Je ne veux plus vieillir pour ne pas grandir… mourir(1 Samuel 9-10:1)(écouter l'enregistrement - culte entier) Culte du dimanche 21 février 2016 Chers frères et sœurs, et sœurs, cet étrange récit biblique montre, une fois de plus, à quel point la Bible est un recueil de contes, qui ne nous apprennent pas forcément grand-chose, mais qui fonctionnent comme un aide-mémoire qui recueille les expériences utiles de l’humanité. Ce chapitre pour le moins incongru – n’y avait-il rien de plus important à raconter à ce moment de l’histoire d’Israël qu’un homme qui part à la recherche des ânesses perdues ? – fonctionne comme un roman dont le héro, Saül, n’est pas sans faire penser à quelques personnages de fiction, tels Guillaume de Baskerville, Casaubon dans le pendule de Foucault, ou encore Roberto de la Grive dans l’île du jour d’avant, qui se retrouvent embarqués dans des aventures aussi ordinaires que sublimes, dans lesquelles ils firent l’apprentissage du déchiffrement du réel. Ce récit biblique est initiatique. Il entraîne Saül et le lecteur qui le suit, sur la piste de l’identité qui se construit au fil de la narration. La Bible est cette fiction qui mobilise notre intelligence, notre curiosité, notre confiance, notre désir qui constitue notre identité, de même que la Bible lui ouvre une perspective. L’initiation chrétienneSe préparer à accueillir la vieCe récit est initiatique en ce sens qu’il nous permet de repenser à la fois notre filiation et notre vocation personnelle en nous faisant progresser, pas à pas, vers une meilleure compréhension de nous-mêmes, vers une meilleure connaissance de ce dont nous avons besoin pour nous épanouir. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, l’âne est la métaphore animale de l’humain, dans la Bible (Ex 13/11-13). Partir à la recherche des ânesses du père, c’est donc partir tout à la fois à la recherche de son humanité et partir en quête du père, du père réel et non plus seulement biologique. C’est l’invitation qui nous est faite dans ce texte qui accumule les signes auxquels nous devons devenir sensibles pour appréhender la vie dans toute son étendue. A mesure que le personnage Saül évoluera dans l’espace, nous évoluerons dans le théâtre intérieur de notre caractère, de notre personnalité pour atteindre, temporairement, notre pleine identité, le temps de l’onction divine, ce moment où nous sommes à bout touchant avec nous-mêmes. Commençons par la fin, pour voir où cela nous mène. Et constatons que l’onction réalisée par le prophète Samuel ne se mérite pas - pas plus que le baptême ne se mérite ou se conquiert. Le parcours initiatique sert à nous préparer à faire bon accueil à la grâce, au fait qu’avant même que nous commencions à le désirer, la vie est susceptible d’être l’histoire de notre pur bonheur. Le parcours initiatique nous ouvre les yeux, l’esprit, l’être, à ce qui nous comblera d’une réelle joie de vivre. Ce n’est pas pour rien que c’est Samuel, le voyant, qui se trouve sur la route de Saül. L’initiation consiste moins en l’accumulation d’un savoir qui permettrait de percer tous les secrets de l’univers, qu’en une sensibilisation à la vie en ses multiples aspects. Ouvrir les yeux sur le réel, comme les disciples ouvriront les yeux sur le chemin qui les mènent à Emmaüs, là où Dieu se tient sans que nous le sachions à l’avance, selon la formule du patriarche Jacob qui fut lui-même initié dans la nuit de Béthel. C’est aussi le cas d’un autre Saul, qui deviendra Paul, et dont les écailles qui lui couvraient les yeux, tomberont, pour lui donner accès à une vérité sur l’existence qui lui manquait jusque là. Cette initiation consiste donc à se frotter au réel en compagnie de personnes qui ont déjà fait l’expérience d’un regard plus profond sur les choses, sur les situations, sur les personnes. Se frotter au réel en compagnie de personnes qui sont curieuses de la vie, qui ont un rapport scientifique à la vie, c’est-à-dire des personnes qui interrogent, qui ne tiennent pas pour évidentes les vérités qui n’ont pas été soumises au doute, à la critique. Mourir et ressusciterL’itinéraire de Saül, le premier messie de la Bible, le premier à recevoir l’onction et donc à être christ, est un parcours qui se fait en trois jours ce qui indique qu’il va être symboliquement question de mort et de résurrection. Jésus, Jonas, Isaac sont d’autres figures de l’initiation qui nous enseignent qu’il s’agit d’abandonner une part de soi-même, la part figée, nos idéologies, les dogmes, les postures de nos maîtres ou de nos parents, les définitions, les images d’Epinal, les clichés… tout ce qui fixe le vivant. Mourir à nos réalités, à nos représentations si imparfaites, pour nous ouvrir au réel, à ce qui est effectivement disponible. C’est sous cet aspect du manque (manque de pain, d’argent, d’idée sur la destination), que se fait ce parcours qui sera ensuite complété au chapitre 10. Se vider de la part morte de notre vie, faire de la place à la vie, c’est le sens même de la kénose dont l’autre Saul, l’apôtre Paul, dira qu’elle est la caractéristique du Christ (Phil 2/7). Saül connaît trois jours de manque qui constituent son carême, sa période de formation où nous sommes sans artifice, avec rien d’autre que soi. Aucun avoir, juste l’être. Conditions idéales pour remettre en cause les enseignements que l’on tenait pour véridiques sans les avoir jamais interrogés, peut-être parce qu’on ne voulait pas mûrir, pas vieillir, pas