Entrer en terre promise( Josué 3-4 ) (écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 13 avril 2014 à l'Oratoire du Louvre Passer par un chemin qu’on ne connaît pasChers frères et sœurs, le premier point que je relève est qu’entrer en Terre promise, c’est passer par un chemin que nous n’avons encore jamais emprunté. S’il est demandé au peuple Hébreu de suivre l’arche, c’est parce qu’il n’est encore jamais passé par le chemin qui conduit à la Terre promise. Entrer en terre promise, c’est l’histoire d’une nouveauté dans notre histoire. Mieux que cela, c’est l’histoire de l’inconnu. Entrer en terre promise, c’est partir à la découverte d’une terre inconnue, que nous n’avons encore jamais foulée. Dit autrement, accéder à la vie véritable, ce n’est pas se réfugier dans des habitudes ; ce n’est pas retourner dans le sein maternel, c’est, tout au contraire, naître, venir au monde. Il y a une forte ambiance de naissance dans ce récit d’entrée en terre promise. Ne serait-ce que le fait de « traverser le fleuve » est une expression qui peut signifier le fait d’accoucher ; c’est une expression parfois encore utilisée en Asie du Sud-Est. Mais, plus intéressants, sont les liens qui unissent ce texte (4/22) avec, d’une part, le récit de la création en Gn 1/9, 10 et le récit du déluge en Gn 8/7, 14. A chaque fois le terme yabash, « sécher » est employé pour faire apparaître la terre sèche. Et nous pouvons noter également le parallèle entre Gn 1/6 et Jos 3/17 ; 4/9-10 qui évoque le fait de se tenir au milieu des eaux. Avec Josué, nous sommes dans une ambiance de commencement, de nouveauté, de mise au monde. Et cela suppose un cheminement inédit, par un chemin encore jamais parcouru. En fait, accéder à la vie authentique, accéder à la terre promise, est une exploration personnelle qui ne peut pas se contenter de reproduire ce que nous avons vécu jusque là. L’entrée en terre promise, n’est pas un retour dans un paradis perdu ou oublié. Laurent Gagnebin a parfaitement raison d’indiquer que la perspective biblique se distingue de l’illustre histoire d’Ulysse en ce que le périple de la vie ne consiste pas à retourner chez soi, mais à aller sa route, à passer par un chemin inédit pour nous rendre là où nous n’avons encore jamais mis les pieds. C’est la raison pour laquelle la perspective chrétienne n’est pas tant « deviens qui tu es » que « sois qui tu deviens ». Cette ambiance de naissance des fils d’Israël sera confirmée au chapitre 5 du livre de Josué qui racontera la circoncision de tout le peuple et leur mise au repos « jusqu’à ce qu’ils vivent » (5/8). Ce récit de la traversée du Jourdain, c’est un récit de don de la vie, de naissance, donc le passage par une voie nouvelle pour nous. La foi rend possible cet élan vers la nouveauté. Dépasser la loiLe deuxième point que je relève est qu’entrer en Terre promise, c’est dépasser la loi. Certes, le peuple a besoin de suivre l’arche d’alliance qui contient les tables de la loi, car nul n’est jamais passé par le chemin qui conduit en Terre promise. Le peuple n’est pas livré à lui-même : des points de repères lui sont offerts. Mais la loi n’est pas le point final de l’histoire. L’ensemble du peuple doit atteindre la loi, mais aussi la dépasser. Chacun doit aller au-delà de la loi pour atteindre l’autre rive où il sera possible d’habiter. Intéressons-nous au verbe qui raconte le « miracle » des eaux. Il est écrit que les eaux furent coupées (3/13, 16). Si, aujourd’hui, il est fréquent de dire que nous coupons l’eau, il faut bien réaliser que cette expression, prise à la lettre, n’a strictement aucun sens. Il n’est pas possible de couper de l’eau comme on coupe un morceau de pain. Et c’est pourtant le verbe krt, « couper », qui est employé à deux reprises. C’est le verbe utilisé lorsqu’une alliance est contractée entre deux partenaires « Faire alliance » se dit, en hébreu, « couper une alliance », en raison du rite qui est décrit, par exemple, en Gn 15 : on coupait des animaux en deux et les deux parties passaient entre les morceaux coupés. Ce rite signifiait que si l’un des deux ne respectait pas les termes du contrat, il finirait comme ces animaux… coupé en deux. Que les eaux du Jourdain soient coupées s’expliquent très bien si on considère que cela permet de dire que Dieu et le peuple font alliance et qu’ils passeront, tous les deux, au milieu de l’eau coupée. Cette ambiance d’alliance est d’ailleurs attestée par le fait que, dans sa version primitive, le récit de l’entrée en terre promise se poursuivait non pas avec la prise de Jéricho, mais avec l’écriture et la lecture de la loi de Moïse sur des pierres, comme l’atteste le manuscrit de Qumran 4QJosa qui révèle que le passage Jos 8/30-35 succédait immédiatement au récit de la circoncision de Jos 5. Qu’il y ait alliance, sous cette forme, entre Dieu et les fils d’Israël indique que les fils d’Israël sont mis en situation de responsabilité. En étant partenaire de l’alliance, ils auront leur part de responsabilité dans la mise en œuvre de l’enseignement biblique. En nous rappelant qu’entrer en terre promise, c’est accéder à un lieu que nous n’avons encore jamais foulé, cela signifie que vivre c’est faire face à des situations inédites. Cela signifie que vivre, c’est prendre au sérieux ce que nous découvrons et accepter la singularité de ce qui se présente à nous. Une