Dieu n’est pas un preneur d’otageIl nous engage dans le dialogue interreligieux qui désamorce la corruption( Actes 10:28, 34-48 ) (écouter l'enregistrement - culte entier - désolé, pas de vidéo pour cette fois) Culte du dimanche 2 février 2014 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, l’auteur des actes des apôtres nous permet de constater, à travers ce passage, que le dialogue interreligieux et le refus de la corruption sont les deux faces d’une même médaille. Nous pourrions être tentés de penser que le dialogue interreligieux est spécifiquement théologique et la question de la corruption spécifiquement politique. Il me semble plus juste de considérer que l’un et l’autre sont deux expressions voisines d’un même point de départ théologique. Ce point de départ, nous le trouvons au verset 34 ; ce sont les premiers mots que Pierre adresse à Corneille et à ceux de sa maison : ‘Dieu n’est pas un « preneur d’otage »’. C’est une manière de traduire le grec « prosopolemptes » construit à partir du terme proposon qui désigne le masque que portaient les acteurs de théâtre et qui se traduit par « personne » et du verbe lambano qui signifie pendre. Comme l’expriment la plupart des traducteurs, il s’agit d’exprimer que « Dieu ne fait pas acception de personnes », ce qui signifie que Dieu est impartial, qu’il ne fait pas de favoritisme. Cette affirmation a deux conséquences que nous allons maintenant explorer. La liberté d’un dialogue interreligieuxLa première conséquence du fait que Dieu n’est pas un preneur d’otage est dite par l’apôtre Pierre un peu plus haut dans ce récit des actes (v. 28) : « vous savez qu’il est interdit à un Juif de se lier avec un étranger ou d’entrer chez lui ; mais Dieu m’a montré qu’il ne fallait dire d’aucun homme qu’il est souillé ou impur » et cette phrase est confirmée au verset 35 « en toute nation, celui qui craint Dieu et qui pratique la justice lui est agréable ». Le peuple de Dieu n’est donc pas limité à une catégorie particulière. A l’époque des premiers apôtres les Juifs n’avaient pas le monopole de Dieu. Aujourd’hui, ni eux, ni les chrétiens, ni les musulmans, ni les religions védiques, qui que ce soit ne peut s’arroger un droit particulier sur Dieu et Dieu n’est pas plus présent chez les uns que chez les autres. Il n’est même pas plus présent chez les croyants que chez les non-croyants. C’est en ce sens que nous pouvons comprendre cette mention de la souillure ou de l’impur. Sont purs ceux qui sont agréés par Dieu, sont impurs ceux qui sont éloignés de Dieu. En affirmant que nul ne peut être tenu pour impur, Pierre atteste que Dieu est présent pour tous, auprès de tous, dans distinction, sans exclusive. Contrairement à l’époque de l’inquisition où il était possible de dire : « tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens », ici Pierre est en mesure de dire « baptisez-les tous, Dieu a reconnu les siens ». Dieu ne prend personne en otage en en faisant son témoin unique. Dieu ne prend personne en otage en l’empêchant de bénéficier de sa présence. Dieu n’est pas un sélectionneur qui choisit quelques membres de l’humanité et laisse les autres sur le bord du terrain. Et s’il convient de parler de peuple élu, il ne s’agit pas de confondre élection et sélection. Bref, l’expérience de l’apôtre Pierre ouvre la voie du dialogue interreligieux puisque Dieu n’est pas confiné dans une tradition religieuse particulière, ou dans une approche spécifique. Il y a une expérience universelle de Dieu qui autorise et, plus que cela, qui rend nécessaire la rencontre avec celles et ceux qui ne partagent pas notre tradition religieuse, celles et ceux qui ont une autre manière de nommer Dieu, de s’intéresser à lui, d’en parler, de rendre compte de l’espérance qu’il place en nous. Dieu n’a pas de religion car Dieu ne s’intéresse pas aux religions humaines : il s’intéresse aux individus. Il se moque bien de savoir si les réunions ont lieu le vendredi, le samedi ou le dimanche ou un autre jour. Peu lui importe la forme du lieu, peu lui importe le nom qui est donné à l’office etc. Dieu vient à la rencontre de l’homme, de l’individu, de