Il est moins tard que tu ne penses(Exode 3:1-15 ; 1 Corinthiens 10:1-12 ; Luc 13:1-9)(écouter l'enregistrement - culte entier) Culte du dimanche 28 février 2016 Lire la bible est toujours une aventure. Une aventure d’autant plus incertaine qu’on ne choisit pas les passages que l’on lit en fonction de l’actualité , quelle soit celle du monde, de notre pays, de notre église, ou de notre vie personnelle, mais qu’on choisit de se plier à la discipline des textes du jour proposés par nos églises. On est alors pris parfois au dépourvu. Mais par-delà la surprise, on entame alors comme une sorte de pèlerinage, un Exode, une sortie de soi-même, un chemin qu’on n’avait pas prémédité mais qui toujours prend du sens au fur et à mesure qu’il se déroule. Et c’est d’ailleurs là certainement l’assurance de ne pas se laisser aller à la dérive d’une actualité par trop sélective et de s’amarrer à un rocher qui se présente à nous dans les déserts de nos errances. Et c’est donc ce qui m’est arrivé en lisant et relisant ces passages de l’Exode, de l’épître de Paul aux Corinthiens, et de l’évangile de Luc. Bien sûr dans l’épître de Paul il est fait allusion à Moise et au peuple dans le désert ; cela nous renvoie donc au livre de l’Exode. Mais à part ce renvoi littéraire, la proximité du propos est peu visible. Quant au texte de Luc sur le figuier stérile, à première vue, il ne présente aucune possibilité de rapprochement ou d’écho avec les deux autres. Et Pourtant, enraciné dans cette confiance faite à ces frères inconnus qui ont procédé à ces choix, doublé d’un peu d’entêtement, j’ai persisté ; et voilà donc ce matin j’en viens à vous proposer quelques réflexions auxquelles je vais tenter de donner un peu de cohérence à partir de ces trois textes. Alors tout d’abord, je vous parlerai de cette scène primitive que nous rapporte le livre de l’Exode. Toutes les civilisations, vous le savez, se rapportent à une scène primitive, à un mythe fondateur diront certains – un mythe d’ailleurs ce n’est pas un mensonge, ce n’est pas une mystification – c’est simplement un récit transmis oralement, puis parfois écrit, un peu basique qui structure une société, qui explique certaines de ses pratiques et révèlent un sens à ce qui parfois est obscur. Ensuite avec le texte de l’épitre de Paul, j’essaierai de vous montrer à la fois la pérennité de cette scène primitive, sa persistance par-delà les siècles et en même temps son déplacement. Et le troisième texte de l’évangile de Luc nous éclairera sur la signification existentielle de ces récits fondateurs, leurs enseignements que je résumerai par cette phrase : “il est moins tard que tu ne penses”. Et bien entendu, convaincu que notre lecture est en dialogue avec la réalité qui est la nôtre aujourd’hui, j’en tirerai quelques conclusions provisoires susceptibles de contribuer à l’annonce de quelques bonnes nouvelles que l’espérance qui nous anime nous permet de dire aujourd’hui dans notre monde qui va quelque peu à la dérive. Alors tout d’abord, ce texte de l’Exode où Moise dans un buisson ardent croit reconnaitre une présence qui va bouleverser sa vie et probablement, enfin, lui donner un sens. Il est vrai que Moise depuis sa naissance est en quête d’identité. Une identité qui jusqu’à ce moment est un peu à la dérive, à l’image de ce petit radeau de fortune balloté par les eaux du fleuve dans lequel il a été trouvé parmi les marécages peuplés de roseaux qui le bordent. Coincé entre deux héritages : celui de ce peuple asservi, ce sous-prolétariat qui - aux dires des égyptiens dominateurs - devient si nombreux qu’il menace la cohésion de la nation, et celui de cette cour pharaonique qui l’a recueilli et a fait de lui une espèce de mutant, étranger partout. Etranger parmi les puissants, étranger parmi les esclaves : la tension est insoutenable. Il suffit d’une étincelle pour que le drame éclate. Le drame, c’est ce meurtre qu’il accomplit, cet égyptien qu’il tue parce qu’il le voit maltraiter des hébreux. Un meurtre qui est le symptôme de cette antique solidarité qui vient l’étreindre, surgi d’un inconscient qu’il ne maîtrise pas et qui lui révèle une appartenance qu'il avait oubliée. Il semble d’ailleurs que dans un premier temps l’inquiétude