Parties suivantes de cet article : XVIIIe siècle / Révolution et XIXe siècle
L'Oratoire du Louvre
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L'hôtel du Bouchage |
L’Oratoire fut d’abord établi modestement rue du faubourg Saint-Jacques, à l’emplacement du futur Val-de-Grâce. Mais bientôt, le 20 janvier 1616, Bérulle et ses cinq premiers compagnons purent acheter à la duchesse de Guise l’ancien hôtel du Bouchage. Située à proximité du Louvre, son emplacement était donc stratégique. Cette belle demeure, élevée à la fin du XVIe siècle pour Henri de Joyeuse, s’étendait entre les rues du Coq et d’Autriche ; son aspect est connu par une estampe, gravée par Jean Marot au milieu du xviie siècle. S’accommodant des bâtiments existants, les Oratoriens aménagèrent dans un premier temps une chapelle provisoire, prête en mai 1616. Devant le succès de la jeune institution, ils projetèrent bientôt d’élever une grande église a novo, qui impliquait une extension foncière. Bérulle commença par acheter deux maisons rue du Coq, en 1619 et 1621, mais l’église ne pouvait être établie qu’au nord-est, sur les terrains bordés par la rue d’Autriche (actuelle rue de l’Oratoire), c’est-à-dire sur l’ancien rempart de la Ville et ses abords. Le 27 février 1620, l’achat d’une grande parcelle allongée avec son chantier, rue Saint-Honoré, à l’angle avec la rue d’Autriche, débloqua la situation enfin et permit de lancer le projet*.
Clément II Métezeau (1581-1652) |
Le choix de l’architecte du nouvel édifice était décisif au regard des ambitions de l’Oratoire*. Les anciens historiens de Paris ont soutenu des attributions contradictoires, en donnant tour à tour la nouvelle église à deux architectes importants du règne de Louis XIII : Clément II Métezeau (1581-1652) et Jacques Lemercier (v. 1585-1654), sans qu’on n’ait pu longtemps faire le départ entre leurs interventions, ni même établir une chronologie précise des travaux. L’avocat et érudit Henri Sauval, critique avisé et contemporain, affirme que Métezeau avait donné les plans et jeté les fondations de l’édifice, avant d’être remplacé par Lemercier qui aurait corrigé les défauts de l’édifice par l’adjonction de la rotonde du chevet*. Cette version, reprise par Jacques-François Blondel et Dézallier d’Argenville et retenue par l’historien Louis Hautecœur, a été combattue dès le xviiie siècle et le rôle des deux hommes inversé par Piganiol de La Force et surtout le père oratorien Ingold, premier historien du monument. Sans méconnaître le récit de Sauval, ce dernier s’appuyait sur les Annales des oratoriens, manuscrit rédigé au milieu du xviie siècle et qui attribue en effet la première pensée de cette église à « Jacques Le Mercier, fameux architecte », tout en témoignant également de la participation de Métezeau à la conduite du chantier.
Grâce à un manuscrit inédit*, le déroulement complexe du chantier peut être rétabli. Complet et plus précis que les Annales, ce document a été rédigé vers 1660 par un fin connaisseur d’architecture ayant eu accès aux archives de l’ordre, comme le montrent plusieurs digressions du texte. Selon cette relation de première main, Clément Métezeau a bien donné le plan de l’église, sans doute à la fin de 1620 ou au début de 1621. Il appartenait à une dynastie d’architectes originaires de Dreux ; son frère aîné, Louis, mort en 1615, avait été en charge du Louvre, où Clément lui avait succédé (il bâtit l’orangerie du palais en 1717. Son autre frère, Paul, est en revanche un des premiers compagnons de Bérulle. D’ailleurs, Clément avait déjà travaillé en 1620 pour l’Oratoire : à la demande du chancelier de Sillery, l’un des protecteurs de la congrégation, il avait bâti une maison à Marines, près de Pontoise, avec l’entrepreneur Nicolas Lemercier (père de Jacques)*. Peu connu aujourd’hui, on lui doit, avec le maître maçon Jean Thiriot, la fameuse digue de La Rochelle (1627-1628)*.
