L’« enjoyement » de la création(Colossiens 1:15-20) (écouter l'enregistrement - culte entier - désolé pas de vidéo cette fois-ci) Culte du dimanche 12 juillet 2015
Chers frères et sœurs, êtes-vous prêts à vous baigner dans la Seine ? Probablement pas. Voilà pourtant une promesse qui ne date pas d’hier. Ce seul exemple montre que nos conditions de vie sont loin d’être les plus saines qui soient. Nous pourrions tout aussi bien parler de la qualité de l’atmosphère, de la qualité de certains aliments : notre environnement est de plus en plus problématique. Les études scientifiques -parfois contradictoires- ne font que confirmer ce que nous constatons à notre échelle, en observant également les variations climatiques, les modifications de la faune et de la flore sur l’ensemble de la planète. En décembre prochain aura lieu une conférence internationale sur le climat, qui se tiendra à Paris et qui devrait réunir 40.000 personnes. L’un des objectifs est d’obtenir un accord pour que l’activité humaine -qui a désormais un impact majeur sur l’atmosphère et donc le climat- ne produise pas un réchauffement supérieur à deux degrés. La Fédération protestante s’implique tout particulièrement dans ce projet, en lien avec les autres cultes français. Cette démarche n’est pas une nouveauté pour le protestantisme qui est sensible depuis des dizaines d’années aux questions écologiques au sens large du terme, aussi bien par la réflexion de grandes figures comme Albert Schweitzer ou Théodore Monod, que par l’activité des théologiens parmi lesquels Jürgen Moltmann, John Cobb qui ont posé les bases de ce que nous appelons, en France, le respect de la création. Aujourd’hui, le respect de la création ne suffit plus. Nous ne pouvons plus nous en tenir à un statu quo, à une sorte de modération qui consisterait à maintenir la situation en l’état, car l’état actuel n’a rien de satisfaisant comme je viens de le dire. Le respect n’est plus suffisant si le respect consiste à préserver en l’état, comme on préserverait un tableau en veillant à ce que plus rien ne change. Le respect de la création n’est plus suffisant, à supposer qu’il l’ait jamais été. Toutes les créatures partagent une condition communeDans cette lettre aux Colossiens, nous lisons que toute la création appartient à la fratrie dont le Fils, Jésus-Christ, est dit être le premier-né. Cette formulation théologique revient à dire que tout ce qui fait notre terre et l’univers participe d’une condition commune. Ce texte biblique, en tirant toutes les conséquences de la théologie qui professe Dieu créateur, propose une fraternité radicalement élargie. Non seulement les humains, tous les humains, sont frères et sœurs, sans exclusive, mais cette fraternité est élargie aux animaux, aux plantes, mais aussi aux minéraux, aux éléments chimiques constitutifs de notre monde. « Le Fils est le premier né de toute la création » et pas uniquement d’une infime partie de la création. De fait, le premier récit de la création, dans Genèse 1, raconte le geste créateur de Dieu en incluant bien plus que l’être humain. C’est une vision non seulement universelle, mais cosmique, que la théologie de Genèse 1 assume en présentant Dieu comme impliqué dans la création de l’ensemble du vivant et du non-vivant. Il en découle qu’une fraternité est concevable entre nous et la nature. Cela n’est pas une lubie personnelle ou une innovation de ma part. François d’Assise parlait du Soleil en disant « frère soleil » : « Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures, spécialement messire frère Soleil par qui tu nous donnes le jour, la lumière (cantique des créatures) ». Plus proche de nous, cette fraternité avec les éléments de la création était du goût de Théodore Monod. Laurent Gagnebin raconte que la première où, à l’Oratoire du Louvre, il a prié pour tous les êtres vivants et pas uniquement pour les humains, Théodore est venu le remercier, non pas pour sa prédication, mais pour cette prière plus inclusive qu’à l’habitude. Laurent Gagnebin, pour sa part, avait milité en faveur de prières d’intercession qui intègre la nature dans le champ des préoccupations. Cette fraternité dont parle l’épître aux Colossiens implique le respect à l’égard de chaque composante de la création, « dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles… (v.16) », mais peut-on se contenter de respect au sein d’une fratrie ? N’est-on pas appelé à plus, en christianisme ? Ne sommes-nous pas les gardiens de nos frères ? Si nous répondons par l’affirmative, nous ne pouvons pas nous contenter d’être gardien de notre frère comme d’autres sont gardiens de musée, au nom même de la fratrie dont il est question. Frères en Jésus-Christ, cela signifie que le mode de relation au sein de la fratrie est sur le modèle de ce que Jésus a vécu avec ses contemporains. Ce modèle relationnel n’est pas seulement fait de respect, mais aussi d’amour, d’agapè, de cet amour qui prend soin de l’autre non pas pour le maintenir en l’état, mais pour lui permettre de s’épanouir, pour lui permettre de s’accomplir. Notre rapport à l’environnement est à l’image du rapport que nous sommes appelés à avoir avec notre entourage : pour le dire avec le verbe de la théologie du process, il s’agit d’« enjoyer ». Non seulement on ne jette pas ses déchets dans les forêts domaniales, mais on prend soin des nids ou des terriers. Imaginerait-on que l’Office national des forêts se contente de dresser un cordon de sécurité autour de ses parcelles pour préserver la nature ? Cela n’aurait aucun sens puisque la nature vivante ne cesse d’évoluer, de progresser, de