Restons groupés

(Matthieu 25:1-13)

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Culte du dimanche 19 décembre 2010 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, cette histoire des dix vierges figure en bonne place dans le panthéon biblique tant l’épisode frappe notre imagination. Cette histoire qui parle du Royaume des cieux semble nous donner la clef pour y accéder afin d’avoir part, nous aussi, à la noce. Mais le premier effet de ce récit, est d’abord de faire parler le lecteur et de l’aider à lire sa propre vision du Royaume des Cieux. Avant même d’être utile pour comprendre quelque chose du Royaume, ce texte agit sur nous en nous faisant dire ce que nous en pensons.

Ce texte peut être lu comme une justification biblique que le salut de Dieu n’est pas pour tous, que certains seront sauvés et que d’autres ne le seront pas. Oui, certains peuvent entrer, mais d’autres seront refoulés comme on peut l’être à une soirée privée où nous ne sommes pas reconnus par l’agent d’accueil ou le videur s’il s’agit d’une boîte de nuit. A ceux qui tiennent au fait que le salut de Dieu n’est pas universel, cette histoire offre une justification qu’il y aura des personnes qui resteront à la porte. C’est une lecture qui exclue ceux qui ne sont pas élus : tant pis pour eux.

Ce texte peut être lu, également, comme une justification d’un salut qui n’est pas fondé sur la grâce de Dieu mais sur nous-mêmes. C’est en fonction de nous, de ce que nous faisons ou ne faisons pas, de ce que nous avons ou n’avons pas, que l’accès à l’intimité de Dieu est possible ou non. Votre lampe est remplie d’huile, c’est heureux pour vous ; dans le cas contraire, tant pis pour vous. L’accès au Royaume des Cieux est alors déterminé par une justice comptable qui recale ceux qui n’ont pas assez : pas assez prié Dieu, pas assez médité la Bible, pas assez fréquenté leur paroisse, pas assez réfléchi aux questions théologiques, pas assez pris de temps pour leur spiritualité. Et, selon cette lecture, notre droit d’entrée dépend de notre taux de remplissage. Soyons plein de religion et on nous laissera entrer. C’est le Royaume des Cieux pour les bons seulement.

Avec un peu plus de nuance, une troisième lecture essaie d’équilibrer l’action de Dieu et la réponse de l’homme. C’est Dieu qui organise la noce, qui invite, qui vient à la rencontre de l’Homme, mais encore faut-il que l’Homme réponde de sa personne, qu’il s’implique dans cette noce, qu’il s’apprête convenablement pour avoir part à la fête. L’action de Dieu et celle de l’Homme sont conjointement nécessaires. Certes, il est question de grâce, mais c’est une grâce conditionnée par l’attitude humaine. Et là, c’est le Royaume des Cieux seulement pour ceux qui ont les bonnes réponses, pour ceux qui ont bien agi, pour ceux qui ont appliqué la loi. Dans ce cas, il est préférable d’avoir été baptisé, d’avoir participé à la Cène et d’avoir pratiqué tout ce que la religion peut encourager. C’est le Royaume des Cieux qui exclue ceux qui n’ont pas été bien sages.

Voilà trois lectures qui ont été développées par différentes traditions du christianisme et qui trouvent toujours un écho de nos jours, auprès de nous, parfois, lorsque nous voulons nous rassurer sur le fait que nous ferons bien partie de ces vierges qui accompagneront l’époux jusqu’à la noce, que nous voulons nous rassurer sur le fait que nous pourrons assister à la fête, que nous serons bel et bien de la partie. Ce sont des lectures dont nous sommes capables lorsque nous voulons des certitudes sur notre salut, sur notre place parmi les élus. Et nous nous mettons alors à penser qu’il suffit de veiller, d’avoir sa lampe prête à l’emploi, pleine de toutes sortes de choses que Dieu a mis à notre disposition, pour faire partie du cortège qui accompagnera l’époux jusqu’à la noce divine.

Mais c’est oublier un peu vite que le Royaume des Cieux est semblable à dix vierges, dont la moitié étaient insensées et les autres sages, et qui prirent toutes leur lampe pour aller à la rencontre de l’époux. Et le Royaume des Cieux, c’est cet époux qui surgit de la nuit, à l’improviste, personne ne sachant ni le jour, ni l’heure. Le Royaume des cieux n’est pas un jeu de massacre ou de sélection. Le Royaume des Cieux, ce sont, ensemble, ces dix vierges, certaines prêtes et d’autres beaucoup moins.