Inscrite dans un rectangle, l’église projetée devait être sans transept saillant et surtout ceinturée par deux couloirs latéraux. Au chevet, Métezeau avait dessiné un chœur en abside et une chapelle de plan carré. A lui revient donc l’orientation de l’édifice, avec un flanc dégagé par la rue de l’Oratoire et une façade sur la rue Saint-Honoré ; suivant les recommandations du Concile de Trente, peu importait l’orientation si l’édifice pouvait être mis en scène dans l’espace urbain. Le terrain dut être déblayé et nivelé au printemps 1621, puisque le 19 juillet les fondations étaient jetées* ; le 22 septembre, le duc de Montbazon, gouverneur de Paris, présidait la cérémonie de pose de la première pierre de l’église, au nom du roi, absent (il était au siège de Montauban), tout comme Bérulle, alors à Toulouse pour la fondation d’une nouvelle maison*.
Les travaux, pour lesquels aucun devis, marché ou toisé n’a été retrouvé, furent confiés au maître maçon et entrepreneur Frémin de Cotte. Domicilié rue Vieille-du-Temple, puis rue du Vertbois, il était le fils d’un tailleur de pierre, Louis de Cotte ; marié à Marie Toulet, il donna naissance à une descendance d’architectes, dont le plus fameux est son petit-fils, Robert de Cotte (1656-1736), premier architecte du Roi en 1708. Actif dans les années 1620-1650 à Paris et en Ile-de-France, Frémin portait en 1634 le titre de « juré du roi ès œuvres de maçonnerie » ; en 1635, il travaillait aux écuries de l’hôtel de Soissons et retrouva Lemercier sur le chantier de l’hôtel de Liancourt, rue de Seine. En 1644, il publiait un petit traité des ordres d’architecture* et fut durant ces années un juré-expert très sollicité*.
Alors que les murs s’élevaient un peu au-dessus du sol, Métezeau, sans doute courant 1622, fut remplacé par Jacques Lemercier. Figure majeure de l’architecture sous Louis XIII, celui qui allait devenir en 1628 l’architecte préféré du cardinal de Richelieu, et plus tard « premier architecte du roi » (1639) débutait alors sa carrière parisienne. Issu d’une dynastie de maîtres maçons de Pontoise, il s’est formé auprès de son père, Nicolas, puis lors d’un long séjour à Rome (1605-1610). En 1622, c’est un solide praticien, qui a passé une dizaine d’années à travailler surtout comme ingénieur et expert en France. Ses travaux pour l’Oratoire lui donne l’occasion de s’illustrer dans le domaine religieux, la plus noble des commandes*. Il est très certainement l’auteur de la chapelle Saint-Roch de l’église de Marines, élevée en 1619-1620 ; de plan centré et voûtée en pierre, elle constitue un chef-d’œuvre méconnu, qui a peut-être incité Bérulle a lui confier le chantier parisien.
plan original de Lemercier |
Ce changement de maître d’œuvre, sans doute encouragé également par le chancelier de Sillery, était lié aux critiques émises à l’encontre du plan adopté : l’édifice était jugé trop étroit du fait de la présence des deux couloirs latéraux, et la chapelle du chevet mal conçue. Cependant, les murs ayant déjà été fondés, l’arrivée d’un nouvel architecte ne pouvait rien changer au parti général ; seule modification notable, Lemercier rasa les fondations de la chapelle du chevet pour la refaire sur un plan ovale. C’est pourquoi Sauval parle de la « correction » que l’architecte fit de ce côté. En revanche, toutes les élévations extérieures et intérieures reviennent à Lemercier. On possède deux dessins de lui pour l’édifice, un plan et une élévation intérieure partielle (fig. 1 et 2), conservés dans les papiers du père jésuite Turmel, à Quimper*. Les différences observables avec l’édifice réalisé permettent de suivre la réflexion de Lemercier.
