in english« Ce qu’aime mon âme » :
retrouver le paradis perdu

(Cantique des cantiques 3:1-5)

(écouter l'enregistrement - culte entier - désolé pas de vidéo cette fois-ci)

Culte du dimanche 26 juillet 2015
prédication du pasteur James Woody

 

Chers frères et sœurs, le Cantique des cantiques nous offre l’occasion d’une excursion bucolique en compagnie de deux amants, de deux aimants serait-il plus juste de dire, attirés l’un vers l’autre dans un mouvement infini que rien, pas même la mort, ne saurait empêcher. Le passage que j’ai extrait évoque l’un d’eux se mettant en quête de l’autre. Prise à la lettre, la traduction de Louis Segond « j’ai cherché celui que mon cœur aime » nous offre un manifeste présentant ce qu’est le transport amoureux. Le texte hébreu, lui, nous offre à penser un peu plus puisque, mot à mot, le rédacteur a écrit « j’ai cherché ce qu’aime mon âme ». L’être aimé peut être inclus dans cette recherche, mais le texte hébreu donne à penser plus largement le mouvement de cette personne comme le mouvement même du désir, quelque soit l’objet du désir, qu’il soit une personne, ou non. « Ce qu’aime mon âme » renvoie à bien plus que le fait de vouloir quelque chose ou quelqu’un. « Ce qu’aime mon âme », c’est l’Autre - que la théologie chrétienne nomme Dieu. Cette tension de l’âme vers l’Autre prend le nom de désir, et c’est ce désir que le rédacteur met en scène au fil des chapitres. Avec cet extrait, j’aimerais que nous observions ce que l’auteur biblique propose au sujet de ce désir, en nous arrêtant sur les trois étapes, les trois lieux qu’il distingue : la chambre, la place publique et l’au-delà.

L’état naturel, la pensée magique

Le premier lieu est la chambre, plus exactement la couche. C’est là que, plusieurs nuits, la femme a cherché ce que son âme aime. Rapporté à l’être aimé, cela revient à le chercher là où nous aimerions qu’il soit, dans notre lit, dans nos bras. La scène est assez naïve : qui imaginerait qu’il suffise de vouloir la présence de l’être aimé pour que cela arrive ? Qui imaginerait qu’il suffise de songer à ce que l’on souhaite pour que cela se réalise ? Celui qui serait animé par ce qu’on appelle la pensée magique est dans cette situation. Il pense qu’il suffit de vouloir quelque chose pour que cela arrive. Toujours rapporté à l’être aimé, c’est la belle idée que l’autre sait ce que je veux, ce que je pense, ce que je désire, sans que j’aie besoin de le dire, de l’exprimer.

Cette manière d’envisager le fonctionnement des relations entre les personnes relève du fusionnel, d’une vie de couple sans distance entre les personnes. Cette manière d’envisager les relations révèle à la fois le mécanisme qui le fonde et l’impasse où cela conduit. Le mécanisme, disais-je, c’est la pensée magique, le fusionnel. Tout est immédiatement disponible : tout est là et tout est à moi. C’est l’idée qu’il y a un ordre naturel auquel toute vie devrait se conformer. Celui que j’aime doit être là où je l’espère et, dans le droit fil de cette pensée, celui que j’aime doit faire ce que je souhaite. Si nous élargissons cette mécanique des relations à la vie de famille, mes enfants doivent faire ce que je veux dans la mesure où ils doivent être là où je les attends. Intuitivement, nous comprenons bien que nos enfants ne peuvent pas être télécommandés sans perdre du même coup leur liberté. C’est en n’étant pas exactement là où je le rêve, que mon enfant peut avoir sa propre existence. Autrement nous nous retrouverions dans la situation où les parents ont, finalement, droit de vie et de mort sur leur enfant. Ce texte libère d’un droit naturel, biologique, qui confinerait au lien incestueux ou mortifère.

