L’infernal meurtre au nom de Dieu( Matthieu 13:24-30 ; 2 Timothée 1:1-7 ) (écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 25 août 2013 à l'Oratoire du Louvre Le Qu’est-ce qui a pu motiver le roi Charles IX pour qu’il massacre son peuple le 24 août 1572 ? C’est assez invraisemblable dans le contexte de l’époque où la fonction même du roi était d’assurer la paix, la justice et le salut de ses sujets. Il s’est un peu expliqué là-dessus à travers une belle médaille qu’il a fait frapper en grand nombre juste après le massacre. Il montre sa fierté d’avoir réussi ce joli massacre, et il l’explique ainsi : la piété, la foi, stimulant la justice… Charles IX a réussi à écraser les rebelles avec une grande puissance. Les protestants sont ainsi dénoncés comme des rebelles. Pourtant Gaspard de Coligny, en particulier, était un fidèle ministre du roi. Mais le protestant est vu comme « rebelle » à cause de sa liberté, à cause de son indépendance d’esprit, à cause du sentiment de sa dignité personnelle devant Dieu, qu’il soit prince ou savetier. La liberté du protestant a donc été ressentie comme une terrible menace contre la foi et la justice. Tout dépend de ce que l’on entend par foi et par justice. C’est évidemment la question fondamentale. Et la seconde question est le type de pédagogie qu’a employé Charles IX contre quelque chose qu’il trouvait néfaste. Nous n’avons pas le pouvoir qu’avait le roi de France, ni celui d’Obama. Mais cette question se pose pour nous de la même façon. Comment réagir quand il y a quelque chose qui nous semble problématique dans notre prochain ? N’y a t il pas d’autres solutions que le massacre ou le laisser faire ? D’autres solutions que l’injure et l’indifférence ? o0o Dans la parabole du bon grain et du mauvais grain, Jésus nous fait réfléchir sur la pédagogie que nous pouvons avoir face à l’homme néfaste. Jésus parle ici du Royaume de Dieu. Cela a tout à voir avec notre question, car cette expression « Royaume de Dieu » n’évoque pas ici le lieu de la vie future, mais évoque la façon dont Dieu règne, comment Dieu agit en nous, ou espère agir en nous et dans l’humanité. Nous voyons que Dieu agit en semant de bonnes graines qui produisent des fruits. C’est la première et fondamentale méthode qu’a Dieu pour faire avancer les choses. Il y ajoute de la patience, la légendaire patience de l’agriculteur qui sait qu’il faut du temps avant de récolter ce que l’on sème, et que pendant ce temps il peut arriver bien des choses… c’est ce que Jésus décrit ici. La création est encore en lente genèse, et de plus, nous dit le texte, ce qui est malfaisant dans l’homme a semé de mauvaises graines. Dieu se retrouve devant une situation ou il y a du mal qui existe dans le monde alors qu’il n’y a semé que du bien. Cela montre en premier lieu que Dieu n’a pas dressé de hautes murailles électrifiées pour empêcher toute intrusion. Son champ n’est gardé par aucune menace, mais ouvert à la liberté donnée à chacun, assortie de cette vocation que nous avons de garder et d’embellir encore l’œuvre entreprise par Dieu (Gen 2:15). Quand l’homme sème de bonnes choses, il travaille dans le Royaume. Mais ce n’est pas toujours le cas et le roi Dieu se retrouve dans la même situation que le roi Charles IX face à la libre foi protestante qui lui semble être un poison dans son royaume. C’est ce qui nous arrive quand notre prochain nous déçoit, ou quand nous nous décevons nous-mêmes, ou quand la vie nous déçoit. L’idée d’aller arracher les ronces et les orties est la première réaction, c’est la méthode Saint-Barthélémy. Jésus nous dit qu’en faisant cela nous allons tout tuer, le bon avec le mauvais. D’abord parce qu’il n’y a pas des personnes-mauvaises-herbes qu’on pourrait envoyer en enfer et des personnes-bonnes-herbes qu’on pourrait envoyer au paradis, mais les racines du bien et du mal sont extrêmement mêlées en chacun de nous. Ensuite, dans ce travail de purification de chaque personne et de chaque communauté humaine, en en arrachant une mauvaise herbe, on laisse un trou ou 7 autres mauvaises herbes viendront se glisser rapidement (Mt 12:45), cela aussi invite à planter du positif plutôt que d’essayer d’arracher. D’autant plus qu’il n’est pas facile de distinguer les bonnes herbes des mauvaises tant que les fruits ne sont pas encore visibles. Je me souviens d’un jeune cambodgien qui faisait partie de nos scouts. Alors qu’il était un collégien de la ville, il avait été pris avec sa famille par les Khmers rouges, et placé en « rééducation » dans une rizière avec la