Chofar du dimanche, et le reste du temps…(Lévitique 25) (écouter l'enregistrement - culte entier) Culte du dimanche 27 décembre 2015
Chers frères et sœurs, nombreux sont ceux qui veulent en finir au plus vite avec 2015, année de toutes les horreurs, à l’exception de quelques événements qui ne semblent pas sauver le reste. Toutefois, il ne suffit pas de changer le numéro de l’année pour que la vie change du tout au tout. Il ne suffira donc pas d’atteindre héroïquement le premier janvier pour être sauvé des malheurs de 2015. Cela, le peuple hébreu l’avait particulièrement bien compris, qui inscrivit dans son idéal de vie le principe de l’année jubilaire dont Lévitique 25 nous donne les prescriptions. La question doit être posée : est-ce que Lévitique 25 et son année jubilaire ont jamais été appliqués ? L’année jubilaire est conçue comme étant inapplicable à la lettre. En effet, l’année du Jubilée est la cinquantième d’un cycle de 7 séries de 7 ans. Or, tous les 7 ans était prévue une année sabbatique (Lv 25/1-7) qui consistait à profiter des fruits de la terre sans effectuer le moindre travail. L’année du jubilée, 50ème année, vient donc après un sabbat, ce qui signifie deux années consécutives sans avoir ensemencé, sans avoir taillé, sans avoir effectué le moindre travail qui permette d’obtenir la subsistance nécessaire. L’année suivante serait alors une année qui succéderait à deux années blanches. Ce serait une année de famine assurée. Ainsi, ce passage du Lévitique n’est pas un texte législatif qu’un parti religieux pourrait utiliser comme plan d’action s’il était au pouvoir. Ce texte nous aide à penser notre propre plan d’action, notre propre éthique, notre propre programme si nous sommes en situation de responsabilité politique. Pour le dire un peu vite par une distinction traditionnelle : ce texte biblique n’est pas une réglementation, mais un outil de régulation. Ce n’est pas une loi qui doive être appliquée telle quelle, mais un ensemble d’éléments qui nous aident à penser notre intervention dans le champ socio-politique pour apporter notre contribution à sa régulation. Appelez cela la main invisible du penseur Adam Smith, si vous le souhaitez : c’est l’intervention des personnes dotées d’une conscience morale pour faire fonctionner la société à laquelle elles appartiennent. Sonner du ChofarEn cette période que beaucoup s’accordent à déclarer « fin de cycle » ou la fin d’une époque, l’année jubilaire est peut-être ce qu’il nous faut : justement la fin d’une période. Il faut savoir solder les périodes. Il faut savoir finir, mettre un terme. C’est ce que fait cette année jubilaire. Elle le fait d’abord en sonnant du Chofar, de la corne bélier. Cela peut passer pour un acte dérisoire, anecdotique. Dites aux membres du gouvernement que la solution à nos problèmes est une série de sonneries de cornes de bélier… la seule raison pour laquelle vous ne serez pas interné d’office est qu’il n’y a plus assez de place en hôpital psychiatrique. Et pourtant… quand on s’intéresse à ce que signifie cette sonnerie de chofar, on ne peut qu’être saisi par sa pertinence. Lorsque le chofar retentit, pour le Nouvel-An et le Jour des expiations, il y a trois sortes de sonneries qui sont jouées. La première est longue, sans coupure. Elle est nommée teqi’a, ce qui signifie être fixé, fiché en terre. Elle dit la continuité, la constante, le conservatisme, ce qui ne varie pas, ce qui ne bouge pas, ce qui est définitif. C’est le monde laissé en l’état. La deuxième sonnerie est une succession de 3 sons dont la durée est 1/3 de teqi’a. Cette sonnerie a pour nom shevarim, ce qui signifie brisure. C’est une rupture du son continu en trois fragments. Ces ruptures introduisent des espaces. Le sein maternel n’est plus le prolongement naturel de notre bouche. Il y a sevrage. Il y a sevrage dans tous les domaines. La vie spirituelle consiste en une succession de brisures. Jésus dit ne pas être venu pour la paix, mais pour l’épée, disant qu’il est venu couper chaque cordon ombilical qui nous maintient dans la dépendance d’un parent, d’une institution, d’un maître à penser. La troisième sonnerie est une succession de 9 sons courts, représentant 1/9 du son long. Cette sonnerie est nommée terou’a qui signifie ébranlement, mise en mouvement. A l’opposé de teqi’a qui évoque volontiers l’électroencéphalogramme