Elargie à la question de Dieu, la pensée magique concourt à envisager la prière en son for intérieur comme une manière de pouvoir influer sur le cours des choses et d’obtenir ce que l’on souhaite. Mais l’expérience du Cantique est que la pensée magique est la meilleure manière de ne pas trouver ce que l’on cherche car le désir, qui désigne le manque, ce qui nous fait défaut, ce que l’on souhaite satisfaire, a besoin que nous nous déplacions pour être satisfait. Le désir conteste qu’il y ait un ordre naturel suffisant. Le désir implique de ne pas laisser les choses en l’état sans quoi on maintient le manque en l’état ce qui finit par rendre malade.

Parcourir le cercle social

Le désir insiste et la personne, plutôt que se rendre malade, va faire le tour de la ville pour trouver l’objet de son désir. Selon la même formule, elle cherche ce qu’aime son âme, mais ne le trouve pas. Elle ne trouve pas l’objet de son désir dans son milieu social. Elle ne trouve pas son conjoint - celui que son âme aime. Elle a beau faire le tour des clubs dont elle est membre, le tour de sa paroisse… elle a beau aller sur son lieu de travail, faire le tour de son quartier, elle ne trouve pas ce que son âme aime. Si elle a quitté la maison familiale –ce qui lui évitera une relation incestueuse- elle reste dans un rapport fait de similitude sur le plan social. Dans la mesure où le désir se met en recherche de l’Autre, ce n’est pas dans un milieu connu que j’ai des chances de trouver cette altérité. Le conformisme social est autant une impasse que le conformisme biologique, relève l’auteur de ce passage.

Pour rester dans le registre du couple, il est bon de se rappeler que le mariage, dans la Bible, consistait à allier deux familles, à les apparenter. Ainsi, Salomon (1 R 3/1) s’allie par mariage avec le Pharaon, le roi d’Egypte, en prenant sa fille. Sur le même principe, le roi Achazia était allié par mariage à la maison d’Achab (2 R 8/27) de même que Josaphat (2 Chr 18/1). Le Cantique des cantiques invite à envisager une relation qui ne fait pas des conjoints des instruments au service d’autre chose, par exemple des intérêts économiques ou politiques. Ici, le texte biblique dégage la relation amoureuse des contingences légalistes. Tant que l’amoureuse reste dans l’espace connu, balisé, tant qu’elle reste dans l’espace délimité par les gardes, représentants de la loi qui veille sur elle, elle ne trouve pas ce que son âme aime. Car le désir porte par delà ce qui est connu, par delà ce qui est prévu. Le désir porte vers plus que ce qui est institué.

C’est hors de la dimension conjugale que vont se jouer toutes les scènes réjouissantes du Cantique. Ce texte nous rappelle que la vie en plénitude n’est jamais inscrite à l’avance dans un cadre institué. La vie excède les institutions, les modes d’emploi, les prédictions, les normes établies. La vie en plénitude, celle que le désir nous fait aimer, n’est pas celle que nous connaissons déjà. Ce n’est pas plus celle que nos parents ont connu que celles de nos amis, de nos collègues ou de nos contemporains. Nous ne pouvons pas nous conformer à ce que nous voyons autour de nous pour être heureux en amour ou dans les autres domaines de notre existence. La seule manière de satisfaire ce désir qui se creuse en nous est d’aller au-delà du conventionnel : dépasser le conjugal pour accéder au nuptial, passer de la morale à l’éthique, passer du mimétisme à la création.

Par delà

C’est à cela que s’emploie finalement notre amoureuse dont le désir ne faiblit pas et qui l’attire par delà l’espace connu. C’est après avoir dépassé les gardes, littéralement après avoir « traversé » les gardes (racine ‘abar), qu’elle trouve ce qu’aime son âme. Comment mieux dire la nécessité de franchir les barrières sociales pour atteindre ce que nous sommes en droit de revendiquer en termes de vie bonne ? Le texte biblique refuse qu’on institue un modèle qui tiendrait lieu de norme pour toute vie. L’objet du désir n’étant pas contenu dans l’ordre naturel ni dans l’ordre moral, il est à accueillir dans ce nouvel espace qu’ouvre le texte biblique ; c’est un espace où la multitude des possibles nous tient lieu d’horizon. Notre désir n’est donc pas limité à ce que nous sommes par notre naissance, ni à ce qu’on a fait de nous. Le désir nous met en capacité d’aller par delà les schémas qui nous contiennent abusivement. Le désir qui insiste nous pousse à la liberté, la liberté de pouvoir aimer celui qui correspond à notre personne et non celui qui s’impose à nous par le droit du sang ou des conventions du moment, qui sont si souvent érigées en droit sacré.

