Seigneur, d’où vient donc
qu’il y a du mal ?
( Évangile selon Matthieu 13:18-30 ; Genèse 1 :1-5 )
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Culte du 5 octobre 2008 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot
Comme nous le disait dimanche dernier le pasteur Laurent Gagnebin dans son excellente prédication, nous pouvons vraiment « présenter notre peine devant l’Éternel ». Oui, nous pouvons confier notre peine à Dieu, pour ce qui ne va pas dans notre existence, pour ce qui nous arrive de mal, ou pour un bienfait qui nous manque, comme Anne qui espère avoir enfin un enfant. Nous pouvons aussi confier à Dieu notre peine pour nos manquements et pour nos manques (manques de force et de sagesse).
Il y a encore une peine que nous pouvons faire monter à Dieu, nous pouvons lui dire notre déception, nous avons le droit de porter plainte contre Dieu, de lui demander pourquoi, pourquoi cette injustice, pourquoi cela m’arrive t-il à moi, ou à telle personne que j’aime, n’es-tu pas, Seigneur, le Dieu de bonté, le créateur de la vie, celui qui bénit ? C’est cette plainte devant l’existence du mal que Jésus nous propose de faire monter à Dieu : « Seigneur, n'as-tu pas semé de bonnes graines dans ton champ ? D'où vient donc qu'il y a des mauvaises herbes ? »
Je vous propose de relire ensemble ce matin cette parabole du bon grain et de l’ivraie.
Cette parabole du bon grain et de l’ivraie touche à la question de l’existence du mal dans le monde. Cette question est importante parce que l’on entend souvent des gens dire « s’il y avait un bon Dieu, il n’y aurait pas toutes ces catastrophes »
Il est légitime et même salutaire de se scandaliser du mal qu’il y a dans le monde. C’est ce que fait Jésus dans cette parabole, où il ne justifie pas le mal comme s’il était parfois utile. Non, pour Jésus, le mal est effectivement un mal, il n’est pas dans le plan de Dieu, il ne l’a pas voulu et il ne l’accepte pas. Il n’y a donc pas de raison de lui en vouloir pour ça. Au contraire, Jésus dit ici que Dieu est vraiment source de bien, il plante sans cesse des germes de bonté nouvelle et cherche à nous délivrer du mal.
Mais si la souffrance et le mal ne sont pas la volonté de Dieu comment se fait-il qu’il y ait tant de problèmes ? C’est bien la question posée dans cette parabole et Jésus y répond d’une façon intelligente et féconde, à mon avis. Se poser cette question de l’existence du mal n’est pas seulement pour le plaisir de philosopher, cette question est cruciale car les réponses que l’on y apporte ou que l’on renonce à apporter concernent radicalement notre façon de vivre et notre foi : en quel Dieu croyons-nous, quelle relation de crainte ou de confiance pouvons-nous avoir avec lui ? Mais aussi : quel est le statut du mal dans l’existence humaine, comment agirons-nous face au mal et au manque de bien ?
Selon Jésus, le mal est un mal, nous n’avons rien à craindre de Dieu, il n’utilise pas le mal, ni comme peine, ni comme épreuve, ni comme moyen pédagogique. Le mal est ce qui ne devrait pas être, Dieu agit pour augmenter le bien et pour diminuer le mal, et nous pouvons nous pouvons prendre notre part à cette évolution.
Puisque Dieu ne veut pas le mal, d’où viennent les problèmes ? Jésus répond à cette question en combinant deux causes différentes à ce qui ne va pas dans le monde : la première est que le monde est encore en genèse, la seconde est que l’homme est source de mal.
Le chaos primordial et la genèse en cours
Le monde est encore en cours de création, tout n’est pas encore bien organisé dans la nature, mais aussi en chacun de nous. Il reste une part du chaos primordial dont il est question dans les premiers mots de la Bible. Dieu a semé de bonnes graines, et aujourd’hui encore, nous dit Jésus dans cette parabole, Dieu est en train de semer, tout n’a pas encore germé ni poussé pour que le plan de Dieu soit accompli.
Voilà le premier point, fondamental, selon ces paroles de Jésus, Dieu n’est pas tout puissant mais il y travaille sans cesse (Dieu est « semant » une bonne graine, au participe présent).
Contrairement à ce que l'on a parfois imaginé, Dieu n'a pas créé le monde en un coup de baguette magique dans l'ancien temps. Peut-être que certains peuvent trouver ça décevant, mais Dieu crée en semant des graines plutôt que de planter des arbres tout faits. Et c'est cela le Royaume de Dieu, nous dit Jésus : c'est ce processus d'ensemencement du monde en vue du bien.
La science nous dit qu'effectivement le monde est en évolution. Depuis 15 ou 18 milliards d'années, les choses bougent dans notre univers. Dieu n’est pas indifférent ou inactif face à cette part de chaos qui nous révolte à juste titre, il continue à semer du bien pour créer le monde peu à peu. À nous aussi, il faut du temps pour évoluer. Nous ne venons pas au monde sachant tout et capable de mille bienfaits, au contraire, il nous faut évoluer tout au long de notre vie, et c’est une grâce.
