Va et fais de même...

( Luc 10:4,25-37 )

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Culte du dimanche 11 juillet 2010 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Jean-Pierre Rive

Non, vous ne vous êtes pas trompés, vous venez d’entendre quelques mesures de notre Hymne national, tout simplement parce que la proximité du 14 juillet nous rappelle cette histoire qui, au moment de sa commémoration, est aussi un peu notre actualité ; et l’on a souvent dit que prêcher, c’était mettre en lien un texte ancien de la Bible avec notre actualité. Pourtant les choses ne sont pas si simples. Tout d’abord en ce qui concerne les commémorations, la mémoire que nous avons d’un passé récent, l’actualité, donc d’évènements inscrits dans notre histoire, est relative ; ainsi pour d’autres ce 11 juillet 2010 rappelle qu’il y a 15 ans, la ville de Srebrenica était le lieu d’atrocités sans nom ; pour d’autres encore c’était il y a 6 mois, jour pour jour, le séisme qui touchait Haïti. Donc, vous le constatez, ce qui marque nos mémoires aujourd’hui diffère. Puis pour s’éloigner de la mémoire et en venir au présent, là aussi l’actualité a de multiples facettes qui ont plus ou moins d’importance dans nos vies. Pour les uns, le contexte dans lequel s’inscrit le présent est heureux ou malheureux.

Les uns viennent de vivre une souffrance qui les marquent, d’autre encore une joie qui les comble ; d’autres ensuite sont dans une attente angoissée : problème d’emploi, de santé, de parcours d’études.

Et puis, il faut bien le dire, l’actualité que les médias nous impose a besoin d’être triée :

Pour les uns, c’est bien entendu le résultat de la coupe du monde de foot ce soir et en arrière plan la marée de mots qui a été déversée sur le contexte français de ce Mondial.

Pour d’autres, c’est la triste image que donne notre monde politique ces derniers jours.

Pour d’autres, l’actualité, ce sont les sombres pronostics que font certains responsables de la stratégies dans de grands groupes de banques en ce qui concerne le deuxième semestre 2010.

Ainsi, vous le voyez, l’actualité c’est une question de point de vue, un point de vue dont il faut parfois justement se détacher, et c’est ce que je me propose de faire aujourd’hui en reprenant avec vous la lecture de ce texte si connu du Bon Samaritain, car l’actualité avec un grand A cette fois-ci, c’est ce Jésus de Nazareth, mort et ressuscité, vivant aujourd’hui, nous convoquant aujourd’hui pour un culte : un culte qui n’est pas un moment sacré mais tout simplement la réponse toute simple à un appel qui résonne aujourd’hui pour nous, ici et maintenant ; et il se trouve que le texte dont il nous est suggéré de faire mémoire aujourd’hui est ce récit, cette parabole du Bon Samaritain. Alors dans l’entrelacement de nos différentes actualités, je vous propose maintenant d’entendre ce que ce texte nous dit, de nous et de notre manière de vivre ensemble les uns avec les autres aujourd’hui.

La parabole du Bon Samaritain a fait l’objet de multiples interprétations tout au long de l’histoire de l’Eglise. Dans les temps anciens prévalait ce que l’on appelle l’exégèse allégorique. Origène, qui vivait dans la première moitié du troisième siècle et qui est – pourrait-on dire – le père de l’exégèse biblique, avait mis au point une méthode de lecture qui visait à dégager le sens spirituel des textes où l’allégorie tenait la première place.

Aussi pour notre texte, cela donnait la lecture suivante.

Le voyageur, c’est Adam, le premier homme, qui doit quitter Jérusalem, c’est à dire le Paradis originel, et aller vers le Monde, à savoir Jéricho. Assailli par des brigands, les puissances ennemies qui peuplent le monde, il est entraîné dans la désobéissance, ce sont toutes les blessures reçues. Le Prêtre qui représente la Loi et le Lévite qui représente les prophètes sont inefficaces. Par contre le Samaritain, le Christ apporte la guérison, le Salut. L’Auberge, c’est l’Eglise qui est ouverte à tous les blessés de la vie ; et bien entendu, la promesse de revenir, c’est l’annonce du Retour du Christ.