d’être découvert ne le touche pas. Il est vrai que ce peuple dont il prend la défense par son geste n’est pas encore un peuple. Il est plutôt une collection improbable d’êtres démunis, asservis, qui ne sont pas prêts - loin de là - à se lancer dans une histoire libératrice. Ainsi Moise , finalement découvert et en passe d’être dénoncé par ceux là même dont il aura la charge, à ce moment-là, loin d’avoir l’âme pleine de bravoure pour organiser une insurrection, n’a pas d’autre issue que de fuir, et de se refaire une santé, une famille, une religion, dans un lieu qui le met à distance de ces filiations multiples qui le déchirent. Moise croit alors avoir trouvé la paix par ses propres forces en se forgeant une identité de secours qu'il croit indemne des histoires anciennes qui se bousculent dans sa tête. Mais voilà que l’histoire le rattrape et qu’un événement mystérieux va survenir et le déranger dans sa vie réorganisée. Une voix surgie d’un phénomène bizarre lui intime tout d’abord d’ôter ses sandales. Ce n’est rien à première vue, une anecdote sans importance. Mais il s’agit de remettre littéralement les pieds sur terre. De sentir sans médiation un sol ferme. De ré-atterrir après la tentative de se refaire - comme on dit communément - par des artifices de circonstance, il s’agit maintenant pour lui de reprendre racine, d’ouvrir les yeux et d’accepter une rencontre déterminante, une rencontre véritable avec à la clé une mission à vues humaines impossibles. Cette rencontre avec Dieu – car il s'agit de Dieu bien sûr – va sortir Moïse de la léthargie bienheureuse dans laquelle il s'était installé. Mais il faut le dire, ce dieu n'est pas un dieu comme les autres. Tout d'abord c'est un dieu qui bouge, un dieu en mouvement – on pourrait dire en Exode. Au fond ce dieu – qui après tout semblait bien tranquille dans son ciel lointain, indifférent sinon sourd, un peu impassible sinon figé – se révèle proche, proche de ceux qui crient leur désespoir, proche de ceux qui attendent par-delà leur souffrance une libération faite de paix et de justice. Et ce dieu réclame à son tour une coopération, une aide. Ce dieu ne peut pas se passer des hommes, de certains hommes pour que le monde vive selon l'espérance qui le tient aux entrailles. Dans ce monde, paralysé dans ses rapports violents, Dieu en quelque sorte met en jeu son existence pour remettre du jeu dans un monde accablé, étranglé par les folies meurtrières qui l'enchaînent, le défigurent et le dénaturent. Renonçant à la figure lointaine d'un créateur qui laisse voguer à vau-l'eau une humanité à la dérive, Dieu se révèle dans une proximité risquée. Mais c'est à ce prix que d'impossibles possibilités vont pouvoir se mettre en œuvre. Et c'est pour cela que Dieu ne se nomme pas, ou plutôt qu'il répond - lorsque Moïse l'interroge - par un subterfuge qui ouvre sans limites tous le champ des possibles. La seule réponse que Dieu donne vraiment à Moïse c'est “va, maintenant je t'envoie !” Quant à son nom autour duquel nombre d'exégètes se sont questionnés “Je suis qui Je suis, Je suis qui Je serai, Je serai qui Je serai”, je retiens une lecture : “Qui Je suis ? vous le verrez bien, ou mieux encore, vous allez voir qui Je suis”. Une menace à peine voilée pour ceux qui dominent, une espérance pour ceux qui souffrent. Ainsi dans cette rencontre avec ce dieu qui fournit un socle solide à la mission de Moïse – qui au passage se retrouve enfin lui-même centré sur le sol ferme d'une parole qui l'envoie - se forge un avenir où toutes les libérations pourront venir puiser l'eau vive de toutes les insurrections, de toutes les résurrections, lorsque le présent enfermé dans les nécessités d'un destin qu'on n'a pas voulu est trop lourd à porter. Cet avenir, Paul - l'apôtre rattrapé in extremis par quelqu'un qu'il n'a jamais vu, rencontré sur un chemin dont le nom sonne aujourd'hui tragiquement à nos oreilles - dans un rapprochement surprenant va nous en donner la clé. Ici résonne particulièrement son slogan pourrait-on dire : “frères, le temps s'est raccourci, le temps s'est contrasté”. Si le texte de l'Exode, je le disais, a une petite consonance mythique et prend des allures de conte merveilleux - vous savez la vieille formule ”il