Le silence est d’or( Apocalypse 8:1-6 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 25 juillet 2010 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, que penser d’un prédicateur qui fait silence au lieu de commencer sa prédication ? a-t-il perdu ses feuillets et essaie-t-il de refaire sa prédication de mémoire ? se rend-il compte que ce qu’il a préparé n’est pas ce qu’il faudrait dire auquel cas il se prépare à improviser une autre prédication ? probablement aurez-vous pensé à d’autres solutions… ceci montre l’un des intérêts du silence : offrir un espace de réflexion, permettre à chacun de réfléchir et de donner du sens à ce qui est vécu. Le silence permet les interprétations. Avant de reprendre cet aspect qui est abordé par le passage de l’Apocalypse que nous avons lu, j’aimerais d’abord faire une remarque préliminaire pour souligner à quel point le silence est ambigu. Le silence peut être extrêmement positif en bien des situations. Je pense notamment à toutes ces situations où le silence vaut mieux que le bavardage et les niaiseries. Je pense à Wittgenstein terminant son Tractatus logico-philosophicus par cette sentence pleine de sagesse « ce dont on ne peut parler, il faut le taire », autrement formulée dans le livre des Proverbes « l'insensé même, quand il se tait, passe pour sage; celui qui ferme ses lèvres est un homme intelligent (17/28) ». Nous retrouvons ce bon principe sous une autre forme dans la sagesse populaire : « mieux vaut se taire et passer pour un imbécile que parler et ne laisser aucun doute à ce sujet ». Un tel silence serait heureux en matière judiciaire de la part de ceux qui ignorent tout et spéculent à bon compte. Il est frappant de constater à quel point les enquêtes judiciaires, dès lors qu’elles concernent des personnalités, connaissent leur lot de rumeurs qui amplifient et déforment la réalité et qui condamnent sans quelconque forme de procès. En 2003, la rumeur disait que c’était le maire et des magistrats de la cour d’appel de Toulouse qu’il aurait fallu condamner pour viol et meurtres. Aujourd’hui, la rumeur et la vindicte populaire voudraient que tout le monde soit coupable dans l’affaire dite Bettencourt. Job avait raison en disant de ses soit disant amis « que n’avez-vous gardé le silence ? vous auriez passé pour avoir de la sagesse (13/5) ». Pour autant, il est aussi des silences coupables. Il est des moments où il faut prendre la parole pour avertir, dénoncer, alerter. Il est des cas où celui qui se tait est semblable à la sentinelle dont parle le prophète Ezéchiel, qui n’avertit pas le peuple du danger et qui sera donc responsable de son mutisme (33/6-9). Ajoutons que la parole est ce qui fonde l’existence, la parole est ce qui permet de lever les ambiguïtés dès lors qu’elle n’est pas qu’un simple bavardage mais bien un acte de communication. Le silence, seul, confinerait au néant. La communication, la parole, font accéder à la vie, mais elles ont besoin du silence, c’est ce que je vous propose de constater maintenant avec ce que ce passage de l’Apocalypse nous révèle. Le silence permet de se nourrir de la ParoleLe silence, nous l’avons expérimenté il y a quelques instants, ouvre un espace de réflexion, d’interprétation. Un silence d’une demi-heure accompagne l’ouverture complète du livre qui était jusque là fermé. Le livre est maintenant ouvert et il ne s’agit pas d’en faire un simple objet de décoration. Le silence indique qu’il s’agit maintenant de faire quelque chose de ce texte, de ces mots qu’il contient. Le silence indique que c’est le texte qui prend la parole et qui va nous offrir ce qu’il contient. Le silence indique que celui qui est face au texte est en position d’accueil, qu’il est prêt à se nourrir de ce que le texte va lui proposer. Le silence indique qu’il ne s’agit pas d’imposer au texte ce qu’on aimerait qu’il nous dise mais que nous prenons ce texte suffisamment au sérieux pour lui