Ne pas s’inquiéter de manquer ?(Matthieu 6 :19-34)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 2 août 2015 Le manque et la peur de manquer nous font souffrir et nous constituent en même temps. Ils nous font parfois régresser mais nous font aussi avancer. Ils peuvent nous étouffer sous les soucis, et ils peuvent motiver une recherche essentielle. C’est en cherchant sur cette question que je me suis penché sur cette page du « sermon sur la montagne » de Jésus. Mais en lisant ce texte, sincèrement, je me suis dit je n’allais pas y arriver. Car en première lecture, cette page semble dire des choses tout à fait choquantes. Nous ne pouvons pas tenir un mois sans manger, ni une semaine sans boire, ni une journée dans le froid sans vêtements, ni quelques minutes sans un peu d’air. Nos ne pouvons pas non plus vivre sans communiquer, sans compagnie, sans estime de soi... la morsure du manque et de la peur de manquer est le juste cri de notre soif de vivre. Comment en parle ce texte de l’Évangile ? La première réponse, qui saute aux yeux et qui est retenue par certains, serait un appel à vivre comme un pur esprit, que le vrai bon croyant arriverait à faire abstraction le plus possible de ses besoins physiques, arrivant à se libérer même de l’importance d’exister en tant qu’individu personnel. Certaines spiritualités, certaines philosophies retiennent également ce cheminement, mais ce n’est en général pas celui de la Bible et encore moins celui de l’Évangile du Christ. En effet, Jésus nous dit que Dieu aime ce monde où nous sommes (Jean 3 :16), qu’il l’aime et qu’il aime notre vie jusqu’à tout donner pour la sauver, la rendre belle, et l’on voit Jésus lutter non seulement pour vivifier la foi des pécheurs, mais nous voyons aussi Jésus faire aussi tout simplement ce qu’il peut pour guérir les corps souffrants, et il nous appelle à donner nous-mêmes à manger à ceux qui ont faim (Matthieu 14:16). La seconde façon de comprendre ce texte assume notre être entier comme bon aux yeux de Dieu et nous appelle à nous en remettre à Dieu totalement pour s’occuper de nous par sa divine providence pour ce qui est de notre nourriture, de notre vêtement, de notre santé, de notre place dans ce monde... Il y a là une belle confiance en Dieu, une vraie et admirable foi, mais qui est à mon avis mal placée, car elle est trompeuse, ne correspondant pas à la réalité. Tout n’est pas faux dans cette interprétation, c’est vrai que Jésus nous dit ici l’infinie valeur que nous avons aux yeux de Dieu, et donc l’infinie motivation de Dieu pour nous donner tout ce dont nous avons besoin. C’est vrai que Dieu ne nous a pas attendu pour créer la vie et donc pour lui donner les moyen de survivre. Mais il arrive qu’il y ait trop de neige et que des oiseaux meurent de ne plus trouver à manger. Même au temps où l’homme était bien incapable de perturber le climat, des populations entières de dinosaures, d’oiseaux, de lys et d’être humains sont mortes de faim et de soif. Et cela, malgré la volonté de Dieu, bien sûr, qui veut que la moindre créature puisse s’épanouir, et donc avoir pour commencer le minimum vital. Dieu agit, il est puissant et il y travaille. Il est infiniment puissant mais il est loin d’être tout puissant. L’une et l’autre de ces deux lectures du sermon de Jésus me semblent amener à une angoisse pire encore que la simple préoccupation face au manque. La première lecture vient opposer l’une contre l’autre ces deux excellentes dimensions de notre être, celle de notre biologie et celle de notre spiritualité. Comme le dit Jésus « Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté, et toute ville ou maison divisée contre elle-même ne peut subsister » (Matthieu 12:25), il en est ainsi de la personne dont le corps nie la spiritualité ou dont la foi nie les légitimes aspirations du corps. D’ailleurs le verbe grec traduit ici par « s’inquiéter », merimnao (merimnao), signifie littéralement être divisé, écartelé, et c’est littéralement le propre de ce qui est diabolique d’opérer un éparpillement. Au contraire, le projet de Jésus est d’unifier notre être, notre vie, de développer l’individu personnel que nous sommes pour mieux le mettre en articulation avec les autres et avec notre Dieu à tous. Et cela devrait être notre projet aussi, avec Dieu, de prendre soin de nos frères et sœurs et de la création, associant, réconciliant le soin du corps et celui de la foi. La seconde lecture est particulièrement angoissante et culpabilisatrice avec cette notion de providence absolue de Dieu. Car quand le pauvre a besoin d’aide à en mourir, priant et suppliant Dieu, il n’y a pas de pain qui tombe du ciel sur sa table, ni de médicament, ni de place pour se réfugier. Cette théologie de la providence matérielle de Dieu a fait perdre la foi, à juste titre, à bien des personnes. Pourtant Dieu agit, puissamment, mais pas ce n’est pas si simple. Et heureusement qu’un agriculteur s’est préoccupé du lendemain pour garder des semences de l’an dernier, pour les semer, pour moissonner... Relever des indicesComment lire alors ce passage du « sermon sur la montagne de Jésus » ? Un certain nombre d’indices ont attiré mon attention dans ce texte, révélant une plus grande complexité. 