« Tu choisiras la vie »(Deutéronome 30:9-31:3 ; Évangile selon Marc 3:1-6)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo ci-dessous) Culte du dimanche 6 mars2016 Texte de la prédication (vidéo ci-dessous)J'ai découvert cette semaine le blog d’un d’entre vous, amis de l’Oratoire, qui est philosophe et écrivain. Il met si bien en valeur ce commandement donné par Moïse à la toute fin du livre du Deutéronome : « choisis la vie, afin que tu vives ». Commandement tout simple et pourtant extrêmement profond. Il s’agit là du testament de Moïse. Il a achevé son rôle : les hébreux ont été libérés des griffes du pharaon par la force de Dieu, ils ont reçu de quoi penser leur théologie et leur philosophie avec la révélation au buisson ardent de Dieu comme source de l’être. Ils ont pu réfléchir sur le juste rapport avec Dieu, avec leur prochain et avec leur propre désir avec les tables de la Loi. Ils ont appris à rendre un culte à Dieu afin de travailler à bien s’ajuster à lui. Les hébreux ont ainsi fait du chemin à la suite de Moïse. Mais maintenant, ils tournent en rond. Moïse est bien incapable de les mener dans la Terre Promise elle-même. Il ne peut que monter sur la montagne et la voir de loin. o0o L’Église chrétienne est comme Moïse, elle peut décrire le Royaume, en parler savamment. Elle peut stimuler notre recherche théologique et éthique, elle peut nourrir notre cheminement jusqu’à un certain point. Mais si l’on en reste-là on tourne en rond comme dans un désert. Il faut autre chose Pour entrer dans la vie. Quelque chose qui n’est plus seulement une parole extérieure mais au contraire une parole qui nous est intérieure « C’est une parole proche de toi, une parole intense, chaude comme la braise, une parole qui est dans ta bouche et dans ton cœur afin de se réaliser. » (Deut. 30:14) Moïse ne dit pas que cette parole est dans notre livre, dans nos prophètes, dans nos églises, dans nos fêtes et dans nos cultes. Comme les hébreux à la fin de leur Exode, nous sommes libérés de la soumission à tout cela. Dans notre église, nous sommes même particulièrement libérés. Moïse annonce ici la fin de la peur de Dieu qui, quoi qu’il se passe « ne t’abandonnera pas, ne te délaissera même pas » (Deut. 31:3, 6), Dieu n’est plus compris comme source de punition, mais au contraire comme cherchant à nous avertir des conséquences du mal et de nous en préserver. Cette théologie libératrice est encore infiniment plus claire après le Christ. Et depuis le temps des hébreux, notre lecture de la Bible a été enrichie et donc libérée par des millénaires de débats, mais encore par la réconciliation de l’intelligence et de la foi. Nous avons aussi une puissance multipliée par la science et les techniques, par la richesse des communications entre nous. Nous sommes donc libres comme jamais personne n’a été libre dans l’histoire de l’humanité. Mais comme pour les hébreux, s’il n’y a pas cette dernière Parole de braise, alors nous restons avec notre belle liberté à tourner en rond dans le désert à regarder de loin la vie promise. Mieux vaudrait alors pour les hébreux être restés en Égypte, ils seraient mieux. En ce qui nous concerne, si nous n’avons pas cette parole de braise qui permet effectivement de choisir et de s’avancer dans la vie promise, mieux vaudrait ne pas avoir été libéré et être encore dans la peur du jugement de Dieu. Comme le bouddhiste qui craint une réincarnation défavorable, comme le juif et le musulman craignent que leur bilan de bons et de mauvais points les envoie en enfer. Apparemment, il y a pas mal de chrétiens aussi qui sont restés soumis à cette menace du jugement de Dieu s’ils ne croient pas ou ne font pas bien comme il faut (c’est à dire comme leur dit leur église). C’est triste mais au moins leur foi change quelque chose à leur vie, ils s’impliquent, ils ne vivent pas cette vie en touristes comme quand nous sommes hyper bien libérés mais sans vivre de cette parole de braise dans notre bouche et dans notre cœur. Nous restons alors dans notre désert, bien libérés de tout, montant joyeusement sur notre petite montagne pour regarder la vie de haut et disserter des promesses de Dieu pour mieux tourner en rond, sans entrer dans la vie vivante. Est-ce que notre vie est changée par notre foi ? Est-ce qu’elle nous fait choisir la vie qui ose traverser le Jourdain et se frotter à Jéricho ? Pour cela, il faut que Moïse s’efface et que vive dans notre bouche et dans notre cœur la parole de braise. Cette Parole intérieure n’annule pas la libération acquise, elle n’annule pas la Torah, la Bible et l’Évangile, elle n’invalide pas le bénéfice de l’intelligence travaillée au jour le jour dans le croisement des interprétations multiples, ni la science. Au contraire. Tout cela mène ou devrait mener à cette Parole intérieure. Et pouvoir vivre alors, personnellement cette Parole : « tu peux choisir par toi-même ». Tu n’as besoin de personne pour aller chercher la solution, tu