Ne désespérons donc pas ni de Dieu, ni de ce monde, ni de l'humanité, ni de nous-mêmes. Pour l'instant, nous dit Jésus, c'est vrai que le bien et le mal sont mélangés, mais Dieu y travaille et à terme rien de ce qui est bon ne sera perdu. Nous pouvons recevoir dans cet Évangile un irréductible optimisme, et l’envie de présenter à Dieu notre peine et notre révolte face à l’existence du mal et au manque de bien. Il est source de ce miracle qu’est l’existence du bien, comme le disait Wilfred Monod, Dieu est une inimaginable source d’évolution, et il est aussi, quand cela lui est possible, une source de purification et de récolte du bien.
Jésus nous montre ici comment il voit l’action de Dieu, et comment nous pouvons agir face au mal aveugle du chaos, ou que ce soit face au mal fait par l’homme. Il y a un temps pour le travail en douceur, des graines de bien sont semées, Jésus ne parle même pas de labour pour ouvrir la terre de force, les bonnes graines sont offertes simplement au monde pour faire diminuer le mal, elles sont offertes à notre liberté aussi pour que nous les recevions, qu’elle nous fasse grandir et libère notre propre créativité.
Il y a donc ce temps de travail en douceur que sont les semailles et il y a le temps de la moisson, le temps où il est enfin possible d’agir pour détruire le mal et ne conserver que le bien. Notre semeur passe le relais à une équipe de moissonneurs qui coupent, trient, jettent ce qui est mauvais et recueillent ce qui est bon.
Nous sommes, selon l’Évangile, dans un temps complexe où l’heure de la moisson est déjà là dans un certain sens, mais où il nous faut également attendre encore. Dieu et nous, en équipe (même si nous ne participons que d’une façon modeste) sommes encore en train de semer de bonnes graines face au chaos et à l’ivraie. Pourtant déjà, dans une certaine mesure, il est déjà possible de moissonner et de recueillir de bons fruits délivrés du mal. Cette, cette ambiguïté nous traverse dans ce qui nous arrive et dans ce que nous sommes. Cette dualité est une tension fondamentale dans notre existence, cette dualité est l’objet de notre plainte devant Dieu, elle est aussi l’objet de notre louange devant lui, cette dualité est également l’occasion de notre confession du péché et celle d’une vocation qui nous fait nous lever pour semer et moissonner.
En ce temps présent, notre impatience est légitime, on se dit : Que fait Dieu ? On voudrait qu'il règle tout sur le champ. Mais le Royaume de Dieu est ainsi, par nature même de ce qu’est Dieu. Dans la Bible, le travail de Dieu est ici comparé à celui d’un agriculteur qui sait que ce n’est pas en tirant sur les brins d’herbe qu’on les fait pousser plus vite, mais qu'il faut du travail, de la patience et de l'amour. Est-ce que l'on peut en vouloir à l'agriculteur si le blé semé aujourd’hui, à l'automne, n'est pas encore mûr pour être moissonné ? Bien sûr que non, c'est normal, et c'est déjà bien beau de vivre aujourd’hui de ce qui a été semé dans le passé et que l’on a déjà pu moissonner. Et c’est bien de savoir que Dieu est à l’œuvre aujourd’hui avec une puissance qui dépasse tout ce que l’on peut imaginer, même si elle nous laisse toujours, et heureusement, scandalisés par le chaos et le mal qui restent.
Alors on peut avoir envie de critiquer la façon de travailler de Dieu. Nous exigeons qu'il agisse dans l'instant en arrachant ce qui ne va pas, qu'il souffle sur les graines qu'il a plantées pour qu'elles grandissent en un clin d'œil... Mais que savons-nous des limites qui s'imposent, même à Dieu pour créer le monde ?
Jésus nous dit simplement qu'il ne peut pas arracher le mal avant que le blé soit entièrement levé. On peut comprendre cela.
Et pourquoi est-ce que Dieu ne fait pas lever le blé plus vite ? Nous voyons ici, comme dans le livre de la Genèse, que Dieu ne crée pas en un instant. Dieu est éternel, mais cela ne veut pas dire qu’il soit intemporel, même lui travaille dans le temps.
Notre indignation face à l’existence du mal peut être positive : si nous voulons que le bien progresse plus vite, Dieu ne demande pas mieux, il nous attend justement pour travailler avec lui en semant de la bonne graine, nous avons déjà en nous ce potentiel de créativité qui ne demande qu’à s’épanouir. Mais nous agissons souvent comme le diable de cette parabole de Jésus, en semant du mauvais grain dans le monde. Car dans la bouche de Jésus, l'ennemi qui plante des horreurs c'est bien l'être humain dans sa volonté de faire le mal. En effet, au milieu du récit, il appelle cette force mauvaise « un homme ennemi », cela montre la conception du diable qu'a Jésus. Le diable, ce n'est pas une sorte de dieu obscur, ou d'ange mauvais. Le diable, c'est le mauvais côté de tout être humain, quand nous sommes source d’éparpillement, de chaos.
