Jésus interdit qu’on dise
qu’il est le Christ ?
( Matthieu 16:13-20 ; Jean 4:23-30 ; 1 Corinthiens 10 :1-4 )
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Culte du dimanche 27 décembre 2009 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot
Simon Pierre dit :
« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. »
Cette confession de foi est un événement essentiel pour l’histoire de l’humanité. En réalité, c’est l’ensemble de deux événements qui a tout changé. La naissance de Jésus est le premier événement, le second s’est donc passé pour la première fois 30 ou 35 ans plus tard près d’un village au pieds du Liban, quand un homme a osé dire à Jésus : « Tu es le Christ ».
C'est l'événement de la foi qui fait que l'événement historique a de l'importance. Si personne n'avait dit à Jésus « Tu es le Christ », le salut que Dieu donne à l’humanité, sa naissance serait un événement historique tout à fait secondaire. C’est pourquoi l’Évangile insiste tellement sur cette confession de foi de Pierre. Il n’est pas possible d’insister plus : les évangiles nous disent qu’il y a, dans l’événement qui vient d’avoir lieu, le socle de l’Église future et même la clé du Royaume des cieux !
Il y a pourtant quelque chose d’extrêmement bizarre dans ce texte : s’il est tellement fondamental de reconnaître, comme le fait Pierre, que Jésus est « le Christ, le fils du Dieu vivant », si c’est la clé de tout, pourquoi est-ce que Jésus, après l’avoir félicité, interdit solennellement de dire à quiconque qu’il est le Christ ?
C’est d’autant plus bizarre que le principe même de l’Évangile est d’être adressé à tous, l’Évangile n’est pas une connaissance réservée à une élite, au contraire, comme on le voit dans le même livre quelque pages avant le passage que je vous ai lu, quand Jésus dit : « Il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu, ce que je vous dis dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits ! » (Matthieu 10 :27) Pourquoi donc est-ce qu’il ne faudrait dire à personne que Jésus est le Christ ? Comment comprendre ce curieux verset ?
Certains interprètes de la Bible avancent comme hypothèse qu’au moment des faits racontés ici, il était trop tôt pour dire publiquement que Jésus était le Christ… qu’il fallait attendre la croix, ou la résurrection, ou la Pentecôte… Mais cette hypothèse implique que ce commandement de ne pas dire que Jésus est le Christ serait déjà périmé au moment où l’Évangile est écrit… Pourquoi alors le porter dans les évangiles si c’est déjà périmé ? Les témoins n’ont retenu que quelques phrases parmi les plus essentielles dans tout ce qu’a dit Jésus pendant les quelques années où il a parlé. Ils n’ont retenu que ce qui est indispensable pour faire connaître l’Évangile aux générations suivantes et ils auraient retenu ce commandement périmé ? Ce n’est pas possible, surtout dans le contexte solennel de ce passage, où il est question de l’Église future, il est question des clefs du Royaume des cieux, le terme employé pour dire que Jésus leur « recommande » de ne dire à personne qu’il est le Christ est très fort…
Comment devons nous proclamer l’Évangile sur les toits si nous ne pouvons pas dire aux gens que Jésus est le Christ ? Ce n’est pas facile, cela ressemble à ce jeu du « ni oui, ni non » auquel j’ai toujours été incapable de tenir plus de 30 secondes. Comment dire l’Évangile sans dire que Jésus est le Christ ?
Nous avons la réponse dans ce qui précède, dans la façon dont le Christ lui-même se révèle aux apôtres et qui permet à Pierre de dire, enfin, cette confession de foi essentielle « tu es le Christ, le fils du Dieu vivant », de la dire non pas au monde, mais au Christ lui-même. C’est une confession de foi, ce n’est pas une leçon donnée au monde, c’est déjà un remerciement.
Comment est-ce que Pierre a pu en arriver là, alors que personne ne lui a dit que Jésus était le Christ, puisqu’il est le premier ?
Comme bien souvent, Jésus aide la personne qui est en face de lui à avancer en lui posant des questions, en lui faisant se poser des questions, comme le pasteur James Woody nous y invitait très justement avant-hier pour Noël.
