Un souffle de liberté( 2 Corinthiens 3:6-17 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 6 juin 2010 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, c’est le 6 juin 1944 que les troupes alliées s’engagèrent dans la bataille de Normandie. En lisant les lettres qu’un jeune soldat américain écrivit à sa famille avant le désormais fameux D-Day, « jour de la décision », j’ai eu l’occasion de prendre conscience que pour ces jeunes américains qui s’apprêtaient à traverser la manche afin de débarquer sur les côtes françaises, il n’était pas question d’esprit belliqueux, d’esprit de revanche, d’esprit de haine, d’esprit d’en découdre avec une idéologie ou un ennemi héréditaire. Outre l’émotion due au déracinement et les paroles rassurantes adressées aux parents inquiets, ces lettres transpiraient d’un esprit de liberté : elles étaient véritablement animées par un esprit de liberté. L’accent de ces lettres était dans l’esprit qui avait déjà animé la génération précédente lorsqu’elle était venue en France en s’écriant : « Lafayette nous voila ! » Il ne s’agissait pas tant de faire la peau à l’ennemi que de libérer une patrie qui, autrefois, avait offert l’indépendance et même une statue de la liberté. Dans une certaine mesure, nous ne sommes pas loin du serment de Koufra dans lequel Leclerc demandent à ses hommes « Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg ! » qui évoque la libération et non l’éradication de l’ennemi. L’horizon est celui de la liberté non de la guerre à tout prix. Ce goût de la liberté est, manifestement, ce qui anime également l’apôtre Paul - l’apôtre Paul qui était confronté à des personnes qui, elles, n’étaient visiblement pas animées de ce même esprit de liberté. Dans ce texte très polémique, l’apôtre Paul accable une catégorie de croyants que l’on nommerait aujourd’hui des littéralistes. Il s’agit des croyants attachés à la lettre, qui ont le plus grand respect qui soit envers le texte fondateur de leur foi mais qui le vénèrent tellement qu’ils ont perdu de vue que ce texte a quelque chose à dire. Ils sont tellement attachés au texte qu’ils n’en voient plus la finalité, autrement dit le sens. Pour expliciter encore un peu plus la pensée de l’apôtre, Paul critique ces croyants qui respectent la loi mais qui, en vérité, n’accomplissent pas la loi car ils ne se préoccupent pas de savoir quel est l’esprit de la loi. Or, dans la perspective biblique, l’esprit de la loi, le sens, le but de la loi, c’est la liberté. Si Dieu donne une loi à son peuple, c’est pour que le peuple reste libre. Il suffit de se rappeler que le décalogue commence par « je suis l’Eternel ton Dieu qui t’ai fait sortir d’Egypte, de la maison de servitude » pour comprendre que les paroles qui suivent sont un chemin de liberté destiné à faire perdurer la liberté retrouvée. Que la loi soit nécessaire à la liberté ne va pas de soi. Pour beaucoup, la liberté, c’est l’absence de loi, l’absence de limite, de règle. Pour beaucoup, la liberté c’est l’absence de toute forme de contrainte. Mais l’apôtre Paul ne remet pas en cause l’existence de l’Ancien Testament de la même manière qu’il ne remet pas en cause la loi de Moïse. Ce qu’il met en cause, c’est l’usage qui en est fait, la lecture à vue courte qui en est faite. En utilisant l’image du voile, Paul critique une lecture de la Bible qui s’arrête au texte, qui considère que le texte est la vérité ultime, que tout est dans la lettre alors que le texte est là pour renvoyer le lecteur vers Dieu. Paul critique ceux qui lisent la Bible et se contente de ce qui y est écrit alors que la Bible a été écrite pour orienter le lecteur vers Dieu et vers son projet pour l’Homme. La liberté, c’est donc notre capacité à aller au-delà du verset, au-delà du texte, au-delà de la lettre pour découvrir l’univers vers lequel les auteurs bibliques ont voulu nous orienter. La Bible est une sorte de viseur qui nous aide à pointer notre existence vers Dieu mais si nous nous arrêtons au texte, nous ne valons pas mieux que l’imbécile à qui quelqu’un désigne la lune de son doigt et qui regarde le doigt au lieu de regarder la lune. La loi, la Bible, la religion, ne sont pas des fins en soi mais des moyens d’être plus proches de Dieu et de la vie qu’il nous propose. La liberté, c’est lorsque nous laissons Dieu nous aider à faire le bout de chemin au-delà de la norme, au-delà de la lettre, au-delà du conventionnel. Si la règle n’est pas abolie – et Jésus dit bien qu’il n’est pas venu pour abolir mais pour accomplir la loi – c’est parce que la règle doit être dépassée pour être accomplie. C’est là tout le travail de l’Esprit que Paul associe à la liberté. Prenons le cas d’une équipe de football. Si elle se contente de respecter la règle elle ne fait pas de faute, soit. Mais est-ce que cela suffit vraiment pour gagner un match ? respecter scrupuleusement la règle ne suffit pas à remporter la victoire. Cela signifie qu’il faut faire mieux que ce que la loi nous propose, il faut transcender la loi, la dépasser. C’est le travail de l’esprit. L’esprit d’équipe, c’est être animé d’un esprit