Le mal semé par l’homme ennemi
Nous avons là une seconde source du mal qui existe dans le monde, et face à cela notre plainte redouble de peine, et s’accompagne, si l’on est honnête, de la confession de notre propre péché.
La bonne nouvelle de la puissance limitée de Dieu en ce monde, c'est aussi la liberté qu'il nous laisse de recevoir ou non des pistes d’évolution positive qu’il nous offre. Nous avons également la liberté de faire le mal en mettant notre créativité au service de la haine, de la souffrance et de la mort. Nous sommes tous comme ce champ à moitié levé où cohabitent le bien et le mal, nous sommes même tous mi-Christ mi-diable. La fin de la parabole est alors une bonne nouvelle qui nous concerne intimement. Dieu ne perd pas une miette de ce qu’il y a en nous de bonté, et en définitive nous serons totalement libéré de notre côté diabolique. Mais pour l'instant, en ce monde et en nous-mêmes, Dieu travaille avec une puissance limitée.
Et il n’est pas possible, même pour Dieu de nous arracher notre dimension diabolique comme on arrache une vieille dent pourrie. L’homme est ainsi fait que nous sommes totalement les deux, totalement le fruit du bon grain, l’enfant de Dieu, et que nous sommes à la fois totalement l’ivraie, le diable qui blesse et qui tue. Pour l’instant Dieu n’a d’autres ressource face à l’humanité que d’appeler chacun, que d’accompagner, d’aimer, de visiter.
C’est ce que Dieu fait en Christ. Le Christ ne tue pas la méchanceté d’ans l’homme, il appelle à la conversion, il annonce l’Évangile du pardon de Dieu. En Christ, Dieu est encore plus le semeur que jamais et il est encore moins le Tout-Puissant qui pourrait imposer de force sa volonté au monde. En Christ, Dieu offre à l’homme la semence d’une évolution positive. Par lui, la vie est plus que jamais entrée dans le monde.
Le monde est plein de signes de la victoire de la puissance de Dieu. Chaque fois que le miracle de la vie l'emporte sur la mort. Chaque fois que l'on espère, chaque fois qu'il y a un geste d'amour ou une parole de paix, chaque fois qu'un malade guérit, qu'un isolé est visité, que quelqu'un reçoit la bonne nouvelle d’une relation possible avec Dieu… c'est un signe de ce royaume qui est attendu et déjà présent. Mais quand un enfant naît mal formé, quand une inondation ou une guerre dévaste des familles et des pays... Nous sommes alors en présence soit du chaos soit du péché de l’homme, parfois des deux, nous sommes en présence de la faiblesse de Dieu, d'un Dieu qui continue à semer et à espérer, qui continue à soigner, à accompagner, à nous pardonner et à nous appeler. C'est comme cela que Dieu aime. C’est comme ça qu’il entend notre plainte, c’est comme cela qu’il féconde notre repentance et notre louange. C’est comme ça qu’il exauce notre prière et que nous exauçons son espérance.
Amen.
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Pasteur dans la chaire de
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Lecture de la Bible
Matthieu 13:18-30
Vous donc, écoutez la parabole du semeur.
19 Lorsqu’un homme écoute la parole du royaume et ne la comprend pas, le malin vient et enlève ce qui a été semé dans son coeur: cet homme est celui qui a reçu la semence le long du chemin.
20 Celui qui a reçu la semence dans les endroits pierreux, c’est celui qui entend la parole et la reçoit aussitôt avec joie;
21 mais il n’a pas de racines en lui-même, il manque de persistance, et, dès que survient une tribulation ou une persécution à cause de la parole, il y trouve une occasion de chute.
22 Celui qui a reçu la semence parmi les épines, c’est celui qui entend la parole, mais en qui les soucis du siècle et la séduction des richesses étouffent cette parole, et la rendent infructueuse.
23 Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est celui qui entend la parole et la comprend; il porte du fruit, et un grain en donne cent, un autre soixante, un autre trente.
24 Il leur proposa une autre parabole, et il dit: Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé une bonne semence dans son champ.
25 Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de l’ivraie parmi le blé, et s’en alla.
26 Lorsque l’herbe eut poussé et donné du fruit, l’ivraie parut aussi.
27 Les serviteurs du maître de la maison vinrent lui dire: Seigneur, n’as-tu pas semé une bonne semence dans ton champ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie?
28 Il leur répondit: C’est un ennemi qui a fait cela. Et les serviteurs lui dirent: Veux-tu que nous allions l’arracher?
29 Non, dit-il, de peur qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé.
30 Laissez croître ensemble l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et, à l’époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs: Arrachez d’abord l’ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler, mais amassez le blé dans mon grenier.
Genèse 1 :1-5
Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.
2 La terre était informe et vide; il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’Esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.
3 Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut.
4 Dieu vit que la lumière était bonne; et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres.
5 Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le premier jour.
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