Attendre et calculer

( Luc 14:27-15:29 )

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Culte du dimanche 21 mars 2010 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

L'apôtre Paul, au détour de conseils très pratiques qu’il donne à ses amis de Corinthe, nous dit « attendez-vous les uns les autres » (1 Corinthiens 11:33). Il y a là une illustration simple et concrète de l’amour du prochain. Attendre l’autre, faire preuve de patience envers lui, d’une patience confiante. L’autre va venir, il finira par avancer, par progresser.

Attendre l’autre, cela nous oblige à ralentir le rythme, à nous poser, à freiner un peu :

  • Freiner nos égoïsmes,
  • vérifier que l’on n’écrase pas quelqu’un dans notre course,
  • vérifier que l’on n’oublie pas quelqu’un.

Nous attendre un peu les uns les autres, c’est attendre l’autre quand nous courrons, et c’est percevoir que nous sommes attendus, comprendre que nous sommes un petit peu en panne, que nous pourrions avancer mieux, ou plus vite.

Nous sommes attendus. Attendus par telle personne qui nous aime et qui espère que nous pourrons avancer sur un certain plan. Nous sommes attendus par notre avenir, par cette journée d’aujourd’hui qui attend de voir ce que nous en ferons. Nous sommes attendus par Dieu, dans un sens, c’est moins critique puisqu’il ne se lassera jamais d’attendre, mais il a une telle qualité d’attente que c’est un peu émouvant de le décevoir, lui, le vivant par excellence qui ralentit sa course, qui se met en pause pour nous attendre. Dieu qui part à notre recherche, comme tout bon berger qui se respecte, et qui nous cherche sans se lasser « jusqu’à ce qu’il nous retrouve », dit Jésus, et qui nous portera alors s’il se trouve que nous n’avons pas la force de marcher. Il nous portera alors comme une croix, comme une blessure que l’on soigne, comme un échec que l’on transforme.

L’Évangile que nous aimons, c’est celui-là, c’est  l’annonce de l’amour de Dieu pour nous, cet Évangile nous le répétons à juste titre dimanche après dimanche. C’est par l’annonce de cette grâce que s’ouvre chacun de nos cultes et ils se concluent toujours par l’annonce de cette même grâce, donnée sous forme d’une bénédiction.

Cette grâce de Dieu est extraordinairement libérante. Nous pouvons penser et vivre de bon cœur, librement, sans arrière-pensée, nous pouvons avoir notre propre théologie, notre propre opinion, notre propre façon de vivre. De toute façon nous sommes aimés et si nous nous perdions, rien ne serait vraiment perdu…

C’est extraordinairement libérant. Peut-être trop, pourrait-on dire. Car, l’Évangile, même si c’est d’abord l’annonce de la grâce de Dieu, l’Évangile c’est également un appel à construire, un appel à se battre contre l’injustice, un appel à avancer, ce qui n’est jamais facile, car pour cela il faut bien dans un certain sens, mourir un peu à soi-même, mourir à ce que nous étions hier.

Au début de cette page de l’Évangile selon Luc que je vous ai lue, Jésus nous le rappelle d’une manière qui écorche notre sensibilité :

« Quiconque ne porte pas sa croix, et ne me suit pas,
ne peut être mon disciple »(Luc 14:27)

Qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? Ce n’est pas un appel au martyr, car il n’y a pas marqué que nous devrions suivre Jésus jusqu’à mourir comme lui sur une croix pour être sauvé. Non, c’est l’inverse qui est marqué ici : de prendre d’abord une croix qui existe déjà, une croix qui est la nôtre, et d’aller avec elle à la suite de Jésus.

Nous avons une croix qui est notre croix. C’est tout ce qui nous fait souffrir et nous fait mourir. Cette croix est une réalité, et c’est une bonne nouvelle qu’il nous soit dit que c’est avec cela que nous pouvons aller vers le Christ, tout marqué, tout préoccupé de notre propre croix.