élévation intérieure partielle de Lemercier
Le chantier avança sans heurt jusqu’à l’été 1623, lorsque le surintendant des Bâtiments, le marquis de La Vieuville, voulut s’opposer au projet, prétextant son incompatibilité avec le grand dessein du Louvre ; le 31 août, une ordonnance des trésoriers de France exigeait même l’arrêt des travaux* ! Depuis le règne d’Henri IV en effet, il existait un « grand dessein » visant à dégager le Louvre, au moyen de cours et de jardins, projet connu grâce à deux plans de la collection Destailleur de la Bibliothèque nationale, et une vue peinte au château de Fontainebleau ; au nord de la cour Carrée quadruplée, un jardin et des bâtiments annexes devaient ainsi rejoindre la rue Saint-Honoré. L’affaire était sérieuse pour les Oratoriens, mais grâce à leurs appuis à la cour, principalement la reine mère et le chancelier de Sillery, ils purent rétablir la situation à leur profit. Le 23 décembre 1623, le roi les déclarait chapelains du Louvre*. Enfin, par un arrêt du Conseil du 17 juillet 1624, il demandait que l’église devienne un des éléments du palais promis à une extension imminente, chargeant Clément Métezeau, architecte chargé des travaux de la nouvelle Cour Carrée, de pourvoir à son achèvement. Ce retour de l’architecte éconduit en 1622 ne manque pas de piquant, et explique sans nul doute les embarras de l’historiographie à propos de la paternité de l’édifice.
Plan de Turgot |
L’édifice était à ce moment très avancé dans sa partie sud (chapelle du chevet, chœur et transept) et sans doute déjà couvert, mais son achèvement devenait impossible, faute de disposer de l’assiette foncière nécessaire : sur la rue Saint-Honoré, en effet, Bérulle n’avait pu acquérir en févier 1621 qu’une seule maison, appartenant au sieur Comtesse, enclavée entre deux autres propriétés privées. Le 25 septembre 1625, le rédacteur des Annales de la maison de l’Oratoire notait : « Nous avons cessé de faire travailler à nostre église, car nous avons besoin pour l’achever des maisons des sieurs Morel et de Montreuil »*. Prise entre deux propriétés de l’Oratoire, la seconde fut acquise fin juin 1627, au moment où le roi relançait le chantier par un don de 10 000 livres*. Cela permit sans doute d’élever les murs de la première travée de la nef, de préparer les fondations du reste et de ménager une sortie provisoire rue Saint-Honoré. Faute de pouvoir acquérir l’autre maison*, le chantier fut fermé autour de 1630, malgré une nouvelle aide financière de Louis XIII, qui prévoyait la somme de 10 000 livres par an pour les travaux, dispositif qui dura sept ans seulement. Un mur provisoire vint clore le vaisseau au nord, situation que montre bien le plan de Turgot. En raison de cet inachèvement, la chapelle du chevet servit alors de chœur et le grand chœur de nef. Trois accès desservaient le nouvel édifice, tous de petites dimensions : au nord, la porte sous une maison rue Saint-Honoré ; à l’est, la porte latérale rue de l’Oratoire ; enfin, au sud, une petite porte donnant dans la maison. L’église devait rester en cet état jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.
L’Oratoire s’inscrit dans la série des premières églises bâties à Paris suivant le mode romain, avec la chapelle des Petits-Augustins (chapelle de l’Ecole des Beaux-Arts) et Saint-Joseph-des-Carmes, sur la rive gauche, les Minimes ou les Feuillants rive droite, mais s’en différencie incontestablement par une ambition monumentale plus grande. L’édifice offre d’ailleurs des caractères originaux, qui tiennent en partie à la nature de la congrégation, formée de prêtres séculiers tournés vers la prédication et l’enseignement, en partie aux choix de Lemercier.
L’édifice est inscrit dans un rectangle de 42 mètres sur 22 environ. Dans le projet de Lemercier, gravé par Jean Marot, l’intérieur se compose d’une nef de trois travées, d’un transept non saillant en plan et d’un chœur de trois travées, terminé en abside. Avec une nef et un chœur d’égale longueur, l’Oratoire n’est donc ni une croix latine, ni une croix grecque, mais une combinaison du plan centré dans un plan longitudinal – formule originale que Lemercier portera à la perfection à la chapelle de la Sorbonne, quinze ans plus tard*.
