L'huile multipliée

( 2 Rois 4:1-7 ; Mat 6:6-13 ; Matthieu 12:38-45 )

Culte du 10 mai 2009 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

La femme crie à Élisée, en disant : «  Ton serviteur mon mari est mort, et tu sais que ton serviteur respectait l'Éternel ; or j’ai tellement de dettes qu’on est venu pour prendre mes deux enfants et en faire des esclaves. »

Ce texte est écrit pour chacun de nous (Psaume 40:7). C’est le principe même de la Bible, et c’est un fait d’expérience, chaque texte a quelque chose à nous apporter. Mais comment nous identifier à cette femme veuve qu’un prophète arrive à aider grâce à un miracle incroyable ? Pour le comprendre, nous pouvons utiliser la Bible elle-même pour éclairer ce passage. Dans la Bible, le mariage est une des images très fréquentes de notre relation à Dieu, présentée comme une alliance basée sur l’amour et la fidélité mutuelle. Les enfants évoquent la richesse de vie que produit cette alliance de Dieu, une vie qui naît dans notre cœur, dans notre espérance, dans nos idées et nos actions quand nous avons cette vraie belle relation à Dieu.

Notre texte commence sur une situation bien moins rose. La femme, qui est une figure de nous-mêmes, a perdu son mari, et ses enfants sont menacés d’être vendus comme esclaves. Elle est veuve d’un mari qui était très proche de Dieu, un prophète. Cette situation évoque la perte de la foi, une foi très riche, très vivante, comme si l’Esprit de Dieu l’accompagnait chaque jour dans les grandes et petites choses de la vie.

Effectivement, comme le suggère cette histoire, il est possible de perdre la foi. Ailleurs dans la Bible, il y a des textes qui nous parlent de personnes qui choisissent de perdre la foi, comme on trompe son conjoint. Mais ici, ce n’est pas le problème de cette femme, sa foi, sa relation à Dieu est morte comme on perd quelqu’un que l’on aime, sans que l’on y soit pour rien. Cela peut arriver, je connais des gens qui ont trop souffert, trop injustement, et qui perdent la foi. Cela arrive aussi à des personnes qui avaient hérité d’une théologie qui ne tient pas debout, ou qui avaient une foi trop purement sentimentale… ou pour tout autre raison, il peut arriver que l’on ait l’impression d’avoir perdu la foi.

Le texte nous montre la souffrance de cette femme. Ayant perdu la foi, ayant perdu cet amour qu’est la présence vivante de Dieu, elle tombe, comme accablée de dettes, son espérance et sa vie sont comme vendues, transformées en esclaves. Cela aussi, nous le rencontrons, malheureusement, des personnes saturées de malheur, qui, perdant la foi se sentent comme cela, dans une dette terrible, se demandent « qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? » ou ressentent un sentiment de culpabilité, comme s’ils étaient coupables de l’ouragan qui a détruit leur maison ou de la mort de leur proche enlevé par la maladie… Cela se comprend peut-être du point de vue psychologique, mais quand on le vit c’est très dur. Ce n’est pas seulement la foi qui est atteinte mais c’est en nous la source de la grâce et de la gratitude qui est comme tarie, et qui est remplacée par une logique de la servitude et de la dette.

Cette histoire de la pauvre veuve sauvé nous dit que l’on peut s’en sortir. Si l’on perd la foi, ou si l’on a le sentiment de ne jamais avoir eu la foi, il est possible de s’en sortir.

  • D’abord, comme Élysée est là au bon moment, Dieu est là auprès de nous.
  • La femme parle à Élisée le prophète, elle lui dit son problème, elle crie sa souffrance.

Quand nous avons un problème spirituel nous pouvons toujours prier. Cela peut paraître bizarre, comme conseil, de dire de prier à quelqu’un qui n’a plus la foi, mais c'était tout aussi bizarre de demander à un prophète de régler ses problèmes d'argent, comme s'il était du genre à avoir une valise de billets de banques.

Mais en réalité, oui, on peut prier quand on n'a pas la foi. C'est possible. C'est même une excellente idée si l’on veut avoir la foi.

