Le sabbat est vraiment fait pour l’homme( Exode 20:8-11 ; Deutéronome 5:12-15 ) Culte du dimanche 18 juillet 2010 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, s’il est bien une des dix paroles confiées par l’Eternel à Moïse qui est bafouée allègrement par nos bons soins, c’est celle qui concerne le sabbat. En ayant peut-être trop bien compris que l’homme n’était pas fait pour le sabbat (Mc 3/1-6), nous en avons un peu oublié que le sabbat était fait pour l’homme. Et dans notre protestantisme libéral, force est de constater que nous faisons preuve de la plus grande libéralité qui soit avec ce commandement du sabbat, libéralité qui prend même des allures de libertinage. Et pourtant cette demande d’observance du sabbat n’est pas une parole de qualité moindre que les autres. C’est, au demeurant, celle des dix paroles qui est la plus développée, la plus explicitée, que ce soit dans la version donnée par le livre de l’Exode ou du Deutéronome. Il y a là, peut-être, le signe que cette parole fondamentale est la plus menacée alors qu’elle est aussi décisive que les autres. Le sabbat a plusieurs fonctions : trois que j’évoquerai seulement et deux fonctions théologiques sur lesquelles je vous propose de nous pencher. Fonction physiologiqueLa première fonction est physiologique. Le sabbat, parce qu’il est un jour de repos, est un jour utile pour le corps. C’est un jour où l’on prend soin de sa carcasse qui est un élément indispensable de la vie. De même qu’il y a la nuit pour se reposer avant d’agir, faire sabbat, c’est permettre à notre corps de souffler, de respirer, de se recharger d’énergie. Fonction psychiqueLa deuxième fonction est psychique. Outre le repos du corps, le sabbat permet le repos de l’esprit. Le sabbat est une méthode pour mettre en pratique cette recommandation de Jésus de cesser de se préoccuper du lendemain (Mt 6/34). Rien ne vaut la soirée qui précède un jour chômé car l’endormissement se fait sans être assailli par tout ce qu’il reste encore à faire le lendemain, sans avoir besoin de penser à ce qu’on a peut-être oublié, sans avoir à organiser son planning. Le sabbat permet de se libérer de la pression et de l’inquiétude du lendemain. Fonction socialeLa troisième fonction est sociale. Parce que nul ne besognera le jour du sabbat, ni notre conjoint, ni nos enfants, ni nos collaborateurs, ni les autres, ni qui que ce soit, le jour du sabbat permet à la population d’avoir des rendez-vous communs qui ne sont pas de l’ordre du commerce. Un tel jour permet de croiser les réseaux de relation, comme nous le faisons en Eglise, comme cela se fait dans le milieu associatif. Un tel jour autorise des rendez-vous sociaux marqués par la gratuité, rendez-vous sociaux qui agrandissent notre espace de vie. Fonctions théologiquesOutre ces trois fonctions importantes, je relève deux fonctions théologiques qui sont exposées dans les deux passages bibliques que nous avons lus. Le sabbat nous situe dans un mouvement de création et le sabbat participe à notre liberté. Etre créateurLa version du livre de l’Exode relie le sabbat à l’acte créateur de Dieu tel qu’il est raconté dans les premiers versets du livre de la Genèse. Se souvenir du jour du Sabbat, c’est donc se souvenir de la manière dont il est dit que Dieu a créé le monde et c’est s’en inspirer pour notre vie personnelle. Tout d’abord, il faut relever que le sabbat, en soulignant l’action de Dieu qui précède ce septième jour, pose que l’essentiel de la vie réside dans le fait de créer, d’agir en faveur du monde. Autrement dit, le sabbat n’a pas pour fonction de nous faire sortir du monde de l’action, de nous faire entrer dans un univers d’oisiveté, mais, au contraire, de nous aider à réinvestir le travail en lui donnant du sens. L’essentiel de la vie, ce n’est pas le repos qui ne constitue - dans la perspective biblique - qu’un septième de nos journées. L’essentiel, c’est l’œuvre que nous sommes en mesure de réaliser, ce qui devrait constituer six septièmes de notre semaine. Le jour du sabbat est, certes, un jour sans travail, mais aussi un jour pour considérer l’œuvre accomplie, un jour de bilan en quelque sorte pour apprécier ce qui est bon voire très bon, un jour qui nous permet de nous projeter vers l’avenir. Le sabbat est très intéressant car il effectue une lecture théologique du travail. D’abord, il relie ce que nous faisons à l’acte créateur de Dieu, ce qui est une manière de dire que ce que nous faisons devrait concourir à rendre le monde plus vivable, à l’image de l’œuvre de Dieu. Ensuite, les deux versions suggèrent un aspect que nous avons parfois du mal à mettre en application : « faire tout notre ouvrage ». L’indication est intéressante pour ceux qui disent que le travail ne finit jamais, qu’il y a toujours quelque chose à faire, qu’on peut s’inventer du travail à l’infini. « Tu travailleras six jours et tu feras tout ton ouvrage »… voilà qui a de quoi nous faire réfléchir lorsque nous considérons notre travail comme une tâche sans fin. Cette perspective théologique nous invite à nous demander si, des fois, c’est bien notre travail que nous sommes en train d’effectuer et pas celui de quelqu’un d’autre. Oui, si nous ne finissons jamais notre travail, c’est peut-être parce que ce n’est pas notre travail que nous sommes en train de faire, mais celui qui aurait pu être réalisé par quelqu’un d’autre qui, si ça se trouve, est justement désœuvré et sans emploi. Cette perspective théologique du sabbat en lien avec la