Faisons corps(1 Corinthiens 12:12-27) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 27 février 2011 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, le corps a souvent été malmené par bien des traditions chrétiennes. Qu’il s’agisse des mortifications que certains s’infligent pour punir le corps considéré comme l’instrument du péché ou qu’il s’agisse des privations que d’autres s’imposent pour se libérer d’un corps qui serait un frein au plein épanouissement de l’esprit, le corps a été parfois perçu comme une prison dont il fallait se libérer. Le corps a été perçu comme bien inférieur à l’âme qui méritait, seule, toute notre considération. 1. un regard positif sur le corpsCette approche dédaigneuse du corps n’est pas biblique. Et nous le voyons bien avec ce passage de la lettre de Paul aux Corinthiens qui utilise l’image du corps humain pour exprimer sa compréhension de l’humanité. Ce regard positif sur le corps s’inscrit dans le droit fil de l’attitude de Jésus-Christ qui prenait soin des corps de celles et ceux qu’ils rencontraient ; Jésus qui ne s’adressait pas seulement à l’intelligence de ses interlocuteurs mais à tout leur être, leur prodiguant des soins corporels lorsque cela était nécessaire, s’adressant sans hésitation à leurs infirmités. Cela, l’armée du salut l’a fort bien qui compris en affirmant qu’il n’est pas possible de parler du salut sans offrir aussi de la soupe et du savon, c’est-à-dire sans prendre du soin du corps. Ce regard éminemment positif posé sur le corps humain, sur la chair, trouve sa source dans la vision biblique de l’homme qui, a proprement parler, n’a pas un corps mais qui est un corps. L’homme n’est pas recouvert de chair, il est chair. Quant à la distinction corps et âme, elle n’est pas matérielle dans la Bible. L’âme n’est pas la partie noble de l’homme, emprisonnée dans un corps de chair qui ne serait qu’un pis aller. L’homme est un corps charnel et il est question de l’âme toutes les fois où l’homme charnel se tourne vers Dieu, lorsqu’il vit devant Dieu. L’âme est cette capacité du vivant à se tenir devant Dieu et non une zone précieuse que l’on pourrait un jour mettre au bout du scalpel. Ce regard positif sur le corps se trouve dans les grandes expressions de la foi chrétienne que sont Noël, l’autre nom de l’incarnation, le fait que l’Evangile prenne corps dans l’histoire des hommes, et Pâques qui annonce la résurrection de la chair, ce que nous pouvons comprendre comme l’attention que Dieu porte à l’ensemble de notre vie, notamment à ses aspects matériels et non seulement à nos belles idées, à nos belles convictions. Ce regard positif sur le corps, c’est donc un regard positif sur tout ce qui fait notre vie quotidienne. Les sentiments, les sensations, ce que Paul évoque en parlant de la souffrance et de la joie (v. 26), et qui peuvent apparaître comme très secondaires, sont, au contraire, mis en lumière car ils font partie intégrante de ce que nous sommes. Ni Paul, ni les autres auteurs bibliques n’ont une vision éthérée de la vie humaine. Il est bien plutôt question de faire en sorte que nos rêves, nos projets prennent corps, s’incarnent car c’est ainsi, et ainsi seulement, que nous pouvons faire histoire. 2. solidarité – soutienUn tel regard positif sur notre corps n’est toutefois pas sans risque. En effet, en valorisant le corps, nous courons le risque d’en faire un produit fini qui se suffit à lui-même. Nous voyons régulièrement à quel point une valorisation du corps peut conduire certains à un culte du corps et à une course effrénée vers un corps parfait. Le culte du corps parfait s’accompagne souvent de l’illusion de l’éternelle jeunesse et enferme celui qui s’y adonne dans une obsession intérieure. La seule chose qui compte c’est soi, et rien d’autre. Rapidement, l’adorateur du corps parfait franchit le cap de l’individualisme. C’est particulièrement vrai pour ceux qui souffrent d’anorexie et qui s’enferment dans leur terrible quête d’une ligne qu’ils pensent idéale, mais c’est vrai aussi pour ceux qui souffrent de « bodybuildisme » ou d’interventionnisme chirurgical aigu. Du point de vue biblique, il ne s’agit pas de survaloriser le corps au point de se noyer dans le narcissisme, mais de considérer que le corps est ce qui nous permet d’être en relation avec notre environnement, à commencer par les autres être humains. Nous sommes corps pour établir des relations avec ceux qui sont autour de nous, autrement dit pour être une personne, la personne étant un individu en relation avec autrui. S’il n’était pas question, dans l’espérance de Dieu, que nous soyons en relation les uns avec les autres, effectivement, notre corps ne nous servirait à rien et nous pourrions le mépriser sans autre forme de procès. Mais Dieu ne nous envisage pas comme des ilots n’ayant rien à faire les uns des autres : Dieu nous espère à tout le moins archipel, formant un ensemble interdépendant. Dieu nous espère prenant soin les uns des