Et toi, mon cœur, pourquoi bats-tu ?( Luc 2:1-20 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du jour de Noël 2009 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, Noël est considéré comme un événement de portée universelle. Malheureusement, ceux qui disent cela le disent souvent par impérialisme, parce qu’ils considèrent que le christianisme est supérieur à toutes les religions qu’il faut, par conséquent, que cet événement si important dans la foi chrétienne s’impose à tous comme une sorte d’évidence irrésistible. Mais ce n’est pas pour cette raison qu’il me semble que Noël soit universel. Ce n’est pas non plus parce que tout commence par un acte de portée universelle à savoir le recensement du monde entier par César Auguste. Preuve en est que si ce recensement avait été si important aux yeux de l’évangéliste Luc, la moindre des choses aurait été d’en communiquer le résultat : combien d’habitants, combien d’hommes et de femmes, combien d’enfants, combien de chômeurs… nous n’en savons rien parce que ce n’est pas cet acte qui se voulait universel qui compte. Il me semble que ce n’est pas non plus ce que tout le monde s’accorde pourtant à considérer comme le fait central : la naissance de Jésus. La naissance… voilà bien une expérience humaine universellement partagée. Oui, bien sûr, que Jésus naisse est tout à fait décisif pour la suite de l’histoire et pour la prédication chrétienne. Mais observez à quel point la figure de Jésus est secondaire pour ne pas dire insignifiante dans ce récit. Nous apprenons qu’il naît, qu’il est emmailloté, qu’il est placé dans une mangeoire… et c’est tout. Le récit de Luc ne tourne pas autour du petit Jésus dont nous ne savons rien ! on ne connaît ni son poids ni sa taille, ni même son nom, d’ailleurs ! C’est dans l’épisode suivant, lorsque viendra le jour de la circoncision, qu’il sera confirmé que son nom est « Jésus » ! aussi curieux que cela puisse paraître, Jésus n’est pas au centre de ce récit. Et cela signifie que Noël n’est pas d’abord l’anniversaire de Jésus (ce qui, dans une certaine mesure, est assez heureux puisque ce n’est certainement pas un 25 décembre que l’enfant est né). Cela signifie que même ceux qui n’ont pas d’enfant, que même ceux qui n’ont pas un projet parental peuvent célébrer Noël, ce qui est heureux également ! Alors, qu’y a-t-il d’universel dans cette histoire ? s’il y a un caractère universel à cette histoire, si Noël concerne l’ensemble de la société des Hommes, c’est parce que l’intégralité de la société y est exposée et mise en scène. En effet, tout ce qui régit le monde, d’une façon ou d’une autre, est ici représenté dans une sorte de crèche qui aurait beaucoup intéressé Georges Dumézil, cet éminent chercheur. Georges Dumézil est celui qui a mis en évidence les 3 fonctions qui gouvernent l’ensemble des sociétés humaines, les trois fonctions autour desquelles s’organise toute communauté qui cherche à se structurer pour durer. Ces trois fonctions, nous les retrouvons dans ce texte. Il y la souveraineté magique et juridique incarnée par les prêtres, les « hommes de Dieu »… ici les anges, les messagers de Dieu. Il y a ensuite la force physique, principalement guerrière, incarnée ici par César et le gouverneur Quirinius. Il y a, enfin, la richesse tranquille et féconde que sont les éleveurs, les agriculteurs, ici incarnés par les bergers. Anges, César et bergers constituent l’ensemble trifonctionnel par lequel le monde est mis en ordre. Cela signifie que l’univers est bien convoqué au chevet de l’événement par lequel Dieu reprend la main dans l’histoire des hommes - manière de dire que c’est bien l’univers entier qui est concerné par ce qui se passe dans ce petit coin du monde. Et que se passe-t-il pour ces trois forces en présence ? une quatrième intervient ; Dieu suscite une quatrième figure surgit et qui vient bousculer le bel ordre établi. Ce quatrième homme… ce n’est