Il est parfois criminel de confondre
son église et le Saint-Esprit
( Pierre, Ananias et Saphira, Actes 4:32-5:15 )
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Culte du dimanche 28 août 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot
Dimanche dernier, nous avons vu dans la lettre de Jude un appel à mener un bon combat pour la foi, dans le respect de l’autre et la fidélité. En contre exemple, Jude nous donnait un petit catalogue de personnes qui combattait de façon brutale et qui voulant faire l’ange ont fait la bête, ou même se prenant pour Dieu ont été Satan.
Ce matin, je vous propose de poursuivre cette recherche en nous penchant sur un épisode douloureux du livre des Actes des apôtres, racontant la première église chrétienne, avec l’apôtre Pierre et la mort d’Ananias et Saphira.
Ce texte nous décrit la première église de Jérusalem ainsi :
La multitude de ceux qui avaient cru n’était qu’un cœur et qu’une âme.
Nul ne disait que ses biens lui appartenaient en propre,
mais tout était commun entre eux.
Les apôtres rendaient témoignage de la résurrection
du Seigneur Jésus avec beaucoup de force.
Une grande grâce reposait sur eux tous.
Et il n’y avait parmi eux aucun pauvre.
(Actes 4:32-33)
Est-ce que nous avons là une communauté idéale ? Il y a des choses excellentes, mais si l’on regarde bien, le livre des Actes des apôtres glisse dans cette description une mise en garde très sérieuse.
D’abord parce qu’il n’y a pas de pauvres mais qu’il y a des morts. Mais il y a une autre mise en garde : cette mention que « la multitude de ceux qui avaient cru n’était qu’un cœur et qu’une âme » est pratiquement une citation tirée du livre de la Genèse dans la description de l’humanité à Babel avant que Dieu n’intervienne. Un peu plus haut, dans ce même livre des Actes des apôtres, le récit de la Pentecôte est une référence à ce même Babel avec la communion par une même langue comprise de tous.
Il me semble donc clair qu’ici, le livre des Actes considère que Pierre est en train de faire de cette première église de Jérusalem une nouvelle Babel. C’est une mise en garde sévère sur une façon de bâtir une communauté, n’est-elle pas trop étroite, enfermant les individus dans une pensée unique ? Est-ce que sa recherche d’élévation ne serait pas trop humaine au lieu de laisser Dieu à l’œuvre ? Que fait ici l’apôtre Pierre ? Est-ce que cette église qu’il bâtit ainsi va dans le sens de la résurrection et de la vie ou de la mort ?
Le Nouveau Testament n’est jamais complaisant avec les apôtres. Il les présente tels qu’ils sont, à la fois géniaux, comme nous le sommes, et parfois pécheurs, parfois simplement à côté de la plaque. Tout cela peut nous faire réfléchir et peut nous faire avancer en gardant comme point fixe le Christ et sa bonne nouvelle de la grâce de Dieu.
C’est pourquoi, notre idéal, notre modèle, ce n’est pas cette première église des apôtres mais Jésus-Christ. Les apôtres ont dû, comme ils le pouvaient, assumer une autonomie toute neuve, un peu comme des adolescents découvrant pour la première fois une liberté totale lors d’un stage à l’étranger.
Leurs fondations sont excellentes. La solidarité et l’annonce de la résurrection du Christ. N’est-ce pas là l’essentiel ? Si. Il y a là le cœur de la morale et de la théologie. Pierre n’a t-il pas raison de tout faire pour développer cela ? Oui, mais pas n’importe comment.
C’est le Christ qui crée l’unité, par l’Esprit. Quand les hommes veulent imposer l’unité, c’est bien plus délicat. Pierre et ses amis, croyant bien faire, veulent imposer une unité. Jésus n’a jamais institué comme un système le fait de liquider tout son capital, outils de travail compris, et de donner à des chefs d’église pour qu’ils fassent la distribution. Pierre, lui, en fait une généralité puis que ce texte nous dit « Nul ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais TOUT était commun entre eux…, TOUS ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, apportaient le prix et le déposaient aux pieds des apôtres ».
