Manquer de foi, et la nourrir quand même(1 Rois 17:1-16 ; Marc 12:38-44)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 9 août 2015 Au sens littéral, l’histoire de la pauvre veuve de Sarepta nous encouragerait à tout donner à l’église, au delà du raisonnables, afin d’être récompensés par de merveilleux miracles dans notre vie. Jésus critique vertement les théologiens qui oppriment les pauvres avec ce genre de discours.
Gardez-vous des scribes, spécialistes de la Bible...
Jésus nous donne là une leçon d’interprétation de la Bible, mais aussi un témoignage à vivre notre foi plus librement. Quelques versets avant cet épisode, il nous donne ce résumé de ce qu’il faut faire pour bien faire : aimer Dieu et son prochain comme soi-même. Pour résumer ce résumer, il faut donc tout donner pour Dieu, tout donner pour secourir son prochain, et tout donner pour être en forme soi-même. Et comme c’est évidemment impossible dans la vie concrète, Jésus ajoute qu’il faut donc répondre avec notre propre discernement (dianoia) et que c’est cela qui nous placera dans une bonne dynamique de vie, grâce à Dieu (Marc 12 :30, 34). Toute la vie de Jésus est dans cette inspiration, dans cette tension féconde entre ces trois composantes. Et quand finalement la méchanceté des hommes lui impose, malheureusement, de choisir radicalement entre le sacrifice de soi-même et le sacrifice du service de Dieu et des autres, c’est dans les larmes qu’il se résout à cette alternative cruelle. Pas comme une belle et bonne chose normale. Mais les théologiens que Jésus critique tirent de la Bible des commandements à l’emporte pièce, qu’ils chargent sur les épaules des autres, tout en leur donnant à cette interprétation la valeur d’une lecture prétendue exacte de la Bible, et même le titre de vérité sortie tout droit de la bouche de Dieu (plus c’est gros et plus ça passe, parfois). Ensuite, témoin de ces personnes en train de donner, Jésus ne fait que constater, sans jugement. Une pauvre veuve donne jusqu’à creuser son manque, jusqu’à détruire sa vie biologique. Il ne félicite ni ne critique. Mais ce que Jésus a déjà critiqué les théologiens qui l’ont poussée à cette extrémité. Jésus fait remarquer aussi que d’autres personnes donnent de leur superflu. Jésus ne dit pas que ce n’est pas assez. De toute façon, pour Jésus, apparemment, l’essentiel est dans l’amour et donc dans la sincérité du geste, dans le choix personnel entre ces trois composantes : Dieu, notre prochain et nous-mêmes, et déjà le fait de donner quelque chose montre que la valeur de cet arbitrage a été intégrée, le reste est plus une question de motivation que de morale ou de théologie. C’est pourquoi Jésus ne fait pas tellement la morale, mais son cheval de bataille c’est juste de faire confiance à Dieu (« avoir foi »). Et Jésus ne dit jamais qu’en étant juste, croyant, dévoué et généreux cela nous porterait chance dans la vie, ou que nous aurions plus de prix aux yeux de Dieu. Cela ne marche pas comme ça. Il n’est donc pas possible de lire l’histoire de la veuve de Sarepta au pied de la lettre, comme si la générosité de Dieu pour nous viendrait en récompense ou en punition de notre façon de vivre. De toute façon, bien des éléments de cette histoire du prophète Élie sont impossibles au sens littéral. Le roi Achab et la reine Jézabel préfèrent adorer Baal, Ashéra et eux-mêmes plutôt que l’Éternel, mais est-ce que Dieu voudrait pour autant envoyer la sécheresse sur la pays, et donc une famine mortelle pour toute la population qui n’y est pour rien ? D’ailleurs, Dieu ne fait pas la pluie et le beau temps, pas directement. Ensuite, si Dieu pouvait commander aux corbeaux de porter du pain et de la viande à Élie, si Dieu pouvait faire apparaître miraculeusement une source de farine et d’huile dans la cuisine de la veuve de Sarepta, pourquoi est-ce que Dieu n’aurait pas fait directement apparaître la pain et la viande dans la poche, voire directement dans la bouche d’Élie, et tant qu’à faire en mettre sur la table des millions de pauvres qui meurent de faim, encore aujourd’hui, 8 août 2015, probablement 8.000 à 9.000 enfants de moins de 5 ans mourront de faim