Que notre foi soit a-religieuse !

( Psaume 148 ; Esther 4:1-14 )

(il n'y a pas eu d'enregistrement, désolé)

Culte du dimanche 7 juillet 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Etre actif dans le monde

Chers frères et sœurs, le problème que pose le psaume 148 avec sa série d’Alléluias, de louanges qui n’apportent pas de réponses directes aux questions qui se posent au quotidien, et auquel fait écho le livre d’Esther, c’est notre rapport au monde. Nous retrouvons là le débat de toujours sur la place des croyants dans la société humaine : doivent-ils être dans le monde ou s’en retirer ? Leur culte doit-il être somptueux au sein de leur église ou est-ce l’intégralité de leur vie quotidienne qui doit être splendide ? Bref, faut-il se retirer dans un lieu de réclusion religieuse où nous pourrons nous gargariser d’Alléluias ou alors ouvrir notre assemblée sur le monde qui ne goûte pas vraiment les joies de ce vocable ?

C’est la question qui se pose à Mardochée dont la communauté exilée en Perse se trouve en situation d’extrême minorité : faut-il se replier sur soi et ne pas se préoccuper de ce qui nous entoure ou, au contraire, faut-il prendre pied dans la cité, être là où se prennent les décisions et assumer sa part de responsabilité ? Mardochée soutient Esther, sa cousine, sur le chemin qui l’amènera à devenir l’épouse du roi. Il lui recommande de ne pas faire état de ses racines, de ne pas se parer de ses atours religieux, mais ne la retient pas d’être choisie parmi toutes les jeunes filles du royaume. Ensuite, Mardochée prendra le parti d’être le plus proche possible du cœur du palais pour influer, selon ses moyens, sur le cours de l’histoire. Il ne forcera jamais le cours de l’histoire, mais lui donnera toutes les impulsions qu’il pourra, par exemple en dénonçant un complot visant le roi, par exemple en conseillant Esther au moment où une décision grave touche son peuple qui va être menacé d’extermination.

La place du chrétien est au cœur du monde, la manière évangélique de témoigner du Dieu vivant, c’est d’être présent au monde, de le prendre au sérieux, et découvrir que la place que nous occupons nous conduit peut-être à certaines responsabilités particulières, à la manière d’Esther : qui sait si ce n’est pas pour une occasion comme celle-ci qu’elle est parvenue à la royauté ? se demande Mardochée. Oui, il s’agit d’une présence active, qui prend la parole, qui prend des initiatives quand la situation l’exige.

Mardochée n’a pas une vision idyllique du monde. Quand un drame est sur le point d’être commis, il ne se réfugie pas dans une espérance naïve et ne récite pas la litanie des Alléluias. Il a les pieds bien sur terre. Et il en va de même pour Esther, qui n’ignore rien des risques qu’elle peut courir si elle prend la décision de se rebeller contre l’injustice.

Avec Esther, ce que nous constatons, c’est que témoigner de sa foi en Dieu, ce n’est pas annoncer à tout va que Dieu est Dieu ; ce n’est pas proclamer « Seigneur ! Seigneur ! » à tout bout de champ. Qu’allons-nous faire, à la fin de ce culte ? Sortir du temple, aller sur les bords de Seine pour clamer « Louez l’Eternel, montres marins » ? Allons-nous ensuite nous rendre dans les catacombes pour clamer « Louez l’Eternel, vous tous, abîmes » ? Puis irons-nous à Montmartre pour clamer « Louez l’Eternel, montagnes et toutes collines » ? Puis au jardin des plantes pour clamer « Louez l’Eternel, arbres fruitiers et tous les cèdres » ? Il est là, le danger mortel du christianisme : croire qu’il suffit d’ouvrir la bouche et d’en sortir des mots de la Bible ou de la tradition religieuse pour que le monde soit plus vivable. La vérité est que notre témoignage repose sur notre fidélité à l’espérance de Dieu, pas sur la récitation exacte qu’en firent ceux qui nous ont précédés.

Notre témoignage, c’est de rester en accord avec cette conscience que Dieu construit en nous. Et parce que Dieu nous donne un projet de vie, parce qu’il donne du sens à notre vie, le premier témoignage que nous avons à rendre, le plus grand témoignage que nous avons à donner, c’est d’incarner cette espérance que Dieu suscite en nous. Bien entendu, ne pas abandonner Dieu dès la première difficulté venue ; ne pas trahir la parole de Dieu dès la première épreuve venue. Mais, parce que notre place est dans le monde, notre témoignage c’est de tenir bon dans le monde en tenant bon la parole de Dieu, non pas en tenant bon sur la forme de cette parole, mais en tenant bon sur le sens de son message qui est un message qui délivre l’amour !