mission d’arracher les mauvaises herbes. Durant sa première journée de travail, il a travaillé en se trompant de plante, gardant les jolis liserons et arrachant soigneusement les modestes pousses de riz. Charles IX n’est pas très bon non plus dans la lecture des bonnes et des mauvaises herbes. Et il est très mauvais en choisissant d’arracher. Même Dieu ne peut pas faire n’importe quand et n’importe comment le travail délicat de purification du monde. La pédagogie demande une vraie finesse. Il faut des moissonneurs, des professionnels pour cela, nous dit Jésus. Des professionnels envoyés par Dieu au bon moment pour moissonner, trier, et garder soigneusement le meilleur dans les greniers de Dieu. Quels sont ces moissonneurs ? Ce ne sont pas les personnes auxquelles Jésus parle ici, sinon, Jésus aurait dit dans son histoire « attendez et je vous direz quand et comment vous pourrez y aller ». Jésus ne se prend pas pour un moissonneur de Dieu (« moi, je ne juge personne » dit-il Jn. 3:17), mais il doit sentir le risque que les apôtres se prennent pour des chevaliers blancs, et il leur précise que les moissonneurs sont les anges de Dieu (Mat. 13:39). Les anges ne sont pas une catégorie d’invisibles bêtes à plumes. L’ange moissonneur, c’est la Parole de Dieu, c’est sa lumière, c’est amour de Dieu qui garde ce qui est le meilleur en nous et peut nous délivrer du mauvais. C’est par l’amour que Dieu nous rend capable de vivre qu’il peut aussi faire avancer cette purification. C’est par un travail de l’intérieur que Dieu cherche à ensemencer et à purifier le monde, et nous-mêmes. C’est ainsi qu’il travaille en Christ. Il ne coupe pas des têtes, il n’étripe personne. Il sème, il bénit, il annonce que le temps de la confiance est venu, il patiente, il aime. Mais même si l’on n’arrache pas, on peut se demander s’il ne faudrait pas une pédagogie plus ferme que celle de la Réforme protestante et sa liberté ? Elle a eu comme priorité de donner à tous, même au plus simple, la possibilité de pouvoir lire par eux-mêmes la Bible, les encouragent à avoir leur propre interprétation et une prière personnelle, cœur à cœur avec Dieu, le tutoyant comme un frère ! Cela a rendu immédiatement la foi plus sincère, plus authentique, plus confiante en Dieu. Très bien. Mais on comprend la crainte du roi devant la liberté de pensée de ses sujets. Mille risques nous viennent facilement à l’esprit. Ne faudrait-il pas mieux cadrer les choses, avec un bon contenu théologique et moral bien solide, ainsi que des règles qui baliseraient les points essentiels de la vie de tous les jours ? Est-ce qu’il ne faut pas motiver les gens au respect de ce cadre à coups de carottes et de bâtons ? Encadrer étroitement jusqu’aux penseurs, aux enseignants et aux ministres afin garder au maximum ce qui semble être la vérité du droit, de la pensée et de la religion ? N’est-ce pas là ce qui est le plus sage pour optimiser la paix et le salut du plus grand nombre ? En tout cas, ce n’est pas la pédagogie que propose le Christ à travers ses paroles et ses actes. En effet, le contenu même des paroles de Jésus est aux antipodes d’une somme théologique, morale et religieuse. Ses paroles et ses actes posent mille questions. Ce n’est pas un savoir prêt à penser et à suivre dans l’obéissance, c’est plus un discours sur la méthode, une façon d’être. En gros, ce que Jésus propose est bien résumé dans la première phrase de son sermon sur la montagne(Matthieu 5) : « Heureux les pauvres en Esprit,
Et dans l’Évangile, nous voyons Jésus agir. Il apporte un coup de pouce, une guérison, un enseignement, un pardon, un encouragement, puis il conclut par un « Vas en paix » sur ton propre chemin. Il n’enferme pas dans une loi, dans des choses à faire, dans des rites, dans des dogmes, dans un chemin tout tracé. De toute façon, l’essentiel ne se commande pas. On ne peut pas contraindre quelqu’un par la menace à faire confiance à Dieu, c’est contradictoire. On ne peut pas commander l’ouverture du cœur à l’espérance, ni la compassion pour les autres. On ne peut pas commander à quelqu’un d’avoir la paix en lui-même. Et pourtant, nous avons besoin de repères, nous avons besoin d’affirmations théologiques, besoin de catéchismes pour témoigner, besoin de rites et de pratiques pour nous entraîner… certes mais à la condition qu’ils ne prennent pas la place de ces cadres que Jésus s’est lui-même refusé de nous donner. C’est excellent qu’il ne nous ait pas donné ces outils de base dont nous avons besoin. C’est à nous de les construire au jour le jour, et