Seize chapelles étaient prévues : ne communiquant pas entre elles, elles se développent en continue tout autour du vaisseau ; cette disposition qui annule l’effet de retrait du transept est unique à Paris, comme l’a bien vu dès l’époque Henri Sauval. Afin de faciliter la circulation, deux longues galeries voûtées, flanquent l’édifice à droite et à gauche, desservant chaque chapelle ; ils aboutissent au chevet à deux sacristies. Ce système, qui forme une autre originalité de l’Oratoire, sera reprise au Val-de-Grâce, semble inspiré de l’Escurial de Philippe II.
Au chevet se développe une chapelle de plan centré ovale, adossée à l’abside auquel elle communique par une porte située dans l’axe central, mais enfermée dans le rectangle du plan. Cette « rotonde » était destinée à former non un chœur des religieux, comme à Notre-Dame des Victoires, mais une « chapelle de Notre-Dame », selon Sauval. Reprenant la tradition des chapelles axiales saillantes de l’héritage gothique, Lemercier amorce ici le mouvement de création de chapelles dédiées la Vierge, qui aboutira si magnifiquement à Saint-Roch en 1708 ou à Saint-Laurent en 1712. Ainsi était mis l’accent sur la figure de la mère du Christ, en réponse au credo protestant.
Lemercier a laissé un dessin pour la façade principale, que Marot a gravé dans son Petit recueil in-4°, preuve supplémentaire du caractère abouti du projet de l’architecte. Assez massive du fait de la largeur presque identique des deux niveaux, la façade devait être couronnée d’un grand fronton curviligne enchâssant un plus petit, triangulaire, suivant une combinaison dont Giacomo Della Porta (Gesu) et Maderno (Santa Susanna) ont usé à Rome. Si Sauval le critique, pour Jacques-François Blondel au contraire, qui l’évoque un siècle plus tard : « Ce portail n’est pas sans mérite, et est digne de quelque attention »*.
Extérieurement, l’église se présente comme un vaisseau relativement étroit, très élevé, que coiffe un haut comble droit, bien dans la tradition médiévale. On distingue trois niveaux d’élévation (fig. 5). Au niveau inférieur, un massif de maçonnerie percé de petites baies (ovales chez Marot) abrite le couloir de ceinture ; sur le milieu de la façade orientale, s’ouvre une porte, que figure Marot – elle subsiste, très restaurée. Au-dessus, après un retrait s’élève un deuxième niveau, composé de deux étages carrés, correspondant aux fenêtres des chapelles, puis à des logements éclairés par des baies. Enfin, les travées étroites entre les contreforts sont percées les fenêtres hautes ; on y remarque le motif du chambranle à crossette et disque, motif particulièrement affectionné par Lemercier et que l’on retrouve à la chapelle de la Sorbonne, à l’église de Richelieu et à Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
En raison du peu de largeur du fond, l’architecte dut assurer la stabilité de son édifice par des contreforts ou piliers-boutants : formant les murs séparant les chapelles en partie basse, ceux-ci sont en conséquence étirés en hauteur et se terminent à la base du comble. Un mouvement de volute anime leur silhouette, et ils sont sommés de pots-à-feu. Le chevet de l’Oratoire est la partie la plus originale de cette élévation. L’architecte a placé contre les deux contreforts encadrant la fenêtre haute d’axe deux tourelles de pierre abritant un escalier en vis desservant les tribunes et les combles. Ces tours sont coiffées de lanternons ajourés en pierre et couverts par de petits bulbes étirés que couronne une fleur de lys sculptée, rappel de la fondation royale. La juxtaposition des corps couverts de combles indépendants, liés à des fonctions différentes, ainsi que les clochetons des tours d’escalier et l’étagement des masses confèrent à ce chevet un caractère médiéval, comme l’a plaisamment souligné Yvan Christ* ; mais il pourrait tout aussi bien rappeler le parti de Palladio au Redentore de Venise. En l’absence d’un dôme sur tambour, élément romain par excellence, ces tourelles constituent un signal visible dans la ville, ce dont Marot rend bien compte.