plat, terou’a exprime la vie. Ca pulse, ça frétille, c’est vivace. Cette troisième sonnerie est une brisure des brisures précédentes, manière de dire que la première brisure n’est pas suffisante, car nous pourrions nous en contenter. De même que l’Eglise réformée ne l’est pas une fois pour toutes, mais qu’elle est toujours à réformer, la brisure est toujours à reprendre, toujours à accomplir à nouveau, pour éviter qu’elle se fige dans le geste inaugural, beau, certes, mais insuffisant pour provoquer le mouvement de la vie. Il ne faudrait pas que la brisure, la réforme, devienne un état. La brisure, la rupture, doit être mouvement, ce mouvement incessant de la vie. Sonner du Chofar, c’est opérer une rupture, seul acte capable de nous faire passer à autre chose ; seul acte capable de nous détacher de l’horreur, du malheur ou de l’ennui. Ce texte du Lévitique nous rappelle que c’est à l’occasion du rite de Yom Kippour que le Chofar retentit. C’est bien compréhensible, puisque le pardon intervient après la confession du péché. Comment se détacher du mal, comment rompre avec le malheur, si nous ne le mettons pas à distance par la parole ? si nous ne mettons pas un peu d’espace entre nous et ce qui nous fait mal ? La confession du péché de Yom Kippour, comme celle que nous formulons dans notre culte, nous libère de l’emprise parfois inconsciente de ce qui cause notre malheur. Au son linéaire, qui pose une absolue continuité dans le temps, qui dit que chacun est égal à lui-même, la rupture oppose le fait que nous pouvons être autrement que ce que nous donnons à voir, à entendre. Les espaces créés par ces brisures, par ces ruptures, forment un espace où nous avons la liberté d’introduire de la nouveauté. Le chofar rappelle cette vérité théologique qu’il est si difficile d’entendre dans une société qui, en voulant neutraliser toute menace, en vient à tout neutraliser. Ruptures de propriétéCes ruptures se traduisent de plusieurs manières concrètes dans la suite du texte. Je le rappelle, ce texte n’a pas de valeur contractuelle ; la liste des situations n’est donc pas exhaustive. A nous de remplir les blancs créés par les ruptures du chofar pour penser à nouveaux frais notre propre situation. Il y a néanmoins trois grands domaines sur lesquels le texte nous sensibilise. Le travailIl y a d’abord le travail qui est rendu inutile pendant toute cette année sabbatique. Cela remet le travail à sa juste place : il n’est pas considéré comme le but d’une vie. Considérer qu’une année voire deux, puissent être sabbatique, c’est relativiser la place du travail dans une existence. Le travail n’est pas sacré. Il n’est donc pas question de sacrifier sur l’autel du travail. Peut-être est-ce difficile à entendre en période de fort chômage. Certainement est-il utile d’entendre cette exigence du sabbat comme le refus de faire du travail un marqueur de salut, pour le dire théologiquement : dire que le travail, dans sa dimension économique, n’a pas de valeur ultime, évite de considérer ceux qui n’ont pas d’activité rémunérée comme des sous-humains. Le travail ne disant rien de notre valeur, le non-travail n’en dit rien non plus. Par ailleurs, le travail n’ayant pas de caractère absolu, il serait bon de reconsidérer la valeur symbolique des métiers, des fonctions, des professions. A hiérarchiser la valeur des métiers sur des critères financiers, par exemple, on en vient non seulement à pervertir la notion de travail (effort, responsabilité, prise d’initiative, souci de la qualité cessent des critères pris en compte par des jeunes qui sont surtout à la recherche de revenus). On en vient aussi à figer les personnes dans des métiers déterminés et il n’y a rien de pire en période de chômage, que de vouloir à tout prix tel poste et ce poste uniquement. L’année sabbatique permet de prendre conscience que le travail n’est pas le tout de notre vie et que nous ne sommes pas condamnés à un métier particulier. La terreVient ensuite la terre, avec ses titres de propriété. En rappelant que c’est l’Eternel qui est propriétaire de la terre (v.23), cela relativise notre prétention à nous arroger le sol. Il y a eu de nombreuses campagnes de promotion d’accès à la propriété, ces dernières années, au point qu’on pouvait se demander s’il n’était pas honteux de ne pas être propriétaire. Cela est assez contraire à la