dynamique créatrice initiée par Dieu nous invite à la fois à réinvestir le travail comme un lieu digne de notre engagement mais aussi à donner du sens à ce que nous faisons. Non, nous ne sommes pas justifié par nos œuvres et ce n’est pas en se vouant intégralement au travail qu’on réussit sa vie. Le sabbat, en posant une limite au travail, nous prévient que le travail pour le travail n’est pas l’horizon vers lequel l’Eternel nous appelle. D’ailleurs, nous pouvons considérer que cette parole nous met en garde contre un mal qui nous guette : ne pas finir ce que nous entreprenons. Commencer quelque chose et ne pas le finir ; initier un projet et ne pas le mener à son terme ; avoir de belles idées et ne jamais les concrétiser. Limiter le travail dans le temps relève, pour une part, du management par projet : on se fixe un but, on se donne les moyens de l’atteindre et une fois ce but atteint, on marque le coup par une célébration qui peut revêtir bien des aspects. Les hébreux qui marchent dans le désert ne marchent pas juste pour le plaisir de randonner : une fois en terre promise, ils célèbreront cette entrée par la fête des pains sans levain. Au terme des examens, les étudiants se retrouvent pour ce qui était autrefois le monôme et qui est aujourd’hui une fête. Dans le monde de l’entreprise, l’atteinte des objectifs peut être l’occasion d’une réception vécue dans cet esprit. Dans tous les cas il s’agit de scander le quotidien à la fois pour marquer l’aboutissement d’un projet et pour se rappeler que ce n’est pas le travail pour le travail qui nous anime mais que le travail est au service d’un projet de vie qui se décompose en une série de petits projets dont nous sommes les acteurs. Libérer l’homme de ses addictionsPeu importe, à vrai dire, que le sabbat intervienne pile au bout de six jours. Peu importe que tous nos projets se réalisent en six jours. Il faudrait être d’autant moins à cheval sur ce principe que le sabbat n’a pas toujours été hebdomadaire. Primitivement il était mensuel. Es 1/13 ; 66/23 ; Os 2/13 ; Am 8/5 et le calendrier des Jubilées II, 9 ; V, 29, 34 nous révèlent que dans un premier temps le sabbat était calé sur la nouvelle lune (néoménie). Le sabbat hebdomadaire semble être une invention du retour de l’exil de Babylone, du temps de Néhémie, lorsqu’il s’agissait de reprendre le peuple en main, de le restructurer. Avoir une forme de liberté à l’égard du sabbat est justement dans le droit fil du second aspect théologique que nous propose, cette fois, la version du Deutéronome. Se souvenir que le peuple hébreu a été esclave au pays d’Egypte et que c’est l’Eternel qu’il l’en a libéré, c’est inscrire le sabbat dans le droit fil de la liberté à laquelle Dieu nous fait accéder. Parce qu’il n’a pas libéré son peuple de l’esclavage pour que celui-ci se jette dans les bras du premier tyran venu, l’Eternel offre ces dix paroles de liberté dont celle sur le sabbat qui est directement connectée à la question de la liberté. En quoi le sabbat nous aide-t-il à rester libres ? Le sabbat nous aide à rester libres en nous permettant d’évaluer nos dépendances, en nous permettant de mesurer nos addictions. La rupture que nous inflige un sabbat respecté soigneusement nous permet de constater très rapidement ce à quoi nous sommes accrocs. Pour faire le lien avec le point précédent sur le travail : pouvons-nous tenir une journée sans travailler ? dans un autre registre, pouvons-nous tenir une journée sans regarder la télévision ? sans aller au casino, pour certains ? sans jouer à des jeux vidéos, pour d’autres ? sans consulter ses courriers électroniques, sans son téléphone mobile ? sans faire le ménage ? et si nous allons au-delà de la lettre du sabbat pour lui donner toute son ampleur… pouvons-nous tenir une journée sans tabac, sans alcool, sans remarque désobligeante ? tenir une journée (nuit incluse) sans ses enfants, sans psychotrope, sans coach/gourou etc. Le sabbat nous permet de faire le point sur nos dépendances qui nous empêchent d’être véritablement libres comme Dieu le souhaite. Le principe du sabbat participe du travail initié par Dieu pour nous libérer de toutes ces aliénations qui brident notre vie et qui nous rendent esclaves à temps partiel ou plus si affinités. Le sabbat est une pédagogie que Dieu nous propose pour mettre à jour ce que Nicolas Berdiaev appelait les séductions et dont nous n’avons pas forcément conscience. Le Sabbat nous aide à prendre conscience que, parfois, ce sont nos possessions qui nous possèdent ou qu’il y a des contraintes de la vie quotidienne qui nous tiennent lieu de pain quotidien. Le sabbat permet de faire le tri et, le cas échéant, de se séparer des encombrants. Le sabbat est fait pour nous libérer de ce qui nous rend prisonnier, captif. De nos jours, en christianisme, le sabbat n’est plus. Le samedi n’a plus rien des sabbatique. Il a été, dans une certaine mesure, remplacé par le jour du Seigneur, Dies Dominica, le dimanche qui célèbre la résurrection du Christ-Jésus. Pâques s’enracine dans cette double compréhension du sabbat, à la fois l’acte créateur de Dieu qui ressuscite la vie là où elle en a été exclue et qui libère l’être humain de ce qui le rend captif. Que le sabbat soit le jour du sabbat ou non, qu’il soit hebdomadaire ou non, le sabbat, c’est un moyen que l’Eternel met à notre disposition pour libérer notre énergie créatrice. Oui, le sabbat est vraiment fait pour l’homme ! Amen
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