« Maître, pardonne-lui encore cette année... »

(Luc 13:1-9 ; Ésaïe 5:1-7)

(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo ci-dessous)

Culte du dimanche 3 janvier 2016
prédication du pasteur Marc Pernot

Texte de la prédication (vidéo ci-dessous)

Pour cette nouvelle année 2016, après une année 2015 qui a été assez dure, j’ai pensé vous lire ce passage de l’Évangile qui commence mal mais qui se termine par cet appel que lance le vigneron « Maître, pardonne lui encore cette année... »

Quand Jésus prononce cette courte parabole du figuier qui ne porte pas de fruits, chacun de ses auditeurs entend une allusion à une des paraboles les plus connues de la Bible hébraïque, le chant de la vigne dans le livre du prophète Ésaïe.

oOo

Ce texte de l’Évangile montre Jésus face à la question du mal qui existe dans ce monde et comment réagir.

Des personnes viennent interroger Jésus sur un fait divers qui les choque. Des personnes massacrées par le gouverneur romain en plein culte rendu à Dieu ! Quelle justice ? Comment Dieu peut-il permettre ? À quoi sert-il d’être religieux si ça ne nous protège pas ? Ces personnes qui demandent à Jésus de commenter cette actualité se demandaient peut-être s’il était le messie attendu... cette actualité les trouble. Que fait donc Jésus ? Bon Dieu !

Jésus, en rajoute en citant un second fait d’actualité, qui complète le premier pour couvrir les deux grandes causes à l’existence du mal dans le monde :

  1. La première cause, illustrée par le massacre de Pilate, est la méchanceté de l’homme. L’homme est maître de son destin, de ses décisions et de ses actions. Pour le meilleur et pour le pire.
  2. La seconde cause, illustrée par l’accident de la tour de Siloé, est le manque de chance pour les 18 qui étaient là au mauvais endroit au mauvais moment, et c’est la nature, qui fait que tout ce qui est matériel en ce monde s’use ou tombe malade et finit par tomber.

Il n’y a donc pas que le mal dû au péché de l’humain, la nature aussi déraille en partie. Et Jésus insiste pour dire que dans les deux cas la mort de ces personnes est injuste. Non que ces personnes touchées aient été innocentes mais parce que personne n’est innocent et qu’il existe de bien plus grands pêcheurs que Dieu ne foudroie pas pour autant. C’est donc que la catastrophe n’est pas une punition de Dieu, ni même sa volonté. Et que c’est autrement que Dieu travaille. Oui, comme le dit Jésus, il faut convertir notre théologie. La chance n’est pas le résultat d’une faveur spéciale de Dieu pour untel plus que pour les 18 écrasés. Dieu est juste et il est bon, il est source de la vie et de justice, il plante et arrose, il soigne les arbres malades, mais ça prend du temps, il lui faut une patience. Un telle patience !

Alors, comment faire face aux mauvaises choses qui arrivent en ce monde ? Et que fait Dieu pour nous aider ? Et à quoi est-ce que ça sert de le prier ?

Jésus nous permet d’y réfléchir en transformant le chant de la vigne d’Ésaïe en une parabole du figuier qui ne porte pas de fruits. Cette transformation qu’apporte Jésus nous appelle à amorcer un changement dans notre façon de façon de voir la vie.

Ésaïe exprime la douleur de Dieu face au mal qui existe dans ce monde qu’il aime :

« Je chanterai à mon ami Le chant de mon bien-aimé sur sa vigne. Il espéra qu'elle produirait de bons raisins,
Mais elle a produit des fruits infects ! » (Ésaïe 5:1-2)

Dieu aime sa création, nous dit Ésaïe, il aime l’humanité, il aime la personne humaine, il aime cet univers et cette planète où nous vivons. Dieu a tout fait, tout préparé pour qu’une abondance de bons fruits puissent être produits par sa création et en particulier par ses enfants. Des fruits de justice, de bénédiction, de vie et de bonheur sont attendus. Et voici qu’il y a cela mais aussi du sang versé et des cris de détresse...

Ce chant de la vigne d’Ésaïe est un appel à ce que nous portions enfin de bons fruits, sinon, Dieu va être hyper en colère et va nous retirer sa bénédiction...

Est-ce que c’est cette conversion là, une conversion de nos actes, de nos fruits dont Jésus parle quand il nous appelle à la conversion, lui aussi. Pas vraiment. Jésus appelle à convertir notre idée de la conversion.

