsi, par exemple, que l’un des laboratoires du CNRS, qui aujourd’hui est appelé Laboratoire d’étude des monothéismes, était il n’y pas longtemps encore désigné comme le Centre d’étude des religions du livre ; un changement de nom dû à quelque obligation administrative qui en l’occurrence me semble particulièrement bienvenu ! Si je m’en tiens au seul christianisme, le seul que je connaisse vraiment, affirmer qu’il est une religion du livre me paraît en effet singulièrement inapproprié. En premier lieu parce que nous ne nous référons pas à un seul livre, mais à une collection de livres, j’allais dire à une bibliothèque ! Notre Ancien Testament en a trente-neuf, et le Nouveau vingt-sept, et je fais ici semblant d’ignorer les deutérocanoniques et les apocryphes, qui pourtant ne sont ni sans intérêt, ni sans influence ; vous savez aussi bien que moi que notre mot Bible, βίϐλια, est un pluriel et doit être traduit les livres. Alors, pourquoi autant de livres ? Ne serait-ce pas parce qu’il convient d’écouter plusieurs témoignages pour tenter de mieux saisir la vérité ? Ah ! Saint Augustin disait les choses remarquablement. Il nous prévenait que nous ne saurions jamais saisir chaque fois qu’un aspect de la vérité, laquelle dans son ensemble toujours nous échappera ; je cite Augustin : « Dieu, un par excellence, accommoda les textes sacrés aux idées de plus d’un – il s’agit des lecteurs et commentateurs de la Bible – appelés à y voir le vrai en ses nuances » [Confessions XII, 31). Ainsi, quand bien même la vérité serait-elle unique, opposée aux erreurs plurielles, nul pourtant ne serait en mesure de rabrouer ses contradicteurs, car lui comme eux de la vérité ne voit qu’une nuance. Avant Augustin, Irénée de Lyon écrivait qu’il y a quatre évangiles et non un seul, parce qu’il y a aussi quatre vent des cieux, les quatre points cardinaux, et que la bonne nouvelle doit parvenir jusqu’aux bornes du monde, c’est-à-dire pouvoir être comprise par tous, manifestée aux hommes dans leur diversité, étant entendu cependant que le Verbe, artisan de l’univers, je cite maintenant Irénée, « nous a donné un Évangile à quadruple forme, encore que maintenu par un unique Esprit » [Adv. Haer. III, 11, 8]. Ce qui revient à dire que la pluralité est une exigence pour autant qu’elle ne signifie pas divergence, contradiction ou incompatibilité. Ce qui revient aussi à dire que notre Bible, l’Écriture qui est des Écritures, n’est pas le répertoire d’idées trop élémentaires pour avoir des rivales. Ceux que je vise en avançant cela, sont ceux qui se plaisent à imaginer la Bible à la manière d’un manuel du code de la route, qui à l’aide de sens interdits et de sens obligatoires indiquerait l’unique façon de manœuvrer en telle ou telle circonstance. Pour eux, je caricature à peine, un verset sorti de son contexte, isolé, trois mots placés bout à bout en dehors de toute référence à ce qui les a motivés ou au but qui leur a été par leur auteur primitivement assigné, sont regardés comme critère de vérité et mesure pour tout jauger. Nul besoin pour moi d’insister, vous en connaissez autant que moi, qui vous jettent en pâture un verset comme si c’était là un argument suffisant et définitif, un verset qu’eux seuls ont retenu et voilà, tout est dit ! Ou d’autres encore pour lesquels tout texte de la Bible s’applique immédiatement à leur vie de l’instant présent et doit coller à tout prix avec ce qu’ils sont en train de faire, de subir ou d’attendre. Mais dites-moi, est-ce réellement cela, pour en revenir à notre épître, ce que Paul recommandait aux Romains dans ces pages de la lettre qu’il leur adressait, où il leur enjoint d’être tolérants, et plutôt que de juger autrui, d’estimer si lui et eux – c’est-à-dire aujourd’hui toi et moi – ont, nous avons, la même espérance ? Dites-moi encore est-ce réellement à cela, un livre qui ressemble davantage aux articles d’une loi ou aux notices d’un dictionnaire qu’à une bonne nouvelle, que se résout ce qui précisément est promis – aux Romains ainsi que Paul le leur écrit et à nous aussi – quand ce qui est promis c’est une grâce, la grâce en l’occurrence d’un Seigneur qui vient à notre rencontre – tiens, c’est Noël ! – et qui marche à notre pas – qui fait route avec nous – et nous parle, parle… tout bas, un murmure, très fort, un cri ? o0o Parle, nous parle… Car, et c’est là où je veux en venir, autant je pense pouvoir affirmer que le christianisme n’est pas une religion du livre, autant je dois préciser que les disciples du Seigneur Jésus ont foi en une parole, une parole qui les réveille, qui les place en