Convexe, coiffée d’un comble en pavillon recouvert d’ardoises, la chapelle de la Vierge épaule avec les deux tourelles le chevet de l’église. Voûtée en pierre, elle est contrebutée au sud par quatre piliers trapézoïdaux, couronnés d’un pseudo-chapiteau à feuillage et sommés de pots-à-feu en acrotère formant pinacle. Cette partie est éclairée par des baies couvertes en segment d’arc, peut-être une allusion aux façades extérieures du Louvre de Lescot ; sous les crossettes, l’architecte a repris un motif de gouttes tiré de la chapelle Gregoriana de Giacomo della Porta à Saint-Pierre de Rome. Ce morceau a été malheureusement altéré tant par l’ouverture d’une grande lucarne en pierre, qui n’existait pas d’après Marot (fig. X), que par les aménagements du milieu du XIXe siècle (voir ci-après).
L’élévation intérieure est à trois niveaux et reprend la formule de l’église de la Contre-Réforme : piles cruciformes, arcades et baies en plein cintre, dans sa variante à tribunes, qui permettait d’accueillir un large public, formule courante mais qui reste rare à Paris (Étienne Martellange en use à Saint-Louis-des-Jésuites, rue Saint-Antoine, et au Noviciat, rue du Pot-de-Fer, Jules Hardouin-Mansart aux Invalides).
Dans son premier projet, Lemercier avait prévu une succession de chapelles ouvertes par des arcades en plein cintre séparées par de grands pilastres corinthiens (fig. 6). Finalement, il utilisa pour encadrer ses chapelles un second ordre de pilastres, également corinthiens. L’association des deux ordres l’un dans l’autre, unique dans une église de ce type, montre que Lemercier s’est manifestement inspiré de la formule de Palladio (façade du Redentore à Venise, palais Valmarana de Vicence). Les chapiteaux du petit ordre, qui portent un entablement dont la corniche est composée d’une file de modillons inspirée du temple de Sérapis au Quirinal, sont engagés d’un tiers sous les fûts des grands pilastres, disposition qui simule un emboîtement (fig. 7). Lemercier a allongé les grands pilastres, qui ont 22 modules au lieu des 19 usuels. Cette modification du canon, jointe au dessin très particulier du chapiteau corinthien et à la frise nue, confère à l’ensemble un élancement remarquable et en fait peut-être le plus bel ordre dessiné par l’architecte. Sauval y voit l’influence de Palladio, mais c’est le corinthien de Philibert qu’a choisi Lemercier, à la réserve de la base qui est tirée de Serlio (fig. 8).
L’élévation de Quimper (fig. 2), qui montre deux travées du chœur et le transept, correspond bien à l’actuel vaisseau (grands pilastres corinthiens, voûte et fenêtres hautes du dessin sont conformes à ceux de l’édifice réalisé) ; on y voit pour les tribunes une première pensée avec un motif de serlienne, exceptionnel dans l’architecture religieuse parisienne. Le transept, différent du dessin de Quimper, est en revanche conforme à l’estampe de Marot : il est occupé jusqu’à l’entablement par une large tribune qui relie la nef au chœur, comme à Saint-Gervais Saint-Protais. L’élévation sur le transept se compose de deux arcades en plein cintre (chapelles) encadrant une porte surmontée d’une table carrée (passage vers les couloirs latéraux), et se présente de ce fait comme une travée rythmique inversée (BaB au lieu de aBa). Au-delà, les murs du transept sont traités de manière sobre : une grande baie centrale, encadrée de deux niches à fond presque plat ornées de coquille, soulignées d’un cul-de-lampe (fig. 9). Ces niches ont pour base un délicat motif, d’un dessin très italien. Trois baies situées en dessous, sommées de cuirs vigoureusement sculptés, éclairaient le niveau de la tribune, disposition aujourd’hui masquée par des gradins de bois.