dans le monde. Ce texte n’a donc pas de sens littéralement, et il a été mal utilisé, comme le souligne Jésus. Mais ce texte est plein de sens comme récit symbolique. Nous avons ici deux femmes, Jézabel et la veuve de Sarepta, elles sont un peu jumelles, elle sont étrangères toutes les deux et chacune devra répondre à l’interpellation d’Élie. Elles sont ainsi les personnages principaux de cette histoire, offerts au lecteur pour qu’il se décide face à l’interrogation de la foi, soit en prenant un autre chemin, comme Jézabel, soit en s’ouvrant à la foi, comme la veuve de Sarepta. Un peu plus loin dans cette histoire, un appel d’Élie propose au lecteur de donner son verdict :
Élie s’approcha de tout le peuple, et dit :
Jézabel ou la pauvre veuve ? La pauvre veuve ou Jézabel ? Qu’être, que devenir, que choisir ? Comment avancer ? Dns ce récit symbolique, le tableau est brossé à gros traits, bien sûr, comme souvent dans la Bible, il s’agit d’une typologie, mais en gardant une finesse, une complexité. Jézabel se trompe de dieux, certes, mais elle essaye de bien faire. Elle s’engage dans sa religion, elle sait faire preuve de compassion à l’occasion, et avec son mari, elle s’engage dans la construction de la ville. Et la veuve de Sarepta n’est pas si docile que ça, ce n’est que progressivement et non sans résistance, qu’elle finit par prendre l’Éternel comme Dieu et à marcher sur ses chemins. Et nous voyons que c’est plus compliqué que de simplement se reconnaître dans l’une ou dans l’autre femme. L’interpellation d’Élie que nous montre que nous sommes à la fois Jézabel et la veuve de Sarepta, dansant d’un pied sur l’autre, tous, bien sûr. Mais le texte biblique est souvent comme ça. J’oserais dire que presque toujours, pour comprendre un récit de la Bible nous devons le lire comme si chacun de nous était à la fois l’ensemble des personnages dont parle le texte. Ici, nous sommes à la fois Jézabel qui adore en Baal la force. Nous sommes Achab, le roi qui agit sans conviction, guidé par les autres même si c’est n’importe quoi. Nous sommes la pauvre veuve qui manque de tout, qui désespère, qui se bat pour survivre et qui s’en sort. Quelque chose en nous est encore ce fils de la veuve qui va mourir et ressusciter au gré de la foi de sa mère. Nous sommes ce peuple d’Israël qui balance d’un pied entre Baal et l’Éternel, nous sommes ce peuple qui connaît la sécheresse du manque. Je dirais volontiers que nous sommes aussi Élie, mais cela me semble plus complexe. Élie est dans la Bible un personnage étrange, ce n’est pas un prophète comme les autres. Habituellement, un prophète est appelé par Dieu, l’homme ou la femme hésite, dit qu’il ou elle ne pourra pas, ne saura pas, Dieu lui donne alors de la force, puis une mission... ici, rien. Élie apparait brutalement avec une parole d’une puissance extraordinaire pouvant faire pleuvoir, ressusciter un mort, faire tomber le feu du ciel... puis finira en étant enlevé au ciel dans un char de feu. Élie représente notre foi en l’Éternel. Tantôt chassée, tantôt nourrie, elle source pour nous de questionnements, et de remises en cause dérangeants, source de pluie rafraîchissante, source de feu purifiant, source de résurrection, aussi... Le nom même d’Élie est une confession de foi, Éliyah en hébreu, signifie « mon Dieu (Éli), c’est Yah (l’Éternel) ». D’ailleurs, c’est comme serviteur de l’Éternel, Dieu vivant qu’Élie se présente au premier verset. C’est donc plus qu’une formule magique, c’est une source de vie et une vocation. Le nom de Jézabel est également significatif, il signifie « Qui est le prince ? ». Bonne question, à qui est-ce que je rends gloire et honneur dans ma vie ? Jézabel répond Baal-zébul, c’est à dire le dieu Baal, le Dieu terrible, sera pour moi le prince, c’est lui que j’honorerai dans ma vie. Du coup sa vie est coupée de cette source qu’est l’Éternel, le Dieu de grâce, source de la vie, du mouvement et de l’être. Le texte parle comme d’une sécheresse. Malgré ses beaux projets qui avancent, il y a de la mort, une souffrance, une fièvre pour tout l’entourage. La pauvre femme de Sarepta, ayant perdu son mari, à bout de ressource et désespérée