Serions-nous "incapable par nous-mêmes d'aucun bien ?"(Jean 14:8-12 ; 1 Jean 4:7-13)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du dimanche 27 septembre 2015
Chers frères et sœurs, chers Amis, J’aimerais consacrer la prédication de ce culte à cette affirmation de Jésus d’après l’Evangile de Jean 1412 : C’est certain, c’est certain, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais, il en fera de plus grandes. Cette promesse extraordinaire, cette confiance inouïe, cet espoir fou que Jésus place en nous sont incompatibles avec une partie immense de la pensée chrétienne en général, et protestante en particulier, toujours prête à souligner – comme le disait une prière de confession du péché protestante du XVIè S. – que l’homme est incapable par lui-même de faire le bien ; Dieu serait d’autant plus grand que nous serions d’autant plus abaissés. Ludwig Feuerbach - le maître à penser pour les questions religieuses du jeune Marx dans son livre “L’essence du christianisme” où il dénonçait précisément l’aliénation religieuse à une certaine foi qui rabaisse l’homme – écrivait : « l’homme affirme en Dieu ce qu’il nie en lui-même ». Comme si Dieu avait besoin de notre écrasement pour être Dieu, pour être un Dieu en plénitude. Hélas, en consultant différents commentaires consacrés à cette parole de Jésus, j’ai remarqué qu’ils faisaient l’impossible pour amoindrir, pour atténuer le sens et la portée de cette affirmation de Jésus. Et ils le font de deux manières différentes qui sont un peu les deux faces d’une même médaille. D’abord, nous disent-ils, il ne s’agit pas là de chaque croyant en particulier mais de l’église. Alors que Jésus dit clairement celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais, il en fera même de plus grandes ; Il ne dit pas « ceux qui croiront en moi ou la communauté qui me suivra ». Ainsi par exemple Calvin au XVIè S. dans son commentaire nous dit que ce faire – celui qui croit en moi fera – ce faire n’appartient pas à chaque fidèle mais appartient à tout le corps de l’église. Plus près de nous, un autre exemple dans une note de la traduction œcuménique de la Bible – la TOB : on nous dit que la grande œuvre annoncée ici par Jésus, c’est l’église. J’ai bien peur que celles et ceux qui liront ce mot « église » aujourd’hui projettent dans le texte de Jean une réalité officielle, cléricale, hiérarchique qui n’a rien à voir avec l’Evangile de Jean, ni d’ailleurs avec les autres Evangiles. André Gounelle, pour protester contre cette manière de noyer la personne dans une église, anonyme et impersonnelle, publiait il y a quelques années dans un article au titre significatif “Vive l’individualisme !”. Oui, vivent nos engagements, nos décisions, nos responsabilités personnelles, vive notre refus de nous abriter derrière des autorités officielles et prétendument supérieures ! J’ai déjà eu l’occasion de citer ici même en chaire cette réponse que fit Ferdinand Brunetière – critique de la fin du XIXè-début XXè S. – On lui demandait : « que croyez-vous ?» et il a répondu : « allez le demander à Rome ! ». Oui, vive notre liberté de conscience, vive la liberté du croire ! comme l’a si bien annoncé dimanche dernier le Pasteur James Woody dans sa prédication. Celui qui croit en moi : on a l’impression qu’André Gounelle indirectement – il ne le sait pas – répond par ces quelques mots quand il écrit dans son article : « la foi personnelle de chacun a plus d’importance que la foi communautaire de l’église ». Et puis, ces commentaires rabaissent les paroles de Jésus en disant que ce croyant – celui qui croit en moi – n’est pas vraiment une personne libre et responsable, ce croyant n’est que – c’est le mot qu’utilise Calvin – « l’instrument de Dieu » : ce n’est pas nous qui agissons, c’est Dieu qui agit – pour ses œuvres – malgré nous. Et là encore la traduction œcuménique de la Bible déclare que l’œuvre du Seigneur – pas notre œuvre – l’œuvre du Seigneur se déploie à travers les disciples. Nous sommes le canal de la volonté divine qui se fait en quelque sorte malgré nous. On est très loin ici, me semble-t-il, de la parole nette de Jésus : celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais, il en fera même de plus grandes. On est très loin de la pensée centrale de notre cher Nicolas Berdiaev – ce philosophe russe de confession orthodoxe, et un grand libéral - qui disait que le cœur de notre existence humaine, c’est notre vocation créatrice, et que par nos œuvres inventives, nous pourrons surprendre Dieu Lui-même ! Alors certains penseront que ces œuvres sont celles qui ont été réalisées pendant 2000 ans extraordinaires du christianisme, œuvres sociales, humanitaires, culturelles, artistiques, picturales, littéraires, musicales, des œuvres même scientifiques, médicales, hospitalières, des œuvres philosophiques, théologiques, il me semble qu’interpréter ainsi la parole de Jésus, c’est procéder à une certaine extrapolation. Je