La pensée unique, la morale obligatoire. Alors, le simple fait de vouloir être membre de la communauté sans jouer totalement le jeu est ressenti par les chefs de cette communauté comme déchirant le corps visible du Christ. ce qui est une profanation impardonnable à leurs yeux. Mais le Christ n’était pas du tout dans cette logique-là. Même ceux qui le crucifient ont droit au pardon de Dieu et non à la mort, selon lui. Mais de toute façon Jésus ne s’est jamais lui-même pris pour Dieu et il a toujours travaillé pour la libération de chacun. Pourtant les apôtres avec de si bonnes bases et tant de bonne volonté sont en train de créer une nouvelle Babel qui broient des individus. L’histoire d’Ananias et de Saphira nous montre comment.
Ce récit est bien souvent commenté d’une façon très moraliste. La première église des apôtres serait comme le jardin d’Éden où tout est selon la volonté de Dieu, Ananias et Saphira sont interprétés comme étant les méchants de l’histoire, ils répètent le péché d’Adam et Ève. Et la leçon donnée par ces moralistes, c’est que le mensonge est source de mort, et qu’il ne faut pas de demi-mesure dans notre engagement avec Dieu. Cette lecture me semble tout à fait dangereuse. Pourtant je suis bien sûr d’accord pour dire que c’est bien d’avoir une parole droite, de dire ce que l’on fait et de faire ce que l’on dit, qu’il est bon aussi de s’engager à fond dans ce que l’on pense être juste. Il y a là une bonne petite morale de base, mais l’appliquer à ce texte me semble contraire à l’Évangile dans ce qu’il y a de plus essentiel. Comme quoi, l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions.
Est-il vrai qu’il ne faut pas faire de compromis ? Qu’il ne faut pas avoir un cœur partagé ? Nous voudrions bien mais en ce monde ce n’est pas possible. Jésus nous résume tous les commandements dans un seul : aimer Dieu de tout son être et aimer son prochain comme soi-même. Concrètement, cela veut dire aimer Dieu à 100%, aimer son prochain à 100% et s’aimer soi-même aussi à 100%. Au total cela fait 300%. C’est possible dans le domaine des sentiments, mais pour que cet amour s’incarne dans des actes, les ressources dont nous disposons sont limitées, et l’on ne peut consacrer 300% de son temps, ni 300% de son argent à des actes pour Dieu, pour ses prochains possibles et pour soi-même. Ça ne rentre pas (même quand on est un pays riche, on a cru que c’était possible, mais finalement pas totalement). Il faut donc faire au mieux, naviguer en fonction des circonstances. Jésus il le montre dans ses paroles et dans ses actes. Par exemple, quand une personne a besoin d’être aidée le jour du Sabbat, Jésus lui-même est face à ce dilemme : soit il manque une occasion d’aider son prochain, soit il manque un geste de consécration à Dieu.
C’est pourquoi, Jésus, lui, ne descend jamais au niveau d’une simple morale obligatoire pour tous, mais sur le développement de chaque personne individuelle pour qu’elle soit capable de se déterminer elle-même grâce à Dieu. Jésus propose donc un idéal infini, celui de l’amour, sans entrer dans les détails, et il ajoute qu’il faut aimer non pas aveuglément mais en appliquant toute son intelligence, toute sa réflexion personnelle (Marc 12:33). Pour éclairer cette intelligence personnelle, il apprend à chacun à prier Dieu seul à seul, en confiance (Matthieu 6:6). Et comme nous sommes limités et devrons faire d’inévitables compromis, Jésus insiste sur la grâce de Dieu, sur son indéfectible bonne volonté pour pardonner et aider chaque personne, même la plus mauvaise.
L’apôtre Pierre est ici dans une tout autre logique. C’est une communauté qu’il bâtit. Il ne fait preuve d’aucune compassion pour Ananias & Saphira qui brisent cette unité, lui semble t-il. Il aurait pu les féliciter pour le don de la moitié de leur capital, et leur dire que c’est déjà bien. Il aurait pu les féliciter d’avoir réfléchi et décidé de n’oublié personne dans la gestion de leur avoir : n’oubliant ni Dieu, ni leur prochain, ni eux-mêmes. Et si Pierre pensait qu’ils étaient pécheurs, il aurait pu leur dire comme le Christ à la femme pécheresse « tes péchés sont pardonnés, ta foi t’a sauvée, avance en paix » et les placer ainsi dans une dynamique de croissance et de vie digne de la résurrection qui est si fortement proclamée par ailleurs dans cette église.