donc pas Jésus dont nous avons constaté qu’il était au second plan de la narration… ce quatrième homme… c’est Marie ! Marie qui ne se contente pas d’accoucher et de prodiguer les soins nécessaires au nouveau-né : Marie, nous rapporte l’évangile, regarde aussi tous ces événements en les méditant en son cœur, littéralement, en les « symbolisant » dans son cœur. Que fait Marie, la figure du croyant qui se dessine depuis le premier chapitre de cet évangile et dont le pasteur Pernot nous a délicatement tracé un portrait hier soir ? Marie se pose et elle s’interroge ; elle interroge le cours des événements en les méditant en son cœur et pose, en quelque sorte cette question : « et toi, mon cœur, pourquoi bats-tu ? ». En intégrant cette quatrième figure au sein de la triade « prêtre, guerrier, éleveur », l’évangéliste Luc souligne ce que Dieu fait surgir dans le monde et pour le monde : Dieu suscite une autre figure d’autorité qui interroge le monde entier avec cette question : « et toi, mon cœur, pourquoi bats-tu ? » c’est la question du sens. C’est la question de la raison. Le cœur, dans la Bible, c’est le lieu de l’intelligence, c’est le lieu de la réflexion. On peut d’ailleurs parler d’intelligence du cœur. La tête est plutôt utilisée pour évoquer la colère : si vous chauffez le nez de quelqu’un, de l’autre côté de la méditerranée, c’est que vous le mettez en rogne ! c’est la raison pour laquelle mieux vaut un coup de cœur qu’un coup de tête… « et toi, mon cœur, pourquoi bats-tu ? » se demande Marie faisant rejaillir, du même coup, cette question sur tous ceux qui interviennent dans cette histoire. Et toi, César, pourquoi organises-tu un recensement (ce qui est assez mal vu dans la Bible) ? Recenser, c’est se compter, c’est se définir, c’est se délimiter, c’est se circonscrire. Crois-tu vraiment que tu peux savoir qui est ton peuple en en traçant le contour à un moment donné ? on peut compter les morts mais est-il vraiment possible de dénombrer le vivant qui, par définition, ne cesse de croître et de se propager ? Les listes, dans la Bible, sont soit interdites, soit fausses : les chiffres sont toujours gonflés pour ne pas limiter les places, les généalogies sont truquées pour qu’il y ait toujours de la place pour des étrangers, contrairement à ceux qui font porte close parce qu’ils considèrent que la liste est close, qu’il n’y a plus de place, que le numerus clausus est atteint ! Marie pose la question du sens aux responsables de l’ordre du monde, à commencer par celui qui gère la force : quel sens donner à ce que tu entreprends ? quels en sont les véritables objectifs ? agis-tu pour le bien de tous ou pour mieux asseoir ton pouvoir, pour exercer un contrôle plus grand, autoriser une forme de violence d’Etat ou pour des intérêts personnels ? Et toi, l’homme de Dieu, qu’est-ce qui te pousse à parler ainsi au nom de Dieu ? qu’est-ce qui te pousse à chantonner sur les places publiques ? qui sers-tu, au juste ? es-tu de ceux qui savent ce que Dieu veut mieux que Dieu lui-même ? es-tu du genre à dire aux autres ce qu’ils doivent penser et faire ? te frottes-tu les mains de satisfaction quand on t’obéit et que la masse des fidèles te répond comme un seul homme « amen » ? es-tu du genre à répéter les formules religieuses toutes faites, bien huilée ou es-tu plutôt du genre à aider tes contemporains à décrypter les signes de notre temps pour repérer les choses importantes, ce qu’il ne faut pas manquer, ce qui compte vraiment ? Et toi le producteur, ton cœur, pourquoi bat-il ? parce que tu produis plus que l’an passé ? parce que tu engranges ? parce que tu fais des bénéfices à deux chiffres ? qu’est-ce qui te motive, au juste ?es-tu un forcené du productivisme qui en fait toujours plus et qui en veut toujours plus, qui veut plus de récolte, plus de productivité, plus de rentabilité, plus de débit internet, plus de puissance électrique, plus de Giga-octet, plus