Cette lecture a fondé ainsi toute une théologie de l’imitation de Jésus-Christ : Va et fais de même, dit Jésus au scribe, dans le texte qui encadre la parabole : aussi le Croyant doit-il être à l’image de Jésus, le Samaritain, celui qui doit avoir compassion, pitié de ceux qui sont tombés aux mains des brigands, tous les blessés de la vie. Vous devinerez aisément la suite : à la question qui a provoqué ce récit « que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle », la réponse surgit toute simple : comporte-toi comme le Samaritain qui n’a pas craint de s’arrêter sur son chemin, pour redonner la vie là ou elle était menacée.

Cette lecture a été dominante au cours des siècles, elle a parfois permis de soutenir des points de vue, que nous, les Réformés, ne partageons pas toujours ; deux en particulier :

le premier qui consiste à faire de l’auberge, l’Eglise, le lieu unique de la Rédemption, de la guérison, et qui a conduit à l’affirmation « hors de l’Eglise, point de Salut ». Le second, « va et fais de même » a été parfois invoqué pour lier le salut à l’accomplissement de bonnes œuvres. Nous en connaissons les limites.

Mais au delà des interprétations que cette lecture a occasionnées, je crois que nous devons néanmoins être reconnaissants à Origène d’avoir inauguré un regard sur le texte biblique dont nous ne pourrons plus nous éloigner.

Ce regard, c’est celui du Croyant qui, en lisant, découvre que cette histoire passée, racontée, illustrée par une parabole, puis écrite, ne peut pas rester à distance de sa vie, de chacune de nos vies, mais dans une étonnante proximité, ici et maintenant vient la bousculer, l’interpeller, la convoquer. Origène nous dit que le texte biblique ne cherche pas tant à nous transmettre des vérités, mais à faire surgir la vérité de nos vies. Ouvrir la Bible, ce n’est pas enregistrer un savoir nouveau, mais c’est se mettre en route sur un nouveau chemin.

Alors vous le pensez bien, nous n’allons pas en rester à Origène et je voudrais maintenant avec vous relire ce texte et y discerner quelques balises sur le chemin que nous avons à parcourir.

En relisant comme nous l’avons fait ce verset qui avant la parabole, évoque l’envoi en mission des 72 disciples, nous percevons l’urgence qu’il y a à annoncer l’irruption du Royaume, c’est pour cela que Jésus ordonne dans ce verset à ses disciples de ne pas s’arrêter en chemin pour saluer tout un chacun. Il n’y a en effet aucune nécessité de s’arrêter auprès de celui ou ceux qui n’attendent et n’espèrent rien. L’urgence n’est pas dans les mondanités, l’urgence est dans la guérison des blessures ; c’est ce que notre texte du jour indique, car là où il y a urgence à s’arrêter, il y a urgence à se faire proche de celui qui, démuni de tout, attend sur le bord de la route que quelqu’un veuille bien se détourner de son chemin bien tracé pour venir à lui.

Alors, pour aller plus loin, j’ai envie de vous faire part d’une question que ce texte me pose : je me suis longtemps demandé pourquoi le prêtre et le lévite ne s’étaient pas arrêtés. Etaient-ils pressés ? Avaient-ils un rendez-vous urgent ? Cela n’est pas dit, alors que d’autres textes bibliques le précisent quand quelqu’un ne répond pas immédiatement à l’appel du Christ.

Avaient-ils peur, en s’attardant, d’être eux-mêmes victimes de brigands ? Cela est peu probable car les prêtres et les lévites bénéficiaient d’une certaine protection, même aux yeux des plus dangereux bandits.

Avaient-ils peur d’être agressés par le blessé lui-même, dans un ultime sursaut ? Ce serait étonnant car il nous est dit qu’il est à demi mort.

Un indice nous fait penser à une autre raison. Il nous est dit que non seulement ils passent leur chemin, mais qu’ils s’écartent plus loin de l’autre côté de la route !

Il est vrai que dans nos sociétés, on n’est pas habitué à cela. Dans nos sociétés où les secours sont organisés, on assiste parfois au contraire, à des rassemblements obscènes de badauds friands du spectacle de la souffrance des autres ; les gens s’approchent, s’approchent pour voir, mais seulement pour voir, parce qu’ils savent qu’ils ne vont pas être mis à contribution.

Mais ici au contraire, c’est la peur d’être mis à contribution qui domine, la peur non pas d’être obligé par quelques sauveteurs de prêter main forte, mais ici, dans la solitude de ce chemin désertique, c’est la peur d’être pris de compassion !