de générosité, d’altruisme, de créativité, d’enthousiasme… une intelligence collective qui, au lieu de juxtaposer les talents individuels les conjugue si bien qu’au bout du compte le résultat est nettement supérieur à ce qu’il aurait été si l’équipe en question s’était contenté d’appliquer la règle au sens strict du terme. De même, il ne suffit pas de pouvoir écrire sans faire de fautes de français pour être un bon écrivain. Et c’est ce que nous pouvons découvrir du ministère de Jésus qui ne s’est pas contenté d’appliquer la loi à la lettre mais s’est évertué à retrouver l’esprit de la loi et à en vivre pleinement. Jésus est pour nous la figure authentique de l’homme libre, non pas parce qu’il aurait ignoré toute forme de règle, de contrainte, mais parce qu’il a laissé l’Esprit divin agir en lui de telle manière qu’il a pu faire mieux que ce que la loi permettait de faire, qu’il a eu la capacité d’être hors norme, mais par le haut ! Et c’est bien cela qui nous fait si mal dans l’attitude de trop de jeunes qui veulent être libres et qui ne trouvent pas mieux à faire que de défier les lois qu’ils rencontrent, que ce soient les lois de la République ou les lois de la physique. C’est parce que nous comprenons bien, à la lecture de ces textes, que la véritable liberté c’est d’agir à la hauteur du projet de Dieu et pas à notre mesure, que nous trouvons minable une liberté qui ne s’exprime que par des voitures brûlées, des bâtiments publiques saccagées, des personnes agressées, des produits stupéfiants consommés et toutes sortes de comportements à risques. A ceux-là, nous avons un modèle alternatif de liberté à proposer. Prenons le cas de ces jeunes qui roulent en scooter sans casque. Pourquoi le font-ils ? par goût de la provocation du code de la route ? par goût du défi contre les lois de la physique et de la résistance d’un corps humain contre tôle ou bitume ? soit ! alors proposons-leur autre chose pour exercer ce goût de la provocation, ce désir de liberté, tout en restant dans le domaine du vivable. Tu veux provoquer ? très bien, alors fais-le de façon positive, de manière zélée, en faisant mieux que ce que la loi permet et en donnant toute la mesure de tes talents. Plutôt que vouloir casser les interdits, essaie de repousser les limites du possible et de l’utile. Tu veux être hors la loi ? soit, mais, dans ce cas, sois hors la loi en faisant mieux que ce que la loi dit. Tu veux être hors norme ? parfait, alors sois hors norme lorsqu’il s’agit d’aider, de rendre service, de créer des lendemains qui chantent ; sois hors norme lorsqu’il s’agit d’aimer : voilà qui sera vraiment glorieux et qui vaudra franchement mieux que la gloriole auprès de camarades, d’amis d’occasion qui ne dure qu’un temps. Mets donc ton goût de l’excès dans ce qui peut te faire vivre et ce qui peut aider ton prochain à vivre mieux encore. C’est là la liberté que révèle le Christ Dans la perspective ouverte par le Christ, la liberté c’est la possibilité que Dieu nous donne de pouvoir faire mieux que ce que l’on espère et que l’on est capable de faire par ses propres forces et par sa seule intelligence. La liberté, c’est de pouvoir aller au-delà de ce que prescrit la loi qui ne devrait jamais être une fin en soi mais une indication du seuil en dessous duquel il ne faut pas tomber. Et ce qui est vrai à l’échelle individuelle l’est également à l’échelle collective. Un Etat exerce véritablement sa liberté lorsqu’il fait mieux que ce que la loi prescrit plutôt que lorsqu’il bafoue les lois internationales, par exemple. Et le fait même de se contenter de respecter la loi est insuffisant aux yeux de Paul qui dit que la lettre tue mais que l’Esprit vivifie. Nicolas Berdiaev expliquera cela à sa manière en soulignant le fait que la liberté n’est pas quelque chose de statique et que si nous essayons de la consigner dans un texte, dans des mots, alors nous l’enfermons, nous la faisons prisonnière et nous la faisons disparaître (Esprit et liberté, p. 125). La liberté a besoin de l’Esprit pour être vivace, pour être encore et toujours cette dynamique de vie à l’œuvre dans le monde et non un état définitif en forme de tranquillité, que Berdiaev dénonce comme renoncement à la liberté (p. 132). Si nous nous rappelons que l’Esprit, dans les langues bibliques, signifie le vent, le souffle, nous pouvons avoir en tête que l’Esprit est bel et bien ce qui nous permet de gonfler la voile de notre existence pour aller au-delà de la ligne d’horizon, vers ce que les Evangiles nomment le Royaume de Dieu. Dieu est souffle de liberté mais il n’a pas la main sur le gouvernail de notre existence. Pas plus qu’il n’aurait été ministre des affaires étrangères des Etats Unis d’Amérique ou chef des Forces Françaises Libres, Dieu n’a pas la mainmise sur nous. Bien au contraire, son souffle de liberté est tel que Dieu va jusqu’à nous libérer à l’égard de Dieu lui-même parce que ce dont Dieu a besoin, c’est d’êtres spirituellement libres à l’égard de tout. Amen. Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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