Le dernier verset semble donner la clef d’accès au Royaume en conseillant de veiller puisque nul ne peut prétendre savoir quand adviendra le Règne de Dieu. Mais quelle curieuse chose que cet appel à veiller alors que toutes les vierges se sont endormies, bien sagement, et que cela n’a pas empêché cinq d’entre elles d’accéder ensuite à la noce. S’il fallait veiller au sens de rester éveillé, toutes auraient dû être recalées puisque toutes se sont endormies. Et si veiller, c’était être capable d’être réveillé, toutes auraient dû être admises, puisque toutes ont été réveillées, toutes ont été levées. Les cinq vierges insensées n’ont pas eu plus de mal que les autres à sortir de leur sommeil et d’être ressuscitées, pour le dire théologiquement.

Le vrai problème de ce texte, c’est que le verbe qui est traduit par « veiller », grègorein, est un verbe qui n’existe pas vraiment dans la langue grecque. Quand on veut exprimer le fait de rester éveillé, de ne pas dormir, les évangélistes, notamment, emploient le verbe « agrupnein ». « Grègorein » est un néologisme biblique que l’on retrouve à quelques endroits de la Bible et un peu plus tôt dans l’évangile selon Matthieu au sujet de deux femmes qui sont en train de moudre : l’une sera prise et l’autre laissée, ce qui conduit à encourager le fait de « grégorer » (Mt 24/41-42), un verbe que l’on retrouvera par ailleurs lorsque plusieurs personnes sont concernées par l’imminence d’un événement. On pourrait éventuellement considérer qu’il s’agit d’une forme erronée du verbe se lever, « egeirein », ce verbe qui est utilisé pour décrire le réveil des femmes, mais le problème reste le même : toutes ont été « égeirées » de la même manière, mais toutes n’ont pas pu entrer, ce qui signifie que le commandement de l’éveil serait insuffisant.

La meilleure solution que je vois, pour comprendre ce texte et lui donner du sens, c’est que ce néologisme « grègorein » est une dérivation du latin « gregarer » qui signifie réunir, attrouper, et que nous connaissons dans notre langue française avec l’instinct grégaire qui consiste à se rassembler, avec l’idée de se rassembler en troupeau. S’attrouper, donc. La recommandation de ce passage d’évangile, serait alors de maintenir le Royaume des Cieux, tel qu’il est décrit au départ, avec ses dix vierges, certaines sages, certaines folles, dix vierges qui peuvent être des saints ou des assassins, des femmes du monde ou des belles de nuit, et qui sont ce que l’humanité est capable de produire, sans qu’en soit exclu quiconque. La recommandation de ce passage d’évangile serait de maintenir ensemble l’intégralité de ce groupe, de faire corps, d’éviter l’éparpillement, la fragmentation, parce que c’est à partir du moment où elles se séparent que cela finit mal pour l’une des parties.

Et cet évangile ne regarderait pas forcément d’un bon œil la sagesse de ces cinq qui avaient de l’huile mais qui n’ont pas été spécialement de bon conseil auprès des cinq autres en les envoyant au loin alors que le Royaume était là, tout proche. La sagesse de ces cinq vierges est très relative à mes yeux, puisque c’est n’est pas autre chose que la sagesse du monde qui consiste à dire qu’il vaut mieux en sauver 5 que courir le risque d’en perdre 10. Mais qu’est-ce qui aurait empêché les cinq vierges sans lampe allumée de se joindre aux cinq autres et de profiter de leur éclat, si l’on veut filer la métaphore ? Faire corps, rester ensemble, unir les forces et les talents, faire valoir ses talents, voilà un message qui nous vient de ce texte. Joseph ne répudie pas Marie mais s’agrège à elle. La foule qui écoute Jésus et qui a soudainement faim ne sera pas renvoyée à la ville pour y acheter à manger alors que la sagesse des disciples dictait cela : « donnez-leur vous-mêmes à manger » répond Jésus (Mt 14/16). Jésus ne lâchera pas ses disciples, même quand Pierre fera cavalier seul.

