Une théologie du champ

( Ésaïe 28:23-29 )

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Culte du dimanche 1er septembre 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, loin de notre condition de citadin, la promenade agraire que nous propose le prophète Esaïe préfigure des paraboles que Jésus racontera à son auditoire pour mettre en lumière ce qu’est le royaume de Dieu. Plus complète, plus précise que la parabole du semeur ou que la parabole de la graine de moutarde, cette description du travail de l’agriculteur esquisse une théologie du champ qui nous permet de repenser ce qu’est l’acte théologique, d’une part, et d’offrir un enseignement propre à exprimer une vérité sur Dieu.

Tous théologiens

Avec Esaïe, avec Jésus, pour ne prendre que deux exemples, faire de la théologie est une activité à la portée de tous. Certes, nous ne sommes pas tous experts en agriculture, et je pense ne pas avoir été le seul à apprendre qu’on bat l’aneth avec le bâton et le cumin avec la verge ou qu’il faut placer l’épeautre sur les bords. Mais pour le lecteur contemporain d’Esaïe, cela n’avait rien d’une révélation. C’était connu. Cela faisait partie d’un savoir commun. Esaïe se réfère donc à une expérience commune, à laquelle tout un chacun a accès.

Pour l’heure, vous n’avez peut-être pas encore bien conscience que le prophète Esaïe offre un enseignement de fond sur Dieu à travers cette description des travaux des champs, mais vous pouvez accepter qu’Esaïe rejoint son lecteur dans l’univers culturel qui est le sien. En me hasardant à faire une transposition, je suppose que s’il s’était adressé à nous aujourd’hui, dans ce lieu, Esaïe aurait parlé de l’usage des transports en Île de France. Autrement dit, Esaïe fait de la théologie à partir de la vie quotidienne. Nous pourrions même dire qu’il enracine sa théologie dans la vie courante. Il ne parle pas de Dieu à partir d’une révélation personnelle, ni à partir des déductions qu’il tire d’une étude de textes qui deviendront les textes bibliques. Son discours est pratique avant d’être théorique.

Esaïe est donc d’abord un observateur de son temps. Cela peut être vrai pour chacun de nous. Nous sommes tous en mesure d’ouvrir les yeux sur notre environnement, mais le fait est que nous le faisons rarement. Au fil des discussions que j’ai avec les uns et les autres, lorsque je m’interroge sur la manière dont moi-même j’élabore mes convictions, je constate que nous sous-traitons largement notre pensée. Nous mixons des analyses réalisées par d’autres, que nous agrémentons de commentaires piochés ici ou là. Ce que nous faisons, c’est essentiellement recycler les idées qui circulent en sélectionnant ce qui nous convient, ce qui nous semble probable, crédible. Mais il est rare que nous utilisions vraiment nos propres observations. Il est rare que nous mettions vraiment à profit nos propres expertises. Cela est compréhensible pour penser ce à quoi nous n’avons pas accès directement, par exemple pour nous forger une conviction sur ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire par rapport à la Syrie. Lorsque nous n’avons pas de données de première main, nous sommes bien obligés de nous reporter sur des sources indirectes avec lesquelles il faudra exercer notre esprit critique pour distinguer le faux du véridique.

Mais pour penser notre vie, pour penser les questions qui nous touchent d’une manière ou d’une autre, pourquoi se réfugier derrière les analyses d’autrui lorsqu’il nous est possible de penser par nous-mêmes, en premier lieu ? En affirmant que nous sommes tous théologiens, le professeur Raphaël Picon donnait raison à Esaïe qui, en développant une théologie du champ, atteste que nul n’est empêché de produire un discours théologique au prétexte qu’il ne serait pas diplômé en théologie. En prenant le cas du physicien Newton, je vous accorde que je ne prends pas le premier venu, il est intéressant de se rappeler que ses travaux ne relevaient pas de ce qu’on nomme aujourd’hui la physique, mais de la « philosophie naturelle ». Newton tirait des enseignements de ses observations, de ses calculs. Et s’il a innové, s’il a permis de faire avancer notre connaissance du monde, c’est bien parce qu’il ne s’est pas contenté de recycler les idées de son temps ; c’est bien parce qu’il a frayé son propre chemin, ouvrant des voies qui permettraient bien d’autres découvertes plus tard.

Quelle est la voie que le prophète Esaïe ouvre en observant les travaux des champs ? Quelle théologie développe-t-il en scrutant la campagne ?

Ce que le prophète dit de Dieu

  1. La part de Dieu

Tout d’abord, Esaïe s’efforce de repérer là où Dieu intervient dans le domaine de l’agriculture. Pour le prophète, Dieu n’est pas un paysan ; ce n’est pas lui qui laboure, qui sème, qui tasse, ni qui pousse à la roue. Selon Esaïe, Dieu est à l’origine de la science de l’agriculteur : « Son Dieu le corrige pour le jugement ; il l’instruit » et à la fin du passage, au sujet de Dieu : « admirable est son conseil, et grande est sa sagesse ». Ici, Dieu est réputé être l’origine du savoir de l’agriculteur qui va adapter son geste à ce qu’il cultive. Dieu est à l’origine du geste adapté, du geste juste, du geste qui permet à l’homme de faire croître son activité. Dieu est repéré à l’origine de l’harmonie qui règne dans le champ cultivé.

