Jésus taquin, croyant serein(Matthieu 21:23-27) (écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 20 septembre 2015
Chers frères et sœurs, Jésus inaugure la tradition qui consiste à répondre à une question par une autre question. Mieux que cela, il va s’offrir le luxe de refuser de répondre à une question posée par une partie du sanhédrin. Jésus, libreJésus est présenté par Matthieu comme un homme libre, profondément libre, qui ne se laisse pas impressionner par les hommes de pouvoir de son temps. Face aux membres éminents du haut conseil juif de l’époque qui l’interroge sur les sources de son autorité, non seulement Jésus se permet de leur retourner une question, mais il leur dit très clairement, les yeux dans les yeux « je ne vous dirai pas par quelle autorité je fais cela ». Jésus fait preuve d’une forme de décontraction que je trouve intéressante et salutaire. Salutaire, parce que Jésus nous sauve de cette fausse idée selon laquelle nous devrions nous soumettre aveuglément aux autorités, que nous ne devrions jamais remettre en question les pouvoirs institués, légalement, certes, mais qui s’octroient parfois abusivement certains pouvoirs. Ici, des membres du sanhédrin s’érigent en police de la pensée, jouant de l’intimidation pour mettre Jésus en situation délicate. C’est à peine s’ils ne lui demandent pas un certificat de baptême, une attestation de bonne croyance. En d’autres temps, le nôtre, nous pourrions rire avec le Christ quand les descendants de ces prêtres et de ces anciens demandent « est-ce que tu as rencontré Jésus ? » ou encore « est-ce que tu as accepté le Christ-Jésus comme ton sauveur personnel ? » Après tout, c’est le type de questions qui auraient pu être posées à Jésus lui-même. Car ce qui est demandé à Jésus, c’est de se justifier, ni plus ni moins. Et Jésus leur retourne la question. Vous, là, qui m’interrogez sur l’autorité dont je peux me prévaloir, parlez-moi un peu de votre rapport à l’autorité. Vous avez condamné Jean le baptiste, très bien, alors dites-moi un peu en quel honneur vous n’avez pas cru en lui ? Et là, les prêtres et les anciens se trouvent pris dans une double contrainte. Soit ils disent que l’autorité de Jean venait de Dieu, auquel cas ils passent pour des mécréants. Soit ils disent que son autorité venait des hommes, auquel cas ils montrent qu’ils n’ont rien à faire des hommes, de la foule, et ils risquent de perdre immédiatement leur pouvoir, si ce n’est la vie. Jésus a bien raison de ne pas se laisser impressionner. Toutefois, notons bien qu’il ne s’agit pas là d’un tour de force de sa part. Si Jésus est libre à l’égard de ces hommes de pouvoir qui aimeraient tout mettre en coupe réglée, c’est qu’il n’est pas dans la même disposition d’esprit que ses adversaires du moment. Ces hommes de pouvoir, eux, ne sont pas libres. Ils ont le pouvoir, pour le moment, mais ils sont pieds et mains liés par… la foule, dont ils ont peur. C’est ce que ce passage biblique met en évidence. Ils ont peur de la foule, peur de sa réaction, alors ils se découvrent coincés. Ces hommes de pouvoir perdent toute leur superbe à cause de la peur qui les possède et qui les empêche d’agir aussi librement que Jésus. Ces hommes de pouvoir ont peur de perdre leur place. Ils ont peur que la foule demande leur tête. Alors ils se taisent. Ils préfèrent dire qu’ils ne savent pas plutôt que risquer une réponse qui pourraient fâcher. Ils ne sont pas libres de dire ce qu’ils pensent, ce qu’ils croient. En retournant la question, Jésus révèle ce qui anime ses contradicteurs : la peur de perdre leur pouvoir, peur de perdre leur statut. Ils ont peur de perdre ce qu’ils ont. Jésus, lui, ne connaît pas cette peur. Jésus a déjà montré plusieurs fois que l’important n’est pas ce que nous avons, mais ce que nous sommes. Jésus n’a pas peur de perdre quoi que ce soit, car il ne possède rien, ni pouvoir sur qui que ce soit, ni bien matériel –quoi qu’il ne soit pas en état de nécessité. Jésus est libre parce qu’à ses yeux, ce qui compte vraiment, c’est ce qu’on est et ce qu’on est en mesure de devenir. Et cela, rien ni personne ne peut nous le retirer. C’est tout le sens de l’évocation du baptême. Le baptême dit justement que notre valeur de dépend ni de notre naissance, ni de notre condition sociale, ni de notre statut juridique, ni de notre position professionnelle, ni de notre religion, ni de la superficie de notre logement, ni du nombre de décimales sur notre compte bancaire. Jésus se rit de tous ces critères. Car le baptême a été l’occasion de proclamer que notre dignité nous est offerte de manière inconditionnelle, sans que nous n’ayons rien d’autre à faire que d’en jouir. Les prêtres et les pharisiens sont enfermés dans leurs contradictions. Ils veulent passer pour des gens extrêmement pieux, alors ils sont là, à traquer les mauvais croyants, ceux qui n’ont pas les bons mots à la bouche, ceux qui ne filent pas droit selon leurs critères. Les ayatollahs de la foi ne lésinent jamais pour faire culpabiliser les honnêtes croyants qui, à juste titre, ne considèrent pas la foi comme un objet que l’on aurait ou pas, une sorte de talisman qui ferait de nous une personne estimable. Ces mêmes ayatollahs sont ceux qui vivent au crochet des fidèles, qui ont besoin de la foule