Que fait Jésus de ce chant de la vigne d’Ésaïe ?

  • Il y a encore la vigne mais Jésus ajoute un figuier planté dans la vigne.
  • Jésus a entendu le désespoir des personnes qui viennent le voir et c’est pourquoi il reprend la parabole d’Ésaïe disant l’écart entre l’espérance de Dieu et la réalité. Mais Jésus ne s’arrête pas aux fruits de la vigne tantôt délicieux ou infects, il passe directement au figuier qui ne porte pas de fruits.
  • Enfin, Jésus ajoute un personnage de plus que dans Ésaïe, il y a un maître de la vigne et il y a aussi un vigneron, un peu plus sympa que celui d’Ésaïe, et qui dit « Maître, pardonne-lui encore cette année... »

Les fruits de la vigne et du figuier

La vigne est une image bien connue dans la Bible de la vie humaine et de ses fruits. L’image du figuier est un peu moins connue bien qu’elle soit présente dans la Bible, en particulier dans les évangiles à propos de Nathanaël, de Zachée, du figuier séché par Jésus et dans cette parabole que nous lisons aujourd’hui. Dans la culture de l’époque de Jésus, il était classique de comparer les textes de la Bible à des figues. Les rabbins en donnent les raisons : parce que dans la figue les minuscules pépins sont répartis dans tout le fruit, ce qui fait que chaque petit bout de figue est fécond, donnant un figuier s’il est planté en terre. Comme la moindre lettre de la Bible est féconde et délicieuse, pas de pépin ou de noyau à recracher, la figue comme la Torah est entièrement douce comme du miel. Le Talmud (Erouvin 54b) explique aussi que dans un figuier il y a toujours une petite figue mûre cachée derrière une feuille si l’on cherche bien. Bref, le figuier évoque couramment l’étude de la Bible pour les contemporains de Jésus.

Face à l’existence du mal qui est dans le monde, devant ces fruits infects dont l’existence même est une surprise tant la vigne est capable de produire de bons fruits, Jésus nous dit que la priorité est de soigner le figuier qui est dans la vigne.

Pourtant la question du départ était sérieuse : tant d’injustices et de souffrances, même s’il n’y a finalement que fort peu de ces fruits infects dans la vigne du monde au milieu de tant de bons fruits que l’humanité produit aussi, il arrive que quelques grappes infectes pourrissent toute la cuve où se prépare le vin de demain.

La question des fruits infects produits par la vigne de l’humanité est donc une grave question. Jésus se penche dessus, et il est loin de prendre cela à la légère. Mais la solution qu’il propose est d’aller visiter le figuier qui est au milieu de la vigne. Figuier que nous avions peut-être un peu oublié devant le problème des grappes pourries.

L’urgence, face aux problème du mal dans le monde est d’aller, comme l’homme de cette parabole, d’aller chercher du fruit à son figuier, d’aller travailler la Bible, l’interpréter, discuter des heures et des jours, voire trois ans et une année de plus comme le fait Jésus en acceptant d’être Christ pour nous.

C’est vrai que Jésus fait très peu la morale dans l’Évangile, il ne se concentre pas sur les fautes des gens, leur colère ou leur paresse, leur avarice, leurs défauts et leurs péchés, ni sur l’esclavage, la condition de la femme et nos addictions... mais il nous met en route par la foi. Ici, face à la violence de Pilate Jésus aurait pu interpeler ses auditeurs en les appelant à ne pas vivre comme des petits Pilate eux-mêmes. C’est ce que fait Ésaïe. Suite à l’accident de la tour de Siloé, Jésus saurait pu nous faire la leçon sur le principe de précaution, sur l’arrogance des constructions humaines, ou sur la fragilité de notre existence, sur l’urgence de faire aujourd’hui, de dire aujourd’hui, de vivre aujourd’hui ce qui est beau sans attendre. Et bien non, face au problème de notre vigne, Jésus appelle à la conversion du figuier.

Quand nous sommes troublés devant le mal qui existe dans le monde, Jésus nous invite à aller voir le figuier qui existe au cœur de la vigne, et de voir s’il ne manquerait pas un peu de fruits nourrissants. J’y vois deux raisons possibles, deux liens entre la question de notre foi et celle des troubles du monde.