Mais peut-être que vous vous demandez pourquoi je pense que la démarche de cette femme, lue sur le plan spirituel, nous invite à prier Dieu, plutôt que d'aller voir un professionnel de la religion comme elle semble le faire. C’est parce qu’en Jésus-Christ, c'est chacun de nous, et c’est tous ensemble que nous sommes prophètes. Chaque personne de l'humanité est appelée à se découvrir prophète, et donc capable de prier Dieu et de recevoir son Esprit. Le premier des prophètes que nous pouvons aller voir, c'est nous-mêmes, ou plutôt c'est Dieu qui habite en nous par son Esprit. Ensuite, pour compléter et pour vérifier ce que l’on pense avoir reçu, il est bon de demander à d'autres prophètes, à d’autres personnes que l’on sait être un peu en relation avec Dieu...

Comme la femme appelle Élysée, nous pouvons prier et demander à d’autres de prier pour nous et de nous dire ce qu’ils en pensent. Elle expose clairement, simplement sa situation, sans rien demander : « Mon mari, ton serviteur est mort, tu sais qu'il aimait Dieu - mon amour de Dieu, ma foi en Dieu ont disparu - et le créancier est venu pour prendre mes deux enfants et en faire ses esclaves -tout est dette, culpabilité, souffrance, esclavage dans mon cœur- » J'aime bien la façon de prier de cette femme. Elle dit simplement à Dieu de son problème, mais même quand Élisée insiste pour lui demander ce qu'elle veut qu'il fasse, elle ne demande rien, n’ordonne rien. Elle est ainsi ouverte à toutes les solutions. Dieu a une imagination incroyable, avec lui on peut s'attendre à des choses auxquelles nous n'aurions jamais pensé.

Quelle est la réponse d’Élisée ? Il ne semble pas s’intéresser à ce qui manque à la femme, mais il lui dit de commencer par chercher ce qu'elle a encore comme richesse intérieure: «  Qu'as-tu dans ta maison ? » Il renverse sa façon de voir l'existence. Elle était concentrée sur ce qui lui manquait, il l’aide à découvrir sa richesse, aussi petite soit elle, pour construire à partir de ça.

Sur le simple point de vue pratique, ce changement de perspective est une formidable clé pour avancer. C'est vrai, mais le problème c'est que quand on va mal, on n'a souvent pas la force de voir les choses ainsi, positivement. C'est pourquoi le simple conseil ne suffit pas, ce dont nous avons besoin c'est d'une sorte de guérison de notre regard sur nous-mêmes, sur les autres et sur la vie. C'est le premier miracle de cette histoire, être capable de chercher et savoir reconnaître nos petites bénédictions négligées. C’est le premier exaucement de la prière, le premier miracle, une conversion que nous pouvons vraiment attendre de Dieu, comme une résurrection, quelque chose qui n’a plus ensuite qu’à grandir petit à petit.

Quand plus rien ne va, nous dit cette histoire, il nous reste nécessairement au moins un petit peu d'huile et deux enfants, comme à cette femme. Or dans la Bible, l'huile et les enfants évoquent les dons de Dieu : qu l’on appelle cela sa bénédiction, sa Parole, ou notre vie spirituelle. Personne n’est si nul ni si mauvais qu’il serait totalement dénué de la plus infime trace de cette qualité d’être qui vient de Dieu.

C’est le point de départ. Ensuite, Élisée lui dit d'aller « chercher des récipients vides ». Normalement, on s'attendrait à ce qu’il lui dise d'aller demander de l'huile à ses voisins. Mais non, ce dont elle manque c'est de l'espace pour que sa propre huile puisse être multipliée.

Nos vies manquent de capacité à accueillir, à chercher, à demander. Et c'est finalement un peu de ce vide que la veuve va trouver en allant voir les autres et c’est dans ce vide-là que sa bénédiction sera multipliée. Ce n'est pas dans le vide de la perte de son mari, ce n’est pas dans le vide subi, comme le vide qu’est le manque de travail, ou le manque d’espérance, ou le vide qu’est un dégoût de tout. Mais le bon vide, elle le trouvera en allant chez les autres, tous les autres sans distinction, nous dit le texte et en recherchant leur vide à eux. Non pour se réjouir ou se consoler du malheur des autres, mais parce que c’est ainsi que la bénédiction pourra être multipliée.

