Espérer contre toute espérance( Romains 4:13-25 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 7 mars 2010 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, il me semble que, si, au sein des croyances disponibles, le christianisme est délaissé par tant de nos contemporains, c’est qu’il apparaît très souvent comme impraticable. L’Evangile est bien joli sur le papier, mais au jour le jour, il est impossible à appliquer : trop exigeant ou trop en décalage avec la réalité, l’Evangile semble inaccessible ou hors de propos pour nous aider à vivre au quotidien. Contre toute espéranceCette critique pourrait nous accabler si elle n’était assumée par la Bible elle-même. Oui, la Bible elle-même, ce passage biblique en particulier, assume le fait qu’il y a un écart terrible entre l’Evangile et notre vie quotidienne. Plus qu’un écart, il y a même une opposition. Dans ce texte, l’apôtre Paul la pointe en une formule « contre toute espérance ». Abraham a cru, il a espéré contre toute espérance. Cette opposition, Jürgen Moltmann l’érige au rang de conflit qui traverse la notre vie spirituelle. C’est le conflit entre l’expérience, la réalité (ce qui est) et l’espérance, justement (ce qui peut être, l’expérience possible). C’est le conflit entre tout ce qui, dans notre histoire, démontre la domination de la souffrance, du mal et de la mort, d’une part, et l’espérance, d’autre part, qui nous oriente vers un mieux. C’est un conflit que Jean Calvin relevait déjà : « La vie éternelle nous est promise : mais cependant nous sommes morts. On nous tient propos de la résurrection bienheureuse : mais cependant nous sommes environnés de pourriture… » (Comment. Hb 11/1). Ce conflit, c’est la contradiction entre ce qui est et ce qui devrait être ; c’est la contradiction entre la prédication chrétienne et la vie quotidienne ; c’est la contradiction entre les bons sentiments chrétiens et leur mise en œuvre ; c’est la contradiction entre le monde et l’Evangile dont l’évangile selon Jean est gorgé. L’Evangile ne va pas de soi, c’est le moins qu’on puisse dire. Il suffit de consulter les informations des médias pour avoir la liste détaillée de tout ce qui va de travers dans notre monde et qui contredit le bien fondé de l’espérance chrétienne. Il n’y a qu’à laisser parler notre expérience pour que s’exprime nos désillusions, parfois notre détresse à l’égard de tout ce qui ne va pas comme nous serions en doit de l’espérer. Il n’est qu’à regarder les travailleurs sociaux, ceux qui sont dans des relations d’aide et qui sont menacés par le fameux « burn out », cette forme de dépression qui touche ceux qui ont le sentiment que ce qu’ils font ne sert à rien, que le monde ne va pas mieux, que la société continue à dévorer ses membres, que c’est foutu, de toutes manières. C’est le cas de nos jours, c’était déjà le cas du temps où des hommes réfléchissaient à leur condition et essayaient d’en dire quelque chose à travers la mise en récit de figures exemplaires parmi lesquelles Abraham. Face à ce constat, certains baissent les bras, ils se résignent et, avant de sombrer totalement, ils se détachent de cet environnement et se réfugient derrière une forme de cynisme, à la manière de ce que Camus présente dans le mythe de Sisyphe : « des hommes qui pensent clair mais qui n’espèrent plus » (p. 124). C’est leur manière de se protéger, de ne pas être affecté par des situations qui leur semblent être des impasses de la vie. Jürgen Moltmann, qui admet que Dieu ne soit pas impassible et que la souffrance en Dieu lui-même soit possible, y voit là le véritable péché. Selon lui, le péché ne relève pas d’un comportement moral défaillant, mais de l’abandon de soi au désespoir. Le véritable péché, selon Moltmann, c’est le désespoir, désespoir qui est « l’absence muette de sens, de perspective, d’avenir et de visée » (Théol. de l’espérance, p. 19). Certains se désespèrent, d’autres, au contraire, gardent le feu sacré. Ils persévèrent et continuent à lutter à contre courant d’une espérance qui est devenue une peau de chagrin aux yeux du monde. Fidélité de DieuAvec l’apôtre Paul, nous pouvons découvrir les racines de cette ténacité, de cette espérance qui surmonte le désespoir, dans la fidélité de Dieu. Espérer encore parce que Dieu est fidèle à ses promesses. Ce n’est pas espérer malgré tout, ce n’est pas adopter une posture optimiste. Moltmann insiste aussi pour dire que « l’espérance chrétienne n’est pas un optimisme de l’homme poussé par son désir mais un ‘extra nos’ de la promesse de Dieu » (p. 392). Inscrire l’espérance dans la fidélité de Dieu, c’est un acte de foi, bien entendu, et les non-chrétiens pourraient objecter que ça ne fonctionne qu’à la condition de croire dans cette illusion qu’on appelle Dieu. Et lorsque Moltmann inscrit l’espérance chrétienne dans le fait central de la résurrection, les non-chrétiens pourraient objecter que ça ne fonctionne qu’à la condition de croire dans cette histoire incroyable de Pâques. Ces