lettre ainsi qu’à l’esprit des textes bibliques. Il faut bien prendre conscience que les textes bibliques ne nous reconnaissent pas comme propriétaires, mais comme responsables et c’est cette responsabilité assumée qui nous ouvre des droits. Non l’inverse. Nous pourrions dire que nous avons un droit d’usufruit, mais que l’Eternel est le propriétaire réel. Dire que l’Eternel est le propriétaire, c’est dire que nous ne le sommes pas ; c’est dire aussi qu’un bon usage de la terre se fait en tenant compte des autres personnes qui n’ont pas moins de droit que nous en la matière. Dans une période particulièrement tendue sur la question du logement, ce ne sont pas de nouvelles lois, de nouvelles aides de l’Etat qui arrangeront le marché et permettront, par exemple, à des personnes retraitées aux revenus modestes, de pouvoir habiter à Paris. Ce ne sont ni les lois, ni les aides qui découlent des lois, parce que les lois sont toujours en retard. C’est donc un changement de rapport à la propriété qui sera en mesure de changer cette situation. C’est en se considérant toutes et tous comme des immigrants, résidents temporaires, que nous serons moins crispés sur les biens immobiliers et que le prix de l’immobilier se modifiera en conséquence. Les personnesLe troisième point de fixation qui est évoqué dans ce texte concerne les personnes. En rappelant que l’Eternel est libérateur, qu’il a fait sortir son peuple de la maison de servitude, ce texte rappelle la vocation de l’Homme à la liberté. L’année jubilaire consiste à libérer les personnes soumises, réduites à toute forme d’esclavage, c’est-à-dire les personnes contenues à des limites qui les empêchent de faire valoir leurs talents. Tout le monde est pour ce genre de liberté, mais la privation de liberté est sournoise, elle se dit rarement. Elle ne se dit ni chez les exploitants viticoles qui confisquent les passeports des saisonniers qui seront ensuite honnis dans des propos politiques xénophobes qui, là aussi, contribuent largement à favoriser des classes de sous-humains, ces personnes qui vivent la trouille au ventre d’être prises dans un contrôle de police, d’être battues et volées sans évidemment pouvoir porter plainte. Mais l’esclavagisme est tellement sournois qu’il prend des allures morales quand il s’agit en fait de harcèlement, de chantage sur des personnes qui sont pieds et mains liées par la nécessité de gagner leur pain. En proposant la mobilité des personnes, des familles, ce texte biblique offre une manière de rompre avec les comportements mafieux bien installés. Années après années, de mauvaises pratiques peuvent s’installer dans des familles, dans des institutions qui poursuivent pourtant des buts très honorables. Des actes de régulations sont alors nécessaires y pour couper court. Lévitique 25 ne propose pas une législation qui réglerait les problèmes, mais nous rappelle que ce sont des changements, des ruptures, effectuées par les individus, qui seront à même de modifier la situation. Il s’agit de remettre en jeu les éléments constitutifs de la société que nous voulons construire, des éléments que nous perdons de vue à mesure que s’empilent les problèmes et les mesures mise en place pour tenter d’y remédier. Il n’y a pas un modèle unique de société qui s’impose à la lecture des textes bibliques, il n’y a donc pas un programme politique type. En revanche, il y a des appels récurrents à relativiser notre prétention à sacraliser notre situation, à la figer dans le marbre et à nous déclarer définitivement propriétaire de ce dont nous jouissons actuellement. Il y a aussi cette impérieuse nécessité de garantir la liberté des individus qui, au fil des mois et des années, peuvent voir leurs responsabilités confisquées par des états de fait qui nécessitent des réactions urgentes, menées par des spécialistes qui confisquent le pouvoir petit à petit. Si nous voulons en finir avec la version pénible de 2015, si nous voulons aussi éviter les révolutions sanglantes qui finissent toujours par arriver quand il n’y a pas de réforme profonde des comportements, il convient de faire sonner le chofar dans tout le pays, de procéder à des ruptures, à des mises en mouvement ; il convient de proclamer une année en faveur de la liberté. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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