était une fois“, “in illo tempore” en latin, dans ce temps illustre, révolu, passé où les dieux conversaient avec les hommes - ici dans cet épître, Paul rappelle avec force que ce temps d'autrefois est aussi le temps présent, ou plutôt que ce présent qu'il a partagé il y a peu avec le Christ, ce présent était déjà à l'œuvre du temps des hébreux sur le chemin malaisé de leur libération. Ce roc auprès duquel ils se désaltéraient dans le désert, c'était le Christ lui-même. Ce dieu toujours un peu voilé, que ce soit dans la colonne de nuée ou dans la colonne de feu, déjà là dans le buisson ardent, ce roc a maintenant un visage d'homme. Un homme qui – ainsi que le rapporte l'évangile de Jean, lorsqu'on le questionne sur son identité, dit volontiers : Je suis, pour dire simplement la persistance personnifiée de la vie à travers le temps. Ce dieu fait homme, ce Je suis éternel, non seulement parle aux hommes mais vit avec eux, partage leur joie, leur douleur, leurs contraintes les plus domestiques pourrait-on dire, et surtout cet homme est le visage de tous les hommes, qui - quelque soit le nom de leur souffrance - aspire à ce que les mâchoires du destin se desserrent. Les Corinthiens auxquels Paul s'adressent sont un peu de la même mouture que ce peuple antique qui souffre et soupire vers le ciel. Corinthe – 500 000 habitants dont 2/3 d’esclaves et une infime minorité scandaleusement riche, une communauté en quête d’identité prête à se jeter dans les bras de n’importe quel marchand d’illusions séductrices, une ville violente, multiculturelle, multiethnique, à la recherche de ses raisons de se vouloir encore un avenir commun. Corinthe, dans son foisonnement commercial, intellectuel, religieux, est aussi une ville, une collectivité à la dérive. Corinthe, dans sa quête d’avenir, un peu paniquée, est au bord de l’effondrement, de la noyade, ballotée dans le flot des contradictions qui la submergent. Corinthe - comme Moise d’ailleurs - bégaye son histoire et finalement est en train de se fermer tout avenir en s’enlisant dans un statu quo où la loi du plus fort et la méfiance à fleur de peau génèrent cynisme et désespérance. Et Paul rappelle à cette communauté qu’elle peut s’amarrer à un rocher. Un rocher bien vivant, et présent, qui a pour visage celui du frère, celui du prochain. D’ailleurs il est symptomatique que Paul, s’adressant à ce peuple cosmopolite, invoque les pères, nos pères, lorsqu’ils étaient au désert. Et ici - ne nous méprenons pas - Paul ne veut pas leur assigner une identité superficielle comme celle de nos anciens manuels d’histoire lorsqu’ils évoquaient nos ancêtres les Gaulois, mais il veut simplement rappeler que, ce qui par-dessus tout caractérise l‘humanité véritable, c’est la fraternité. Une fraternité qui, si de nos jours est manifestement le parent pauvre de notre devise, est pourtant la vérité ultime qui peut nous tenir ensemble. Alors oui, il y a à travers le temps qui s’écoule une permanence à laquelle tous peuvent s’amarrer loin des tourbillons du grand fleuve bouillonnant, une source intarissable, un roc inébranlable. C’est cette figure du frère, vulnérable, fragile, qu’il nous faut coûte que coûte défendre, relever, sauver, qu’il faut sortir de sa résignation, à qui il nous faut sans cesse redonner de l’espérance, pour entrer en résistance avec lui, en insurrection ; une insurrection sans haine - rappelait Paul Ricœur - mais qui, à l’image du Christ en insurrection lui-même contre les puissants politiques et religieux du moment, en sacrifiant sa propre vie, incarna dans notre histoire la vie imprenable qui ne craint aucune oppression, qui ne démissionne devant aucune domination. Parce que le tombeau est vide à jamais, et que le premier né de l’humanité renouvelée bouscule le temps et y ouvre des brèches pour des chemins de libération, de justice et de paix. Et pour aller vers la conclusion, j’en viens à invoquer cette parabole du figuier stérile que raconte Luc. Sur ces chemins d’attente et de promesse, de résistance et de libération qui parcourent nos textes, loin des paradis inaccessibles comme des actualités toujours décevantes, c’est de notre responsabilité donc qu’il est question. C’est notre responsabilité qui est en jeu