d’écrans plats, plus de livres vendus etc. ? Marie enjoint les tenants de l’ordre à se poser la question du sens. Donner du sens à ce que l’on fait, c’est éviter de devenir un technicien dans son domaine qui agit froidement, sans se soucier des conséquences ni de l’avenir. C’est éviter de devenir cette personne sans humanité qui agit sans conscience, de façon tout-à-fait mécanique, à la manière d’un automate programmable qui, le moment venu, au temps du malheur, dira qu’il n’a fait que ce qu’il devait faire, sans se poser de question. Et toi, mon cœur, pourquoi bats-tu ? se demande le croyant, quelle que soit sa fonction, quelle que soit sa situation, quel que soit son âge ! oui, le croyant réfléchit au sens de son travail, au sens de ses études, au sens de sa scolarité, au sens de ses loisirs, au sens de ses relations. Car c’est en réfléchissant à ce que l’on fait qu’on fait progresser les lumières et donc que l’on fait reculer les ténèbres, l’obscurantisme. Noël, c’est un peu plus de pensée, un peu plus de lumière et donc un peu moins d’obscurité, grâce à Dieu qui stimule cette attitude. Mais le cœur n’est pas que le siège de la réflexion et de l’émotion raisonnable. Le cœur est aussi ce qui fait circuler le sang dans le corps et donc ce qui permet au corps de se mettre en mouvement. Plus votre cœur est performant et plus vous pouvez vous-mêmes accomplir de grandes performances. « Et toi, mon cœur, pourquoi bats-tu ? » ce n’est donc pas seulement réfléchir au sens de notre vie, mais découvrir ce qui nous fait vivre, ce qui nous appelle à la vie. « Et toi, mon cœur, pourquoi bats-tu ? » qu’est-ce qui me fait me lever le matin et qu’est-ce qui me fait veiller le soir ? qu’est-ce qui me bouge, qu’est-ce qui me mobilise ? Marie, qui médite en son cœur, se demande ce qui a mis les bergers en mouvement, ce qui provoque ce déclenchement de louange tout autour de sa famille, ce qui provoque cette formidable espérance qui parle de paix. Certainement l’attitude des bergers est-elle la plus significative. Une fois que les messagers divins ont délivré leur message de paix, ils se mettent en route. Nos traductions sont d’une pâleur accablante à ce sujet. Elles font dire à ces bergers « allons à Bethléem » comme s’il s’agissait d’aller faire un petit tour, une promenade de santé, comme s’il s’agissait d’aller flâner pour passer le temps. « Dielthomen », disent les bergers, selon le texte grec, ce que la vulgate a correctement traduit en latin par « transeamus ». Il ne s’agit pas seulement d’aller faire un tour, mais de traverser, de franchir… l’évangile de Noël rend les bergers, qui étaient au repos avec leur troupeau, capables de franchir les obstacles qui risquent de barrer leur route. L’évangile de Noël rend les bergers capables de surmonter tout ce qui pourra éventuellement s’opposer à leur projet. L’évangile de Noël rend les bergers capables de rejoindre un au-delà. Transeamus ! disent les bergers qui sont stimulés par Dieu au point que rien ne saurait les arrêter. « et toi, mon cœur, pourquoi bats-tu ? » pourquoi bats-tu au point que je sens bien qu’une puissance de vie irrésistible me pousse vers plus loin que ce que je me croyais capable de prime abord ? pourquoi bats-tu de telle sorte que je me rends bien compte qu’il y a plus à vivre que ce que j’imaginais, que je vais être capable de traverser mes craintes, mes hésitations, toutes les peurs qui me hantent Noël, c’est cet appel à la vie qui est signifié par la naissance d’un petit enfant, certes, mais c’est un appel qui concerne chacun d’entre nous, quel que soit notre âge, quel que soit notre situation, quelles que soient les difficultés qui nous assaillent et qui nous semblent peut-être insurmontables, indépassables ! Noël, c’est Dieu qui vient faire battre le cœur du monde, parce que Noël, c’est Dieu qui vient faire battre ton cœur. Amen
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