entre aussi dans ce tableau. C’est la première conséquence de cette foi mal placée. La seconde est la situation où est relégué Élie, la foi en l’Éternel comme source de vie. Méprisée, cette foi ne meurt pas tout à fait, mais elle est comme en exil au fond d’un désert. Pour la retrouver, cette foi, c’est là, dans le désert qu’il faudrait que l’homme qui aurait un peu perdu la foi devrait aller la rechercher. Mais malgré Jézabel en nous qui ricane son doute et ses autres pistes de vie, Dieu protège le petit Élie quelque part au fond de notre être. Un filet d’eau évoquant la bénédiction de Dieu, le corbeau qui donne du pain et de la viande. Le corbeau, est un animal impur, dans les listes du Lévitique et du Deutéronome, mais c’est quand même un oiseau du ciel, il est peut-être le moindre des messagers de Dieu pour nous porter le secours de sa Parole pour garder notre foi en vie. Un peu plus loin dans l’histoire d’Élie, fuyant encore la haine, ce sera un ange qui remplira cet office (19:5), le même geste de Dieu mais en version luxe. Mais bientôt, nous montre le récit, notre pauvre petite foi abandonnée va souffrir de soif dans le désert, le filet d’eau se tarit. Mais Dieu, lui, ne désespère jamais de nous. La foi vient frapper à la porte, encore, de notre humanité qui résiste, lui demandant de l’eau, puis un morceau de pain. Cette eau et ce pain, Dieu a besoin de la recevoir de notre main, venant de nous, c’est cela qui manque. Pour ce qui est de lui, de Dieu, nous voyons que sa bénédiction ne nous a jamais été retirée, même dans le manque de foi le plus radical. L’humanité évoquée par la femme de Sarepta a un reste de bonté, encore, puisqu’elle prend le temps de donner de l’eau, mais pour le pain, comment le pourrait elle ? Comment donner ce qu’elle n’a pas ? C’est une question très concrète. Comment nourrir sa foi alors qu’on n’a pas la foi ? Cela semble être comme un serpent qui se mord la queue. Pourtant, la femme sent bien comme un frémissement, elle reconnaît qu’il lui reste un peu de vie, mais comme un souffle et déjà, elle se voit, elle et son fils, glisser vers le néant. Pourtant, Élie a raison, c’est précisément quand on manque de foi, quand on manque de souffle et d’espérance que c’est une super idée de nourrir sa foi. Mais comment ? Cette foi qui la titille déjà lui fait prendre conscience qu’elle n’a pas tout à fait rien. Une poignée de farine et un peu d’huile.
Séparément, la farine et l’huile ne sont ni bonnes ni digestes, il faut les pétrir ensemble et les cuire pour qu’elles deviennent carrément du gâteau. Il convient de pétrir ensemble le meilleur de ce que nous sommes, il en reste vraiment du meilleur en nous, de le pétrir avec la bénédiction de Dieu, avec son Esprit, avec sa Parole, appelez-le comme vous voulez. Quand tout va mal, quand tout nous manque même la foi, vite, trouver en soi un peu d’eau pour calmer notre fièvre, se poser un peu, puis entendre cette voix qui nous permet de nous souvenir de cette dernière goutte d’huile, ce tout petit frémissement de quelque chose en nous qui nous dépasse. Aller chercher aussi quelque chose de pas trop mauvais que nous sommes, quelque chose que quelqu’un qui nous aimerait saurait voir et nous révéler. Prendre cette goutte d’huile et ces grammes de farine pour les pétrir, les assouplir en les malaxant dans nos mains et en faire un gâteau, le laisser reposer un peu, le cuire quelques instants, et nourrir notre foi naissante, comme une remontée vers la vie. Parfois, la priorité des priorités, dans notre existence est de servir d’abord notre foi. Cela n’a rien d’un sacrifice de soi comme l’enseignaient les intégristes de l’époque de Jésus pour dévorer la maison des veuves, au contraire, c’est du gâteau. C’est ce dont témoigne par exemple Aelred de Rievaulx, vers 1150, il est moine cistercien, successeur de Bernard de Clairvaux. Dans une prédication portant sur le livre d’Ésaïe il se souvient de l’histoire d’Isaac découvrant pour la 1ère fois Rébecca, qui deviendra sa femme et donc il va même tomber amoureux, et il y reconnait un encouragement pour nos mauvais jours :
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