personne que nous rencontrons, c’est une personne que nous voyons toujours pour la première fois, même si nous l’avons déjà croisée, même si nous avons déjà vécu des années avec elle. L’aurore qui se lève se lève toujours sur une nouvelle journée. Une tâche professionnelle que nous avons à accomplir n’est jamais en tous points identique à ce que nous avons déjà fait, même lorsque les termes sont semblables. Voilà pourquoi les fils d’Israël font alliance en dépassant l’arche d’alliance qui contient la loi, c’est que la vie authentique est toujours au-delà de la norme. Ceci pour dire qu’il convient de se méfier des méthodes qui, clefs en main, vous assurent le paradis pour peu que vous suiviez les prescriptions à la lettre. Pas plus qu’il n’existe le manuel du parfait parent, il n’existe pas de manuel du parfait amant, ni un manuel du parfait paroissien, ni un manuel du parfait humain. En étant partenaire de l’alliance, nous avons notre part de responsabilité à faire valoir : à nous d’interpréter les enseignements qui nous sont confiés et qui nous permettent d’y voir plus clair, afin de répondre aux nouveaux défis que nous pose la vie jour après jour. Pourquoi se contenter de la justice quand on peut aussi pardonner ? Pourquoi se contenter de tolérer quand on peut aussi aimer ? Pourquoi se contenter de préserver quand on peut être l’artisan de l’épanouissement ? La foi rend possible cet élan vers l’excellence. Ne jamais cesser d’entrerLe troisième point que je relève est que ce texte nous perd. Alors que le début du chapitre 4 nous raconte l’arrivée en terre promise sur laquelle une personne de chaque tribu devra déposer une pierre, le verset 9 nous ramène dans le lit du Jourdain où Josué fait poser 12 autres pierres, là où les prêtres avaient posé leurs pieds. Alors qu’on venait d’arriver, enfin, en Terre promise, il faut encore y entrer parce qu’on est encore dans le lit du Jourdain. Le texte ne suit pas un cheminement linéaire, il nous fait perdre le fil, et je pense qu’il le fait sciemment. Le texte, dans se version finale, nous fait traverser le fleuve plusieurs fois. Autrement dit, on n’en finit pas d’entrer en Terre promise. On n’en finit jamais d’entrer en Terre Promise. Ce texte nous invite à ne pas défendre des positions, qu’elles soient géographiques, politiques, idéologiques. Nous ne défendons pas un cadastre, mais nous défendons l’homme dans sa capacité à pouvoir faire, toujours, un pas de plus en direction de ce qui rend la vie plus humaine, c’est-à-dire plus agréable, plus féconde, plus joyeuse, plus aimante : un pas de plus en direction d’une vie qui renouvelle les promesses de lait et de miel, de fluidité et de douceur. Parfois, nous pensons être arrivés. Mais nous devons refuser la certitude du sol, au même titre que nous devons refuser la certitude de la vérité. S’arrêter, se ficher en terre, c’est cela être païen. Nous pouvons avoir le sentiment que cela est possible quand nous avons dépassé la loi, lorsque nous avons fait mieux que ce qu’on nous avait demandé. Mais s’en tenir à cela, c’est adopter une posture qui n’est pas celle à laquelle nous invite la démarche biblique qui est une démarche qui n’en finit pas de nous conduire vers la terre qui reste riche de promesses. Interrompre cette démarche, c’est se crisper sur ce que nous avons obtenu et c’est mettre en place une orthodoxie qui affirme que la vie est entièrement contenue dans ce que nous avons acquis. Josué est le prophète qui nous indique que nous n’en finissons jamais d’entrer en terre promise, que nous n’en finissons jamais de venir au monde, que nous n’en finissons jamais de nous éduquer, que nous n’en finissons jamais de devenir humain. Oui, parfois, nous nous pensons arrivés : parvenus ! Il est alors heureux que les plus jeunes nous interrogent, nous remettent en question à travers une question aussi simple que : « que signifient ces pierres pour vous ? » Car lorsque nous pensons être revenus de tout, lorsque nous n’avons plus rien à dire, lorsque nous n’avons plus rien à célébrer, plus rien à entreprendre, plus rien à louer, il est possible que des pierres prennent la parole, à notre place, pour réveiller en nous le souvenir de cette puissance de vie qui s’est exprimée par le passé et qui peut encore s’exprimer de nos jours. Oui, des pierres peuvent nous rappeler que nous avons été capables d’édifier des bâtiments dépassant largement nos capacités physiques. Oui, des pierres peuvent nous rappeler que nous avons été capables de faire reculer l’obscurantisme, que nous avons été capables de promouvoir la justice, d’améliorer les conditions de vie. Tant et si bien que des pierres peuvent réveiller en nous le désir de promouvoir la solidarité ; elles peuvent réveiller en nous le goût d’agir en faveur d’un monde plus harmonieux, plus réjouissant. Elles peuvent nous redire notre capacité à sortir des personnes de l’exclusion, à tisser une fraternité universelle, à mettre la technique au profit de l’humanité et non l’inverse. Des pierres peuvent ressusciter notre capacité à favoriser la vie partout où elle est menacée et nous remettre sur le chemin de cette terre où nous est promise une vie à hauteur de l’Eternel. La foi rend possible cet élan vers l’excellence renouvelée. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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