Au contraire, Pierre est dans cette logique de la morale simpliste. Il est même dans une logique de la morale simpliste élevée au rang de Vérité absolue de Dieu.
Sans chercher pourquoi Ananias et Saphira ont menti, Pierre décrète que mentir aux hommes, mentir à l’église, c’est mentir à Dieu lui-même. Pierre va même plus loin en disant qu’en ne se conformant pas totalement à l’église ils ont péché contre le Saint-Esprit. C’est le pire des reproches possibles car il y a une parole terrible dans l’Évangile qui dit que tous les péchés sont pardonnés par Dieu, mais que quand c’est contre l’Esprit-Saint cela ne sera pardonné ni dans ce monde-ci, ni dans le monde futur ? J’ai déjà parlé de ce terrible verset dans une prédication et ce serait trop long d’en parler maintenant, mais l’appliquer à une éventuelle faute morale est ravageur. Pierre annonce ainsi nettement à Ananias et Saphira qu’ils sont perdus.
Et Pierre dit à Ananias que Satan a rempli son cœur. En hébreu « satan » est un nom commun qui veut dire « celui qui dénonce, qui accuse ». Ici, l’accusateur, le satan, c’est Pierre, qui ne relève rien de bon, Pierre qui dénonce et qui accuse, et même qui condamne avec la plus extrême sévérité Ananias et Saphira, en qualifiant leur faute contre l’église de péché contre l’Esprit. Comme le serpent de la Génèse, Pierre insuffle ainsi le poison du doute dans le cœur d’Ananias et Saphira, doute sur l’amour de Dieu, doute sur la possibilité de sa miséricorde, doute sur la possibilité même pour Dieu de les relever, de les ressusciter, de les sauver. Pierre remplit ainsi leur cœur du sentiment de culpabilité, du sentiment d’être indigne, d’être une abomination aux yeux de Dieu.
Pierre va même être le tentateur avec Saphira, car il lui demande, comme s’il ne savait pas la réponse « Dis-moi, est-ce à un tel prix que vous avez vendu le champ ? » Certains commentateurs y voient une dernière chance laissée à Saphira, mais c’est clairement pour l’éprouver, Pierre la place ainsi devant une alternative extrêmement cruelle : doit-elle se sauver elle-même et condamner son mari ? Elle ment à l’église, et le couperet tombe, celui du jugement de Pierre, il l’accuse, elle aussi, de pécher contre l’Esprit, plus précisément de « tenter l’Esprit du Seigneur », c’est ironique puisque ici, c’est plutôt Pierre qui est le tentateur, l’accusateur, faisant douter de l’amour de Dieu.
Pourtant Pierre voulait bien faire, il se veut garant de cette bonne morale qu’est la solidarité et de cette annonce essentielle qu’est la victoire de la vie en Christ. Mais même des plus grandes idées on peut faire des armes de morts s’il n’y a pas l’amour comme le dit Paul (voir 1 Corinthiens 12-13 qui propose un tout autre modèle d’union entre nous que l’autorité).
Luc, l’auteur de ce livre des Actes présente donc Pierre et sa première église de façon assez critique. A mon avis il n’est pas le seul,car si Pierre semble bien être le chef de l’église de Jérusalem au temps d’Ananias et Saphira, plus loin dans le livre des Actes (Actes 15, Galates 2:8), on voit qu’il a perdu cette première place, et que c’est Jacques, le frère du Seigneur qui est devenu le chef et que Pierre obéit à ses ordres. Jacques a l’air bien plus libéral, acceptant que des courants, des pratiques différentes coexistent dans l’Église chrétienne, il y aura le courant de Paul, plutôt libéral et charismatique, et le courant de Pierre qui respecte la Loi juive.
Ananias et Saphira meurent donc, ils meurent aussi pour cette communauté à qui ils vont vraiment manquer. Par contre, il reste Barnabé, le bon élève qui a donné, lui, la totalité de son capital à la gestion raisonnée et centralisée des apôtres. Le texte précise que Barbabas signifie « fils de l’exhortation », oui, il est enfanté et il vit profondément la morale et l’annonce enseignée dans cette église.
Mais Ananias, littéralement, veut dire « la grâce de l’Éternel ». Avec l’attitude de l’apôtre Pierre la notion même de grâce de Dieu disparaît, sa miséricorde est comme morte pour Ananias, mais aussi pour cette communauté avec la mort d’Ananias.