ordre de marche et les met en route, une parole qui les réprimande, pourquoi pas, une parole cependant qui les console. Pas un livre, oh non, non ! Pas un livre dont sur les pages l’encre déjà serait sèche, mais une parole qui ne cesse de retentir, pas un livre qu’on pourrait refermer, sceller, enfermer au fond d’un tiroir ou oublier sur les étagères d’une bibliothèque, oublier au milieu d’une pile d’ouvrages tous bientôt poussiéreux, mais une parole qui ne cesse pas de se faire entendre : nous aurions beau nous boucher les oreilles avec toutes les boules Quiès du monde, nous l’entendrions encore, puisque c’est à notre cœur surtout qu’elle se fait entendre ! Ah ! J’en conviens, elle ne se fait pas entendre n’importe comment cette parole. Il ne s’agit pas, en effet, comme je l’ai indiqué chemin faisant, de trois petits mots que nous estimerions décisifs, écrits là, en haut de la page. Il est question plutôt d’une parole qui est prononcée, qui vient au moment utile, lorsque nous sommes prêts à l’entendre, et si elle n’est pas écoutée, comprise, saisie sur l’instant, à nouveau elle se fait entendre : c’est une parole obstinée et patiente, que voulez-vous. Car c’est, je crois, petit à petit que Dieu se révèle à nous, pour nous, nous dit qui il est et qu’il nous persuade de sa présence agissante. Certains ici, parmi nous ce matin, en ce temple de l’Oratoire, le connaissent, le Seigneur, depuis leur tendre enfance. Ils sont allés à l’école du dimanche, puis au catéchisme dans leur jeunesse ; depuis ils ont continué de participer au culte et de se nourrir des prédications prononcées. Mais sans mentir, qu’ils nous disent si dans leur vie, quoique, c’est exact, ayant auparavant entendu parler de Dieu, ils n’ont pas quelque peu relâché leur attention, et voici que soudain il y a eu tel événement, tel incident, tel accident qui a fait, non plus qu’ils ont entendu parler de Dieu, mais qu’ils ont entendu Dieu parler, Dieu leur parler. Et puis plusieurs aussi parmi nous, c’est possible, qui n’ont pas reçu d’éducation religieuse dans leur jeunesse, un jour ont fait cette découverte pour eux inopinée, vraiment inattendue et quelquefois contestée et combattue, de quelqu’un qui se tient à leurs côtés. Peut-être ont-ils mis un peu de temps à s’apercevoir de cette présence, de ce compagnonnage de Dieu avec eux. Mais cela est, je dirais « naturel » à Dieu. C’est que je suis persuadé voyez-vous, que le Seigneur est un excellent pédagogue. Il ne nous impose rien, pas même sa présence ; il nous propose. Il n’exige pas en trépignant ; il prend le temps de nous faire reconnaître où est notre joie, où se trouve notre paix, en quoi consiste notre liberté. C’est celui qu’on appelle le Besht, le Baal Shem-Tov, un pieux rabbin du xviiie siècle, qui enseignait à ses élèves que « c’est le rôle du père d’apprendre à marcher à son fils ; pour cela, il avance ou recule de quelques pas, quitte à ce que l’enfant trébuche et tombe. » Ainsi fait Dieu avec nous. Or, cette pédagogie de Dieu, c’est ce qu’en terme biblique on appelle la révélation, par quoi il avance ou recule, se découvre de telle sorte que nous sachions faire l’expérience de notre liberté, parce que la grâce toujours est libre, il lève c’est-à-dire le coin du voile (ré-vèle), le Seigneur, sur notre vie et sur lui, il nous montre qui il est et qui nous sommes, ce qu’avec lui nous pouvons devenir, ce qu’il veut qu’avec lui nous devenions. o0o Le moment est venu pour moi, dans cette prédication, d’avoir un peu les pieds sur terre. J’ai dit précédemment : non pas une religion du livre, un livre trop facilement refermé, le christianisme. Non pas un livre, mais une foi, foi en une parole vivante et vivifiante en laquelle nous plaçons notre confiance et notre espérance. Soit ! Mais encore faut-il qu’elle ait un support, cette parole, qui lui permette de se faire entendre. J’apprécie assez – assez, c’est-à-dire beaucoup – André Gide, aussi vais-je le citer. « L’esprit – écrivait-il – pour témoigner, ne peut point se passer de la matière. » Et il continuait : « De là le mystère de l’incarnation » [Les faux-monnayeurs chap. X]. De son origine protestante, le poète donc avait retenu cette dimension que dans nos Églises de la Réforme nous accordons volontiers à l’incarnation. Confesser que Dieu s’est fait homme (et, singulièrement en cette période de l’année, attendre Noël), pour nous autres chrétiens évangéliques, je veux dire qui se fondent sur l’Évangile de Jésus-Christ, je revendique ce qualificatif, ce n’est pas affirmer péremptoirement quelque dogme serait-ce sur l’union ou la