nous savons très bien alors que ce sont des outils créés par des hommes dans des circonstances données, qu’ils sont à personnaliser. Quelle pédagogie est-ce que Jésus propose pour faire face à la mauvaise graine qui pousse parfois dans l’humanité ? Il propose d’agir comme Dieu et avec Dieu. De l’intérieur, en semant du bien et du bon, en cultivant, développant, valorisant, en encourageant tout ce qui est bon dans l’autre jusqu’à ce que ça porte du fruit, et l’aimer, ce fruit, et nous en réjouir, d’autant plus qu’il est chez une personne, une communauté, une église, un parti, un peuple qui n’est pas parfait. On se fait ainsi une arme de tout ce qui est positif, de toute bonne idée, de tout bon geste, de toute étincelle de foi. C’est ainsi que Paul cherche à aider son excellent Timothée qui a manifestement un peu les batteries à plat. Il commence par lui dire l’affection qu’il a pour lui. Nous ne le faisons pas assez. Ensuite, puisqu’il est question de regonfler Timothée dans sa foi, il lui dit qu’il n’y a en Dieu que pure bienveillance gratuite. Ça ouvre effectivement les bases d’une confiance en Dieu, aux antipodes de toute menace d’un dieu terrible. Paul fait ensuite appel à la mémoire de ce qu’il y a eu meilleur dans le souvenir de Timothée. D’abord dans la foi et dans les actes de foi de ses propres ancêtres et de ceux de Timothée. Et Paul invite Timothée à se nourrir, à s’inspirer de leurs fois sincères et vivantes. Pourtant, ces ancêtres n’étaient pas chrétiens, ils étaient juifs, leur théologie et leur pratique religieuse étaient différentes de celles qu’ont alors Paul et Timothée. Mais au-delà de la théologie et de la religion, Paul invite à reconnaître la foi de ceux qui nous ont aimé, sans s’arrêter à l’accessoire. Paul fait mémoire ensuite de la foi sincère de Timothée et des moments d’émotion partagée. Là encore, ce qui est valorisé est essentiellement la sincérité et la profondeur d’un cœur qui se tourne vers Dieu. Ce n’est pas que Paul méprise la théologie ou la religion, il travaille cela aussi dans la suite de la lettre, mais ce sont plus pour lui plus des outils au service de « la foi sincère ». Comme ce geste de « l’imposition des mains » que Paul a fait sur Timothée quand il a choisi de vivre par la foi du Christ. Ce n’est pas le geste qui fait vivre, c’est le don de Dieu comme une flamme de feu qui éclaire et purifie. Le geste est un simple moyen qui invite à se laisser créer par Dieu. Là encore, le salut n’est pas une question d’être marqué dans un registre, ni sur terre ni au ciel, mais d’être au bénéfice de son action. Le geste a été utile, tant mieux. Maintenant, Timothée aurait bien besoin encore d’un petit coup de flamme du don de Dieu. Mais Peu importe que le geste d’imposition des mains ne soit pas possible à cause de la distance, la parole peut agir également, la parole agira même peut-être mieux pour telle personne, à tel moment de sa vie qu’un geste liturgique. Cette Parole, que Paul offre à Timothée, c’est : Dieu ne nous a pas donné un Esprit de crainte, mais La pédagogie du dressage, avec un cadre fixe et des sanctions nous donne un esprit de crainte. Or, comme le disent et le répètent Paul et Jean, nous ne sommes plus sous la crainte de Dieu, son amour parfait révélé en Christ a chassé la crainte. Cette confiance nous donne est un Esprit de force. C’est vrai que nous avons tous des moments de découragement, comme Timothée, et que nous avons besoin des uns des autres et de Dieu. « Il est pour nous, qui sera contre nous ?… Nous serons plus que vainqueur par celui qui nous a aimé » (Rom. 8 :31-39) Mais l’Esprit de Dieu est aussi un Esprit de force car nous sommes avec lui dans la confiance, conscient de notre dignité, conscient qu’il nous appelle à inventer, innover, créer, oser nous poser des questions et apporter des réponses nouvelles… Un esprit de force mais aussi d’amour, pas un Esprit de force pour persécuter au nom de la Vérité et de la justice, mais quelque chose de la force de Jésus-Christ qui s’engage par amour, qui a le courage de ne pas se faire que des amis mais par amour. Un Esprit de force et d’amour, Paul ajoute un Esprit de bon sens. La force, l’amour et le bon sens. Trois dons de Dieu excellents. Une trinité gagnante face à la méchanceté. Une pédagogie divine refusant absolument l’idée même de meurtre au nom de Dieu, aussi bien dans ce monde que dans le monde à venir, car Dieu est le Dieu de la vie. Amen. Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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