1) Le 1er indice, ce sont les exemples que Jésus donne de ce que l’oiseau n’a pas à faire pour avoir sa nourriture : c’est semer, moissonner mettre dans des greniers. Ce qui est étrange c’est que ces actions sont souvent utilisées par Jésus pour parler de l’action de Dieu lui-même pour nous donner la vie. Jésus compare dieu à un semeur (Matthieu 13), il appelle Dieu « le maître de la moisson » (Matthieu 9:38) qui amasse le meilleur dans ses greniers pour la vie éternelle (Matthieu 13:30). On ne peut donc pas dire que ces actions se semer, moissonner et amasser seraient de mauvaises actions. Au contraire, c’est un programme. 2) Le 2e indice est que les oiseaux sont dits « du ciel », comme les lys sont appelés « des champs », dans ces deux exemples que Jésus nous donne, nous avons donc ici les deux natures de l’humain, à la fois de la terre du ciel, à la fois biologique et spirituel. 3) La comparaison avec le lys est intéressante, si on la regarde dans les détails. D’abord l’habillement des lys, donné par Dieu, donc. Ils ne reçoivent pas de petits vêtements qui les recouvriraient, par conséquent le vêtement du lys, c’est sa propre nature. Donc l’homme est certes vêtu magnifiquement par Dieu et ce vêtement, et cette magnificence c’est sa propre nature humaine qui est celle d’être à l’image de Dieu lui-même, selon la Bible, à l’image de Dieu étant en train de créer, librement, selon son propre projet, et de bénir, selon ce qu’il trouve juste et bon. 4) Mais je vois un 4e indice à notre dossier d’enquête, c’est que ce n’est pas seulement le lys que Jésus nous invite à regarder, mais « comment grandissent les lys des champs », là encore, cette croissance n’est pas externe, mais elle appartient à leur qualité d’être, et cela encore nous est proposé pour que nous le reconnaissions en nous-mêmes, même si ce n’’st pas évident à première vue, puisque personne n’a jamais vu l’herbe pousser en réalité, il faut observer pour voir qu’elle a en réalité cette faculté, quand les conditions sont normales. 5) Le fait que la beauté des lys soit comparée avec Salomon est là aussi un détail significatif. Jésus saurait pu dire seulement « le plus riche des hommes », s’il voulait dénoncer la richesse, mais non l’exemple pris et celui de Salomon, remarquable pour sa sagesse, lui permettant de vraiment faire du bien en ce monde tout en marquant une vraie place pour Dieu au cœur de sa cité terrestre. 6) La mention du « lendemain » apparait à plusieurs reprises dans ce texte, il est même comme personnifié dans cet aphorisme célèbre « le lendemain aura soin de lui-même. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain, à chaque jour suffit sa peine. » Ce lendemain parle-t-il de la succession de jours en ce monde ? Mais, un peu plus haut, l’allusion à « l’herbe des champs qui existe aujourd’hui et qui demain sera jetée au four » est une claire référence à ce travail de Dieu pour transformer notre vie en vie éternelle. Ne pas se préoccuper du lendemain ne serait-il pas plutôt un appel de Jésus à faire confiance en ce qui concerne la vie future, plus qu’un appel à l’imprévoyance en ce monde ? 7) Enfin, dernier indice, il y a ce curieux passage qui dit que que l’œil est la lampe du corps et que si l’œil est en bon état, ça va bien, mais que s’il est malade c’est la catastrophe. Le mot important est celui qui est traduit ici par « en bon état » qui nous décrit l’état de notre regard qui nous mène à la vie. Ce verbe aplouv (haplous) est rare, dans le Nouveau Testament il n’existe que dans ce passage, mais dans l’Ancien Testament en grec il traduit le mot hébreu Mymt (tamim) qui est tout à fait remarquable, désignant à le type même de l’humain dans sa perfection, comme Noé, « un homme juste, dans son temps, marchant avec Dieu » (Genèse 6:9) ou Abraham qui marche devant la face de Dieu (Genèse 17:1), et ils vont effectivement être des personnes complètes, d’action et de foi, pas de purs contemplatifs attendant que le salut leur tombe dans le bec. Le manque de l’oiseau et le manque du lysQue nous dit ainsi ce sermon de Jésus qui nous semble un peu décousu ? C’est à chacun d’assembler ces briques, et je cherche comme vous. D’abord, puisque c’est la question qui m’a mené vers ce texte, quels sont les manques qui sont ici relevés par Jésus qui peuvent effectivement être source d’inquiétude néfaste pour notre vie. La vie est plus que la nourriture, nous dit Jésus, son exemple des oiseaux nous parle de ce manque de nourriture, ce manque des ressources nécessaires à notre vie, le pain, l’eau, l’air, la santé, la sécurité, les relations, le savoir, la foi... toutes les dimensions de notre être ont besoin d’être nourries. C’est le premier manque auquel