ne suis pas sûr que Jésus pense à cela mais je préfère cette extrapolation à l’affaiblissement, l’affadissement que l’on fait subir à cette parole de Jésus. Alors cette extrapolation me semble possible à deux conditions : d’abord, que l’on ne voit pas dans ces œuvres – extraordinaires – uniquement celles de témoins connus, reconnus, célèbres, parce qu’il y a des milliers et des milliers de personnes qui, par leur courage, leur persévérance, leur volonté, leur générosité, ont fait des œuvres extraordinaires et dont nous ne gardons aucun souvenir parce que leur souvenir s’arrête à l’angle dur de nos tombes ; et d’autre part, il faut savoir et redire que ces œuvres qui sont l’œuvre de l’Esprit de Dieu ne sont pas uniquement accomplies dans les cadres du christianisme et des églises mais se réalisent au-delà de nos frontières ecclésiales. Voyez-vous : ne nous abandonnons pas aux visions dévalorisantes, pessimistes, négatives de l’être humain, même si nous avons toutes les raisons de le faire devant le spectacle du monde. Jésus aussi avait toutes les raisons de le faire devant le spectacle de son monde. Un monde terrible du temps de Jésus. Jésus qui connaissait bien la nature humaine, Jésus qui de plus vivait dans un pays occupé – l’occupation par les Romains. Lui aussi aurait pu avoir cette vision négative, mais Il nous donne, Il nous apporte une vision optimiste de l’être humain et du croyant. Pour conclure cette première étape de ma prédication, j’aimerais vous lire ces mots, ces lignes d’un éditorial paru dans Evangile & Liberté en août-septembre 2013. Ces paroles sont de Raphaël Picon. Il écrivait ceci : « il y a des drames terribles, des existences brisées, en lambeaux, des injustices et des violences effroyables, mais face à cela, il y aura toujours un prophète, un sage, un poète. Il y aura toujours le Christ pour nous dire que la vie ne se réduit pas à ses échecs, il y aura toujours un cependant pour nous raccrocher à la vie, nous donner envie d’y croire malgré tout, envie de scruter une nouveauté encore possible, envie de faire le pari de l’espérance. C’est ce pari de l’espérance en l’homme que Jésus fait ici pour le croyant. Alors, dans une deuxième étape, j’aimerais essayer de comprendre de quelles œuvres il s’agit ici : celles de Jésus et les nôtres, d’après cet Evangile. Ces œuvres, c’est bien entendu d’abord et nous le savons tous, l’agapè – l’amour du prochain. Au chapitre 13 qui précède directement le chapitre où se trouve cette parole de Jésus à laquelle nous consacrons la prédication de ce matin, Jésus déclare à ses disciples qu’Il leur donne un commandement nouveau : celui de l’amour du prochain, et Il précise : c’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que tous reconnaitront que vous êtes mes disciples. C’est à l’amour, dit Jésus, et non pas à des cultes, à leurs liturgies, à leurs rites, et non pas à des dogmes, à des doctrines, à des catéchismes, ni même à des églises. Mais les protestants – sitôt que l’on prononce ce mot d’œuvre – ont comme un mouvement de recul tant ils sont habités par cette conviction qui a inspiré toute la réforme du XVIè S. à savoir, que nos œuvres ne sont pas méritoires, qu’elles sont impuissantes à nous donner le salut ! Et pourtant, ces œuvres, ces actions, sont bel et bien l’essentiel : c’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que tous reconnaitront que vous êtes mes disciples. Mais voilà – et c’est un des paradoxes de la parole protestante – l’essentiel ne nous sauve pas. Sans l’agapè, le christianisme ne serait plus le christianisme même si nous n’avons pas le monopole de l’agapè. Nous aimons, nous essayons d’aimer. Nous faisons le bien, nous essayons de faire du bien. Non pas pour être aimés de Dieu mais parce que nous le sommes. Et c’est cela que signifie le baptême d’un enfant comme nous venons de l’entendre. Nous disons à l’enfant qui a été baptisé : « que tu le saches ou non, que tu le veuilles ou non, Dieu t’aime ; cela ne dépend pas de toi ». Nous sommes invités par l’Evangile à une religion et à sa pratique désintéressée. Mais les œuvres sont aussi dans l’Evangile de Jean – plus particulièrement dans ce contexte immédiat des chapitres 13 et 14 – non pas seulement des œuvres comme une dimension éthique, moral, l’agapè – l’amour du prochain – mais des œuvres qui accèdent à une dimension que je dirais théologique, religieuse, presque mystique : reconnaitre Dieu comme Père ! Jésus déclare : celui qui M’a vu, a vu le Père ; il aurait pu dire : celui qui M’a entendu, a entendu le Père. Jésus nous révèle ce Dieu-là. C’est une œuvre, une œuvre principale de Jésus : un Dieu-Père. Jésus nous sauve, nous libère de l’image d’un Dieu Juge, un Dieu qui condamne, Auquel il faut sans cesse rendre des comptes. Dans la première épître de Jean – cela aussi nous a été rappelé dimanche dernier – il y a cette très belle affirmation : si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur. Dieu