pour calmer leurs angoisses existentielles, pour se donner l’impression d’être quelqu’un d’important, d’être dans le camp des bons. Jésus, lui, est décontracté vis-à-vis de ces agents de la terreur. Il ne se laisse nullement impressionner par leur apparente supériorité dont il sait qu’elle n’est que paraître, illusion. Jésus sait qu’on n’est justifié que par grâce seule. Voilà ce que rappelle utilement le baptême, en christianisme. La source de notre actionCette passe d’armes entre les prêtres et les anciens d’une part, et Jésus d’autre part, nous invite à revisiter notre propre manière de vivre, à repenser notre manière d’être, nos manières de faire, pour vérifier que nous sommes bel et bien libres, que nous ne sommes pas motivés par quelque peur, par quelque phobie, ou par quelque conformisme insensé. Pour ne prendre que l’exemple du baptême, en faisons-nous bon usage ? Baptisons-nous parce que cela s’est toujours fait dans la famille ou dans notre Eglise, ou le baptême a-t-il un sens précis pour nous, quitte à ce que ce sens ne soit pas identique pour mon voisin, pour mon prochain ? Au nom de quoi agissons-nous ? Au nom de qui faisons-nous tel ou tel choix ? Est-ce par conformisme ? est-ce pas peur de déplaire à des amis, à la famille, à des personnes dont nous aimerions qu’elles nous admirent ou qu’elles votent pour nous, que nous agissons ainsi, que nous nous prononçons dans un sens plutôt qu’un autre ? Les prêtres, les pasteurs, les rabbins se racontent une histoire qui se perd dans le début du XXème siècle. Disons que c’est un pasteur qui en fut le témoin. Il est invité un jour chez des paroissiens qui viennent de s’installer et qui lui servent un poisson pour le dîner. Présenté dans un plat largement plus grand que nécessaire, le poisson a été coupé en deux, la tête d’un côté, la queue de l’autre, ce qui est assez original pour être signalé. Le pasteur interroge la famille sur la raison de cela et la maîtresse de maison répond que sa mère faisait comme cela. Cela tombe bien, la mère est une paroissienne que le pasteur va visiter la semaine suivante. Au cours de la conversation, il l’interroge sur cette manière un peu curieuse de servir le poisson. Elle lui répond qu’elle tenait cela de sa propre mère. Qu’à cela ne tienne, la mère en question doit venir à la prochaine étude biblique. Le pasteur en profite pour la questionner. La femme redresse légèrement la tête et fixe le pasteur d’un œil où se mêlent le pétillement et la mélancolie. Elle lui raconte que lorsqu’elle s’est mise en ménage, elle n’avait pas beaucoup de moyens, mais qu’il ne fallait pas se laisser aller. Elle avait un tout petit plat qui pouvait aller au four. Alors, quand elle cuisinait du poisson, elle le coupait en deux, pour que ça rentre dans le plat. Sa fille n’avait pas compris le sens de ce geste. Elle s’était contentée de couper à nouveau le poisson, alors que ce n’était pas du tout nécessaire dès lors qu’on avait un plat suffisamment grand. Et la petite fille avait reproduit le même geste, ignorant tout de la raison de départ. Elle n’avait plus aucune intelligence de cette manière de préparer le poisson. Elle se contentait de reproduire, de se conformer à la génération précédente, sans se demander s’il n’était pas préférable de faire autrement. Jésus, je l’ai dit et redit à la suite de ce passage biblique, s’est permis de ne pas répondre à la question qui lui avait été posée. Cela signifie que cette question demeure, elle est comme suspendue devant les yeux du lecteur des évangiles qui peuvent, à leur tour, décider de ce qu’ils feront de cette question. En ne répondant pas, Jésus laisse le lecteur totalement libre de faire ce qu’il estimera le plus approprié. Jésus laisse la question totalement ouverte, parce qu’aucune réponse n’est –a priori- mauvaise. Les mauvaises réponses sont les réponses des autres : les réponses qu’on nous impose, les réponses d’autrefois qui nous tiennent lieu d’obligation. D’où vient l’autorité de Jésus, d’où tire-t-il sa capacité à agir de la sorte ? Est-ce par conformisme ou est-ce selon le principe de l’impératif catégorique ? Cela vient-il des hommes ou de Dieu ? Et pourquoi faudrait-il choisir entre les deux ? Pourquoi cela devrait-il être fromage ou dessert ? Les contradicteurs de Jésus n’ont-ils pas été prisonniers de ce petit mot, « ou », qui oblige à éliminer un terme alors que les deux ont leur place ? Cette question de savoir ce qui nous motive, de savoir ce qui nous autorise à nous lancer dans la vie, de savoir ce qui nous attire vers l’avenir, de savoir ce qu’est le sujet de notre foi est importante, je dirais même décisive pour vérifier notre liberté radicale, pour vérifier que nous n’agissons pas en vertu de systèmes pervers de fidélité. Savoir ce qui nous anime est important, mais cela ne saurait être inscrit une fois pour toute dans une définition qui nous tiendrait lieu de périmètre définitif. En ne répondant pas à la question, Jésus reste libre de pouvoir réorienter son existence, de la fonder à nouveau, si cela s’avère nécessaire. En ne s’enfermant pas dans une déclaration définitive, Jésus nous ouvre la voie qui mène sereinement vers l’infini. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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