De quoi sommes-nous les héritiers ?(Éphésiens 1:3-14) Culte du dimanche 30 juin 2013 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, Prendre au sérieux l’autre ce n’est pas seulement chercher en lui ce qu’il partage avec moi, c’est aussi s’intéresser à ses particularités, à ce qui le distingue de moi. Jeudi dernier, j’ai présidé une soutenance à l’Institut Supérieur des Etudes Œcuméniques. Fondé par les trois facultés de théologie parisiennes (protestante, catholique et orthodoxe) et dirigé par mon cher collègue Jacques-Noël Pérès, il y règne un esprit irénique. On y favorise un dialogue qui ne passe pas sous silence les différences confessionnelles. Le candidat qui soutenait son mémoire de Master, avait choisi comme sujet la prédestination, concept théologique compliqué , dont il exposait le parcours d’Augustin à Karl Barth. Il avait choisi ce sujet pour deux raisons. Première raison : la prédestination avait, à un certain moment, mis à part les réformés calvinistes de tous les autres groupes confessionnels. Deuxième raison : selon lui, la reformulation de ce concept au XXe siècle par le théologien réformé Karl Barth d’une part et le théologie catholique Henri de Lubac d’autre part peut enrichir le dialogue œcuménique. Il est vrai que la doctrine de la prédestination sous sa forme calvinienne a posé problème. On lui reprochait sa dureté. En effet, elle affirme que les uns sont prédestinés au salut et les autres prédestinés à l’éternelle damnation. Ces deux décrets éternels de Dieu ne dépendent d’aucune prévision de ce que sera la personne, de ses actes. C’est comme si je disais : je ne traiterai pas mes futurs enfants de la même manière. J’aimerai le second et je rejetterai le premier indépendamment de leur caractère, de leur comportement. Il peut être angoissant de se demander si l’on fait partie de ceux que Dieu aime ou de ceux qu’il rejette. Mais Calvin ne voulait pas prêcher la peur en prêchant la prédestination. Il voulait mettre en avant la liberté absolue de Dieu et sa fidélité envers ceux qu’il avait élus. La prédestination calvinienne pouvait consoler et encourager les réformés français persécutés car ils pouvaient se dire : Nous souffrons mais nous sommes une minorité mise à part par Dieu, ses élus, il ne nous abandonnera pas. La prédestination calvinienne peut paraître terrible lorsqu’on pense à la masse de ceux envoyés en enfer, mais du point de vue d’une minorité persécutée, elle peut être consolatrice. La nouvelle Eglise Protestante Unie de France dont nous célébrons aujourd’hui la création est héritière des débats d’autrefois. Il est vrai que la prédestination ne pose plus vraiment problème. La plus grande partie des réformés ont abandonné la doctrine calvinienne de la double prédestination absolue en faveur d’une position qui met en avant l’élection au salut, se rapprochant ainsi des luthériens et des catholiques. La prédestination ne pouvait pas donc pas devenir un obstacle à la création de la nouvelle Eglise. Déjà en 1973, la Concorde de Leuenberg signée par des Eglises réformées, luthériennes et unies en Europe, se prononce pour l’élection au salut seul. Bref, la prédestination ne nous sépare plus. Nous pouvons réfléchir ensemble sur l’héritage que présente la doctrine calvinienne et les possibilités de repenser la prédestination, au sein de notre Eglise et dans le dialogue œcuménique. En Christ, Dieu nous appelle au salut. En lui, nous sommes élus au salut. Je vous rappelle le texte qui est à la base de la prédication d’aujourd’hui : « En lui Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant lui, nous ayant prédestinés dans son amour à être ses enfants d'adoption par Jésus Christ, selon le bon plaisir de sa volonté, à la louange de la gloire de sa grâce qu'il nous a accordée en son bien-aimé » (1, 4-6). Une bonne nouvelle ! Dieu fait de nous ses enfants en Jésus-Christ, son Fils, par son Esprit. Il nous veut du bien. Aucune incertitude, aucun doute pour l’auteur de l’Epître : nous sommes prédestinés au salut, à la vie éternelle, parce que Dieu, dans son amour, a décidé de faire de nous ses enfants. « En lui nous sommes aussi devenus héritiers, ayant été prédestinés suivant la résolution de celui qui opère toutes choses d'après le conseil de sa volonté, afin que nous servions à la louange de sa gloire, nous qui d'avance avons espéré en Christ. En lui, vous aussi, après avoir entendu la parole de la vérité, l'Évangile de votre salut, en lui vous avez cru et vous avez été scellés du Saint Esprit qui avait été promis, lequel est un gage de notre héritage, pour la rédemption de ceux que Dieu s'est acquis, à la louange de sa gloire (1, 11-14). En Christ, nous sommes devenus héritiers. Héritiers de quoi ? Hériter n’est souvent pas chose facile. Les cas où l’héritage relève plus de la malédiction que de la bénédiction sont légion. En voici un : Le