Quasimodo (1er dimanche après Pâques)(1 Pierre 1:22-2:6 ; Psaume 8)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo ci-dessous) Culte du dimanche 3 avril 2016 Texte de la prédication (vidéo ci-dessous)Dans les premiers siècles du christianisme, la semaine qui suit le dimanche de Pâques était tout entière comme un grand dimanche, c’était « l’octave de Pâques » qui se terminait sur ce que l’on appelait « le 2e dimanche de Pâques », ou « le dimanche de quasimodo », ce nom vient du passage de la 1ère lettre de Pierre : « quasi modo geniti... », « Comme des enfants nouveau-nés ». Que reste-t-il de Pâques une semaine après Pâques ? Nous avons été invités à ressusciter, ou plutôt à naître à une vie nouvelle, de foi, d’espérance et d’amour. Mettons que ce soit fait et bien fait. Huit jours après, le « dimanche de Quasimodo » nous invite donc logiquement à nous considérer comme un enfant nouveau-né, un nourrisson allaité par Dieu au lait de sa Parole. Et cette image porte déjà l’Évangile : un bébé n’a rien à craindre d’une tendre maman comme Dieu sait l’être, bien sûr. Ce devrait donc être naturel pour nous de désirer boire sa Parole par la prière comme n’importe quel petit animal cherche par réflexe le sein de sa mère. Contrairement à ce que pensent certains athées, l’humanité n’a pas inventé l’idée de Dieu pour nous rassurer, pas plus que le bébé se serait fait un film en imaginant qu’il existe quelque par un être immense et tout doux qui lui donnera son corps pour le nourrir, le protéger, l’aimer et le réconforter. La personne humaine cherche Dieu tout simplement comme le bébé cherche sa mère. Mais ce « dimanche de quasimodo » nous fait penser au personnage du roman de Victor Hugo, le bossu de Notre Dame de Paris. Il y a effectivement un lien explicite entre ce texte de la Bible et ce personnage, qui apparaît comme un bébé trouvé sur les marches de Notre Dame le dimanche de Quasimodo, mais pour ceux qui seraient moins familiers que lui à cette référence biblique, Victor Hugo explique que ce nom est donné à ce bébé handicapé pour « caractériser à quel point la pauvre petite créature était incomplète et à peine ébauchée. En effet, Quasimodo, borgne, bossu, cagneux, n'était guère qu'un à peu près. »(IV.2). Le tragique de notre être ?C’est une bonne transcription de que ce l’apôtre Pierre nous dit de nous-mêmes dans cette lettre. En quelque sorte, nous sommes Quasimodo même si dans la lettre de Pierre il y a plus d’espoir, plus de douceur, plus d’encouragement pour notre Quasimodo que dans la tragédie de Victor Hugo. Mais finalement la situation de base est la même, car l’apôtre Pierre présente notre évolution comme un miracle aussi improbable que serait de voir le Quasimodo de Notre Dame se redresser et devenir un prince charmant. La seule possibilité d’être humain est déjà un miracle incroyable, un mélange contre nature, comme le serait une pierre vivante nous dit cette page de la Bible, ce qui est une qualité assez improbable pour un caillou. Pierre nous dit que nous sommes ce miracle : vous êtes comme des pierres vivantes, à la fois tissées de matière brute et de vie divine. Cela nous dit en une image ce qu’est notre résurrection, vous êtes une pierre vivante comme Christ. C’est l’évangile de Pâques. Aujourd’hui, nous dit Pierre, votre mission, si vous l’acceptez, est de faire grandir cette vie qui vous habite déjà, et ne plus être seulement « un à peu près », ne plus être même « une pauvre petite créature incomplète à peine ébauchée ». Contrairement à l’Évangile, le roman de Victor Hugo semble assez pessimiste sur la nature de l’humain. Chacun des personnages est handicapé, à sa façon. Tous se battent pour essayer de cheminer, mais l’ensemble de l’histoire est comme marquée par une fatalité. C’est