mourir. Qui est mon père ? Voilà l’une des questions au cœur du périple de Saül. Qui est véritablement mon père ? Est-ce celui dont je partage le patrimoine génétique ? Est-ce celui qui m’a fait venir au monde des vivants ? Est-ce celui qui m’a permis de grandir ? Ou alors y a-t-il, par-delà toutes les figures paternelles que j’ai croisées, un père – céleste – dont je tire véritablement mon existence ? En découvrant de nouveaux aspects de la vie auxquels il n’avait pas été préparé, Saül est en mesure de s’interroger sur lui-même. Il découvre, notamment, que la vie ne va pas en ligne droite. Il se rend compte que de nombreuses bifurcations sont nécessaires, pour arriver à bon port. Il découvre que tous les chemins ne mènent pas à Jérusalem, ou à Rome, ou à Genève, ou à la Mecque. Et qui nous conduit sur ces chemins de traverse ? Plus loin, dans le récit, nous apprendrons que Saül ne rejoindra pas son père, mais son oncle (1 S 10/14). D’autres filiations voient le jour. Les modèles traditionnels ne s’imposent pas. Qui est mon père, qui est ma mère ? Cette question sera reprise à nouveaux frais par Jésus lui-même, proposant que la famille se constitue autour du service rendu à la parole de l’Eternel, à la volonté du Père qui est dans les cieux (Mt 12/50). Jésus bouscule les modèles, notamment ce qui est considéré comme naturel. C’est en ce sens aussi qu’il est pleinement Christ. Selon le mot de René Char : « Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. » Une perspective chrétienne, l’hospitalitéDe cette identité renouvelée découle un rapport renouvelé au monde, qui peut s’exprimer dans ce beau terme d’hospitalité. Après s’être demandé « qui suis-je ? », Saül est en mesure de répondre, aussi, à la question « que m’est-il permis d’espérer ? » Le premier élément de réponse, il l’a obtenu en partant à la recherche des ânesses qui ont joué le rôle de miroir pour lui, lui renvoyant l’image de l’enfant racheté, selon la prescription d’Ex 13. Saül, racheté, appartient non seulement à Dieu, mais il occupe, par conséquent, une place dans le peuple de Dieu. C’est la raison pour laquelle Saül et son compagnon seront accueillis pour le repas qui n’attendait pourtant que Samuel. Cependant, c’est Saül, qui n’était pas invité, qui aura la meilleure place et la meilleure part. Le dernier arrivé n’est donc pas celui qui a tous les devoirs, selon la perspective biblique. Le dernier arrivé à sa place et on lui fait valoir ses droits. Où est sa place ? Dans la salle du repas qui, en grec, est la kataluma, un terme qui éveille la mémoire du lecteur de l’évangile de Luc puisque c’est dans la kataluma que Marie et Joseph ne trouveront pas de place pour le Christ qui vient, au temps de Noël. La Bible nous dit que la question reste toujours ouverte et implique fortement notre responsabilité : ferons-nous une place à celui qui se présente à nous ? Ferons-nous une place de choix, à nos baptisés, à celles et ceux qui marchent après les ânesses, qui sont en quête d’humanité et qui se retrouvent chez nous, après que des femmes, allant chercher de quoi apaiser la soif, leur ont indiqué un lieu où il fait bon vivre, ces hommes et ces femmes qui, après qu’ils ont déchiffré les signes des temps, viennent frapper à notre porte pour vivre, enfin, quand il ne s’agit pas, tout simplement, de survivre. Notre responsabilité est intacte, dans la perspective chrétienne. La foi n’offre aucune dispense, comme le montre cette histoire où Dieu est incarné par des personnages. Les personnages agissent d’une manière divine en accomplissant ce qui est juste et non ce qui les arrange ou ce qui les intéresse. En agissant pour le bien d’autrui, sans faire prévaloir leur intérêt personnel, ces personnages révèlent ce qu’est la vie portée à son plus haut degré d’accomplissement, ce que nous pouvons nommer Dieu. Ce sont des personnages qui cherchent d’abord le royaume de Dieu, sa justice. Et tout le reste leur est donné de surcroît (Mt 6/33). Il arrive, parfois, que l’inquiétude nous gagne lorsque nous cheminons sur notre propre chemin d’humanité. C’est le cas de Saül qui est sur le point de renoncer, de retourner chez son père biologique, par peur que l’inquiétude l’emporte chez ce paternel (v.5). C’est là qu’interviennent les messagers de l’Eternel, les porteurs de la vie, qui prennent la parole pour redonner sens à cet itinéraire, pour redire le pour quoi de cette démarche et révéler à nouveau l’horizon qui se profile et dont Saül ou le lecteur se rapproche, pas à pas. Notre société est constellée de gens inquiets, qui pensent que nous n’avons pas de quoi pratiquer l’hospitalité, que ce doit être chacun pour sa peau. Il n’est pas dit que ces personnes motivées par la peur de manquer ne soient pas en quête d’une humanité meilleure, en quête d’une fraternité élargie selon la démesure de l’Evangile. Mais ces personnes qui ont peur ont besoin d’être initiée à une autre qualité de vie, à un autre mode d’existence. Elles ont besoin d’être elle-même reconnues et accueillies pour être rassurées, pour retrouver confiance, pour retrouver la foi et emprunter leur propre route. Elles ont besoin qu’on leur ouvre les yeux. Elles ont besoin qu’on les aime. Elles ont, elles aussi, besoin d’une place dans la kataluma. Amen Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
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Pasteur dans la chaire de
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