objections, nous ne pouvons les balayer négligemment d’un revers de main. Ces objections nous obligent. Nous devons les prendre au sérieux pour que notre espérance ne soit pas, justement, un optimisme illusoire. De même que nous ne pouvons pas nous contenter de dire « oui, c’est vrai, Dieu est fidèle puisque dans la Bible il est écrit que Dieu est fidèle », de même que nous ne pouvons pas nous contenter de dire « oui, c’est vrai, Dieu accomplit ses promesses puisqu’il est écrit dans la Bible qu’il a fait pour Abraham tout ce qu’il lui avait promis », sans risquer de confondre foi et crédulité, nous ne pouvons pas prendre cette déclaration de principe pour argent comptant. Penser la foi, penser la fidélité de Dieu, c’est ce que fait l’apôtre Paul, c’est ce que nous invite à faire Moltmann à sa suite : lorsqu’il reprend la vieille histoire d’Abraham, Paul rappel que l’accomplissement de la promesse divine doit être assurée à toute la descendance au sens universel du terme : tous sans exception. C’est le terme bebaios que Paul utilise (4/16) pour exprimer la confirmation de la promesse que nous devons tous vérifier, génération après génération. Il ne suffit pas de recevoir cette promesse, encore faut-il l’éprouver, encore faut-il qu’elle soit vraie pour nous. C’est la raison pour laquelle Moltmann dit que l’Evangile n’accomplit pas les promesses, mais qu’il les valide. Il les valide pour ceux de la génération de Jésus. A notre tour, il faut aussi vérifier que cette promesse est valide, aujourd’hui encore. Cela implique que nous mettions à l’écoute du monde pour y entendre la promesse divine à l’œuvre et cela implique que nous nous engagions pour que cette promesse devienne réaliste. En termes clairs, il s’agit d’entendre que ressusciter est possible de nos jours encore et il s’agit d’être agent de résurrection. C’est à nous, personnellement, qu’une telle tâche théologique incombe. Je prends un exemple pour illustrer en quoi cela peut consister, avec l’histoire d’un enfant, « Maurice, qui a passé les dix premières années de sa vie en compagnie de deux parents alcooliques qui se battaient tous les jours. A l’âge de dix ans il a été placé dans une institution où il n’a pas été malheureux, jusqu’au jour où il a rencontré un jardinier qui a enchanté sa vie. Chaque jour, l’enfant attendait ce travailleur et s’empressait de lui poser quelques questions banales auxquelles l’homme répondait gentiment. Pour l’adulte, ce n’était rien, quelques minutes de vacances pour répondre à un enfant. Pour le petit, ce fut un événement énorme, fabuleux, car c’était la première fois de sa vie qu’on lui parlait gentiment… » (Cyrulnik, Un merveilleux malheur, p. 74). C’est ainsi, au contact d’un jardinier (ce qui n’a rien de nouveau pour un lecteur de la Bible), que ce petit a été ressuscité, relevé de son malheur. C’est vrai pour les anonymes qui sont autour de nous, c’est vrai pour des personnes aussi célèbres que les chanteurs Georges Brassens ou Barbara, que pour Niki de Saint Phalle qui s’est donné ce nom comme un étendard qui transgresse la transgression de l’enfance et qui signifie la résurrection de son âme blessée. Espérer contre toute espéranceTransgresser… tel est bien le sens profond de cette théologie de l’espérance qui point dans cette lettre aux Romains et que Moltmann mit en musique. Moltmann qui écrit que « croire signifie transgresser par une espérance anticipante les limites où la résurrection du crucifié à pratiqué une brèche » (p.17). L’espérance chrétienne, est ce moteur qui nous pousse à transgresser les lois qui condamnent l’humanité à n’être que l’ombre d’elle-même. L’espérance nous pousse à transgresser les habitudes qui nous empêchent de donner le meilleur de nous même. L’espérance nous pousse à transgresser le réel, à faire craquer tous les vernis qui figent la vie et font de nous des personnages de musée. Transgresser, par ce que l’espérance que Dieu suscite en nous revient à ajouter de l’espérance à l’espérance ou, pour le dire avec l’expression grecque de l’apôtre Paul, une espérance au-dessus de l’espérance, sous-entendu supérieure à l’espérance commune, l’espérance bon marché qui n’est qu’un optimisme de confort. Précisément, l’espérance est ce qui nous pousse à attaquer le monde lorsque celui-ci impose le conformisme comme mode d’existence, lorsqu’il réduit notre horizon d’attente, lorsqu’il ampute notre futur de tout ce que Dieu nous rend capable d’entreprendre. Transgresser, combattre car, comme l’écrit Moltmann, « on ne peut pas simplement espérer et attendre la Seigneurie à venir du Christ ressuscité : cette espérance et cette attente façonnent en outre la vie, l’action et la souffrance, dans l’histoire de la société » (p. 355) ; et il ajoute : « ne pas se conformer à ce monde veut dire transformer, par sa résistance et par son attente créatrice, la forme du monde où l’on croit, où l’on espère et où l’on aime ». Amen.
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