Dieu ne demande pas mieux que de la multiplier en nous la foi, la capacité à aimer, à espérer. Même quand nous sommes au plus mal comme cette femme, il y a déjà suffisamment de ces vraies richesses en nous, mais pour se multiplier il leur faut de l’espace, il leur faut une assez d’ouverture aux besoins des autres, pas seulement à nos propres besoins.

Nous avons alors un petit reste de bénédiction et l’énorme collection de nos pauvretés et de celles de nos proches.

Élisée lui dit alors de rentrer chez elle, et de fermer sa porte. Cela fait penser à ce texte de l’Évangile selon Matthieu où Jésus nous dit : «  Quand tu pries, entres dans ta chambre, fermes ta porte, et pries ton père qui est là dans le secret ». La prière est une recherche personnelle où, pour un temps, on cesse d'agir, où l’on cesse d'être avec les autres, où l’on arrête de donner et de recevoir des autres. La prière est un moment de recueillement où nous sommes seul avec Dieu qui est là comme en secret, et avec lui nous nous plaçons devant nous-mêmes, devant le sens de notre existence, devant notre richesse intérieure petite mais bien réelle, devant nos manques et devant ceux des autres, immenses mais que notre capacité à aimer et à espérer suffit à remplir.

« Ferme ta porte, et prie ton père qui est là dans le secret »: dans l'urgence d'une situation, l'urgence est parfois de ne pas agir, mais d'approfondir son être grâce à Dieu.

Et la femme accumule ainsi, peu à peu, un trésor de bénédiction, trésor de capacité à aimer et à espérer, trésor de foi qui vient de son meilleur fonds, trésor miraculeusement multiplié par Dieu. Mais ce trésor qu’elle vient de recevoir, elle a encore une fois la sagesse de s’en remettre à Dieu pour savoir ce qu’elle doit en faire.

Élisée dit  « Va vendre cette huile, donne la à tous ceux auxquels tu dois quelque chose. » Ceux que tu as blessé, peut-être, ceux qui t’ont confié leurs manques, ceux que tu as à cœur d’aider… Puis le prophète ajoute « Tu vivras, toi et tes enfants, de ce qui reste » Avec les trésors spirituels, c’est ça le miracle, il en reste toujours un peu. Ils resteront même éternellement.

Mais après ce temps de travail de reconstruction spirituelle, le temps vient alors du geste concret, avec nos mains, notre bouche et nos pieds, avec notre argent, notre temps et nos dons. Avec ces ressources limitées, nous avons à soigner nos frères et sœurs, et à nous soigner également nous-mêmes. Dans ce domaine, évidemment, les forces sont limitées, les ressources matérielles n’étant pas comme les richesses spirituelles. Quand on partage 10 € entre deux personnes, chacune a, en moyenne, 5 €. Alors que quand on donne 10 unités de richesse spirituelle, chacun repart souvent avec 20 unités ! Notre action en ce monde est donc limitée, mais justement, là qu’il faut des trésors de sagesse, pour savoir que faire, pour savoir aussi assumer le fait que nous faisions si peu, et pour remercier Dieu d’avoir pu faire autant.

Amen

 

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2

Lecture de la Bible

2 Rois 4:1-7

Une femme d’entre les femmes des fils des prophètes cria à Elisée, en disant: Ton serviteur mon mari est mort, et tu sais que ton serviteur craignait l’Eternel; or le créancier est venu pour prendre mes deux enfants et en faire ses esclaves.

2 Elisée lui dit: Que puis-je faire pour toi? Dis-moi, qu’as-tu à la maison?

Elle répondit: Ta servante n’a rien du tout à la maison qu’un vase d’huile.

3 Et il dit: Va demander au dehors des vases chez tous tes voisins, des vases vides, et n’en demande pas un petit nombre. 4 Quand tu seras rentrée, tu fermeras la porte sur toi et sur tes enfants; tu verseras dans tous ces vases, et tu mettras de côté ceux qui seront pleins.

5 Alors elle le quitta. Elle ferma la porte sur elle et sur ses enfants; ils lui présentaient les vases, et elle versait. 6 Lorsque les vases furent pleins, elle dit à son fils: Présente-moi encore un vase. Mais il lui répondit: Il n’y a plus de vase. Et l’huile s’arrêta.

7 Elle alla le rapporter à l’homme de Dieu, et il dit: Va vendre l’huile, et paie ta dette; et tu vivras, toi et tes fils, de ce qui restera.