conjonction en Jésus des deux natures divine et humaine, quoique j’aie le plus grand respect pour la définition de Chalcédoine, et ce n’est pas non plus, je pense, nous perdre en certaines rêveries mystico-subtiles. Dire et beaucoup mieux confesser qu’en Jésus de Nazareth, né à Bethléem de Juda, Dieu s’est fait homme, c’est comprendre qu’il est devenu notre frère, qu’il a partagé avec nous tout ce qui fait la richesse autant que la difficulté de notre journalière existence, et qu’il nous a donné, lui, de partager nous avec lui jusque sur la croix son obéissance qui a vaincu notre désobéissance, lâchons le mot : notre péché. Nous sommes, hommes et femmes de chair et de sang, matière, et l’Esprit de Dieu pourtant passe par là pour témoigner de la proximité du Seigneur, le Seigneur qui s’est fait proche, s’est approché, j’oserais presque dire est devenu notre prochain. L’Esprit, j’entends le Saint-Esprit, a utilisé le monde de la création pour nous conduire jusqu’à cette autre création où tous nous sommes renouvelés ; c’est pour cela qu’il me plaît de confesser que Jésus est né du Saint-Esprit et de la vierge Marie. L’Esprit ainsi, lorsqu’il agit, ne peut pas se passer du monde de la création. Je ne puis insister aujourd’hui sur cet aspect des choses, mais certainement serait-il important d’envisager avec sérieux notre responsabilité de chrétiens à l’égard de ce monde où nous vivons. Sans oublier que le monde, ce n’est pas que des arbres, des prairies avec des vaches qui y broutent, mais que c’est aussi une société humaine où tous, nous sommes nécessairement solidaires et, puisque je viens d’employer le mot responsabilité, responsables les uns des autres. Mais j’en reviens… j’allais dire à mes moutons : à ce que j’énonçais avant cette digression, que l’Esprit se sert du monde de la création. Eh oui ! Même lorsqu’il parle. Il se sert alors d’un instrument concret, et c’est l’Écriture et même les Écritures, celles que nous qualifions de saintes. Toutefois pas une Écriture enfermée dans un livre, mais une Écriture qui nous appelle à la patience dans cette perspective que j’ai dégagée il y a un instant, vous vous souvenez, d’une révélation pour nous chaque jour continue, une Écriture qui ne rapporte pas tant des événements qui appartiendraient au passé, qu’elle nous ouvre sur l’espérance d’une restauration en nous, d’un renouveau de notre qualité d’enfants de Dieu. C’est très exactement ce qu’expliquait l’apôtre Paul aux Romains, et j’en reviens ainsi à notre épître que je n’ai pas oubliée, en particulier à ce verset : « Tout ce qui a été écrit d’avance 1’a été pour notre instruction, afin que, par la patience, et par la consolation que donnent les Écritures, nous possédions l’espérance. » Vous n’avez au demeurant pas manqué de relever que notre épître, qui commençait en évoquant l’Écriture, a poursuivi en reprenant la citation du prophète annonçant que germerait du tronc du vieil Isaï un bourgeon, le Messie d’Israël, qui bientôt, dans le royaume de sa gloire, rassemblera toutes les nations de la terre. o0o Il me faut ici revenir à ce que je notais en commençant ou presque, à savoir que nos Églises réformée et luthérienne ont décidé, en synode, de faire plus activement route ensemble désormais. Il m’apparaît que cela est possible… non pas seulement possible, mais souhaitable… non pas seulement possible ou souhaitable, mais conforme à ce qui est le fondement de notre commune espérance et par conséquent de notre prédication, et que ce qui est anormal, c’est que nous ne l’ayons pas fait plus tôt. Je m’explique. Je suis luthérien et vous êtes réformés. Je ne suis pas réformé, et vous n’êtes luthériens. Les uns et les autres nous appréhendons la vérité de l’Évangile selon telle ou telle nuance. Mais nous avons quelque chose qui nous rend semblables : nous faisons nôtres les grandes affirmations de la Réforme. Lorsque nos Réformateurs et nos docteurs proclamaient la foi seule pour raison du salut et la grâce seule comme moyen de salut, nous disons avec eux, réformés et luthériens, oui, c’est ce que nous croyons ; et lorsqu’ils disaient l’Écriture seule comme norme à la mesure de laquelle estimer notre enseignement, avec eux réformés et luthériens nous disons oui, oui à cette parole entendue lorsqu’est lue l’Écriture qui dépasse tout livre qui la voudrait contenir, cette parole qui nous assure qu’il vient, le Christ, Jésus de Bethléem et Jésus de la croix et Jésus du tombeau ouvert et Jésus aujourd’hui et toujours notre frère. Oui. Oui ? Oui ! Ainsi soit-il !
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