Et c’est pour cela que le prêtre et le lévite s’écartent, comme si passer plus près, pouvait exercer un effet d’attraction, comme s’il y avait une distance critique, un seuil à ne pas franchir, pour ne pas entrer dans l’orbite de la souffrance rencontrée. Car finalement, c’est peut-être bien cela qui fait notre humanité : les hommes ont peur, peur de découvrir qu’au fond d’eux-mêmes, il peut y avoir cette exigence, qui vient abolir toutes les distances, qui vient bousculer toutes les logiques, qui vient créer un nouvel espace vital, pour eux qui, prisonniers de leurs peurs, de leurs angoisses, avaient patiemment tissé la toile de toutes les assurances, de toutes les sécurités pour se prémunir contre l’inattendu, pour se protéger de l’irruption de ce désir, de ce désir impérieux de donner, de secourir, de vivre avec les autres et de souffrir de leur souffrance.

Se laisser approcher, se faire proche, ne pas passer de l’autre côté de la route, c’est peut-être bien là ce qui nous inquiète le plus. Car nous savons trop bien que nous pouvons être pris aux entrailles, pris de compassion dépris de nous-mêmes, dépossédés de notre autosuffisance, de notre égoïsme, lorsque l’autre, dans son attente, fait appel à ce qu’il y a en nous de ressemblance avec ce Dieu qui nous a crée, ce Dieu dont l’identité profonde est certainement de souffrir avec sa création, avec nous tous, avec chacun de nous.

Et ce n’est pas un hasard si Jésus met en scène un Samaritain pour illustrer cette capacité de s’arrêter auprès de l’autre sans peur de prendre le risque de la proximité, car il sait trop bien que le peuple juif, son peuple, porteur depuis des lustres de la Foi en ce Dieu qui se déroute pour sauver l’homme, n’a de cesse de résister à cet exode permanent dont il a la charge d’être le témoin, en s’entourant avec insistance de toutes les protections et précautions qu’une loi minutieuse a mis au point pour réguler et contenir la compassion. Seul un autre, dans ce temps où les prophètes en Israël ne rappellent plus le sens premier de la Loi, dans ce temps où elle a été abandonnée aux casuistes, seul un autre peut-être ce témoin qui force Israël à sortir de lui-même. C’est à cela que le Christ veut amener le scribe. Un scribe expert de la Loi, spécialiste de la charité bien ordonnée et pourtant quelque part secrètement blessé par une question non résolue : en face de ce jeune rabbi qui parle avec autorité, qui multiplie les guérisons, la vieille question qui hante Israël se ravive : « Que dois-je faire de cette promesse d’une vie éternelle dans un royaume ou l’Amour règne et où la souffrance n’a plus de place ? »

Alors en face de cette question ranimée, il faut faire taire le perturbateur, il faut l’écarter du devant de la scène et le contraindre au silence, il faut lui tendre le piège qui va le discréditer définitivement aux yeux des foules naïves.

Mais pour le remettre à distance, pour l’éloigner, il faut lui poser la question hypocrite, il faut s’approcher de lui, et c’est alors que la situation se retourne, se renverse ! C’est le scribe qui va tomber dans le piège, le piège de la rencontre avec le Christ. A sa question symptôme d’une inquiétude, d’un désarroi, d’une fêlure dans sa vie, le Christ va le renvoyer à une autre question, et il ne va plus le lâcher dans son difficile chemin de libération.

Comme le Samaritain accompagne le blessé jusqu’à sa guérison, le Christ accompagne le scribe jusqu’à sa vérité ; il le ramène à l’essentiel : cette Loi que la comptabilité officielle détaillait en 613 commandements, cette loi lui apparaît soudainement ramenée à sa plus simple expression, à son cœur le plus brûlant : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu, et tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Mais le scribe résiste encore : « qui est mon prochain ?». Mais Jésus ne veut pas confondre le scribe, il ne veut pas ruiner sa dignité, par contre il veut faire littéralement exploser sa vie étriquée pour le conduire à la joie de l’Amour gratuit. Et c’est la parabole que nous venons de lire.

Au fond, ce texte, c’est un peu comme ces poupées gigognes, les cheminements s’emboîtent les uns les autres pour atteindre un même but.

Il y a ce scribe effrayé par la puissance de la Parole de Dieu qui se manifestait en Jésus ; il voulait la tenir à distance. Il y a cette parabole prononcée par Jésus où un autre, un étranger accepte de se laisser approcher par la souffrance et laisse l’Amour gratuit se déployer. Et il y a à nouveau ce scribe qui découvre que son chemin est là, tout tracé, et sur ce chemin, il est accompagnée par le Dieu de Compassion lui-même fait homme, dont il s’approche et dont il est devenu à ce moment là, le prochain, Celui qu’on ne laisse pas sur le bord du chemin sans le secourir. « Va et fais de même », il a la réponse à sa question.

Et puis en fin de compte, il y a nous aujourd’hui, ici rassemblés, lecteurs et auditeurs de ce texte aux multiples facettes. Or il se trouve dans ce texte une autre question qui nous atteint aujourd’hui : « Comment lis-tu ce texte » demande Jésus au scribe. Oui, comment lisons-nous, nous-mêmes ce texte ? Ce texte ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà, il nous demande par contre : qui sommes-nous ? Il veut nous conduire à notre véritable identité, celle qui pourrait nous faire dire que désormais saisis par la compassion, celle du Samaritain pour le blessé, celle du Christ pour le scribe, et peut-être bien celle du scribe lui-même pour ceux qu’il va désormais rencontrer dans la vie nouvelle qui s’inaugure pour lui, une identité qui nous permet de dire que nous n’avons plus peur de laisser le souffle de Dieu, inspirer nos vies, bousculer nos pensées, animer nos actions.

Alors mes frères, mes sœurs, mon frère, ma sœur, comment lis-tu ce texte aujourd’hui ? Vas-tu le tenir à distance, le refermer comme un pieux souvenir, vas-tu le classer dans la multiplicité des savoirs qu’on peut élaborer à son sujet ? Vas-tu en faire une utopie rejetée à la fin des temps, ou penser qu’il n’est réservé qu’à quelques êtres exceptionnels ? Ou vas-tu te laisser prendre à bras le corps par lui, vas-tu le laisser s’approcher de toi, t’arracher à tes propres blessures et le laisser t’envoyer vers les autres qui attendent que Dieu, dans son immense amour fasse signe à travers ceux qui sont à sa ressemblance.

« Prends garde à toi dit l’Ecclésiaste, quand tu entres dans la Maison de Dieu, car tu ne sais pas où il va t’emmener ! »Moi j’ai envie de dire : Prends garde à toi si tu laisses la Parole de Dieu, son souffle de Compassion t’approcher et t’envahir. Prends garde à ton pied si tu veux résister. Mais si tu n’as plus peur, si tu sais que le Christ est ton Compagnon, qu’il ne te lâchera pas sur le bord du chemin, alors, baisse ta garde, rends les armes, le Seigneur te guidera jusqu’à la joie parfaite de la vie éternelle.

Amen

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
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Lecture de la Bible

Luc 10:4-37

Jésus dit :
Ne portez ni bourse, ni sac, ni souliers, et ne saluez personne en chemin...
25 Un docteur de la loi se leva, et dit à Jésus, pour l’éprouver: Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle?
26 Jésus lui dit: Qu’est-il écrit dans la loi? Qu’y lis-tu?
27 Il répondit: Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée; et ton prochain comme toi-même.
28 Tu as bien répondu, lui dit Jésus; fais cela, et tu vivras.
29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus: Et qui est mon prochain?
30 Jésus reprit la parole, et dit: Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands, qui le dépouillèrent, le chargèrent de coups, et s’en allèrent, le laissant à demi mort.
31 Un sacrificateur, qui fortuitement descendait par le même chemin, ayant vu cet homme, passa outre. 32 Un Lévite, qui arriva aussi dans ce lieu, l’ayant vu, passa outre.
33 Mais un Samaritain, qui voyageait, étant venu là, fut ému de compassion lorsqu’il le vit. 34 Il s’approcha, et banda ses plaies, en y versant de l’huile et du vin; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie, et prit soin de lui. 35 Le lendemain, il tira deux deniers, les donna à l’hôte, et dit: Aie soin de lui, et ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour.
36 Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands?
37 C’est celui qui a exercé la miséricorde envers lui, répondit le docteur de la loi. Et Jésus lui dit: Va, et toi, fais de même.