nous libère de l’image d’un Dieu cruel, vengeur, sanguinaire, qui voulait – pour pardonner aux hommes – que le sang coule sur la croix. Je ne crois pas en Dieu, je ne crois pas simplement en Dieu. Que disons-nous quand nous disons « je crois en Dieu » ? Quel dieu ? A quel dieu croyons-nous ? Je ne crois pas à n’importe quel dieu. Je crois au Dieu de Jésus, ce Dieu qu’Il appelle Père et dont la première épître de Jean, nous l’avons entendue, donne un synonyme : Dieu est amour. Nous sommes associés à cette double réalité de l’Evangile : d’une part les œuvres de l’agapè – de l’amour du prochain – et d’autre part dire, annoncer, proclamer que notre Dieu est un Dieu d’amour. Il y a le concert de toutes les religions dans leur histoire, et des non religions dans leurs pensées. Ainsi une double spécificité chrétienne : l’amour du prochain et l’annonce d’un Dieu d’amour. Les 10 et 11 octobre prochains auront lieu, à la Grande Motte près de Montpellier, les journées d’Évangile & Liberté - d’un protestantisme libéral - qui ont précisément pour titre “Aux prises avec nos images de Dieu”. Enfin, chers frères et sœurs, et ce sera la troisième et dernière étape de cette prédication, Jésus ne dit pas simplement celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes, mail Il ajoute ces mots, un peu énigmatiques à première vue, parce que je vais vers le Père. Il annonce là l’Ascension et Pentecôte, qui à l’origine du calendrier des fêtes chrétiennes étaient d’ailleurs une seule et même fête. D’ailleurs dans la deuxième partie de ce chapitre 14 de l’Evangile de Jean, Jésus annonce l’envoi du Saint Esprit. On pourrait dire en parlant de l’incarnation, c’est une manière symbolique, ce n’est qu’une manière de dire les choses : qu’à Noel, en Jésus, Dieu descend vers l’homme : c’est l’humanité de Dieu, c’est l’humanisation de Dieu ; mais qu’à l’Ascension avec Pentecôte : en Jésus, l’homme est élevé à Dieu et à la gloire divine. Mais voilà, Jésus de Nazareth, celui que nous aurions pu rencontrer en Palestine ou dans les rues de Jérusalem, Monsieur Jésus en quelque sorte, les Evangiles nous disent qu’Il est un écran pour Le prendre véritablement au sérieux. J’aimerais vous lire à ce sujet ce que l’on trouve par exemple dans l’Evangile de Matthieu au chapitre 1353 – on le trouve dans les Evangiles de Marc et Luc également. Voici ces mots : Jésus se rendit dans la ville de Nazareth où Il avait grandi. Il se mit à enseigner dans la synagogue et toutes les personnes présentes furent étonnées. Elles disaient : D’où a-t-il cette sagesse ? Comment peut-il accomplir ces miracles ? N’est-ce pas lui le fils du charpentier, de Joseph ? Marie n’est-elle pas sa mère ? Jacques, Joseph, Simon et Jude ne sont-ils pas ses frères ? Et ses sœurs ne vivent-elles pas toutes parmi nous ? D’où a-t-il donc ce pouvoir ? Et cela les empêchait de croire en lui . Nous pensons parfois que nous aurions bien voulu rencontrer Jésus de Nazareth, ne serait-ce que croiser son regard. L’aurions-nous suivi pour autant ? Le cadre terrestre de Jésus, nous dit l’Evangile, est un obstacle pour sa pleine reconnaissance. L’envoi du Saint Esprit va élargir son enseignement, son action, sa vie à un cadre universel, infini, au point que l’absence, le départ de Jésus, la mort de Jésus d’après l’Evangile de Jean n’est pas un moins mais un plus. Et c’est pour cela que Jésus déclare à ses disciples ébahis – quelques versets plus loin – ils n’y comprennent rien : il vous est avantageux que Je m’en aille. Les œuvres plus grandes parce que Jésus va vers le Père, c’est l’annonce du dépassement infini des limitations spatiales, temporelles de l’enseignement, de la prédication de la vie de Jésus décloisonnée pour atteindre vraiment à une dimension universelle. Dans l’Evangile de Jean, ce qui est dit de Jésus est le plus souvent dit aussi de ses disciples. Principalement on nous dit qu’Il est le fils de Dieu, mais on nous dit aussi que nous sommes fils et filles de Dieu. Dans le chantier du monde, l’Esprit de Dieu nous anime et nous porte. Il nous rappelle notre vocation exaltante, notre mission créatrice, notre dignité, notre condition divino-humaine, fils et filles de Dieu nous aussi. Celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes. Nous aussi pouvons vivre cette agapè, nous aussi sommes fils et filles d’un Dieu que nous reconnaissons comme un Dieu d’amour. Nous aussi pouvons faire les œuvres que faisaient Jésus. Nous aussi sommes habités par le même Saint Esprit qui L’animait. Nous aussi. Pour conclure cette prédication, j’aimerais vous relire le dernier verset de cet extrait de cette première épître de Jean que je vous lisais tout-à-l’heure au moment des lectures bibliques : Voici comment nous savons que nous sommes unis à Dieu et qu’Il est présent en nous : il nous a donnés son esprit. Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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