as déjà tout ce qu’il faut pour choisir et je sais que tu choisiras bien : « tu choisiras la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité, toi et ce que tu auras semé dans ta vie. ». Mais ce qui permet cela est quelque chose d’un autre ordre qu’une parole extérieure, autre chose que de suivre Moïse. C’est laisser Moïse partir, l’aimer et avoir pour lui de la gratitude, mais précisément l’écouter dans sa propre conscience de ses limites et de ce qui peut les dépasser : Moïse alla pour dire ces paroles à tout Israël : je suis âgé de cent vingt ans, à ce jour, je ne pourrai plus sortir et entrer, Ce « Moïse alla » est curieux puisqu’il était déjà devant son peuple, mais cela fait écho au « Abraham alla, comme l’Eternel le lui avait dit... » (Genèse 12:4) C’est la mise en route par la foi suite à la rencontre avec Dieu, c’est le commencement d’une nouvelle histoire, une nouvelle façon d’être. Et c’est effectivement par une expérience vive et profonde de « l’Éternel ton Dieu à toi », que la personne individuelle pourra franchir son Jourdain, passer à une autre dimension malgré toutes les négativités. Il est bon que Moïse en nous fasse cette expérience spirituelle, sente les limites de notre courte vie humaine, tout au plus de 120 ans, les limites aussi de la puissance de la religion et de la parole externe de la Bible, limites de la solidarité d’un peuple marchant ensemble. Tout cela est juste et bon et mérite d’être développé, mais doit ensuite laisser place à la parole de braise qui permet de choisir la vie. On peut imaginer le vertige de ce peuple qui perd alors son formidable Moïse, l’intermédiaire avec Dieu, l’unité de tous, le guide qui fait des prodiges. Il y aura d’autres chefs, plus ou moins bons, il faut bien s’organiser pour vivre ensemble. Mais le projet ici est que chacun devienne maintenant une personne adulte, avec la mission de choisir par elle-même ce qui va dans le sens de la vie. Et dépasser tout ce que Moïse et qui que ce soit d’autre pourraient nous apporter de l’extérieur. Il n’y a pas d’autre solution pour entrer dans la vie. Moïse se met à parler au singulier, s’adressant à chaque personne du peuple entier. Tu as tout à portée de main, nous dit Moïse, d’expérience : la parole de braise est dans ta bouche et dans ton cœur. Beaucoup en ont fait l’expérience et savent de quoi parle ici Moïse, de quoi parle l’histoire d’Abraham mis en route. D’autres personnes pensent ne pas en avoir fait l’expérience. Cela se travaille, peut-être comme Moïse faut-il monter sur la montagne, entrevoir la brièveté et la fragilité des choses et des êtres en ce monde ? Voir notre incapacité à avancer avec nos seules forces ? Voir de loin ce que devrait être la vie en plénitude, et chercher au plus profond de soi quelque chose de plus grand que nous qui fait écho à cet ultime ? Aller ainsi, au cœur de son être là où existe une parole qui dépasse toute parole. Et la ruminer dès qu’on en trouve une première miette... C’est ce que conseille Jésus à l’homme à la main sèche, en citant ce passage du Deutéronome que nous venons de lire et qui permet de choisir la vie : «Lève-toi, là au milieu » (Marc 3:3) disent nos traductions. Mais on pourrait tout autant traduire : « ressuscite au cœur de toi-même », mets toi debout, tu n’es pas un serpent pour ne manger que la poussière du sol, tu n’es plus tout à fait un bébé pour ramper à quatre pattes au raz du sol. Il y a au milieu de toi, en toi, dans ta bouche et dans ton cœur il y a une parole de braise qui te ressuscite, qui te met debout, et bientôt en marche. Et là encore, la discussion autour de la Bible, le culte, la réflexion éthique, philosophique & théologique ne sont pas rendues inutiles par Jésus puisque c’est à la synagogue que l’homme rencontre Jésus et va pouvoir « se mettre debout au cœur de lui-même ». Mais la communauté est comme Moïse et n’est que Moïse, utile mais ne mène qu’à la porte. La parole de braise est autre chose, comme un cœur chaud à l’intérieur de la personne. Vivant, actif, frémissant quand on sent quelque chose qui va dans le sens de la vie, comme une brûlure quand on sent que quelque chose va dans le sens de la mort, du mal, de la malédiction. Souvenez-vous du récit des disciples de Jésus qui s’éloignent tout déçus de la mort de leur espérance, et qui ayant cheminé, reconnaissent enfin le Christ et disent « notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous, lorsqu’il nous parlait en chemin et nous expliquait la Bible, se dressant à l’heure même, ils retournèrent à Jérusalem et ils trouvèrent les autres » (Luc 24:32-33). Ils marchaient dans le mauvais sens, loin de la foi, de l’espérance et de l’amour des autres, loin de la vie et de leur vie. Quelque chose de l’ordre d’une parole brûlante dans leur cœur, donnant vie à ces écritures anciennes qu’est la Bible, c’est cette parole de braise qui va leur permettre de ressusciter, de se mettre debout, de retourner. Car alors