Ce texte parle d’exclusion si on le souhaite. Il parle de châtiment si on l’espère. Il parle de la dureté de Dieu si on le désire. Mais tout cela se fait à la condition de couper cette histoire au verset 12, de considérer que l’acte final est la réponse qui est faite par l’homme qui se tient à la porte et dont on ignore l’identité. Il se pourrait bien que ce soit le maître de la maison où se tient la noce sans qu’il s’agisse forcément du Christ. Il se pourrait bien, néanmoins, que ce soit une figure du Christ, mais dans ce cas un Christ amnésique qui oublie les siens, qui ne connaît plus ses brebis par leur nom, qui n’ouvre plus quand on frappe, qui ne donne plus quand on demande, et qui retire sa grâce avec la plus grande nonchalance qui soit, si l’histoire s’arrête là, ce qui étonnerait le lecteur de l’évangile qui a déjà assisté à la rencontre entre la femme cananéenne qui ne faisait pas partie du plan de salut de Jésus mais qui s’est retrouvée intégrée au troupeau, « grégarisée » en quelque sorte, après en avoir discuté avec lui (Mt 15/21-28). Le Christ ne serait-il plus celui qui dit « suis-moi » (Mt 4/19 ; 9/9), mais celui qui rejette ?

Il me semble, au contraire, que nous avons là, dans l’évangile selon Matthieu, un équivalent à l’épisode de la brebis perdue pour laquelle on met tout en œuvre pour la retrouver (Mt 18/12-14). C’est un épisode qui nous encourage personnellement à faire corps, qui ne laisse pas le soin aux autres de trouver des solutions, qui ne laisse pas à Dieu seulement le soin d’accompagner ceux qui sont dans la nuit. C’est un épisode qui nous invite à être solidaires avec ceux qui ne sont peut-être pas très bien équipés, ceux qui n’ont pas forcément fait le plein de tout ce qui peut être utile et nécessaire dans la vie, ceux qui ont peut être la tête ailleurs, qui ont du mal à se projeter dans l’avenir, qui ont du mal à se préparer pour la suite, qui seraient du genre à se perdre, à s’égarer loin de l’essentiel. Parce que Dieu ne veut pas perdre un seul de ses petits, il nous rend responsables des moins bien lotis, des moins bien servis, de ceux qui n’ont pas forcément conscience de tout ce qu’il faut faire, entreprendre, envisager, pour avoir une vie à la hauteur de l’espérance de Dieu. « Grégarisez-vous » en quelque sorte, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. Restez groupés. Parce que ce sont les plus faibles qui trinqueront, évidemment, si vous allez chacun de votre côté. Bien sûr que ce sont toujours les plus forts qui s’en sortent le mieux. Bien sûr que ce sont les mieux nés, les mieux instruits, les mieux équipés qui s’en sortent le mieux. Bien sûr que ce sont toujours les paroisses les plus riches, les plus grandes qui s’en sortent le mieux. Bien sûr que ce sont toujours les grosses entreprises qui subissent moins la crise. Restez groupés, « grégarisez-vous » : cela évitera que les insensés restent dehors. Dieu compte sur nous pour que le Royaume des Cieux ne soit pas un lieu d’exclusion, qu’il ne soit pas amputé des plus petits d’entre nous, des moins bien disposés, ceux auxquels on ne pense même plus et qui, pourtant, sont véritablement une figure du Christ, nous apprendra la fin de l’évangile selon Matthieu : ceux qui sont invisibles, ceux auxquels nous ne prêtons même plus attention. Oui, Dieu compte sur nous pour que notre sagesse ne soit pas semblable à ceux qui professent le « tant pis pour toi », mais qu’elle favorise l’Evangile de l’autre chance qui ouvre les portes à ceux qui sont au seuil de leur existence.

Amen

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2

Lecture de la Bible

Matthieu 25:1-13

Le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent à la rencontre de l’époux. Cinq d’entre elles étaient folles, et cinq sages.

Les folles, en prenant leurs lampes, ne prirent point d’huile avec elles;
mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l’huile dans des vases.

Comme l’époux tardait, toutes s’assoupirent et s’endormirent. Au milieu de la nuit, on cria: Voici l’époux, allez à sa rencontre!

Alors toutes ces vierges se réveillèrent, et préparèrent leurs lampes.

Les folles dirent aux sages: Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent. Les sages répondirent: Non; il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous; allez plutôt chez ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous.

Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée.

Plus tard, les autres vierges vinrent, et dirent: Seigneur, Seigneur, ouvre-nous. Mais il répondit: Je vous le dis en vérité, je ne vous connais pas.

Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l’heure.