ce que Victor Hugo annonce dans sa préface de son livre, il évoque le mot grec ἈΝΑΓΚΗ « anankè » qu’il a relevé gravé sur la pierre dans un recoin de Notre Dame, ou peut-être l’a-t-il lu dans l’histoire même de cette cathédrale, en tout cas, nous dit-il, « C’est sur ce mot qu’on a fait ce livre », Anankè, la fatalité, le destin implacable. La semaine de Pâques nous encourage à voir l’histoire autrement, à voir notre histoire autrement. À nous reconnaître comme vivant et pas seulement fait d’une pierre inerte, vivant sans que notre être tout entier soit promis à la mort comme l’herbe des champs. Au contraire, nous avons un avenir de construction devant nous, un avenir de croissance possible, « Quasi modo nati infantes... » comme des enfants nouveau-nés, désirant le lait pur de la Parole divine. Dans un sens, c’est vrai, nous sommes de la même espèce qu’une herbe, une fleur et un simple caillou... mais une herbe, une fleur un caillou habité par le souffle divin. Et cela sonne la fin de la fatalité, nous sommes une pierre vivante appelée à avoir des projets de construction. Cette qualité est célébrée à Pâques, mais elle n’est en nous que naissante. Elle a besoin de lait et de tendresse. Le témoignage de Victor Hugo est plus sombre. Chacun de ses personnages est doué de quelques excellentes facultés humaines mais est handicapé des autres facultés. Nous vivons tous un petit peu cette situation d’être un humain « à peine ébauché », un « à peu près ». Mais notre réalité est moins tragique que dans le roman, car nous sommes plus ou moins l’ensemble des personnages du roman et donc nous sommes bien moins handicapé que chacun d’entre eux. Nous sommes ce Quasimodo qui est si seul dans ses tours de Notre Dame, qui se sent en marge de la fête, ayant un besoin vital d’aimer et d’être aimé. Il incarne l’âme, la gentillesse. Nous sommes l’archidiacre Frollo qui incarne l’intelligence et la culture. Nous sommes l’insouciant Phœbus qui incarne la beauté de l’instant. Et tout ce petit monde et quelques autres tournent autour d’Esmeralda, avec qui chacun aimerait s’unir, bien entendu. Le roman de Victor Hugo est sombre, car aucun n’y arrive, seule une personne qui réunirait les qualités de tous les personnages serait digne d’elle. Chacun essaye de s’y exercer, cherchant cette complétude : Quasimodo essaye d’être moins naïf dans sa gentillesse, il essaye d’être moins esclave de sa soif d’être aimé. Frollo n’est pas tout à fait un monstre froid, agissant par devoir ou par intérêt, il va se surprendre à aimer son petit frère. Mais Quasimodo comme Frollo restent incomplets, handicapés chacun d’une dimension essentielle. La lettre de Pierre présente notre existence de façon moins tragique. Nous sommes un être complet à notre façon, mais comme un enfant nouveau né. Nous ne sommes pas handicapé comme nous le pensons peut-être, notre défi est seulement de nourrir une croissance et une réconciliation de toutes nos excellentes facultés humaines, pas de les inventer nous-mêmes. Il nous faut ensuite assembler ces excellentes pierres vivantes de notre être en une demeure harmonieuse. Pierre parle d’une maison spirituelle, toute tissée de Parole. Cette Maison spirituelle parle à la fois de l’humanité qui est appelée à se réconcilier ce qui n’est possible que par un miracle de création divine. Cette maison toute tissée de paroles, c’est aussi et concomitamment, la personne humaine individuelle, réconciliant, fusionnant, combinant les différentes qualités humaines dont la dissociation est dénoncé par la tragédie de Victor Hugo : qui réconciliera en nous le savant, le gentil, l’athlète, le fidèle, le joyeux, et le beau que nous sommes ? Et que l’ensemble puisse s’unir ainsi à la vie elle-même ? Nous ne le savons que trop, c’est