et qui est appelé maintenant à mettre du jeu dans ces histoires, celles des hébreux, comme celles de Corinthe, comme la nôtre si souvent fermée sur elle-même. Tout d’abord ce dialogue, qu’on pourrait dire d’égal à égal de l’homme - le vigneron - avec Dieu - le Maître de la vigne. Un dieu qui sorti de son inflexible distance se laisse infléchir lorsqu’il veut mettre un terme à une situation qu’il juge inacceptable. Dieu consent à ce dialogue et se range au désir de son collaborateur. “La terre s’épuise” dit Dieu au vigneron, et au passage nous en savons quelque chose nous qui, au XXI siècle, voyons se profiler l’épuisement définitif de notre cadre de vie. Il y a donc urgence, mais une autre urgence que celle qui vient d’être décrétée en France, une urgence qui doit engendrer une prise de décision mais surtout une action, une action qui s’enracine dans un changement de comportement, dans une conversion, dans une volteface ; une repentance qui pourrait être efficace doit être libre de toute culpabilité. Dans la vie personnelle ou collective, souvent des erreurs sont commises, des routes s’avèrent être des impasses. Ce fut le cas entre autres lorsque le peuple hébreu au désert se tourna vers le veau d’or, c’était le cas à Corinthe lorsque la communauté des croyants se déchira sur des questions d’identité et oublia la fraternité, et c’était visiblement le cas encore avec les négligences du vigneron. Et c’est certainement notre cas lorsque nous restons indifférents et impassibles devant les souffrances qui nous entourent. Ce que dit ce texte sur le figuier stérile, c’est qu’il n’y a jamais de situation de nécessité incontournable. On peut toujours faire autrement. Peut-être que le vigneron n’avait jamais pris la peine de tout mettre en œuvre pour que ce pauvre figuier soit fécond ; apparemment ce n’est que dans l’urgence qu’il va bêcher et mettre du fumier, peut-être ne l’avait-il jamais fait. Et ce qui me touche, c’est qu’il ne se justifie pas, il ne cherche pas à se justifier auprès de son maître. Par contre il mesure les conséquences de ses oublis ou de son désintérêt passé, et sans plus attendre il change et ne se laisse aller ni à la résignation ni à la culpabilité. Et plutôt que de s’enfermer dans un constat amer du genre “il est trop tard”, il prend la juste mesure de sa responsabilité car il est moins tard qu’il ne le pensait. Et de ce fait, il desserre l’étreinte de l’étau de ce qui pouvait être le destin inéluctable dû à son erreur d’hier. Il entend bien que derrière l’urgence, derrière l’imminence de la catastrophe, il y a un espace, un temps, une patience qui lui ouvre un chemin de responsabilité. Et c’est là le propre de notre foi, de notre confiance dans la vie, du crédit que nous accordons à ce qui nous anime, que d’avoir donc la certitude que présentement, ici et maintenant, peuvent s’inaugurer les regards qui rassurent, les paroles qui relèvent et les gestes qui sauvent. Sans plus tarder mais avec la conviction qu’un temps nous est accordé, nous pouvons faire en sorte que de même qu’Israël se libéra, de même que les Corinthiens se réconcilièrent, de même que le vigneron prit enfin soin du figuier, de même pouvons-nous faire aujourd’hui ce qui est juste, salutaire et fraternel pour ceux qui, proches ou lointains parmi lesquels nous vivons, attendent que les frères, les amis, les témoins de Celui qui est la vie se mettent à l’œuvre, à savoir ouvrir les portes de la vie bonne et heureuse, une vie qui met à bas les murs de sécurité, les frontières d’indifférence, les armures de mépris qui conduisent au chaos et à la mort. Moise voulait savoir à qui il avait affaire dans le buisson ardent avant d’aller voir le pharaon, il n’eut pas de véritable réponse mais il eut la certitude que quelqu’un l’envoyait. Ainsi, Je suis la Vérité, le Chemin et la Vie nous envoie. C’est notre seul bagage, il est léger à porter mais sa force est invincible et ils combleront de joie ceux qui se trouveront sur nos routes. Alors nous verrons bien et nous saurons bien qui est Dieu. Amen. Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
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Pasteur dans la chaire de
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