Un père et ses deux fils(Luc 15)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo ci-dessous) Culte du dimanche 11 septembre 2016 Texte de la prédication (vidéo ci-dessous)Sans doute n’y a-t-il pas parabole de Jésus plus connue que celle dite du « fils prodigue ». Dans la littérature, dans la peinture, chez les psychanalystes. Mais surtout peut-être, et ceci explique sans doute cela, chez tous ceux qui, enfant, ont reçu un enseignement religieux, cette parabole résonne comme l’annonce de l’amour du « père Céleste » pour son « enfant perdu » de retour à la maison. Étroitement liée, dans l’évangile de Luc, à celle du bon berger qui cherche sa brebis sans relâche, elle témoigne du cœur même de la Bonne Nouvelle : l’amour d’un Dieu-Père « plein de compassion » pour ses « enfants ». Je vous propose ce matin d’interroger une nouvelle fois cette parabole, de nous mettre une nouvelle fois à son écoute, à partir de ces trois personnages dont les destins s’imbriquent étroitement, pour tenter de l’écouter peut-être un peu différemment. Je vous propose en effet d’entrer dans une écoute de cette parabole au plus près des mots, pour tenter de la faire résonner un peu différemment et ainsi, pourquoi pas, laisser l’Évangile nous atteindre d’une autre manière. Le fils cadet demande donc à son père de lui donner la part qui lui revient non pas d’héritage comme on le dit rapidement mais « d’existence », littéralement sa « part d’être ». En retour, il reçoit de son père un « bien » matériel : dans le texte grec, l’écart de vocabulaire est notable et il trahit peut-être un malentendu entre ce que demande le fils et ce que peut donner le père. Dit autrement, je m’interroge : et si le fils demandait à son père de le faire exister ? C’est-à-dire de lui donner une place qui lui permettrait d’être enfin lui-même. Et si le père, au fond, n’entendait pas la demande et se contentait de lui donner des biens matériels ? Si tel était le cas, alors on comprend mieux pourquoi, parti loin du père, le fils dilapide ce « bien matériel » qui ne lui permet pas « d’être ». Il le dilapide dans une vie littéralement « sans espoir de salut ». Il se trouve alors dans une situation qui le conduit à être « fortement lié » (on pourrait dire à être « collé ») à quelqu’un d’autre. Le verbe utilisé renvoie au fait que ce fils n’est pas un sujet autonome. Il devient l’objet d’un autre un autre dont la parole (ou le silence) fait loi : il n’ose même pas se nourrir des betteraves des porcs parce que personne ne lui en donne ! Cette situation de détresse, de « manque » a cependant un effet bénéfique : elle permet en effet un retour sur lui même et une décision radicale. Là pulsion de vie permet à ce fils de ne pas sombrer définitivement dans la mort : il revient en lui-même, il décide de s’accrocher à ce qui reste en lui de vivant. Il va donc retourner chez son père et lui dira qu’il a péché contre lui et contre le ciel. Mais où est donc sa « faute » ? À quoi a-t-il désobéi ? À la morale des hommes qui veut qu’on ne dilapide pas le bien qui vous a été donné en héritage ? Peut-être. Mais est-ce cela l’Évangile de Jésus-Christ ? En menant une vie de débauche avec des prostituées ? Mais cela c’est l’opinion du frère aîné et, après tout, elle n’est pas confirmé par le narrateur. À-t-il désobéi à la volonté de son père ? Mais encore faudrait-il savoir quelle elle est : en aucun moment, en effet, elle est exprimée dans la parabole. Et puis en quoi le « ciel » est-il concerné ? Partir loin de sa famille, serait-ce désobéir à Dieu ? C’est oublier toutes les paroles de Jésus sur la « vraie » famille et la préférence donnée au Royaume de Dieu sur les liens familiaux. Peut-être alors faut-il interroger d’un peu plus près, le sens des mots : il a « péché », c’est-à-dire, littéralement, il a « manqué le but », « manqué la cible » selon un des sens premiers du verbe en grec. Qu’à-t-il donc manqué ? S’est-il trompé sur son père ? Attendait-il quelque chose de lui que celui-ci ne pouvait lui donner ? A-t-il « péché » contre le ciel en cherchant du côté de son père (les liens du sang) ce qu’il devait chercher « ailleurs » (l’altérité) ? C’est en tous les cas dans une autre posture qu’il souhaite se trouver désormais, non plus celle du fils, mais celle de l’ouvrier, plus à distance et lié à son patron par un contrat : au moins n’attendra-t-il de lui que ce que celui-ci peut lui donner, simplement un salaire, un « moyen de subsistance » ce dont il a besoin pour l’instant, afin de pouvoir repartir à nouveau dans la vie. Peut-être d’ailleurs cette nouvelle posture lui permettra-t-elle de trouver la « juste » place ? J’ose ici alors une question qui pourra vous paraître sans doute déplacée : le retour est-il la bonne solution ? N’y a-t-il pas risque de répétition ? Les choses auront-elles changé ? Le fils cadet est donc accueilli par son père qui le rétablit dans sa dignité de fils. En ce sens, la longue tradition interprétative de la parabole sonne juste : ce père attend, avec une confiance folle le retour de son fils. Il va même au-devant de lui. Il ne lui demande rien. Rien pourtant ne garantit que la rencontre lèvera le malentendu entre les deux. Rien ne garantit que le fils aura réglé son problème de départ : se libérer de la dépendance à l’autre (attendre l’existence de l’autre et vivre « collé » à lui). Ces questions, la parabole les suscite peut-être mais n’y répond pas. Elle se contente de dresser le portrait d’un père « pris aux entrailles » qui ne laisse même pas le fils exprimer jusqu’au bout ce qu’il a à dire, et, sans condition aucune — le repentir n’est donc pas une condition à l’amour du père !—, le réintègre dans son identité. Un fils qui n’a effectivement pas le temps de terminer son discours de repentance et qui ne dira donc plus un mot. Est-il libre maintenant ? Son père lui a-t-il laissé le temps de prendre la juste mesure des choses ? Certes, il a compris son manquement de cible de départ, mais a-t-il la possibilité de ne pas se « re-coller » maintenant à un rôle de fils qui ne serait toujours pas libre de ce père trop parfait ? Son désir trouvera-t-il un lieu d’épanouissement un peu à l’écart de celui envahissant de son père ? Ce qui était impossible, fût-ce à l’autre bout de la terre, sera-t-il possible maintenant, « dans la maison du père » ? Et ce père a-t-il véritablement écouté son fils ? Ces questions demeurent. Mais elles n’empêchent pas l’expression de l’accueil sans condition. Preuve que la grâce sans condition — justement parce qu’elle est sans condition — s’offre et se reçoit au cœur de l’ambivalence de nos existences. La colère de l’aîné est, elle, une prise de distance par rapport à quelque chose qui n’avait jamais été mis en question : le rapport à la volonté du père. Tellement peu remise en question, qu’elle n’avait pas même besoin de s’exprimer : le fils aîné ne faisait pas ce que le père désirait, il faisait ce qu’il pensait que le père désirait ! Et sa colère est à la hauteur de tout ce qu’il n’a jamais osé exprimé : le fait qu’il se sentait lié à quelque chose qui n’avait jamais été verbalisé et l’impression qu’il avait de ne rien recevoir en retour. Mais ette colère pourrait bien s’avérer libératrice : il découvre en effet un nouveau visage de son père : il le croyait despote, il le découvre plein de tendresse — certes pour l’autre, ce frère revenu alors qu’on ne l’attendait plus — mais c’est quand même nouveau. Et cette colère, expression de sa frustration, laisse l’espace pour l’expression de son propre désir. Par sa colère, l’aîné est peut être est en train d’ouvrir une brèche qui le libérera de l’emprise du désir de l’autre (le père) et lui permettra d’aller enfin vers son propre désir. Au final, la parabole se termine sur un double silence. Celui du cadet une fois accueilli : que pense-t-il de l’attitude de son père ? Est-il heureux de ce retour ou déjà frustré de n’avoir pas été « entendu » jusqu’au bout dans ce qu’il avait à dire ? Le silence de l’aîné suite à l’invitation du père : que va-t-il finalement décider ? Entrer et faire la fête ? Rester muré dans sa colère ? Ou, autre hypothèse, va-t-il s’engouffrer dans la brèche et enfin partir lui aussi ? Quant au père, il risque bien de devoir faire le deuil de