Est-ce à dire que Dieu a expliqué par le détail à l’agriculteur ce qu’il devait faire pour obtenir une bonne récolte, de la même manière qu’il dirait au cuisinier ce qu’il doit faire pour préparer un bon repas ? Cela, c’est l’idée traditionnelle au sujet de l’intervention divine dans notre histoire : Dieu nous dirait ce qu’il faut faire pour que ça marche. Mais Esaïe dit autre chose : « Son Dieu corrige pour le jugement ; il l’instruit » (v. 26). Autrement dit, Dieu n’est pas celui qui délivre la vérité qui doit être appliquée à la lettre ; Esaïe appelle Dieu cette capacité qu’a l’homme de corriger ses erreurs, de progresser dans une meilleure connaissance de son activité et d’atteindre une harmonie telle avec son environnement que la vie peut se développer et multiplier. Esaïe nomme Dieu cette capacité de l’homme à ne pas se contenter d’un résultat médiocre, cette capacité à ne pas considérer comme fatal un manque de succès dans son entreprise. Esaïe nomme Dieu cette capacité de l’homme à porter plus loin ses espoirs parce que son regard ne tient pas compte seulement de sa première appréciation, mais aussi d’une parole à laquelle il fait confiance et qui lui dit qu’autre chose que ce qu’il constate immédiatement est possible.

Esaïe appelle Dieu cette longue succession d’expérimentations, d’essais, de corrections, d’ajustements, d’adaptations, qui ont permis aux cultivateurs de son époque d’être plus affutés. Ce qui est vrai pour l’agriculture est vrai aussi pour tous les autres aspects de notre existence, qu’il s’agisse de la navigation, de la construction, de la justice, de l’amour, de l’éducation. Je ne dis pas que pour Esaïe Dieu serait une flèche du temps qui nous conduirait inexorablement par le chemin du progrès. Esaïe nomme Dieu cette capacité de l’homme à adapter ses réponses aux questions qui se posent à lui. Contre le « on a toujours fait comme ça », Esaïe propose une théologie du champ qui formule « nous sommes capables d’ajuster nos propos, nos actes, aux situations auxquelles nous sommes affrontés ».

  1. Pluralité des modes opératoires divins

Ceci a une conséquence que je formule en ces termes : il y a une pluralité de modes opératoires divins. En nous présentant les différentes manières de cultiver les différentes plantations et en reliant cela au divin, Esaïe souligne la diversité des manières de faire. Quelqu’un comme moi qui n’est pas tout à fait le dernier des imbéciles aurait tendance à traiter de la même manière l’aneth, le cumin, le blé, l’orge, les tournesols, les radis, le lin etc. Force est de constater que si je suis un piètre jardinier, c’est parce que je ne tiens pas compte de la spécificité de chaque graine que je mets en terre. Le bon paysan, lui, sait qu’il ne faut pas agir de la même manière avec chacune. Mais sait-il lui, qu’il vaut mieux adapter sa pédagogie selon ses enfants ? Pour Esaïe, Dieu ne désigne pas une mécanique aveugle qui agirait systématiquement de la même manière, en tout temps et en tous lieux. « On bat le blé, mais on ne le bat pas toujours », dit Esaïe. On peut vouloir une baisse d’impôts, mais on ne peut pas demander que les impôts baissent en permanence (ne serait-ce que parce qu’il ne serait pas possible de les baisser s’ils étaient nuls). De même qu’on ne peut pas baisser toujours les taux directeurs, preuve en est actuellement.

Esaïe, nomme Dieu, cette capacité de l’homme à apporter des réponses adaptées aux situations. C’est là un enseignement théologique qui pourrait nous aider à considérer et reconsidérer bien des domaines. Il est actuellement question de réforme de la justice. D’un point de vue théologique, à la suite d’Esaïe, nous pourrions dire que la justice ne peut être aveugle, mais qu’elle doit tenir compte des individus, des personnalités. Dans un registre plus léger, nous qui voulons que le PSG soit à nouveau champion de France et que le bouclier de Brennus se joue entre le Stade français et le Racing Club de France, il faudra que toutes ces équipes tiennent compte de leurs adversaires pour développer leurs schémas tactiques. J’ai évoqué la situation de la Syrie, il est normal que la politique étrangère d’un pays soit circonstanciée, sinon cela fait longtemps qu’il aurait fallu attaquer la majorité des pays de la planète et nous avec.

Cette théologie du champ est une théologie qui ne sort pas des livres, qui ne sort pas des institutions. C’est une théologie produite par notre expertise, par notre analyse. C’est une théologie dans laquelle nous avons injecté notre savoir. C’est donc une théologie enrichie de notre expérience. C’est une théologie de la pluralité qui rompt inévitablement avec le régime de la pensée unique et du prêt à penser. C’est une théologie où l’homme, même sans titre de noblesse, peut-être un pasteur inconnu d’une bourgade obscure de l’Alabama, accepte de se laisser saisir par une question et d’y réagir non pas avec les seules réponses d’autrefois, mais avec cette capacité d’innovation, avec cette liberté d’action, qu’en protestantisme, nous appelons l’Eternel.

Amen

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2

Lecture de la Bible

Esaïe 28:23-29

Prêtez l’oreille, et écoutez ma voix!
Soyez attentifs, et écoutez ma parole!
24 Celui qui laboure pour semer laboure-t-il toujours?
Ouvre-t-il et brise-t-il toujours son terrain?
25 N’est-ce pas après en avoir aplani la surface
Qu’il répand de la nielle et sème du cumin;
Qu’il met le froment par rangées,
L’orge à une place marquée,
Et l’épeautre sur les bords?
26 Son Dieu lui a enseigné la marche à suivre,
Il lui a donné ses instructions.
27 On ne foule pas la nielle avec le traîneau,
Et la roue du chariot ne passe pas sur le cumin;
Mais on bat la nielle avec le bâton,
Et le cumin avec la verge.
28 On bat le blé,
Mais on ne le bat pas toujours;
On y pousse la roue du chariot et les chevaux,
Mais on ne l’écrase pas.
29 Cela aussi vient de l’Eternel des armées;
Admirable est son conseil, et grande est sa sagesse.