père est mort il y a longtemps. La mère perd la mémoire. Elle ne peut plus vivre seule. Les frères et sœurs se réunissent pour parler de l’héritage. De la grande maison des parents. De la mère. Ils décident que c’est à l’aîné de s’installer dans la grande maison pour prendre soin de la mère. Lui et sa famille. La vieille dame n’est pas contente. Elle trouve que ses enfants exagèrent, que tout cela n’est pas nécessaire, pas commode. Les frères et sœurs qui habitent loin regardent d’un œil suspicieux l’aîné et sa famille. La situation dégénère. Comme redouté, la relation entre la mère et l’aîné et sa famille devient difficile. Les autres se font des soucis, les uns à cause de l’état de l’héritage, les autres à cause de la mère dont l’état de santé s’empire. La famille se réunit. On se dispute. « Toi, tu ne vois que ton propre avantage. » « Ce n’est pas toi qui prends soin d’elle tous les jours. Tu ne sais pas comment elle est. » « Vous ne pensez jamais aux choses nécessaires. Qui va s’occuper des travaux à faire ? Pourquoi est-.ce qu’il n’y a pas d’argent pour cela ? » Un héritage terrestre. Une dispute bien terrestre. La mère s’éteint. La maison doit être vendue. La famille n’arrive pas à se mettre d’accord. Pendant des années, il n’y a plus de contact entre les enfants. « Nous sommes trop différents ». « Je ne lui pardonne pas ce qu’il a fait à Maman ». Une histoire de peur, de souffrance et de malentendus. Dans notre nouvelle Eglise Protestante Unie, nous sommes aussi des héritiers. Les héritiers d’une histoire commune et de notre propre histoire. Si l’on voulait faire simple : Les réformés héritiers du Désert, les luthériens héritiers des Eglises de l’ambassade de Suède. Dit de manière encore plus simpliste : Les héritiers de Calvin versus les héritiers de Luther. Evidemment, notre héritage est plus riche que cela. Calvin hérite aussi de Luther, les luthériens français sont aussi les héritiers de la prédication et de la piété réformée (le comte de Montbéliard fait venir le théologien réformé Guillaume Farel pour prêcher la Réforme). Depuis sa création en 1877, la Faculté de théologie protestante de Paris est luthéro-réformée. Et pourtant. Il arrive et il arrivera que les héritiers de la Réforme se disputent. Au sein de la Fédération Protestante Unie de France (sur la question du mariage homo). Au sein de notre Eglise. « Toi, tu ne vois que ton propre avantage. ». « Vous ne pensez jamais aux choses nécessaires. ». « Nous sommes trop différents ». Ce sont des propos que nous avons entendus, ou peut-être exprimés, au cours du processus de la création de notre nouvelle Eglise. Ce sont des propos qui accompagneront notre réflexion théologique, pratique, financière. Héritiers d’une histoire bien terrestre, de doctrines bien ancrées dans l’ici-bas. L’unité, la paix, le respect de l’autre nous sont donnés comme tâches, pas comme évidences. Mais ce n’est pas tout. Le texte parle d’un héritage céleste. Qui va le distribuer? Les Eglises? Les comptables? Non, c’est Dieu lui-même qui distribue l’héritage que son Fils a acquis. Son Esprit nous le donne dès aujourd’hui. Un héritage céleste parce que nous sommes les enfants de Dieu. Le ciel et la terre se touchent et s’ouvrent l’un à l’autre. Avec le Christ, nous devenons les héritiers du Royaume de Dieu. L’héritage céleste enlève toutes barrières. Il n’y a plus de différences d’histoire, d’origine, de culture, de sexe biologique ou social. Comme Paul, l’auteur de l’Epître aux Ephésiens était judéo-chrétien. Quelqu’un qui avait entendu parler de Jésus dans une communauté juive. Quelqu’un qui était juif et chrétien. L’Epître se fait l’écho de cette dispute entre frères et sœurs qui était celle entre les judéo-chrétiens et les pagano-chrétiens. Les uns disaient : Dieu a rejeté les juifs. Ils ne font plus partie de ses enfants, de ceux qui vivent dans la grâce divine, qui reçoivent la foi et l’Esprit. L’alliance est rompue, cette relation étroite qui les a distingués des autres. Celle qui manifestait la confiance et l’amour que Dieu leur portait. - Les autres avaient d’autres doutes : Nous ne somme pas sûrs que la libération par Jésus, le Messie, concerne les païens qui ne respectent pas la Loi. Alors l’auteur de l’Epître prend position. L’élection ne concerne plus les juifs. Elle est passée sur l’Eglise, la communauté de ceux qui croient en Christ. Qu’ils soient d’origine juive ou païenne. Celui qui n’appartient pas à cette communauté n’entrera pas au Royaume des cieux. Mais attention : écarter les juifs, déclarer nulle leur alliance avec Dieu a incité l’Eglise a adopter un anti-judaïsme qui transparaît toujours, ici et là, dans ses prédications, sa liturgie et ses distinctions théologiques. Juifs et chrétiens, des héritiers qui se disputent l’héritage en s’excluant mutuellement. Celui qui n’appartient pas à l’Eglise ne peut pas hériter le