Ce n’est pas parce que le contexte est difficile, que la situation est dure, que le croyant cesse de témoigner. Non, il tient bon, il résiste à la tentation de se taire, de faire comme s’il n’y avait pas de problème à régler. Le cas d’Esther est exemplaire. Elle va prendre la parole, et, ce faisant, elle va témoigner pour la vie de son peuple, elle va protester, au nom même de Dieu – et cela sans jamais prononcer le mot Dieu, sans invoquer la moindre instance surnaturelle. Elle ne va pas arriver devant le roi parée d’Alléluias en bonne et due forme qui le contraindraient à entendre raison et à changer sa décision, comme si Dieu était dans les mots. Esther est portée par cette vive conscience qu’elle a construite en plaçant la situation face à l’ultime, ce qui est une manière de prier. Elle est portée par cette exigence ultime qui la conduit à considérer qu’on ne transige pas, dès lors que le projet de Dieu pour la Création est mis en cause : l’honneur de Dieu, c’est la dignité de l’Homme, voilà la foi d’Esther, voilà son credo qu’elle va déployer devant le roi auquel elle a demandé audience.

Si nous pouvons constater que le monde évolue, qu’il progresse vers plus de justice, vers plus d’amour, si nous constatons que notre monde n’est pas pire qu’avant (on vit plus vieux, la justice est mieux rendue, les individus sont de plus en plus considérés comme des personnes), il est vrai qu’il existe toujours de l’injustice, des scandales, de l’horreur ; le mal n’est pas exclu de notre horizon. Mais il faut reconnaître qu’au cours des siècles le monde a progressé vers plus d’humanité. Sûrement les témoins qui nous ont précédés y sont-ils pour quelque chose, non pas parce qu’ils n’avaient que le mot « Dieu » à la bouche, mais parce qu’ils l’avaient au cœur de leur identité.

Etre audible

Je veux dire, par là, que si le premier témoignage c’est d’être les deux pieds dans le monde, et d’y être actif, encore faut-il – et c’est là le deuxième aspect – être audible par le monde.

Car il ne s’agirait pas d’être dans le monde, d’y gesticuler nerveusement, en étant invisible et inaudible. Il est intéressant de constater que dans tout ce livre biblique d’Esther il n’y est pas une seule fois fait mention de Dieu, qu’il n’y est pas fait une seule fois mention de religion, de foi, de prière etc. Il est intéressant de constater que le croyant Mardochée adopte une langue dépouillée de toute connotation religieuse. Il y a là un enseignement précieux pour nous-mêmes.

C’est précisément parce que nous avons à vivre au sein de ce monde qui nous est confié, en tenant fermement la place qui est donnée, qu’il nous faut faire preuve d’adaptation, ce qui suppose de faire un effort d’interprétation. Et pour tout vous dire, c’est cet effort d’adaptation qui sauve le témoignage chrétien, qui lui donne la possibilité de continuer à être un véritable acte de communication. Le témoignage de Mardochée, dans le livre d’Esther, est sans Dieu, il est à proprement parler athée. Pour vous dire cela avec des mots choisis, je cite Henri Atlan ; il écrit : « le premier souci de l’enseignement biblique n’est pas celui de l’existence de Dieu, d’un théisme par rapport à un athéisme, mais plutôt la lutte contre l’idolâtrie. Or il y a un danger d’idolâtrie dans tout théisme. (…) sauf si, d’une certaine façon, son discours se nie lui-même et devient donc athée. Autrement dit, (…) le seul discours sur Dieu qui ne soit pas idolâtre ne peut-être qu’un discours athée. Ou encore, que dans tout discours le seul Dieu qui ne soit pas une idole est un Dieu qui ne soit pas un Dieu » (Niveaux de signification et athéisme de l’écriture).

La Bible, elle-même, a un discours dépourvu de forme religieuse. C’est nous qui avons figé le vocabulaire biblique dans un carcan religieux. Cette semaine, nous avons eu une étude biblique sur le premier récit de la création : tout est dit dans la langue de tous les jours. Dans les autres pages de la Bible, la « résurrection », ce n’est jamais que le réveil ou le redressement. Le « miracle », c’est n’est jamais que le signe. La « foi », ce n’est jamais que la confiance. « L’Eternel », ce n’est jamais que le verbe advenir conjugué au futur, etc. De nos jours, nous devons faire un sérieux travail pour dégager le message chrétien du verni religieux qui s’est accumulé depuis des siècles et qui le rend parfois inaudible aux oreilles de beaucoup de nos contemporains qui n’ont pas les clefs pour le comprendre.

Comme le disait Dietrich Bonhoeffer, notre témoignage doit être a-religieux. Ou plus exactement, à l’occasion d’un baptême, il écrivit ceci : « un jour viendra où des humains seront appelés de nouveau à prononcer une Parole de Dieu de telle manière que le monde en sera transformé et renouvelé. Ce sera un langage nouveau, peut-être tout-à-fait a-religieux, mais libérateur, comme celui du Christ » (Pensée pour le jour d’un baptême).