Jésus explique ensuite ce qu’il veut dire avec deux très courtes petites paraboles.

Il nous invite à nous asseoir et à bien calculer. Notre croix réside bien souvent dans l’écart qu’il y a entre l’idéal et la réalité, des blessures, des déceptions, des faiblesses. À l’image de cet homme qui se construit un donjon et de ce roi qui par à la guerre, nous rêvons de grandeur, de sécurité et de victoires. C’est bien normal, et nous avons un peu de tout cela, mais en partie seulement, jamais assez, jamais comme il nous faudrait.

Il est bien utile de commencer par se poser, d’attendre un moment pour considérer notre espérance mais aussi le monde où nous sommes, de calculer un peu, et de commencer à voir quelle est notre croix, comment la porter, comment avancer.

Nous avons deux sortes de croix :

  • Nous avons des croix que nous subissons, des faiblesses, des défauts, des blessures. Ces croix nous sont imposées d’une façon ou d’une autre, parfois nous les portons un peu, parfois nous croyons nous en sortir en les refusant, ou en faisant semblant de ne pas les voir. C’est une source de souffrance et de handicap.
  • Nous avons donc ces croix que nous subissons, il y a aussi des croix que nous pouvons choisir de porter librement, et plus joyeusement que les premières, c’est par exemple un coup de main que nous donnons à quelqu’un pour l’aider à soulever sa propre croix, ou un combat pour plus de justice ou de beauté en ce monde.

On peut reconnaître ces deux sortes de croix dans les deux petites paraboles que Jésus nous brosse en quelques traits dans son invitation à nous poser un peu :

Construire sa tour c’est travailler à pouvoir se tenir debout solide et fort, une tour permet de mieux résister et de voir ce qui arrive suffisamment à l’avance… construire sa tour c’est une image de notre propre construction, dans la résolution de ces croix anciennes qui sont les nôtres, nos fautes, nos défauts et nos manquements.

Et être un roi qui s’en va vers la victoire, c’est avoir trouvé sa vocation, s’être chargé librement et joyeusement de croix nouvelles pour faire avancer la vie.

Ces deux sortes de croix que nous avons à porter, nous les connaissons bien, en tout cas d’une manière théorique. Mais concrètement, c’est bien plus délicat. Tant de choses nous empêchent de connaître et d’accepter de porter les premières croix. Quant aux secondes, le juste milieu n’est pas facile à tenir, tantôt nous voudrions sauver le monde entier et tantôt nous sommes fatigués rien qu’à l’idée d’aider une seule personne que nous aimons pourtant. C’est ainsi que telle personne est d’une générosité si grande qu’elle s’épuise ou s’aigrit à la tâche, alors que telle autre vit dans un égoïsme glacé.

Nous avons bien besoin de nous asseoir et de calculer. Ce temps de pause n’est pas une perte de temps, c’est un investissement vital. C’est aussi cela, « sanctifier le jour du repos », comme nous le propose Moïse, c’est prendre un temps de pause pour se laisser sanctifier, prendre conscience en vérité de nos forces et de nos croix, de nos fondations solides en Dieu et de l’élévation possible. Nous pouvons alors faire un fagot avec nos croix et hop : sur l’épaule, et en route.

Dans ce cheminement qu’est le Christ, il est déjà plus facile de porter notre fagot de croix. Non seulement de le prendre, mais de le lever, non seulement de se lever avec mais d’avancer avec. C’est un élément fondamental dans l’Évangile que cette dynamique. Stagner, c’est mourir. C’est pourquoi il est si important de prendre nos croix, de les porter, parce que tant que nous ne le faisons pas ou tant que nous n’arrivons pas à les porter, nous ne pouvons pas avancer, nulle part.