mourir aussi, de se décomposer, de se métamorphoser et que ces différentes étapes peuvent être accompagnées par la main de l’homme pour éviter que le plus fort l’emporte sur le plus faible. De même que nous agissons auprès de nos enfants, auprès de nos frères et sœurs biologiques ou non, pour améliorer leur condition, nous pouvons agir auprès de l’environnement pour améliorer sa condition. C’est en ce sens que nous pouvons comprendre les prières qui intègrent les animaux, la nature… prier est une manière de prendre conscience de cette fraternité, de cette solidarité qui nous unit et d’être plus responsable à l’égard d’une nature que nous faisons bien souffrir de multiples manières. Sans en faire une chose sacrée, les textes bibliques envisagent la nature comme un élément qui est partie intégrante de notre histoire, un élément qui fait corps avec nous face à Dieu. Parce que Dieu est réputé en être le créateur, cela signifie que la nature ne nous appartient pas. Nous en sommes les responsables, au même titre que nous sommes responsables de nos frères et sœurs en humanité. Le deuxième récit de la création, en Genèse 2, raconte la création de l’homme « Adam » à partir de la terre « Adamah » pour nous mettre en mémoire le lien qui nous unit. La nature est l’enveloppe charnelle de l’homme. Comme le dit le texte grec, « tout tient ensemble (sunistemi, v. 17) ». Il est effectivement impossible de mettre une distance entre l’environnement et nous, sauf à mourir asphyxié. Cette fraternité élargie nous conduit donc à envisager notre rapport à l’environnement sur un mode majeur, l’amour, et pas uniquement le respect si nous comprenons le respect comme une attitude de neutralité bienveillante. Toutes les créatures partagent le principe de plénitudeCette fratrie, nous le constatons de bien des manières, est mise en difficulté, soit par négligence involontaire, cette insouciance qui nous permet de ponctionner les ressources naturelles ou de dégrader l’environnement par notre manière de vivre, sans sourciller, soit par intérêt, délibérément, en toute conscience. En effet, certains sont prêts à payer des indulgences pour polluer parce que les pénalités à payer sont largement inférieures aux bénéfices de leur activité qui n’« enjoye » pas la création. Quand on réfléchit au fait que nous sommes dans une même fratrie et que cette fratrie est habitée par la plénitude (v.19), notre rapport au reste du monde est susceptible de se convertir. Comment oser dire que la nature est habitée dans la plénitude quand nous la martyrisons ? De quelle manière permettons-nous, vraiment, de porter l’ensemble de la création à son point d’accomplissement, à sa plénitude ? Ne sommes-nous pas le plus souvent dans un rapport de suprématie vis-à-vis de l’environnement ? Le réformateur Jean Calvin était sensible au rapport que nous entretenons avec la nature. Reprenant la formule de l’apôtre Paul dans sa lettre aux Corinthiens, il rappelait qu’« il faut user de ce monde comme n’en n’usant pas » (1 Co 7/31), en n’épuisant pas le monde, en ne le pillant pas, en ne volant pas à Dieu ce qui ne nous appartient pas, en n’utilisant pas ce dont nous n’avons pas fondamentalement besoin. En précisant qu’il faut « savoir se tenir modérément en abondance, et avoir bonne patience en pauvreté » (IRC III, 10,5), Calvin insiste sur notre responsabilité à l’égard d’une consommation, d’une manière de vivre, qui serait irréfléchie et inconséquente. De cela découle une éthique possible qui tient compte de l’ensemble de la création. Notre vocation personnelle, notre manière de conduire notre vie, nos choix professionnels et privés seront d’autant plus éthiques que nous tiendrons compte de ces paramètres pour que nous ne privions pas de plénitude une partie de la création. Cela, nous pourrions le porter communautairement, en faisant de notre diaconie aussi une éco-diaconie, une diaconie qui prend soin de la maison terre, une diaconie qui enjoye l’ensemble de la création que nous avons à portée de main. Nos scouts agissent déjà en ce sens. Quant à nous, nous avons non seulement des moyens matériels et financiers, mais aussi des moyens humains, pour incarner cette éthique responsable. De même que nous nous efforçons d’améliorer le quotidien des personnes, nous pourrions nous efforcer d’améliorer le quotidien du reste de la création, non pas seulement en respectant l’environnement, en faisant attention à notre consommation d’énergie, en évitant les gâchis, en favorisant les transports communs, mais en aimant la création, notre fratrie élargie, en en prenant soin, en améliorant tout ce qui peut l’être, en participant à l’« enjoyement » avec d’autres. En nous engageant sérieusement dans cette voie éthique, en mettant en acte ces convictions théologiques qui sont au cœur de notre foi, nous pourrions être un facteur d’entrainement positif pour d’autres communautés ; nous pourrions ressusciter l’espérance de quelques uns qui pensent qu’on ne peut plus rien faire pour arranger le cours des choses, que tout nous échappe. En reprenant la main sur les situations où nous pouvons intervenir, nous pourrions montrer qu’il est possible de poursuivre le dynamisme créateur dont les textes bibliques se font l’écho. Nous pourrions être agent de cette créativité qui porte toute chose à son accomplissement. Ce n’est pas nous, seuls, qui rendront la Seine propre à la baignade, mais nous pouvons prendre notre part à ce travail d’« enjoyement » qui rendra notre monde plus vivable. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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