Frères et sœurs, la voie, empruntée par Mardochée et Esther, nous rappelle qu’être témoin du Dieu vivant, c’est manifester ostensiblement que nous sommes bel et bien dans le monde, défenseur de la dignité de l’homme en toute circonstance et bien décidés à faire craquer le verni religieux qui fait si souvent écran au message de l’Evangile. Esther et Mardochée nous aident à comprendre que le psaume 148 est une invitation à ne laisser aucun aspect de notre vie quotidienne, aucun aspect de notre monde, hors du champ de nos préoccupations. Ils nous montrent que ce psaume est une invitation à ce que nos Alléluias, autrement dit notre désir d’élever la vie à hauteur de l’absolu, n’épargne personne, ni aucune situation. Ce psaume nous révèle qu’être chrétien ce n’est pas être affilié à une chapelle, mais c’est à chaque fois que nous faisons advenir la vie véritable. Ce psaume 148 est un appel à ne jamais baisser la garde lorsque l’honneur de Dieu, qui est l’autre nom de la dignité humaine, est en jeu. C’est alors que toute notre vie devient un vibrant Alléluia lancé à la face du monde.

Amen

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2

Lecture de la Bible

Psaumes 148:1-14

Louez l’Eternel! Louez l’Eternel du haut des cieux! Louez-le dans les lieux élevés!
2 Louez-le, vous tous ses anges! Louez-le, vous toutes ses armées!
3 Louez-le, soleil et lune! Louez-le, vous toutes, étoiles lumineuses!
4 Louez-le, cieux des cieux, Et vous, eaux qui êtes au-dessus des cieux!
5 Qu’ils louent le nom de l’Eternel! Car il a commandé, et ils ont été créés.
6 Il les a affermis pour toujours et à perpétuité; Il a donné des lois, et il ne les violera point.
7 Louez l’Eternel du bas de la terre, Monstres marins, et vous tous, abîmes,
8 Feu et grêle, neige et brouillards. Vents impétueux, qui exécutez ses ordres,
9 Montagnes et toutes les collines, Arbres fruitiers et tous les cèdres,
10 Animaux et tout le bétail, Reptiles et oiseaux ailés,
11 Rois de la terre et tous les peuples, Princes et tous les juges de la terre,
12 Jeunes hommes et jeunes filles, Vieillards et enfants!
13 Qu’ils louent le nom de l’Eternel! Car son nom seul est élevé; Sa majesté est au-dessus de la terre et des cieux.
14 Il a relevé la force de son peuple: Sujet de louange pour tous ses fidèles, Pour les enfants d’Israël, du peuple qui est près de lui. Louez l’Eternel!

Esther 4:1-14

Mardochée, ayant appris tout ce qui se passait, déchira ses vêtements, s’enveloppa d’un sac et se couvrit de cendre. Puis il alla au milieu de la ville en poussant avec force des cris amers, 2 et se rendit jusqu’à la porte du roi, dont l’entrée était interdite à toute personne revêtue d’un sac.

3 Dans chaque province, partout où arrivaient l’ordre du roi et son édit, il y eut une grande désolation parmi les Juifs; ils jeûnaient, pleuraient et se lamentaient, et beaucoup se couchaient sur le sac et la cendre.

4 Les servantes d’Esther et ses eunuques vinrent lui annoncer cela, et la reine fut très effrayée. Elle envoya des vêtements à Mardochée pour le couvrir et lui faire ôter son sac, mais il ne les accepta pas.

5 Alors Esther appela Hathac, l’un des eunuques que le roi avait placés auprès d’elle, et elle le chargea d’aller demander à Mardochée ce qui s’était passé et pourquoi il agissait ainsi.

6 Hathac se rendit vers Mardochée sur la place de la ville, devant la porte du roi.

7 Et Mardochée lui raconta tout ce qui lui était arrivé, et lui indiqua la somme d’argent qu’Haman avait promis de livrer au trésor du roi en retour du massacre des Juifs.

8 Il lui donna aussi une copie de l’édit publié dans Suse en vue de leur destruction, afin qu’il le montre à Esther et lui fasse tout connaître; et il ordonna qu’Esther se rende chez le roi pour lui demander grâce et l’implorer en faveur de son peuple.

9 Hathac vint rapporter à Esther les paroles de Mardochée.

10 Esther chargea Hathac d’aller dire à Mardochée: 11 Tous les serviteurs du roi et le peuple des provinces du roi savent qu’il existe une loi prescrivant la peine de mort contre quiconque, homme ou femme, entre chez le roi, dans la cour intérieure, sans avoir été appelé; celui-là seul a la vie sauve, à qui le roi tend le sceptre d’or. Et moi, je n’ai point été appelée auprès du roi depuis trente jours.

12 Lorsque les paroles d’Esther eurent été rapportées à Mardochée, 13 Mardochée fit répondre à Esther: Ne t’imagine pas que tu échapperas seule d’entre tous les Juifs, parce que tu es dans la maison du roi; 14 car, si tu te tais maintenant, le secours et la délivrance surgiront d’autre part pour les Juifs, et toi et la maison de ton père vous périrez. Et qui sait si ce n’est pas pour un temps comme celui-ci que tu es parvenue à la royauté?