fort difficile, c’est déjà surhumain de se changer soi-même un tant soi peu. C’est aussi impossible que pour Quasimodo de ne plus être le bossu de Notre Dame, ou pour l’archidiacre de devenir un prince charmant. C’est pourquoi le sujet de cette tragédie de Victor Hugo est l’Anankè, la fatalité. Au mieux, on peut se hausser en marchant sur la pointe des pieds, ou sauter en l’air un instant si l’on est un bon danseur. Mais il n’est pas certain que cette impasse soit la conclusion du roman d’Hugo, peut-être est-ce seulement une pédagogie pour nous inviter à chercher une solution au delà de nos seules forces ? En tout cas ce n’est pas la conclusion de l’Évangile que nous donne ici l’apôtre Pierre. La « Parole du Seigneur » change tout. « La Parole », c’est une expression qui évoque dans la Bible une action créatrice de Dieu qui est proposée, offerte comme une parole qui nous serait adressée pour que nous entrions en dialogue avec elle. L’image de Pierre se fait assez crue, charnelle, concrète : cette Parole divine est le sperme de Dieu notre Père qui permet la conception en nous de l’humain, cette Parole éternelle est le lait que Dieu notre Mère nous donne de recevoir de son sein. De sorte que le Quasimodo que nous sommes n’est pas réduit à ces pauvres figures de la tragédie de Victor Hugo, mais nous sommes un enfant nouveau né à Pâques qui va grandir et qui est bien digne d’être le prince charmant d’Esméralda, l’Évangile nous dit bien que nous sommes la fiancée que le Christ veut épouser. Mais le miracle qu’évoque Pâques ne se réalise pas en une seconde. Que reste-t-il après Pâques ? Il devrait nous rester cette dynamique de croissance et cet appétit gourmand, amoureux, pour le lait de la Parole. Le tragique de l’histoire ?Il n’y a pas que la nature humaine et l’humanité que l’Évangile nous invite à voir moins tragiquement, par la foi. Il y a aussi l’histoire. Pierre commence par évoquer l’herbe des champs, belle mais désespérément éphémère, et ce don de Dieu qui la porte à une tout autre dimension. Les apôtres étaient à une époque certainement inconfortable. Enthousiasmante mais anxiogène. En Christ, il y a un changement inouï dans la façon de concevoir l’humain et l’humanité. La loi avait été donnée à Moïse, gravée dans des tables de pierre par le doigt même de Dieu. C’est devant ces tables que David danse, et ce sont elles qui seront déposées dans le saint des saints du temple de Jérusalem. Mais en Christ, cette loi s’accomplit sous une autre forme, s’inscrivant de façon dynamique au cœur de chaque personne par sa Parole vivante. Dans une vision, Pierre avait eu la révélation de cette libération de la loi écrite sur des tables de pierre. C’est la fin de l’absolu des interdits alimentaires, des aliments purs et impurs, des recettes interdites comme la blanquette de veau pourtant si délicieuse : « La voix (divine) se fit entendre à Pierre : Ce que Dieu a déclaré pur, ne le regarde pas comme impur ! » (Actes 10:15) Le récit de la Pentecôte où Pierre était aussi un des acteurs principaux le rappelle aussi, le don de l’Esprit Saint est donné individuellement à chacun, pas sous forme d’une Loi unique pour tous, mais comme une capacité donnée à chacun (Actes 2). Tout devient une question d’écoute personnelle, singulière, de ce que Dieu dit à chacun. C’est magnifique, mais vertigineux. La Loi n’est plus inscrite sur une table de Pierre mais chacun devient une pierre vivante. Comment construire un peuple, une communauté vivable s’il n’y a plus une unique écriture objective pour unir tout le monde ? N’aurons-nous pas du sable au lieu d’avoir un temple en pierres massives ? Et bien non. Certes il y aune infinité de pierres, et de pierres vivantes par dessus le marché, vivantes et donc mobiles, libres et