Le texte subvertit le principe d’un droit sacré qui s’imposerait globalement à toute l’humanité. Le texte subvertit le principe de conservatisme qui pose que le mieux que nous ayons à faire et de garder les choses, en l’état. La femme sort du domaine connu, son désir la conduit vers ce que son âme aime, au-delà des gardes, dans le jardins des délices dont tout le livre biblique va être le poème. Ce n’est pas tant le principe de plaisir qui est revendiqué ici que la liberté qui guide ses pas, dans cette ambiance de Genèse 2, le jardin d’Eden qui s’ouvre devant elle, à nouveau. Passé les gardes, elle vit la scène primitive qui conduit les deux personnages l’un vers l’autre, avec le même verbe « venir » (bo’) conjugué au factitif. En Genèse 2/22 le rédacteur disait que l’Eternel faisait venir la femme vers Adam, dans le Cantique, le désir a conduit la femme vers ce qu’aime son âme puis, le saisissant, elle va le conduire dans la chambre de sa conception, la chambre de sa propre genèse. Chemin de liberté, disais-je, parce que dans ce nouvel espace, dans cet Eden, tout est possible, à l’exception d’une chose : consommer du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, c’est-à-dire prétendre au savoir absolu, définitif.

Le texte récuse le principe du Dogme, de la vie définie, de l’Être embastillé. Adam collait des étiquettes sur les membres de la création (Gn 2/20), mais cela ne lui apportait aucune satisfaction. Le manque s’exprimait de manière absolue par la voix de l’Eternel jusqu’à ce que vienne son vis-à-vis et qu’il soit alors capable de parler, d’entrer en dialogue, capable de s’extasier, capable de s’émerveiller, capable de s’étonner, de jubiler face à l’inconnue.

C’est ainsi que s’accomplit ce passage biblique que les traductions françaises rendent curieusement par un interdit « ne réveillez pas l’amour jusqu’à ce qu’elle le veuille », alors que l’hébreu et le grec expriment précisément l’inverse aux filles de Jérusalem : « si vous réveillez, si vous réveillez l’amour, que ce soit jusqu’à ce qu’elle veuille », jusqu’à ce qu’elle désire.

Si tous les textes bibliques sont saints, selon la tradition, Rabbi Aquiba précisait : le Cantique des cantiques est le Saint des saints, le cœur de la foi. Cette foi, nous le comprenons à la lecture de ce passage, ne consiste pas à contenir les élans, à neutraliser l’enthousiasme. Bien au contraire, il s’agit d’éveiller le désir : le désir de vivre pleinement, de vivre librement, par delà les ordres déjà établis, par delà ce que nous sommes actuellement. Il s’agit d’éveiller la foi : le désir de s’attacher inconditionnellement à retrouver le paradis perdu.

Amen

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre © France2

Lecture de la Bible

Cantique des cantiques 3:1-5

Sur ma couche, pendant les nuits, J’ai cherché celui que mon cœur aime; Je l’ai cherché, et je ne l’ai point trouvé...

2 Je me lèverai, et je ferai le tour de la ville, Dans les rues et sur les places; Je chercherai celui que mon cœur aime... Je l’ai cherché, et je ne l’ai point trouvé.

3 Les gardes qui font la ronde dans la ville m’ont rencontrée: Avez-vous vu celui que mon cœur aime?

4 A peine les avais-je dépassés, Que j’ai trouvé celui que mon cœur aime; Je l’ai saisi, et je ne l’ai point lâché Jusqu’à ce que je l’aie amené dans la maison de ma mère, Dans la chambre de celle qui m’a conçue.

5 Je vous en conjure, filles de Jérusalem, Par les gazelles et les biches des champs, Ne réveillez pas, ne réveillez pas l’amour, Avant qu’elle le veuille.

Traduction NEG