Le vaisseau est couvert d’une grande voûte de maçonnerie en berceau à lunettes (fig. 10), la première de cette ampleur à Paris – celles des Feuillants, des Petits-Augustins et de Saint-Joseph-des-Carmes étant en charpente habillée de plâtre. Les deux courts transepts sont également couverts en berceau. Ces voûtes prennent naissance non au-dessus de la corniche du grand ordre, mais après une sorte d’attique, suivant une disposition courante en Italie et qui ménage la lisibilité des baies hautes depuis le sol. Les voûtes du chœur sont pourvues de doubleaux ornés de cadres et de têtes de chérubin, qui, à l’abside, se rassemblent en une clef portant l’inscription Jesus Maria des Oratoriens, suivant un dessin qu’on retrouvera chez François Derand à Saint-Louis-des-Jésuites dix ans plus tard. Lemercier a placé à la base des doubleaux et en clef des lunettes des cartouches sculptés avec enroulements.
Pour la croisée en revanche, Lemercier a hésité entre une coupole en pendentifs et une voûte dans la tradition flamboyante, comme le montrent les dessins de Quimper, avec liernes et tiercerons, dans le goût de celle de Saint-Maclou de Pontoise ou de Saint-Gervais de Paris. Finalement, il a créé un type original, une grande voûte d’arêtes dont le centre est évidé par un renfoncement de forme carrée, bordée d’un bandeau à modillons, qui enferme un octogone (fig. 11). Au milieu des côtés de ce carré se greffe un panneau rectangulaire donnant à l’ensemble une forme de croix, dont les bras se terminaient par des fleurs de lys. Ce motif sera repris par Lemercier à la chapelle Richelieu de Notre-Dame-des-Ardilliers et surtout à l’église paroissiale de Richelieu en Poitou. Originale, l’idée de Lemercier n’était cependant pas totalement performante sur le plan constructif, l’ouverture centrale affaiblissant la solidité d’une voûte déjà fragilisée par sa grande portée (10 m)*.
Bâtie également tout en pierre, elle a été dessinée sur un plan centré ovale, forme exceptionnelle dans l’architecture religieuse française ; la Renaissance lui avait en effet préféré le plan circulaire, par exemple à la Rotonde des Valois de Saint-Denis, que François Mansart reprendra à la Visitation rue Saint-Antoine en 1632. Les murs sont scandés par six doubles-pilastres corinthiens alternant avec des arcades en plein cintre ; identique au petit ordre du vaisseau principal, cet ordre contribue à lier à l’ensemble un élément fortement individualisé. Les deux portes donnant accès latéralement à deux pièces carrées sont d’origine, à l’inverse des deux baies en plein-cintre côté sud : au XVIIe siècle en effet, un bâtiment s’appuyait sur le rez-de-chaussée de la rotonde et la lumière venait donc d’en haut. En revanche, il existait deux petites portes au sud, à droite et à gauche de l’arcade d’axe, dont on devine encore la trace sous l’enduit, et qui conduisaient aux sacristies. Au-dessus de l’entablement, des doubleaux prolongeant les pilastres découpent une voûte en pierre en une succession de berceaux qui s’épaulent et se réunissent au centre en un oculus ovale dont le cadre vigoureusement mouluré et sculpté de chérubins (fig. 12). Les trois baies hautes, ouvertes au sud, sont encadrées d’un riche chambranle à crossettes et gouttes et sommés d’un fronton. Le volume de cette chapelle, malencontreusement ruinée par un entresolement en 1821, a toujours été admiré. Henri Sauval, qui tenait l’intérieur de l’Oratoire pour « le plus beau de Paris », loue ainsi la rotonde, qui est « des mieux ornées d’architecture et des mieux conduite et entendue ». Un siècle plus tard, le sévère Jacques-François Blondel trouvait ce morceau « d’une dimension heureuse, d’une ordonnance régulière ».