chaque individu, pour relever son visage. C’est cela la grâce : Dieu vient relever le visage de chaque homme de telle manière que chaque homme soit en mesure de faire face à son histoire, et cela sans faire acception de sa personne, sans en faire un otage de sa bienveillance. En ce sens, cette grâce est bien loin d’une grâce en forme de grâce à caractère juridique qui innocenterait untel tout en laissant un autre condamné. Il y avait cet usage de relever le visage de l’esclave qui n’avait pas le droit de regarder son maître dans yeux, et de l’affranchir en en faisant un égal. Il y avait cet usage de relever le visage du gladiateur qui n’avait pas le droit de regarder l’empereur et d’en fait ainsi un homme libre. A chaque fois, c’était le fait du prince. Choisir un visage à relever, c’est exercer son pouvoir sur les individus et s’arrogeant de pouvoir de rendre libre, ou de maintenir captif. C’est là que le sujet théologique prend une expression politique et nous conduit au thème du favoritisme voire de la corruption. Pas de favoritismeEn ne faisant pas acception des personnes, en rejetant tout favoritisme, Dieu devient une figure de l’incorruptibilité (figure qu’il était déjà dans le judaïsme puisque Deutéronome 10/17 précisait que, tout en étant le Seigneur des Seigneur, Dieu est aussi celui qui ne fait pas acception des personnes et qui ne prend pas de cadeaux ou, pour le dire avec un vocabulaire plus contemporain, Dieu n’accepte pas les pots de vin). Dieu ne prend personne en otage, chacun reste libre de ses agissements, de ses renoncements, de ses engagements, de ses compromissions, de ses exactions, de ses réactions. Que Dieu ne fasse pas de favoritisme signifie qu’il n’y a aucun impératif absolu pour que nous en fassions. Si nous accordons des passe-droits, si nous privilégions la candidature des amis, si nous favorisons les projets des copains, c’est avant tout pour notre intérêt personnel : a fortiori quand de l’argent est en jeu, mais le narcissisme peut être un levier largement suffisant : pour prouver qu’on a de l’importance, on accorde des privilèges, on trouve un poste à untel en court-circuitant les procédures de recrutement, un accorde un tarif préférentiel, on surclasse, on réduit les délais d’attente, on diplôme à l’aveugle etc. Le favoritisme relève de la corruption. Lorsqu’on n’agit plus selon le droit, mais selon ce qui est juste pour quelques uns seulement, nous sommes corrompus. Nous ne sommes plus fidèles à Dieu qui nous inspire d’agir à la manière de Jésus de Nazareth qui faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous l’oppression du diable, c’était à dire ceux qui étaient justement tiraillés entre plusieurs intérêts et s’engageait dans des pratiques corrompues. Jésus ne guérissait pas seulement les amis ou des parents des amis ou ceux qui lui glissaient une pièce. Jésus a clairement pris conscience que sa vocation consistait à prendre soin de l’ensemble des personnes qu’il rencontrait, sans faire de favoritisme sur quelque critère que ce soit. Autrement sa messianité aurait été corrompue. Soyons clairs : ces pratiques anti-divines, qui relèvent de la corruption, n’épargnent pas les milieux religieux ou les milieux formés d’une majorité de croyants. Ces pratiques sont bien attestées en christianisme. Elles montrent qu’il peut y avoir de parfaits hypocrites qui manient avec autant d’aisance les codes religieux afin de passer pour des personnes pieuses et les méthodes de la corruption pour obtenir ce qu’ils veulent. Quels sont les effets collatéraux de la corruption ? La corruption fait souffrir les personnes qui sont lésées par ces pratiques. Mais il arrive aussi que la corruption tue (et ceci n’est pas qu’une métaphore). Ces effets pourraient suffirent à nous dissuader d’y participer. Mais considérons aussi que les pratiques liées à la corruption, que ce soit pour de l’argent ou pour flatter son ego, s’inscrivent à contre-courant de l’expérience de l’apôtre Pierre qui mesure l’égale dignité dont bénéficie tous les humains au regard de Dieu. Nous pourrions ajouter que, sur un plan pratique, et dans l’intérêt général, les pratiques