Parties suivantes de cet article : XVIIIe siècle / Révolution et XIXe siècle
La stature de Coligny :
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Catherine de Médicis contemplant les cadavres à la porte du Louvre au matin du massacre de la Saint Barthélémy |
Dans un groupe sculptural de 10 mètres de haut, l’imposante stature de Gaspard de Coligny semble, sur son piédestal, se détacher sur le fond d’une fenêtre, celle par laquelle son corps fut jeté aux pieds du duc de Guise : la Bible ouverte, la fière devise de l’amiral s’enracinent dans la foi réformée ; l’évocation de la bataille de Saint Quentin contre Philippe II donne la tonalité d’un engagement patriotique A ses pieds, veillent d’un côté, la Patrie portant la couronne du vainqueur de 1557, de l’autre, la Religion portant la palme de la victime de 1572.
En ce 19° siècle où Paris se couvrit de statues, célébrer l’amiral n’était pas neutre : les protestants tenaient à afficher des valeurs et évoquer une haute figure qui installait dans la conscience collective la présence positive d’un héros tombé sous les coups de l’intolérance.
En revanche, toute allusion à la Saint Barthélémy était volontairement discrète, même si l’évènement dramatique tenait déjà sa place dans les manuels d’histoire de l’enseignement primaire ou secondaire: aucun jeune Français, quelle que soit son origine sociale, culturelle ou religieuse, n’est censé ignorer la réalité d’un massacre organisé, dont les victimes furent protestantes. Le 24 août 1572 fait partie du calendrier de la Nation.
Les libelles protestants qui fleurirent au lendemain du massacre maintinrent le souvenir en France et en Europe d’un crime « tyrannique » : le centenaire de la Saint Barthélémy ne fut pas célébré à Paris, mais à Torun, ville prussienne de Pologne, en 1672 ! L’évènement fournit un argumentaire polémique aux partisans des Lumières et aux révolutionnaires qui se battaient contre l’Ancien Régime.
Il convient cependant de noter que sous le règne d’Henri III, puis sous celui de son successeur, ’Henri IV, ce roi qui échappa à la tuerie avant de monter sur le trône, le pouvoir a voulu éteindre les passions confessionnelles, toute victoire d’un camp étant une défaite pour l’autre : la guerre civile est « une estrange ruse du diable ».
L’Edit de Nantes proclame :
« Que la mémoire de toutes choses passées d’une part et d’autre demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non advenue …défendons à tous nos sujets, de quelque état et qualité qu’ils soient, d’en renouveler la mémoire… pour se contenir et vivre paisiblement ensemble comme frères, amis et concitoyens, sur peine aux contrevenants d’être punis comme infracteurs de paix et perturbateurs du repos public… ».
C’est au lendemain de la guerre de 1870 et dans les premiers temps de la République que le pasteur Eugène Bersier manifesta le souhait d’affirmer la réconciliation nationale dans la ligne de l’Edit de Nantes et de manifester la présence protestante au sein de la Nation Face aux très nombreuses statues érigées à la gloire du catholicisme, il n’était pas innocent de commander un monument en souvenir d’une illustre victime de l’intolérance. Le monument fut inauguré le 17 juillet 1889, au moment où l’on célébrait le centenaire de la Révolution et où s’ouvrait l’Exposition Universelle : tous les maires de France venus à Paris passèrent rue de Rivoli devant le monument pour se rendre aux Champs Elysées. La presse catholique anti-républicaine se déchaîna contre cette inauguration symbolique, dénonçant un usage de la Saint Barthélémy, « jetée à la tête des catholiques d’aujourd’hui », contre l’Eglise et la foi : on argumenta contre le sectarisme protestant et tenta de disqualifier la figure de Coligny.
Sans doute, la commémoration ne pouvait manquer d’évoquer pour les protestants organisateurs de la cérémonie le souvenir des évènements tragiques de 1572, dont on s’était toujours bien gardé de célébrer centenaire et bicentenaire : un « pèlerinage » fut cependant organisé par bateau sur la Seine, en amont jusqu’à Charenton, lieu du temple détruit par la Révocation de l’Edit de Nantes, et en aval, vers l’île des Cygnes, où fut charrié par le fleuve un millier de corps sanglants.
Un siècle après, sans vouloir accorder à la statue un caractère expiatoire, il est évident qu’après la Shoah le massacre collectif d’innocents est devenu un archétype : la conscience collective place la Saint-Barthélémy parmi les antécédents mémorables de l’extermination.
Mais récusant tout usage abusif du passé et soucieux de leur propre histoire, les « oratoriens » ont pris l’habitude, depuis les années 70, de rendre un hommage chaque année à Gaspard de Coligny,
le dimanche le plus proche du 24 août et, après un culte d’action de grâce, de chanter avec conviction devant le monument le fameux psaume « A toi la gloire ». Une touche royale et personnelle fut à plusieurs reprises accordée à la cérémonie, les reines de Hollande venant, d’un bout du siècle à l’autre, s’incliner devant la statue de leur ancêtre. Ainsi s’allie subtilement l’affirmation toujours présente d’un protestantisme historique et son inscription dans l’espace de la cité.
Philippe Braunstein,
extrait du livre du bicentenaire
Monument de l'amiral de Coligny
au chevet de l'Oratoire du Louvre,
160 rue de Rivoli Paris 1er
statue de l'amiral de Coligny