C’est comme cela que je comprends cet appel radical de Jésus à « renoncer à tout ce que nous possédons pour pouvoir le suivre » : c’est un appel à une certaine mobilité. Ce n’est certainement pas un appel à devenir comme ces moines des premiers siècles qui sacrifiaient leur vie en ce monde avec un héroïsme morbide, comme Siméon Stylite qui vécut 40 ans sans quitter le sommet d’une colonne de pierre, à l’étroit sur son mètre carré, exposé à la pluie, au soleil et au vent en permanence ! Au contraire, l’appel au renoncement que Jésus nous donne ici est un appel à accepter le principe de changer, d’évoluer soi-même, et d’être aussi source d’évolution pour créer de nouvelles et belles choses, pour embellir la vie.

Et l’appel à le suivre n’est pas un appel à une obéissance aveugle, car le contenu de cette suivance n’est pas explicité dans l’Évangile, en tout cas pas sous la forme d’une loi. Suivre le Christ c’est mettre de la foi, de l’espérance et de l’amour dans notre vie, nous dit Paul. Cela laisse de la marge. Cela ne peut pas même pas être vécu en se forçant. Cela ne peut être vécu que comme un cheminement que l’on espère, que l’on prépare en lui faisant de la place.

L’Évangile n’est donc pas une évasion hors de la réalité de ce monde. Au contraire, c’est avec notre fagot de croix, bien de ce monde, que nous sommes appelés à suivre le Christ. Jésus nous aide à ouvrir les yeux sur la réalité, à prendre ces croix qui nous crucifient, nous et notre monde, puis il nous appelle à avancer avec et par cet idéal qu’est Dieu. Il rend possible le fait d’avancer avec nos croix sur les épaules. Dans ce cheminement qu’incarne le Christ, elles restent un fardeau, mais relativement léger.

L’Évangile nous apprend qu’il est possible d’avancer et même d’accomplir quelque chose, pas seulement de s’accomplir soi-même, mais aussi d’aider telle personne à porter sa croix et à avancer. Après cet appel à le suivre avec notre croix l’Évangile se poursuit avec des paraboles qui font partie des textes les plus importants et les plus connus de la Bible, ces trois paraboles nous donnent tout un éventail de façons d’être en rapport avec l’autre et avec nous-mêmes.

Avec ce riche catalogue d’attitudes possible face aux autres et face à soi-même, nous voyons bien que l’Évangile ne nous appelle à pas à une obéissance aveugle. Tantôt, Dieu nous attend, tantôt il nous cherche, nous porte, tantôt il nous laisse nous débrouiller, tantôt il nous aide à faire le ménage, tantôt il cherche à nous convaincre… Ces paraboles nous disent comment Dieu nous aide, comment Dieu travaille sur cet écart qu’il y a entre ce que nous sommes et ce que nous pourrions devenir. Cette brebis perdue, cette valeur perdue, ce fils égaré ce sont des croix pour le monde et pour nous-mêmes.

Comme le berger de la première parabole, Dieu va à notre recherche quand nous sommes perdu, et il s’efface discrètement quand nous nous en sortons pas trop mal. Comme Dieu, à sa suite, nous pouvons aller à la recherche de celui qui s’est perdu, et comme lui, nous pouvons ne pas interférer dans les affaires de celui qui s’en sort par ses propres moyens.

Comme la femme qui cherche une pièce d’argent, Dieu ne laissera jamais se perdre notre moindre parcelle de valeur, même si elle est cachée dans une masse de poussières. Suivre Dieu, c’est avoir cette bienveillance vis-à-vis de nous-mêmes, ce regard-là sur notre vie, sur notre monde et sur nos frères. Cela n’exclut pas de nous désoler de ce qui est mauvais en nous, de ces mauvaises choses qui sont autant de croix pour nous, au contraire. Connaissant la grâce de Dieu qui s’attache à ce qui est bon en nous, et qui, même s’il n’y avait rien de bon partirait à notre recherche avec une infinie patience… connaissant cet amour nous pouvons accepter de voir ce qui ne va pas en nous, voir ce qui ne tourne pas rond, prendre cette croix et justement, avancer un peu.