Royaume. N’est-ce pas une vue trop étroite ? Faire partie d’une institution terrestre, bien que fondée par le Saint-Esprit, c’est cela, être héritier ? Calvin a essayé de donner une réponse nuancée à cette question. Elle n’est pourtant pas sans difficulté. Selon lui, les élus seuls, mis à part « pour être le propre héritage de Dieu », constituent l’Eglise universelle, invisible. Ils sont connus par Dieu seul. L’Eglise serait-elle finalement une société secrète ? Calvin opte pour la négation. Il est vrai, dit-il, que l’Eglise visible contient beaucoup d’hypocrites. Mais c’est en elle, lieu de la parole (de la prédication, des sacrements) et d’exercice de la discipline que se concrétise l’Eglise invisible. Calvin, à la suite de Cyprien de Carthage, fait de l’Eglise visible, ( = là où est prêchée la parole), la mère des fidèles. Il affirme que « hors le giron d’icelle, on ne peut espérer rémission des péchez ne salut aucun ». Ces propos limitent le salut à l’espace qu’est l’église visible. Ils excluent au lieu d’ouvrir, au lieu d’inviter à participer à l’Eglise en tant que communauté créée par le Saint-Esprit, qui souffle où il veut. Osons faire de l’Eglise une institution de liberté, un lieu où Dieu nous appelle sans nous y enfermer ! Jésus est venu nous apporter la libération, le salut. Il n’est pas venu imposer de nouvelles frontières. L’héritage céleste, nous en bénéficions, parce que le Christ n’a pas accepté les limites de la mort et du péché. L’héritage que nous lègue le Christ n’est pas celui d’un défunt, mais celui d’un vivant. Il ne sépare pas les uns des autres mais – comme le dit l’Epître - réunit « sous un seul chef, le Christ, tout ce qui est dans les cieux et sur la terre ». Comme Paul, l’auteur de l’épître - qui appartient probablement à l‘école paulinienne en Asie Mineure - croit en un Dieu qui sauve par pure grâce. Dieu n’établit pas de critères d’appartenance à la manière des assurances et des banques. L’amour de Dieu concerne toute sa Création. Il offre son enfant bien-aimé et nous acquiert notre liberté une fois pour toutes. Nous sommes libérés de la mort et de sa puissance. Nous sommes les héritiers du ciel. Les enfants de Dieu. Nous avons reçu son Esprit, qui est « le gage de notre héritage ». Cela veut dire pour le monde dans lequel nous vivons maintenant: Il faut œuvrer pour sa libération, agir en tant qu’héritiers responsables. « Dans son amour, il nous a prédestinés par Jésus-Christ à être adoptés ». Dieu nous a libérés par son Fils - « par son sang » précise l’auteur, faisant allusion à la fois à la mort violente et à la symbolique du sacrifice. Jésus a donné sa vie pour que nous vivions libérés. Il s’est soumis à la puissance de la mort. Il est mort comme si toute espérance de salut, d’accomplissement mourrait avec lui. Une mort violente, inventée par les Romains dans leur enthousiasme pour la démonstration de pouvoir, du pouvoir de la mort. Mais Jésus est vivant. Et il a institué comme héritiers des biens célestes tout ce qui vit. L’héritage céleste efface les frontières. Les héritiers ne sont pas soit juifs soit chrétiens, soit catholiques soit protestants. L’héritage céleste est un don qui libère. Il ne concerne pas que l’être humain. Toute créature, tout ce qui vit trouve son sens dans le dessein de Dieu de sauver sa création. Jésus est le chef de tout ce qui est. C’est lui qui donne au monde son sens. Aux pierres, au papillon, à la fourmi, au tilleul, à la baleine bleue, à toute la famille humaine, tous les frères et sœurs, tous les enfants de Dieu, si différents qu’ils soient. Dans une telle conception du monde, les êtres humains ne sont pas seulement amis. Ils sont les enfants de Dieu, frères et sœurs qui ne divisent pas l’héritage céleste. Le Dieu qui vient à notre rencontre dans les paroles de l’Epître est un Dieu qui ouvre le ciel. Il offre le ciel sur la terre en faisant de tous les êtres humains des enfants célestes, les héritiers du ciel. Le monde devient plus vaste. Il ne s’agit plus de posséder, de gagner, de surpasser les autres, d’avoir raison. Ni dans le monde, ni dans l’Eglise. Dans son amour, Dieu nous adopte. Son héritage, Dieu ne le distribue pas de manière juste. Il répand son Esprit sur nous en abondance. Par amour. Cette abondance d’amour, il faut la fêter dans l’Eglise. En célébrant des bénédictions de mariages et des fêtes de l’Eglise. Fêtons la grâce, fêtons l’abondance qui se manifeste dans cette nouvelle Eglise qui nous unit ! Fêtons tout ce que nous partageons et tout ce que nous avons de particulier en nous sachant unis par l’amour de Dieu qui fait de nous ses enfants bien-aimés. Seigneur, aide ton Eglise à répandre ton amour, à parler et agir comme l’héritière de la réconciliation que tu as apportée au monde entier. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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