laisser le soin de nous parler. Le silence, c’est le temps de l’apprentissage. C’est le temps de l’enfant (étymologiquement l’enfant est celui qui ne parle pas) qui sait qu’il ne sait pas tout, qu’il doit apprendre des autres. Le silence c’est la possibilité de se mettre à l’écoute du texte pour le méditer et pour y entendre quelque chose d’important pour nous. Le silence est mis en rapport avec un texte qui s’offre à notre lecture et à notre interprétation. C’est un point important à relever parce qu’il nous éclaire sur ce que signifie la méditation dans une perspective chrétienne. Ici il n’est pas question de se centrer sur soi ; il n’est pas question de se concentrer sur sa respiration ; il n’est pas question de se fixer sur un mot ou une phrase qu’il faudrait répéter mentalement, fût-ce l’expression « Maranatha » qui apparaît à la fin du livre de l’Apocalypse. Ici, le recentrement est affaire de décentrement. Ce n’est pas au fond de soi que l’on va trouver un bout de vérité mais hors de soi. La méditation chrétienne consiste moins dans l’écoute de soi que dans l’écoute de cette parole qui nous est extérieure notamment contenue dans ce livre qui, en grec, se nomme la bible. Si la méditation qui consiste à se concentrer sur sa respiration pour se recentrer sur l’instant présent, pour améliorer sa présence au monde, pour diminuer le stress, a tout son intérêt, ce que nous pouvons vivre dans la piété chrétienne est d’un autre ordre : il ne s’agit pas seulement d’atteindre une phase d’harmonie avec soi ou avec notre environnement, il s’agit d’accéder à une meilleure compréhension de notre identité, de notre vocation dans ce monde en approfondissant notre connaissance de Dieu ; et cela passe par l’appropriation personnelle de la parole de Dieu qui est hors de nous. De ce point de vue, le culte tel qu’il est vécu par les Quakers est exemplaire : les quakers se réunissent et, silencieusement, lisent la Bible et toutes sortes d’ouvrages qu’ils ont rassemblés. A l’occasion quelqu’un peut lire une phrase à haute voix pour en faire profiter le groupe mais l’essentiel consiste dans la méditation des textes. C’est cette méditation des mots qui peut donner sens à notre vie. Cette attitude pose que la vérité n’est pas en nous, qu’il ne s’agit pas de retrouver ce que Dieu aurait déposé au fond de notre être, mais de nous ouvrir à son enseignement. Contrairement à ce que proposait Thérèse d’Avila « Ce qui importe avant tout, c'est d'entrer en nous-mêmes pour y rester seul à seul avec Dieu » (Le chemin de la perfection), il s’agit plutôt de sortir de nous-mêmes à la manière d’Abraham auquel Dieu recommande de partir s’il veut se trouver. Aller vers soi, c’est se frotter au monde, à l’univers. Selon l’explication de Jésus, c’est du cœur de l’homme que sortent les pensées mauvaises (Mc 7/21) ; évangéliser nos pensées mauvaises, emprunter un chemin de justice, c’est partir à la rencontre de cette parole qui nous est extérieure voire carrément étrangère, une parole qui nous interpelle et nous permet de mieux nous connaître et de mieux comprendre le monde qui nous entoure. Le silence est alors nécessaire pour que nous parasitions le moins possible cette parole-là, que nous la salissions le moins possible avec tout ce qui nous souille intérieurement. Le silence permet d’entendre les prières des saintsLe silence nous permet d’atténuer les parasites, il nous permet de nous mettre à l’écoute d’un autre que nous et de ne pas prendre nos paroles et nos pensées très humaines des paroles très divines. Le silence nous permet de nous mettre aussi à l’écoute des autres. Ce silence apocalyptique permet de se mettre à l’écoute des prières des saints. Les textes bibliques établissent un lien solide entre la présence de Dieu et le silence (Ha 2/20 ; Za 2/13) et, ici, nous constatons que le silence est effectivement lié à la présence Dieu. Selon l’imagerie traditionnelle, l’encens qui monte figure les prières qui rejoignent Dieu (Ps 141/2). L’ambiance est très liturgique. Il y a d’une part les anges et, d’autre part, les saints, le tout dans un silence quasi religieux. C’est assez paradoxal, pour un ange, de faire silence. Dans la mesure où il est messager, un ange est plutôt du côté de ceux qui parlent pour transmettre le message. Là, ils observent le silence et, pourtant, ce n’est pas Dieu qui parle. Autre élément surprenant, nous sommes en plein culte et il y a une pluralité de prières. Il n’y a pas un officiant qui exprimerait la prière de la communauté mais une multitude de prières qui, toutes, s’élèvent dans le silence angélique. C’est au moment où il est question de ce livre fermé puis ouvert que les « saints » apparaissent dans l’Apocalypse. C’est ce livre qui provoque la prière de ces saints dont il n’est pas dit précisément qui ils sont. Certains envisagent que ce sont les fidèles, ceux qui n’ont pas renié le Christ en dépit des persécutions qui s’abattent sur les chrétiens à l’époque. Le fait que les saints apparaissent avec le livre m’invite plutôt à penser qu’il s’agit de ceux qui ont découvert la parole contenue dans ce livre : c’est le peuple suscité par la méditation du livre. C’est la communauté de ceux qui ont découvert une parole pour aujourd’hui, ce qui les fait réagir. Les saints dont il est question, ce ne sont pas nécessairement les bons croyants, le cœur du cœur de l’Eglise, mais ceux qui ont été touché par ce qu’ils ont compris et qui, justement, considèrent qu’il faut briser le silence. Dans un contexte où il y a beaucoup de choses qui clochent, ces « saints » sont ceux qui ont pris conscience de ce qui ne va pas et qui font monter vers Dieu l’expression de leur cri, de leur indignation, de leur lamentation, de leur supplique. Ce sont ceux qui prennent conscience, par la méditation de cette parole extérieure qui est capable de leur ouvrir les yeux, qu’il n’est pas vivable d’être ainsi soumis à des puissances néfastes que représentera un peu plus loin la fameuse bête. Ce sont ceux qui ouvrent les yeux sur la réalité révélée par cette parole et qui se redressent pour mettre un terme à leur aliénation. Et les anges font silence, non pas pour que Dieu entende (comme si Dieu ne pouvait pas passer outre le vacarme ambiant) : les anges font silence pour entendre ce que le monde exprime soudainement. Nous pouvons voir là l’attitude de l’Eglise qui se met à l’écoute du monde qui prend conscience de situations anormales, de situations qui demandent des changements. L’Eglise fait silence au lieu d’imposer des recettes miracles, des réponses toutes faites. L’Eglise - la communauté des messagers que nous sommes, l’armée des anges que nous formons – l’Eglise, donc, fait silence pour entendre ce que le monde exprime. C’est le silence de l’humilité. C’est le silence de ceux qui savent qu’ils n’ont pas la science infuse. C’est le silence de ceux qui sont véritablement au service de l’humanité et qui prennent au sérieux ce que les uns et les autres disent. C’est le silence qui permet de comprendre l’autre et de le rejoindre dans ses préoccupations au lieu de l’obliger à se taire et à écouter pieusement ce qu’il faut croire et penser. C’est le silence de ceux qui essaient de comprendre ce que veulent dire les protestations, les revendications. C’est le silence de ceux qui s’efforcent de comprendre ce que les gémissements traduisent de plus profond. Mais le silence ne dure qu’une demi-heure. Le silence n’est pas une fin en soi, ce n’est pas le but d’une vie, ce ne saurait être le sommet d’une vie spirituelle. Le silence est le temps nécessaire à l’interprétation des signes, le temps nécessaire à la compréhension, mais ce n’est qu’un temps de préparation. Les anges se saisissent de leurs trompettes. Ils ne vont pas rester muets. C’est maintenant le temps de l’action ! Amen.
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