Comme le Père du fils perdu, Dieu, parfois, nous attend. Comme il y a parfois un temps pour aller chercher celui qui est perdu et le porter comme on porte une croix, il y a aussi des circonstances où l’on ne peut qu’attendre l’autre, attendre que lui-même s’asseye et calcule un peu combien le Père est source de vie, et qu’il nous attend tous.

Amen.

 

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
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Lecture de la Bible

Luc 14:27-15:29

Quiconque ne porte pas sa croix, et ne me suit pas, ne peut être mon disciple.

28 Car, lequel de vous, s’il veut bâtir une tour, ne s’assied d’abord pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi la terminer, 29 de peur qu’après avoir posé les fondements, il ne puisse l’achever, et que tous ceux qui le verront ne se mettent à se moquer de lui, 30 en disant: Cet homme a commencé à bâtir, et il n’a pu achever?

31 Ou quel roi, s’il va faire la guerre à un autre roi, ne s’assied d’abord pour examiner s’il peut, avec dix mille hommes, marcher à la rencontre de celui qui vient l’attaquer avec vingt mille? 32 S’il ne le peut, tandis que cet autre roi est encore loin, il lui envoie une ambassade pour demander la paix.

33 Ainsi donc, quiconque d’entre vous ne renonce pas à tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple.

34 Le sel est une bonne chose; mais si le sel perd sa saveur, avec quoi l’assaisonnera-t-on? 35 Il n’est bon ni pour la terre, ni pour le fumier; on le jette dehors. Que celui qui a des oreilles pour entendre entende.

1 Tous les publicains et les gens de mauvaise vie s’approchaient de Jésus pour l’entendre. 2 Et les pharisiens et les scribes murmuraient, disant: Cet homme accueille des gens de mauvaise vie, et mange avec eux.

3 Mais il leur dit cette parabole: 4 Lequel d’entre vous, s’il a cent brebis, et qu’il en perde une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller à la recherche de celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la trouve? 5 Lorsqu’il l’a trouvée, il la met avec joie sur ses épaules, 6 et, de retour à la maison, il appelle ses amis et ses voisins, et leur dit: Réjouissez-vous avec moi, car j’ai trouvé ma brebis qui était perdue. 7 De même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance.

8 Ou quelle femme, si elle a dix drachmes, et qu’elle en perde une, n’allume une lampe, ne balaie la maison, et ne cherche avec soin, jusqu’à ce qu’elle la trouve? 9 Lorsqu’elle l’a trouvée, elle appelle ses amies et ses voisines, et dit: Réjouissez-vous avec moi, car j’ai trouvé la drachme que j’avais perdue. 10 De même, je vous le dis, il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent.

11 Il dit encore: Un homme avait deux fils.
12 Le plus jeune dit à son père: Mon père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien.
13 Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, où il dissipa son bien en vivant dans la débauche. 14 Lorsqu’il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. 15 Il alla se mettre au service d’un des habitants du pays, qui l’envoya dans ses champs garder les pourceaux. 16 Il aurait bien voulu se rassasier des carouges que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait.

17 Etant rentré en lui-même, il dit: Combien d’ouvriers chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim! 18 Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai: Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, 19 je ne suis plus digne d’être appelé ton fils; traite-moi comme l’un de tes ouvriers.

20 Et il se leva, et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et le l’embrassa.

21 Le fils lui dit: Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. 22 Mais le père dit à ses serviteurs: Apportez vite la plus belle robe, et revêtez-le; mettez-lui un anneau au doigt, et des souliers aux pieds. 23 Amenez le veau gras, et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous; 24 car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils commencèrent à se réjouir.

25 Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsqu’il revint et approcha de la maison, il entendit la musique et les danses. 26 Il appela un des serviteurs, et lui demanda ce que c’était. 27 Ce serviteur lui dit: Ton frère est de retour, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il l’a retrouvé en bonne santé. 28 Il se mit en colère, et ne voulut pas entrer. Son père sortit, et le pria d’entrer.

29 Mais il répondit à son père: Voici, il y a tant d’années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis.