Le premier jour (du reste de ta vie)( Jean 20:19-21:1a ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du 19 avril 2009, 1er dimanche après Pâques Chers frères et sœurs, de part et d’autre de la crucifixion de Jésus, le christianisme s’est chargé de crucifier deux disciples. Tout d’abord Judas, dans le récit de la Passion puis Thomas, dans les heures qui ont suivi Pâques. Je vous propose de nous attarder ce matin sur la figure de Thomas, également appelé Didyme (le jumeau). Thomas a mauvaise presse. Il est considéré par beaucoup comme le mauvais croyant, celui qui a besoin de preuves concrètes de l’existence de Dieu pour croire. Thomas, c’est le croyant de seconde zone, celui qui ne fait pas confiance, celui qui doute. Le doute… l’exact contraire de la foi, pour ne pas dire l’ennemi intime selon ceux qui accablent Thomas… mais est-ce bien ce que nous dit le texte biblique ? Au soir de Pâques, les disciples se sont enfermés dans un lieu qui leur donne un sentiment de sécurité, eux qui craignent de subir le même sort que leur maître récemment crucifié. Marie-Madeleine leur a raconté un peu plus tôt tout ce qu’elle avait vu et entendu près du tombeau vide, sa rencontre avec le Christ, ce qu’il lui a dit. Et les disciples, eux, se sont calfeutrés pour se mettre à l’abri, dans une pièce bien fermée. Cela n’empêche pas le Christ de se rendre présent parmi eux et de leur offrir une bénédiction qui répond bien à leur besoin du moment : « que la paix soit avec vous ! » Seul hic, Thomas n’était pas là. A son retour, les disciples lui racontent ce qui s’est passé, la présence du Seigneur comme ils le nomment. Et Thomas leur répond qu’il ne croira pas s’il ne peut lui-même toucher les plaies du crucifié. C’est là, en général, qu’on reproche à Thomas d’être un piètre croyant qui a besoin de toucher pour croire. Il y a d’ailleurs un texte liturgique qui dit : « Enfermé dans son incrédulité, Thomas exige de voir pour croire ». Mais doit-on en vouloir à Thomas de ne pas avaler tout cru ce que disent les autres disciples ? après tout, les autres disciples sont quand même loin d’être eux-mêmes des modèles en matière de foi. D’ailleurs, Jésus a rarement relevé le fait que ses disciples aient été animés d’une foi exceptionnelle ; il a rarement mis en évidence qu’ils aient été un modèle de croyance. Il les a plutôt qualifiés d’hommes de peu de foi, ce qui est loin d’être un titre de gloire. Oui, les disciples disent qu’ils ont vu le Seigneur. Oui, il disent « le Seigneur », ce qui pourrait ressembler à une confession de foi, mais seulement après l’avoir vu, seulement après qu’il a leur a montré ses plaies… ce que Marie-Madeleine leur a raconté n’a pas été suffisant. Eux aussi ont eu besoin de faits tangibles et ne se sont pas contentés du récit d’un témoin. Mais la conscience populaire retient que c’est Thomas qui est le mal croyant. C’est d’autant plus paradoxal que le texte nous montre qu’en fait les disciples demeurent de piètres croyants. En effet, ces disciples ont eu le récit de Marie-Madeleine, ils ont vu le ressuscité, et que font-ils ? ils restent calfeutrés, enfermés dans le même lieu. Huit jours après, ils seront encore enfouis dans leur cachette. Oui, les disciples disent « le Seigneur », mais cela ne leur suffit pas à avoir suffisamment de confiance, suffisamment de foi dans la paix qui leur a été annoncée, pour affronter leur vie, pour continuer leur histoire personnelle. Les paroles de Jésus ont été pour eux comme de l’eau glissant sur les plumes d’un canard : les disciples sont comme ces baptisés qui, même mouillés, restent secs, désespérément secs. Tout est fermé chez ces disciples. Rien ne peut rentrer, pas même l’Esprit de Dieu. Du coup l’histoire est bloquée, coincée à ce jour de peur qui devient un jour sans fin. Tout est en place pour que les jours se suivent et se ressemblent jusqu’à ce que mort s’ensuive. Heureusement, dans ce dispositif bien verrouillé, il y a une brèche, une fissure, une ouverture : c’est Thomas. Thomas qui n’a pas pris pour argent comptant les paroles des disciples ; Thomas qui préfère s’en remettre à Dieu plutôt qu’à ses saints ; Thomas qui met en doute la parole des disciples, effectivement ; Thomas qui ne se contente pas de ce slogan publicitaire « nous avons vu le Seigneur ». Thomas se met en quête de la vérité, et, ce que nous révèle ce texte, c’est que cette quête est légitimée par le Christ qui s’adresse directement à lui pour lui proposer de passer à la vérification. En légitimant cette quête, le Christ montre que le doute n’est pas l’ennemi de la foi. Au contraire, le Christ souligne que la foi a besoin de se confronter à l’existence et que cette confrontation passe par la critique des évidences, par la mise en doute des paroles convenues. Ce texte montre que la foi ne peut rester confinée à l’espace étroit d’une communauté particulière. La foi, pour être véritablement cette confiance suscitée par Dieu, a besoin de se confronter à toute notre vie, à ce que nous disons et pensons de Dieu, ce que nous faisons au nom de Dieu. La foi a besoin de se confronter à tous les domaines de notre vie. « Dieu » : ça ne devrait jamais aller de soi. La foi n’est pas une évidence, a priori, qui s’impose implacablement à notre conscience. La foi, dans la Bible, est toujours affaire de lutte entre Dieu et le croyant (c’est vrai pour les prophètes qui essaient toujours de résister, d’une manière ou d’une autre, à ce que Dieu leur demande de faire ou qui négocient avec lui la tournure que les événements doivent prendre ; c’est vrai aussi pour Jésus qui interroge Dieu en lui exprimant ses réticences) ; la foi est toujours affaire de réajustement, d’approfondissement, de déplacement, d’abandon parfois, de nouvelle adhésion. La foi, selon ce que nous pouvons en comprendre dans la Bible, est faite d’allers-retours entre ce que nous entendons, ce qu’on nous dit de Dieu, et ce que nous expérimentons au jour le jour. En restant dans l’entre soi, les disciples restent enfermés dans leurs peurs. Il se pensent en sécurité dans leurs certitudes, dans un discours pré-formaté, prêt à consommer, unanimement partagé, mais leur cloisonnement n’apporte pas la paix. Ils pensent qu’ils vont pouvoir se rassurer dans leur petit cocon mais ils restent perclus de peur. C’est Thomas qui, par son chemin de traverse, par son vagabondage on ne sait où hors de la communauté repliée sur elle-même, permet aux autres disciples de sortir de ce qui devenait une véritable sépulture pour disciple obtus. C’est Thomas qui, par sa soif de vérité, par son refus des évidences toutes faites, ouvre l’horizon des autres disciples, les fait enfin sortir de leur lieu de réclusion et leur permet d’arpenter un lieu de vie, du côté de la Galilée et de ses vastes horizons. Grâce à Thomas qui ouvre les disciples à autre chose que leur certitude bétonnée, la communauté des croyant accède à une vie restaurée, débarrassée de ce qui fait peur, de ce qui rétrécit leur compréhension du monde, de Dieu, de l’humanité. Au discours conventionnel des disciples a succédé une véritable confession de foi, personnelle, qui fait droit au sentiment personnel, qui ne dit pas « le Seigneur », une instance lointaine, impersonnelle, mais « mon Seigneur », le partenaire d’une relation interpersonnelle. Les discours conventionnels ne sauvent pas l’homme. Les phrases toutes faites qui ne nous impliquent pas, les poncifs qu’on répète de génération en génération sans trop y réfléchir, ne guérissent pas, ne consolent pas, n’apaisent pas. Nous voyons dans ce cabinet de théologie fermé à double tour, cette citadelle isolée du reste du monde, que la foi est plutôt l’histoire d’une rencontre authentique, qui assume les doutes, les hésitations, les questionnements, les élans, le sentiment religieux et la raison, plutôt qu’une pétition de principe signée les yeux fermés avec un mouchoir sur sa conscience. Au final, c’est Thomas qui s’avère être le disciple le plus fécond et le plus utile pour la foi chrétienne. Thomas qui, au passage, n’aura pas eu besoin de toucher pour croire, contrairement à ce que certaines peintures représentent. C’est l’esprit libre de Thomas qui sauve le christianisme qui, sans lui, serait mort de s’être replié, de s’être enfermé dans ce lieu rassurant comme l’est un cercueil qui, effectivement, n’offre plus aucune surprise car tout est fini. C’est l’esprit libre de Thomas qui est véritablement fidèle à ce que Dieu entreprend à partir de Pâques : t’offrir le premier jour du reste de ta vie ; faire en sorte que tu n’aies plus à sacrifier tes instincts ni tes envies sur l’autel du conventionnel, de l’officiel, du bien établi mais que tu puisses les faire entrer en dialogue avec ce que Dieu te propose, te conseille, t’offre. Oui, l’esprit libre de Thomas, que le Christ légitime, fait droit au sentiment religieux personnel qui ne doit pas nécessairement être ravalé au profit des lieux communs de la religion. L’esprit libre de Thomas qui est un esprit critique aussi bien qu’un esprit d’ouverture, un esprit d’accueil, nous permet d’avoir accès à ces grands espaces que figurent la Galilée, le lac de Tibériade, ces lieux de vie, ces lieux d’activité humaine que Jésus a fréquentés avec les siens pour y faire reverdir l’existence flétrie de celles et ceux qu’il rencontrait. L’esprit libre de Thomas nous sauve de cette mort affreuse qu’est une vie condamnée à n’être que la répétition perpétuelle de la veille en nous offrant ce premier jour du reste de notre vie, ce premier jour de la création où l’Esprit de Dieu souffle, vivifie, redresse et met en marche. Il y a chez Thomas une formidable force de contestation qui permet à Dieu de rester source de vie au lieu d’être enfermé dans un concept qui est peut-être joli sur le papier mais qui ne fait pas vivre. Il y a aussi, chez Thomas, à côté de cette force de contestation, une capacité de témoignage qui rend compte d’une foi personnelle, fruit de son expérience. Ce sont ces deux aspects qui libèrent les disciples de leurs peurs, ce sont ces deux aspects qui libèrent la vie des disciples. Force de contestation, capacité de témoignage, en légitimant la manière d’être de Thomas, le Christ ne nous encourage-t-il pas, au fond, à… protester ? Amen
Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
Pasteur dans la chaire de
|