La précocité et la qualité de la mise en œuvre de l’église de l’Oratoire auraient dû en faire un manifeste ultramontain, mais l’inachèvement de l’édifice, son implantation dans un tissu urbain dense, la médiocrité de ses accès pour près d’un siècle enfin, ont empêché l’édifice de prendre rang parmi les grands modèles classiques.
Alexandre Gady
extrait du livre du bicentenaire
Notes :
* A Paris, l’Oratoire disposera d’un noviciat rue d’Enfer, avec une chapelle construite par Gittard en 1655-1657 (actuellement 72, avenue Denfert-Rochereau, ancien hospice) et d’un séminaire, rue du faubourg Saint-Jacques (auj. institut des Jeunes Sourds).
* La somme de 50 000 livres fut payée grâce un généreux don d’Achille de Harlay, fait en janvier précédent.
* Pour autant, il n’y a pas d’architecture type de l’Oratoire, comme l’a montré Véronique de Becdelièvre-Lambert, Recherches sur l’œuvre architecturale de la congrégation de l’Oratoire de France aux XVIIe et XVIIIe siècles, d’après le recueil des Archives nationales. Thèse de l’Ecole des chartes, 1977.
* Histoire et recherche des antiquités de la Ville de Paris, Paris, 1724, t. I, p. 431.
* Orléans, Médiathèque, Ms. 702. A. Gady, Jacques Lemercier, architecte et ingénieur du Roi (avant 1586-1654). Thèse de doctorat d’histoire de l’art, 2001, éd. t. III, annexes, doc. 28, p. 917-930.
* Les bâtiments existent toujours et servent aujourd’hui d’établissement scolaire.
* Emmanuelle Loizeau, Louis et Clément Métezeau, architectes du Roi. Thèse de doctorat d’histoire de l’art, dir. Claude Mignot, Université de Paris IV-Sorbonne, 2010, voir t. II, p. 163-170.
* Arch. nat., MM 623, p. 78 et 111.
* Arch. nat., MM 623, p. 77.
* Frémin de Cotte, Explication facile et briefve des cinq ordres d’architecture démontrée, Paris, chez l’auteur, 1644.
* On se défiera, comme d’habitude, de ce qu’en dit l’abbé Cl.-Fr. Lambert dans son Histoire littéraire du règne de Louis XIV, Paris, 1751, t. III, p. 130, qui en fait un ingénieur blessé au siège de La Rochelle.
* On lui doit la chapelle de la Sorbonne, l’église paroissiale de Richelieu, l’achèvement de celle de Rueil, et avant sa mort, les plans de Saint-Roch. Voir Alexandre Gady, Jacques Lemercier, architecte et ingénieur du Roi, Paris, 2005.
* Pierre Moisy, « Le Recueil des plans jésuites de Quimper : nouvelle étude », dans Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1950 (1951), p. 70-84.
* Arch. nat., MM 623, p. 90.
* Arch. nat., M 225 et MM 623, p. 94-95, édité par Ingold, p. 21-22.
* Arch. nat., MM 623, p. 111.
* Arch. nat., MM 623, p. 121 : 2 juin 1627 : brevet portant don par Louis XIII de la somme de 10 000 livres pour l’achèvement de l’église « avec la plus grande diligence ».
* Située à l’ouest des trois autres, elle ne sera pas achetée avant 1654.
* Cette formule connaîtra une grande postérité dans l’architecture religieuse de l’Allemagne du Sud au XVIIIe siècle.
* Architecture françoise…, Paris, t. III, 1754, p. 56.
* Yvan Christ, Eglises parisiennes, actuelles et disparues, Paris, 1947, p. 36.
* Cette fragilité entraîna en 1979 des désordres et une importante restauration, achevée en 1985 et conduite par Pierre Prunet, architecte en chef des Monuments historiques. Charenton, Médiathèque du Patrimoine, dossier de restauration (1951-1984), 81/075/01/13/8/2.
Jean Marot, le chevet de l'Oratoire du Louvre, milieu du XVIIe siècle