indépendantes, chacune investie de son propre sacerdoce, de sa propre relation à Dieu, de sa propre interprétation de ce qui est juste et bon. Mais il y a un seul Dieu et il a placé en Christ une pierre angulaire. Ce qui rassemble la communauté c’est le lien individuel de chacun à lui par la foi, par la confiance en lui et notre sincérité. Victor Hugo exprime bien ce vertige face à un changement d’époque. L’action se passe en 1482, juste après l’invention de l’imprimerie, et les livres commencent à se répandre partout. L’archidiacre Frollo fait ce constat tragique « ceci tuera cela », le livre imprimé tuera le livre de pierres qu’est la cathédrale. Le livre imprimé tuera l’église, si massive, si centralisée, car chacun aura la connaissance et la faculté de juger, d’interpréter à sa façon. Vertige. Tout fiche le camp ? À chaque changement d’époque il y a eu ce mal-être, ce sentiment tragique. Socrate raconte la crainte du pharaon, mil an avant lui, quand pour la première fois on a commencé à inventer l’écriture : cela va tuer la mémoire de l’homme, il n’aura plus à se souvenir puisque tout sera dans des livres. Mais l’écriture n’a pas tué la mémoire, elle l’a transformée, l’homme peut se souvenir qu’il a des livres, et c’est bien plus puissant. Autre changement quand le papyrus a été inventé : c’est la fin de la gravure sur pierre, obligeant chacun à aller au centre, et lire ce qui est marqué sur l’obélisque place de la Concorde pour recevoir la connaissance. Oui, c’est ce qui fait trembler le pharaon, et c’est ce qui change tout, le livre se copie et se déplace avec nous, on peut l’envoyer à un ami. Avec Jésus, nouvelle révolution angoissante, une nouvelle conception de la vérité et de l’unité : c’est même la fin de la révélation centralisée. On ne copie pas seulement la Bible, mais chacune et chacun est fait interprète de la Bible, et même prophète ou prophétesse, lieu même de la révélation. L’imprimerie développe cette révolution. Mais l’archidiacre a tort. Le livre n’a pas tué les cathédrales, il s’est ajouté aux cathédrales. Le livre n’a pas tué l’église, il la transforme, la libère, la rend proche de chacun. Alors évidemment, les archidiacres tremblent devant le livre imprimé, nous dit Victor Hugo, comme des soldats en haut des remparts qui voient s’approcher l’armée ennemie armée de lourds cannons : la muraille ne tiendra pas. Est-ce la fin de l’église, sans le support du dogme ? Non, c’est la fin d’une certaine conception de la vérité, une certaine conception de l’unité, une certaine conception de l’église. Pour son bien et pour le bien de tous. De même que la photo n’a pas tué la peinture, il l’a libérée de devoir simplement imiter le réel. La révolution numérique et mondiale que nous connaissons est elle aussi inconfortable, mais encore une fois, « ceci ne tuera pas cela », le numérique ne tue pas le livre, bien au contraire. Encore une fois, il nous faut seulement apprendre, comme un enfant nouveau né, à vivre cette nouvelle transformation. Elle a de merveilleux côtés, en profonde affinité avec la libération spirituelle apportée par le Christ. Il nous faut simplement inventer une éthique de ces nouvelles possibilités. Et en soigner les travers. Pour cela être plus que jamais des pierres vivantes dans ce monde en mutation. Des pierres vivantes qui s’assemblent en une maison spirituelle toute tissée de parole. De parole de Dieu, évidemment. Mais aussi de paroles entre frères. Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
|
Pasteur dans la chaire de
|
|
Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 09:56)(début de la prédication à 09:56) film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot Si vous avez des difficultés pour regarder les vidéos, voici quelques conseils. |