  • D’abord parce que les troubles de notre comportement en tant que personne et en tant que société humaine, ces troubles reposent en partie, et d’une manière très profonde, essentielle, sur des problèmes d’ordre spirituel..
  • Mais même pour les maux de ce monde qui sont purement matériels, dès lors que nous sommes perturbés comme ces personnes qui vont voir Jésus, c’est que nous sommes allés trouver notre figuier et que nous n’y avons pas trouvé de fruits, nous nous sommes trouvés comme manquant de force face au mal, manquant de raison d’espérer, d’idée pour avancer, et peut-être une angoisse qui nous empêche de voir tout ce qui est bon et beau tellement nous sommes écœurés par les grappes infectes.

Le maître et le vigneron

Alors s’exprime peut-être en nous le désespoir violent du maître de la vigne qui dit : « Voilà 3 ans que je viens chercher du fruit à ce figuier, et je n'en trouve pas. Coupe le : pourquoi occupe-t-il la terre inutilement ? »

C’est vrai que quand notre théologie, notre lecture de la Bible, ou notre religion sont en échec pour nous faire vivre et avancer face aux difficultés de notre existence, la tentation est d’envoyer balader notre foi. Ce serait jeter le bébé avec l’eau du bain. Ce serait mettre le feu à sa Maserati parce qu’un pneu est à plat. Ce serait comme mettre fin à sa vie pour quelque raison que ce soit... Si notre figuier n’a pas de fruit nourrissant quand nous en avons besoin, il faut convertir notre figuier, pas l’arracher. Il faut pardonner à notre figuier et le soigner, juste un peu et il donnera du fruit.

Contrairement à la parabole d’Ésaïe où le maître de la vigne est Dieu, dans cette parabole de Jésus, nous sommes cet homme découvre qu’il a une vigne et un figuier comme nous avons reçu la vie et la possibilité de penser à Dieu. C’est peut-être une des grandes nouveautés de l’Evangile du Christ par rapport à la vision d’Ésaïe, c’est que Jésus replace l’homme au centre, et qu’il nous révèle que Dieu se fait notre serviteur. Dieu n’est plus un roi dont la sévérité peut l’emporter même sur son amour, comme chez Ésaïe. Selon Jésus, Dieu est un vigneron qui est là, éclairant notre bonne conscience. Nous soufflant de nous pardonner, à nous, à notre humanité, à notre foi, à nous pardonner encore ne serait-ce qu’un an, puis un an, puis un an encore. Ce n’est pas attendre pour attendre. Mais pardonner et soigner en patientant jusqu’à voir ne serait-ce qu’un premier fruit sur notre figuier. Alors nous verrons autrement la vigne et ses bonnes grappes et ses quelques raisins infects.

Creuser et mettre du fumier

Et Jésus nous dit comment faire, il nous dit ce que Dieu peut faire en nous. Et ce Dieu dont nous découvrons en Christ le visage, Dieu nous appelle Maître, respectant notre intimité profonde. Maître, si tu le veux bien : « Pardonne au figuier encore cette année, d'ici-là je creuserai tout autour de lui et j'y mettrai du fumier. »

Là encore, Jésus va chercher la solution du problème à la racine. Face aux problèmes des grappes infectes, il nous appelle à soigner le figuier. Face au manque de fruits du figuier il nous invite à aller non pas au bout des branches ou sous les feuilles mais à la racine souterraine. Pour au moins deux raisons, à mon avis :

C’est que le fond du problème est d’ordre spirituel. Il faut de la réflexion, de l’intelligence et des choses savantes pour mieux comprendre les écritures. Cela s’appelle aller voir son figuier. S’il n’y a pas de fruits nourrissants pour vivre... c’est qu’il faut creuser. Et creuser, c’est changer de niveau de réalité, la dimension de la profondeur. Creuser, c’est prier. C’est comme cela que l’on prend soin pas seulement de nos fruits mais de la racine même de notre interprétation de la Bible et de la vie, de notre conscience et de notre mouvement.

La seconde raison qui rend nécessaire d’aller découvrir la racine, c’est que si une racine est pourrie, si des parasites s’y sont installés, le risque est que ça gangrène l’ensemble. Bien souvent, nous ne nous rendons même plus compte de ce que nous faisons tellement nous sommes habitués, tellement nous nous justifions par les belles feuilles et par les fruits attendus. A force de penser ou de faire les mêmes choses qu’elles nous semblent être justifiées... Non. Il est bon de creuser par la prière et l’étude, et d’y voir clair.