l’homme est exposé, comme toute créature vivante. Nous connaissons le manque ou la peur du manque de ressources. Le corps est plus que le vêtement, comme le dit Jésus, et cela nous parle d’un second manque, encore plus profond que le premier, qui est celui de l’apparence, celui de notre « gloire » aux yeux des autres, aux yeux de Dieu, et à nos propres yeux. Ce manque, c’est de n’être pas Dieu (Genèse 3:5), de n’être pas parfait comme Dieu est parfait, le sentiment qu’il nous manque toujours quelque chose pour être acceptable. Ce manque essentiel est constitutif de l’humain. Il peut être source de profondes souffrances. Jésus nous invite à nous poser un peu, à imaginer la campagne, regarder l’herbe pousser, les hirondelles prenant leur repas, et des fleurs sauvages, à s’ouvrir à cette beauté, à son rythme profond. Plutôt que d’être parfait, Jésus nous invite à avoir un œil parfait, qui éclaire tout notre corps. Mais qu’est-ce qu’un œil parfait ? c’est simplement un œil normal, moyen, comme le nôtre, mais tourné vers la perfection. Car on voit dans la Bible que la « perfection » de Noé ou d’Abraham est marquée par les tâtonnements et les errements, on voit Jésus, même lui, être tenté de profiter de la vie égoïstement (Mt 4:1), pleurer d’angoisse devant la perspective de son exécution (Mt 26:42), et même douter de Dieu (Mt 27:46). Mais il a toujours cette « perfection de l’œil » en Jésus qui consiste dans le fait qu’il regarde vers Dieu. C’est donc un regard, une visée qui, à la fois, prend conscience de n’être pas Dieu pour regarder vers Dieu. C’est cela qui permet de passer de l’inquiétude à la recherche. Le « ne vous inquiétez pas » est alors plus à prendre comme une promesse que comme un ordre. C’est comme cela que nous pouvons saisir le « soyez parfait comme votre père céleste est parfait » (Mt 5:48) de Jésus comme étant à la fois tout à fait déculpabilisant (personne ne peut nous en vouloir de ne pas arriver à être Dieu, c’est bien sûr impossible), mais en même temps cela ouvre à une dynamique, un regard et une croissance dont nous avons la capacité. Regardez les lys des champs, nous dit Jésus, il nous dit même plus que cela, « considérez en profondeur comment grandissent les lys des champs ». Ils sont issus de la terre comme nous le sommes, ils y sont encore en partie enfoncés, loin d’être Dieu, même pas un oiseau du ciel. Mais ils ont reçu la capacité de grandir, de s’élever vers le ciel, et cette capacité est une gloire plus grande que celle de Salomon, le roi de la sagesse, le roi de la paix. Jésus ne fait pas de distinction entre un lys orangé de luxe et un petit lys tout pâlichon. Même le plus rabougri des lys a reçu cette capacité à sortir de terre et à grandir vers le ciel. Et cela, c’est vraiment quelque chose que nous pouvons contempler en nous. Oui, nous ne sommes pas parfait mais nous avons reçu la possibilité de grandir, de marcher avec Dieu comme Noé ou Abraham, au moins par le regard, au moins par un début de recherche du Royaume de Dieu. Cet Évangile du Christ exorcise ce manque de perfection qui nous faisait nous sentir nuls, qui nous faisait peut-être courir fébrilement. Jésus nous aide à convertir la force nocive de cette inquiétude en force positive de recherche, une recherche comme un regard de contemplation tranquille, confiante. La capacité à grandir nous a été donnée, regardons nous pousser. Regardons les autres comme capables de pousser, de grandir, grâce à Dieu. Les oiseaux du ciel nous parlent du manque plus basique mais non moins essentiel en ce monde qui est le manque du minimum vital. La volonté de Dieu, c’est bien entendu que tout le monde puisse disposer de ce minimum. Et Dieu y travaille, et y embauche. Mais manifestement, Jésus mélange tout. L’oiseau « du ciel » parle des besoins de notre corps terrestre, et le lys « des champs » nous parle de notre élévation vers Dieu. Oui, tout est mélangé dans notre être complexe. Tout est associé dans ces manques matériels et spirituels. Notre peur de manquer du minimum vital est avivée par ce manque essentiel de n’être pas Dieu, et inversement. Regardez les oiseaux voler dans le ciel, nous dit jésus. Ils nous disent de ne plus nous voir comme un bébé pigeon recevant tout d’un Dieu maman-pigeon. Dieu nous envoie voler de nos propres ailes, avec cette incroyable liberté que donne la foi, la confiance en Dieu. C’est quand nous volons comme un oiseau dans le Royaume des cieux que nous avons alors la sagesse d’un Salomon qui se retrousse les manches pour travailler sur terre, qui planifie le nombre d’ouvriers, de troncs d’arbres et d’or pour essayer bâtir un pays en paix pour son peuple, où chacun a le minimum vital, où chacun à sa place et où Dieu n’est pas oublié. Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire Voir aussi cette prédication de Laurent Gagnebin
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Pasteur dans la chaire de
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