vivre mal, alors les méchancetés, les petits coups bas leurs sont insupportables comme une brûlure et ils choisissent la vie, naturellement, joyeusement, ils choisissent de retourner pour réparer la vie. Ce verbe « retourner » est le verbe essentiel de la bible qui évoque la repentance, et qui est présent dix fois dans ce discours de Moïse dont je vous ai lu un extrait. Il n’est pas facile de voir clair dans la vie, et encore moins en soi-même. Parce qu’en réalité nous savons bien que nous sommes très limités, comme Moïse le remarque. Tant qu’il n’y a pas cette parole qui ressuscite, nous pensons n’avoir le choix qu’entre le désespoir et la lutte puérile pour se hausser le col, peut-être par un trop plein d’activités, peut-être aussi en écrasant les autres autour de soi, peut-être en se durcissant dans ses certitudes et sa propre fierté, comme dans une forteresse. Choisir la vie, ce n’est pas cela. Évidemment. Mais il y a une parole, la parole de braise, qui ouvre à la vie et à réparer la vie. Ce n’est pas une Parole qui nous parle de Dieu, mais une parole qui est Dieu travaillant en nous, directement. Une parole qui n’est plus un blabla ronflant de belles pensées dialectiques et de citations comme sait nous en proposer fort bien Google si on lui demande ce que c’est que la vie. Mais entrer en soi-même et reconnaître ou se souvenir de ce quelque chose comme une présence chaleureuse qui nous semble être Dieu (comme l’a dit Pascale tout à l’heure lors de sa profession de foi). Ce quelque chose alors brûle et nous fait ouvrir les yeux sur les saloperies que nous avons faites, pensant être dans notre bon droit, dans le bien, dans l’utile. Pleurer sur ce que l’on a subi et fait subir, ce quelque chose qui brûle dans le cœur peut faire quelque chose de bon même de tout cela. Et il nous donne d’être émerveillé par la vie et tout ce qui est bon, et le choisir enfin. Comme le « fils prodigue » de la parabole de Jésus (Luc 15) qui rentre en lui-même, commence à comprendre, revient vers son Père, son Père pouvant alors courir à lui et le prendre dans ses bras et se réjouir. Le fils avait cru d’abord « choisir la vie », superficiellement. Perdu, rentrant en lui-même il a retrouvé un sentiment, un cœur, une Parole qui l’a mis de bout et qui lui a fait choisir la vie dans son désespoir, qui l’a rendu capable de dire, d’abord en lui-même puis explicitement ce qui n’allait pas. Et vivre. Cette parole de braise est là, nous dit Moïse, tout près de nous, elle est dans notre bouche et dans notre cœur. Elle est dans notre bouche pour nous nourrir, la bouche sert d’abord à cela, avant même que nous apprenions à parler. S’il y avait une seule chose d’utile dans la Bible, le culte et la théologie, c’est de nous dire que la prière est possible. Il n’est pas même besoin d’avoir senti Dieu pour prier. Au contraire, c’est quand on ne sent pas en nous cette parole de braise qu’il convient de chercher Dieu et donc de prier. Moïse ne nous dit pas de trouver Dieu, mais de l’aimer. On peut déjà prier en espérant Dieu, en espérant la foi. On peut déjà commencer à entrer en soi-même, c’est déjà aller vers Dieu, puisqu’il est là aussi, au cœur. La suite viendra : la parole ardente qui commence à nous relever, qui nous permet de franchir des premiers petits Jourdain, et de commencer à choisir de lutter pour la vie. Car la vie est un combat. La vie ne va jamais de soi. C’est ce que nous apprennent le ciel et la terre, que Moïse prend à témoin. Scientifiquement, nous savons que le temps va dans le sens de l’érosion, du chaos croissant. La vie est donc un miracle. Et choisir la vie, délibérément, permet de convertir le temps, de le faire travailler dans le sens de la vie, du bonheur et de la bénédiction. Le faire travailler dans le sens de Dieu, nous faisant revenir de nos exils et marcher dans la vie. « Choisir la vie » est donc un acte de foi. C’est la foi elle-même car Dieu est la vie et même la source de la vie. Mais la question est de choisir ce que l’on entend par la vie, c’est à dire quel Dieu on adore. C’est pourquoi Moïse précise en parlant du bien, de la bénédiction, de la vie qui fait vivre. Pour le reste, Moïse ne nous demande pas d’être plus fort que toutes les négativités. Nous ne sommes pas des guerriers invincibles. Mais il dit que nous sommes capables de « choisir la vie » et de laisser travailler en nous cette parole de braise qui aide à la conversion du temps, à la conversion de notre vie, à la conversion de notre souffrance en compétence pour mieux aimer. Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
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Pasteur dans la chaire de
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Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 10:42)(début de la prédication à 10:42) film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot Si vous avez des difficultés pour regarder les vidéos, voici quelques conseils. |