l’idéal familial. Il cherche en effet à établir l’unité de la famille. Mais elle semble impossible : il y a toujours un fils qui manque… Autrefois le fils cadet et maintenant, peut-être, le fils aîné. Le père, comme ses fils, est donc lui aussi marqué du signe du manque : il marche… mais en boitant ! Alors, parabole du fils prodigue, de la joie du père, ou du fils jaloux ? Un peu des trois en somme. Parabole d’un père et de ses deux fils. En fait, la position qu’occupe l’auditeur au moment où il entend la parabole est un élément essentiel dans la façon dont il va la comprendre. Selon qu’il se comprend dans la position d’un père ou d’un fils, la parabole ne résonnera pas de la même manière. La force de la parabole est ici de parler à chacun à partir du lieu qu’il occupe à tel moment de son existence : on peut avoir été, ou être simultanément selon les places que nous occupons au quotidien, « fils cadet », « fils aîné » ou « père ». La parabole nous révèle que nos réactions sont mesurables à l’aune de nos expériences personnelles : notre besoin de nous libérer du poids de l’autre (le cadet demandant sa part au père) ou notre expérience du manque (le cadet décidant de retourner vers son père) ; l’idée que nous nous faisons de notre fonction (l’attitude du père vis-à-vis de ses deux fils) ou l’expérience de l’absence (l’attente du père) ; notre peur de ne pas être autant aimé que l’autre (la colère de l’aîné). Et c’est pourquoi la parabole se termine de façon ouverte, sans « morale » : à chaque auditeur, en laissant résonner la parabole en lui, de comprendre qu’il n’y a pas un « fils perdu et retrouvé » mais deux fils « manquant la cible » chacun à leur manière, donc « perdus » dans la quête d’un amour impossible ; deux fils qu’un père aime également mais de façon différente ; deux fils qu’il ne sait peut-être pas bien écouter, à qui il ne parle peut-être pas assez, et à qui il donne peut-être autre chose que ce qu’ils attendent. Se pose alors, en finale, la question de la représentation de Dieu sous la figure de ce père. Cette représentation est inévitable et, dans le même temps, elle est insatisfaisante : à moins de rabattre sur lui toutes les images d’un père humain (et elles sont ambivalentes, on l’a vu), Dieu échappe ultimement à cette capture. Et c’est pourquoi Dieu est représenté sous le visage d’un père, certes, mais aussi d’un berger et encore d’une femme qui cherche sa pièce. C’est sans doute là que se trouve la force des paraboles évangéliques. Elles laissent ouverte la question des images, des représentations de Dieu et insistent sur un message pour elles central : quoi qu’il en soit de la place de chacun dans le système relationnel au sein duquel il évolue, et quoi qu’il en soit des représentations de Dieu et du père qui sont les siennes, l’important est que l’auditeur des paraboles entende qu’il est l’objet d’un amour inconditionnel et que ses retrouvailles sont la cause d’une joie indicible à laquelle il est invité à participer. Certes cette joie est prise dans les ambivalences de l’existence, mais elle n’en est pas moins réelle et porteuse de vie. Et la bonne nouvelle c’est qu’il n’y a véritablement aucune condition requise pour être, non pas l’objet mais bien le sujet de cette joie. La seule responsabilité en somme — mais elle est essentielle — c’est de l’accueillir pour moi, de la laisser faire sa place en moi. Elle existe, elle est pour chacune et chacun. Elle est à disposition. Y aura-t-il une faille en moi pour qu’elle s’y engouffre et trouve une petite place ? Si tel est le cas, alors malgré les pesanteurs du quotidien, elle fera son chemin. Et le retour à la « maison du père » sera, malgré tout, porteur de vie. Amen Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
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Pasteur dans la chaire de
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Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 11:25)(début de la prédication à 11:25) film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot Si vous avez des difficultés pour regarder les vidéos, voici quelques conseils. |