Ensuite Jésus nous apprend à y mettre du fumier. Le mot est très cru, ce sont nos excréments, et tout ce qui nous est tombé dessus de sale, de dégoûtant, de honteux et de désespérant que nous pouvons mettre là. Notre lecture de la Bible et notre prière ne porteront des fruits que si nous y mettons nos trippes, si nous les nourrissons de nos regrets, de nos larmes, de nos souffrances, de nos indignations, de nos fautes enfin reconnues, enfin dites. Tant que notre lecture de la Bible et notre réflexion sont un simple jeu intellectuel, cela pourra donner un bel arbre plein de feuilles mais sans un seul fruit nourrissant et fécond.

Mais souvent, nous n’avons pas la force de creuser et nous avons tellement honte de nos saletés que nous préférons ne pas les voir, encore moins les montrer, et encore encore moins de nous en excuser et de travailler dessus ensemble pour se convertir ensemble plutôt que d’en être tous infectés. Mais ici, le vigneron, Dieu, ne dit pas à l’homme qu’il devrait creuser et y mettre son fumier, mais Dieu lui propose de le faire pour lui. C’est bien. La question est de laisser par la prière Dieu travailler en nous, nous soigner en creusant tout autour de notre arbre de foi, d’espérance et d’amour, à la racine de notre recherche de ce qui est juste et bon pour nous. Par la prière nous pouvons laisser Dieu racler le fond de nos écuries et de nos égouts pour nous en purifier, pour le recycler, nourrir notre conscience.

Si Dieu lui-même espère en nous, espère en l’humanité, pourquoi désespérerions-nous ? « Maître », nous dit Dieu (!), « pardonne encore cette année », et embauche-moi pour soigner ton figuier, pour creuser et convertir en bénédiction ce qui était pourri.

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Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 11:08)

(début de la prédication à 11:08)

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot

Si vous avez des difficultés pour regarder les vidéos, voici quelques conseils.

 

Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2

Lecture de la Bible

Luc 13:1-9

En ce temps-là, quelques personnes vinrent lui raconter ce qui était arrivé à des Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices.

2 Il leur répondit : Pensez-vous que ces Galiléens aient été de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, parce qu'ils ont souffert de la sorte ?

3 Non, vous dis-je. Mais si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous de même.

4 Ou bien, ces dix-huit sur qui est tombée la tour de Siloé et qu'elle a tués, pensez-vous qu'ils aient été plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ?

5 Non, vous dis-je. Mais si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous pareillement.

6 Il dit aussi cette parabole : Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher du fruit et n'en trouva pas.

7 Alors il dit au vigneron : Voilà trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier, et je n'en trouve pas. Coupe le : pourquoi occupe-t-il la terre inutilement ?

8 Le vigneron lui répondit : Maître, laisse-le encore cette année ; d'ici-là je creuserai tout autour de lui et j'y mettrai du fumier.

9 Peut-être à l'avenir produira-t-il du fruit ; sinon, tu le couperas.

Ésaïe 5:1-7

1 Or donc, je chanterai à mon ami
Le chant de mon bien-aimé sur sa vigne.

Mon ami avait une vigne
Sur un coteau fertile.

2 Il la laboura, ôta les pierres
Et y planta un cépage délicieux,
Il bâtit une tour au milieu d'elle,
Il y creusa aussi une cuve.

Puis il espéra qu'elle produirait des raisins,
Mais elle a produit des fruits infects !

3 Or donc, maintenant habitant de Jérusalem et humains de Juda,
Soyez juges entre moi et ma vigne !

4 Qu'y avait-il encore à faire à ma vigne
Que je n'aie pas fait pour elle ?
Pourquoi, quand j'ai espéré
Qu'elle produirait des raisins,
A-t-elle produit des fruits infects ?

5 Or donc, je vous ferai maintenant connaître
Ce que je vais faire à ma vigne.
J'en arracherai la haie,
Pour qu'elle soit broutée ;
Je ferai des brèches dans sa clôture,
Pour qu'elle soit foulée aux pieds.

6 Je la réduirai en ruine ;
Elle ne sera plus taillée, ni cultivée ;
Les ronces et les épines y croîtront ;
Et je donnerai mes ordres aux nuées,
Afin qu'elles ne laissent plus tomber la pluie sur elle.

7 Or, la vigne de l'Éternel des armées,
C'est la maison d'Israël,
Et les hommes de Juda,
C'est le plant qu'il chérissait.
Il avait espéré la droiture,
Et voici du sang versé !
Il avait espéré la justice,
Et voici le cri de détresse !

(Cf. Trad. Colombe)