Le premier questionnement que nous propose ici Jésus est de faire un tour d’horizon pour chercher ce qui existe comme réponses « au dire des hommes ». C’est une démarche humble. Nous sommes dignes de nous poser des questions par nous-mêmes, nous dit Jésus ici, mais en même temps il y a aussi des personnes intelligentes qui nous ont précédées et d’autres qui sont à côté de nous, et parce que nous ne sommes pas Dieu, notre point de vue est relatif, nos sens ne nous permettent pas de tout savoir et nous trompent parfois. Nous croyons savoir qui est Dieu, ce que dit la Bible, qui est le Christ… Mais comme les contemporains des apôtres avaient du mal à s’extraire de clichés sur ce que devrait être le Christ, nous avons nous aussi, nos œillères, nos évidences, nos dogmes inoxydables qui nous empêchent d’avancer. Il est bon, comme Jésus nous y invite, d’enquêter sur les réponses qui ont été apportées par d’autres. D’ailleurs, la plupart des personnes qui ont choisi récemment de demander le baptême ou de faire une profession de foi ici à l’Oratoire (comme Pierre l’a fait à Césarée de Philippe ce jour-là), la plupart de ces personnes qui choisissent la foi en Christ le font après avoir largement exploré les différentes religions et les différentes églises chrétiennes. C’est une bonne idée de se demander ce que les uns et les autres disent du Christ, d’élargir son regard, d’enrichir sa théologie en s’ouvrant à un large éventail de réponses possibles à ces questions : qui est Dieu ? Quelle est son action dans le monde, quelle est son interaction avec le monde ? Qu’est-ce que c’est qu’un « fils de l’humanité » digne de ce nom ? Que peut-on dire de Jésus ? Il est bon d’aller à la recherche des réponses à ces questions dans les 4 coins de la Bible bien entendu, mais aussi plus largement, dans le Coran, dans les Midrash, dans la philosophie…
Le second questionnement que Jésus suggère est de se demander ensuite : et moi, qu’est-ce que j’en dis ? Progressivement, nous pouvons recentrer notre recherche, faire des choix, sans abandonner complètement le pluralisme du premier questionnement, mais en l’affinant, en l’approfondissant, en nous ouvrant à une possible expérience que nous aurions eu de Dieu lui-même ou que nous pourrions avoir de Dieu.
Mais l’essentiel n’est apparemment pas ce que disent les gens, mais que ce questionnement intellectuel nous mette à l’écoute de ce que Dieu dit en nous-même, l’essentiel est que ce questionnement nous ouvre ainsi la porte des cieux. Ou plus exactement, que ce questionnement nous ouvre la porte de l’action de Dieu dans notre existence, dans notre être.
C’est pourquoi les réponses, même si elles sont impeccablement formulées comme « Jésus est le Christ » peuvent être un piège à la fois pour celui qui parle et pour celui qui entend. Avec les meilleures intentions du monde, il peut nous arriver de prendre la place de Dieu en révélant ce que l’on croit être le salut de l’autre. Il est des savoirs qui, d’autant plus qu’ils sont parfaitement exacts, empêchent d’avancer, et qui deviennent alors des clefs non pas pour ouvrir mais pour fermer la réflexion, pour éteindre la soif d’une parole nouvelle. Or, Dieu par définition, est de l’ordre de la nouveauté, de l’ordre du jaillissement de vie, de l’ordre du mouvement.
La bonne clef est plutôt d’ouvrir les autres à un questionnement de plus en plus profond sur ce qu’est le Christ pour eux, ce qu’est Dieu pour eux, ce qu’ils attendent de lui, ce qu’il a déjà réalisé en eux-même. C’est cela qui peut faire passer du savoir intellectuel à une ouverture au salut vivant qu’envoie le Dieu vivant.
L’affirmation « Jésus est le Christ » est une affirmation qui est vraie, je pense, en tant que savoir objectif. Mais précisément, elle transforme Jésus en un objet, comme un papillon épinglé dans un sous-verre avec une étiquette collée en dessous : « Le Christ » et éventuellement quelques autres petits renseignements. On peut ainsi savoir l’importance qu’a cet homme, tout connaître de la théorie, et que ce savoir soit pour nous aussi mort que la papillon dans son sous-verre.
Il y a autant de différence entre le savoir sur Dieu, ou sur le Christ et la vie qu'il donne qu'entre une photo de gâteau et le fait de manger le gâteau, d’en être nourri et réjoui. Si je prends cette image c’est parce que le Christ est souvent comparé à un pain fait pour être mangé, ou à une source à laquelle nous pouvons boire. Ce n’est pas le savoir sur le Christ qui est nourrissant en soi. Le savoir sur le Christ n’est bon que s’il peut nous mettre en route vers le Christ, que s’il nous donne envie de nous nourrir et de boire à cette source et de l’expérimenter par nous-mêmes.