liées à la corruption sont toujours mauvaises : s’il faut une somme d’argent supplémentaire ou s’il faut en passer par des amitiés pour faire avancer un dossier, une candidature, c’est que ce dossier ou cette candidature est loin d’être la meilleure. La retenir va à l’encontre de ce qui est souhaitable. Autant dire que la corruption, pratiquée par des êtres dépourvus de morale, contribue largement à la dérégulation de l’activité humaine et à des pratiques sauvages qu’il faut enrayer pour préserver les plus faibles, ceux qui ont le moins de chances de s’en sortir dans un monde où l’homme cesse d’être oint de l’Esprit Saint, où l’homme cesse d’être un Christ pour les autres, mais redevient un loup. La corruption est un jeu où chacun se tient, où les degrés de liberté se réduisent peu à peu, chacun étant tenu par la pratique douteuse, illégale, non morale, mortifère, assassine. C’est le principe du système mafieux. Dieu, lui, ne prend personne en otage. Dieu désigne cette compréhension de l’existence débarrassée de ces jeux de pouvoir où le bonheur se vérifie quand mes voisins sont plus malheureux que moi, ces jeux de pouvoir où la réussite se construit sur la mise en échec des autres. Mais est-il possible de résister à la corruption ? C’est précisément ce dont Dieu nous rend capables ou, pour le dire dans des termes moins déistes, si notre foi s’attache à cette compréhension du monde libéré de ce système de valeurs qui nous dicte que nous devons nous comparer constamment à nos voisins pour mesurer notre niveau de réalisation, nous pouvons ne pas profiter d’un système corrompu sans en devenir malade. Nous pouvons ne pas rentrer dans telle ou telle combine sans pour autant passer à côté de notre vie, bien au contraire. Ne pas profiter des dessous de table, des pots de vin, des petits arrangements, des flatteries, des cadeaux, de ce qui fera gonfler le portefeuille ou les chevilles, qu’importe ? Ce n’est pas là que se joue notre existence. En revanche, il est une chose qui revient à nous qui sommes tous plus ou moins en situation de responsabilité dans nos domaines respectifs, c’est d’enrayer les mécanismes de corruption, car personne d’autre ne pourra le faire. Seuls ceux qui sont décisionnaires peuvent agir directement sur les situations problématiques. Les autres se font souvent laminer avant d’avoir pu mettre en place une coopération avec suffisamment d’autres personnes pour qu’elle fasse poids. Un étudiant qui ne peut pas payer de bakchich pour assurer son diplôme ou qui ne veut pas le payer car la reconnaissance universitaire n’a pas à se faire sur des moyens financiers, cet étudiant, face à un système bien en place, n’a aucune chance de changer quoi que ce soit. Un professeur, isolé, n’a pas forcément beaucoup plus de chance, mais pour l’empêcher de mener à bien son combat contre la corruption, il faudra que le système déploie d’autant plus de moyens et cela sera d’autant plus visible et donc susceptible d’être plus facilement disqualifié. Nous le savons, cela ne va pas sans risque. Il en est de même pour toutes les situations, qu’il s’agisse des petites combines ou des grosses rétro-commissions, qu’il y ait un aspect financier ou qu’une autre valeur soit en jeu. Notre foi est cet attachement viscéral et inconditionnel à ce mode d’existence qui consiste à ne faire acception de personne, à ne prendre personne en otage, mais à pratiquer la justice, telle que nous la comprenons à la lumière de l’Evangile. Et cela, nous le cultivons par des dialogues qui transcendent les frontières confessionnelles, religieuses, culturelles ; nous le cultivons par des dialogues qui attestent que nul n’est impur, impropre à la discussion, infâme. Ces dialogues permettent de rompre les affinités qui existent entre une vision étriquée de la parenté avec Dieu, l’autre nom de l’humanité, et les pratiques corrompues qui accordent plus aux semblables. Le dialogue interreligieux et tous les dialogues hors de notre cénacle contribuent à ne pas laisser notre humanité se corrompre. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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