autres, liés par une communauté de vie comme le sont tous les membres d’un même corps. Oui, ce que Dieu espère, c’est que nous fassions corps, véritablement, à la manière d’un corps humain, à la manière d’un corps social, à la manière d’un corps ecclésiastique ou de toutes les formes de corps que nous pouvons envisager. Faire corps, c’est-à-dire éprouver un sentiment de solidarité les uns envers les autres. En développant cette image du corps dont nous sommes les membres, Paul présente un portrait de l’homme qui ne saurait vivre dans l’indifférence de ce qui se passe autour de lui. Parce qu’il est chair, l’homme est en interaction permanente et vit au rythme de son entourage, des autres membres du corps. Il fait corps avec eux. Dans son fameux discours de 1963 prononcé sur les marches du mémorial Lincoln à Washington, le pasteur Martin Luther King disait cela en affirmant « Nous ne saurons être satisfaits tant qu'un Noir en Mississippi n'a pas le droit de voter. » Nul ne saurait être libre tant qu’un seul ne l’est pas. Si l’Eternel nous invite à faire corps, c’est pour nous soutenir les uns les autres, pour que les plus faibles ne désespèrent pas de leur situation, mais qu’ils trouvent auprès des plus forts l’aide dont ils ont besoin, à la manière des membres que l’on peut estimer les moins honorables du corps et qui, pourtant, sont entourés d’un grand honneur (ou les membres les moins décents qui sont traités avec le plus de décence v. 23). Si Karl Marx disait que la force d’une chaîne se mesure à son maillon le plus faible, l’apôtre Paul avance que la grandeur d’une société se mesure au soin qu’elle porte à ses éléments les plus faibles. Ici, le fort ne voit pas dans le faible un être nuisible mais l’occasion de développer une énergie plus grande pour apporter au faible les soins qui lui sont nécessaires. En rapportant cette conviction à l’acte du baptême, Paul proclame que notre condition initiale (juif, grec, homme, femme, esclave, bien portant, démuni, hispanophone, aristocrate, alcoolique, gueule cassée…) est sublimée par le fait que nous valons encore bien plus que cela, du fait même de notre appartenance à ce corps divin, à ce corps du Christ. Le baptême nous révèle que nous sommes toutes et tous liés les uns aux autres, en interaction permanente. Cette vision de l’homme permet de fonder une morale car ce que je fais aux uns, c’est à moi aussi que je le fais ou, pour le dire avec les mots de Dietrich Bonhoeffer, blesser quelqu’un, c’est défigurer le Christ. 3. solidarité – enrichissementCette vision de l’homme en relation d’interdépendance avec les autres n’est pas seulement une manière de promouvoir une solidarité d’entraide et de permettre un nivellement par le haut. Notons qu’il ne s’agit pas seulement de nous relier les uns aux autres, mais aussi de donner à chacun une place spécifique. En écrivant que Dieu a placé chacun des membres dans le corps comme il l’a voulu, Paul nous rend attentif au fait que Dieu n’en finit pas de créer le monde selon les termes du début du livre de la Genèse, donnant à chacun une place spécifique et un sens à son existence. Il ne s’agit de rien de moins que du grand thème de la vocation personnelle, cet appel par lequel Dieu nous invite à faire quelque chose de notre condition, de nos talents, de nos capacités propres. Oui, l’humanité est une foule bigarrée dont nous sommes un bien beau visage, ce matin encore, tous différents les uns des autres, non seulement du fait de notre couleur de peau, de notre taille, de nos capacités physiques, mais aussi de nos intérêts, de nos talents, de nos fonctions. Non, certainement, Dieu n’attend pas de nous que nous ne soyons qu’un grand cerveau bien fait. Il nous espère avec des oreilles et des yeux ouverts sur le monde, avec des mains tendues vers notre prochain, avec des pieds et des jambes disponibles pour aller à la rencontre des autres, avec un cœur gros comme ça pour être assez endurant, avec des nerfs assez vifs pour être sensibles aux frémissements de l’histoire. Si tout le monde était pareil, fait sur le même modèle, si nous étions tous conformes les uns aux autres, ce ne serait pas seulement triste à mourir, ce serait un appauvrissement terrible de l’univers. Ce serait la fin des interactions créatives, la fin des écarts différentiels au creux desquelles l’énergie de la vie est fécondée. Si tous, nous étions un seul membre, où serait le corps (v. 19) ? la pluralité des membres, les différences, permettent à l’ensemble du corps d’avoir accès à toutes les dimensions de la vie, à toutes les facettes de l’existence, à ne se priver de rien de ce que la vie peut nous offrir. Cette vision de l’homme permet de fonder une éthique par laquelle chacun contribue a augmenter le bonheur de tous, à accroître sa qualité de vie. C’est parce que nous assumons cette pluralité voulue par Dieu que nous sommes effectivement le corps du Christ.Amen
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