C’est le danger d’une trop bonne réponse donnée trop vite. C’est le danger des dogmes éternels et des principes trop simples.
Comment proclamer l’Évangile ? Peut-être comme la femme samaritaine qui témoigne de la vérité du Christ pour elle mais qui ajoute un point d’interrogation à son témoignage sur Jésus : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait, ne serait-ce pas le Christ ? » (Jean 4:29) Nous pouvons aussi dire ce que nous pensons de Jésus mais comme une des réponses possibles à l’interrogation de l’homme sur le salut. Une chance offerte, une possibilité à éventuellement essayer : voilà ce que l’on peut penser de ce Jésus, si tu le veux, va voir et dis-moi ce que tu en penses…
Le fondement même de l’Église, c’est par définition un appel, littéralement Église, ekklésia en grec, ou Kahalah en hébreu, c’est l’appel de Dieu qui nous fait sortir de chez nous et nous mettre en route. Le fondement de l’église c’est donc une mobilité personnelle, c’est une dynamique, c’est un acte de Dieu, pas une formule. La lettre tue, nous dit ailleurs Jésus, c’est l’Esprit qui fait vivre, c’est le souffle. Déjà si l’on a deux lettres, si l’on a plusieurs lettres, plusieurs réponses possibles, si l’on a un questionnement, le souffle peut circuler, une attente se creuse, un appel à chercher par soi-même, à chercher ce qui fait écho à notre propre expérience de la vérité, à notre propre espérance de Dieu.
Ce rocher qu’est le Christ, nous dit l’apôtre Paul, c’est comme un rocher, oui, mais comme un drôle de rocher qui est comme une source qui nous abreuve, qui est comme un rocher qui se déplace pour nous accompagner dans notre propre cheminement qui nous suit et qui nous précède vers le salut que Dieu nous offre. Ce n’est pas l’apôtre Paul qui invente cette image surréaliste, cette histoire est déjà présente dans l’histoire de Moïse, et donc bien connue de Jésus et de ses auditeurs. La stabilité du roc évoque la fidélité de Dieu et la sécurité qu’il nous donne. Son mouvement évoque son amour qui nous guide et nous accompagne. Son mouvement évoque la vie, la créativité. Sa source évoque le salut que Dieu nous donne… Ce rocher est au-delà de la chair et du sang, au-delà des hommes et des institutions, mais au plus profond de chacun, comme un appel de Dieu lui-même à nous mettre en route par la foi.
Amen.
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Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
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Lecture de la Bible
Matthieu 16:13-20
Jésus, étant arrivé dans le territoire de Césarée de Philippe, demanda à ses disciples : Qui suis-je aux dires des hommes, moi le Fils de l’homme ?
14 Ils répondirent : Les uns disent que tu es Jean-Baptiste; les autres, Élie; les autres, Jérémie, ou l’un des prophètes.
15 Et vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis ?
16 Simon Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.
17 Jésus, reprenant la parole, lui dit : Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux. 18 Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur ce roc je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle. 19 Je te donnerai les clés du royaume des cieux: ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux.
20 Alors il recommanda aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ.
1 Corinthiens 10:1-4
Frères (et sœurs), je ne veux pas que vous ignoriez que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé au travers de la mer, 2 qu’ils ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, 3 qu’ils ont tous mangé le même aliment spirituel, 4 et qu’ils ont tous bu le même breuvage spirituel.
En effet, ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était Christ.
Matthieu 10:26, 27
“26 Ne les craignez donc pas; car il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu. 27 Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour; et ce qui vous est dit à l’oreille, prêchez-le sur les toits.”
Jean 4:23-29
Jésus dit à la femme samaritaine : L’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; car ce sont là les adorateurs que le Père demande.
24 Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité.
25 La femme lui dit: Je sais que le Messie doit venir (celui qu’on appelle Christ); quand il sera venu, il nous annoncera toutes choses.
26 Jésus lui dit: Je le suis, moi qui te parle.
27 Là-dessus arrivèrent ses disciples, qui furent étonnés de ce qu’il parlait avec une femme. Toutefois aucun ne dit: Que demandes-tu? ou: De quoi parles-tu avec elle?
28 Alors la femme, ayant laissé sa cruche, s’en alla dans la ville, et dit aux gens:
29 Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait; ne serait-ce point le Christ? |
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