Saphira, en hébreu, veut dire le saphir, comme en français, par son côté éternel et sa couleur d’azur, le saphir évoque le trône de Dieu. Effectivement Pierre dynamite le trône de Dieu quand il confond mentir à l’Église et mentir à Dieu, quand Pierre traite de péché contre l’Esprit le simple fait de rompre un petit peu avec la belle unanimité décrétée par ses chefs.
Le résultat, nous dit le texte, c’est une grande crainte de la part des gens. Ils viennent en nombre car le levier du chantage et de la peur marche bien. Mais ce n’est plus la grâce, c’est la crainte pour soi-même et l’espérance de bénéfice pour soi-même comme on le voit à la fin de ce texte avec cette foule qui attend des miracles. Comment Ananias et Saphira auraient pu se sentir vraiment libres d’assumer leur choix personnels, inspirés par leur intelligence et leur foi ?
Nous avons la crainte, alors que l’Évangile du Christ, c’est la grâce de Dieu, c’est l’assurance que Dieu va jusqu’à aimer ses ennemis, les bénir, leur faire du bien, les chercher…(Luc 6 :27,35) Alors, si l’on va vers Dieu c’est par grâce, sans chantage et donc librement, car tout était déjà donné avant.
Et c’est lui, Dieu, qui donne la vie à chacun, et c’est à lui qu’il faut faire confiance pour réaliser l’unité des personnes individuelles. Ce qui réalise cette unité c’est le lien de la grâce et de la gratitude, entre Dieu et nous, entre nous et Dieu, et mutuellement entre prochains.
Soyons enfants des descendants d’Ananias et Saphira, enfants de la grâce et de l’action directe de Dieu dans nos cœurs, dans nos pensées et nos actes, et pas seulement des Barnabés, enfants de la prédication de l’Église. Amen.
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Lecture de la Bible
Actes 4:32-5:16
La multitude de ceux qui avaient cru n’était qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais tout était commun entre eux. 33 Les apôtres rendaient avec beaucoup de force témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus. Et une grande grâce reposait sur eux tous.
34 Car il n’y avait parmi eux aucun indigent: tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de ce qu’ils avaient vendu, 35 et le déposaient aux pieds des apôtres; et l’on faisait des distributions à chacun selon qu’il en avait besoin.
36 Joseph, surnommé par les apôtres Barnabas, ce qui signifie fils d’exhortation, Lévite, originaire de Chypre, 37 vendit un champ qu’il possédait, apporta l’argent, et le déposa aux pieds des apôtres.
1 Mais un homme nommé Ananias, avec Saphira sa femme, vendit une propriété, 2 et retint une partie du prix, sa femme le sachant; puis il apporta le reste, et le déposa aux pieds des apôtres.
3 Pierre lui dit: Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton coeur, au point que tu mentes au Saint-Esprit, et que tu aies retenu une partie du prix du champ? 4 S’il n’avait pas été vendu, ne te restait-il pas? Et, après qu’il a été vendu, le prix n’était-il pas à ta disposition? Comment as-tu pu mettre en ton coeur un pareil dessein? Ce n’est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu.
5 Ananias, entendant ces paroles, tomba, et expira. Une grande crainte saisit tous les auditeurs. 6 Les jeunes gens, s’étant levés, l’enveloppèrent, l’emportèrent, et l’ensevelirent.
7 Environ trois heures plus tard, sa femme entra, sans savoir ce qui était arrivé.
8 Pierre lui adressa la parole: Dis-moi, est-ce à un tel prix que vous avez vendu le champ?
Oui, répondit-elle, c’est à ce prix-là.
9 Alors Pierre lui dit: Comment vous êtes-vous accordés pour tenter l’Esprit du Seigneur? Voici, ceux qui ont enseveli ton mari sont à la porte, et ils t’emporteront.
10 Au même instant, elle tomba aux pieds de l’apôtre, et expira. Les jeunes gens, étant entrés, la trouvèrent morte; ils l’emportèrent, et l’ensevelirent auprès de son mari.
11 Une grande crainte s’empara de toute l’assemblée et de tous ceux qui apprirent ces choses.
12 Beaucoup de miracles et de prodiges se faisaient au milieu du peuple par les mains des apôtres. Ils se tenaient tous ensemble au portique de Salomon, 13 et aucun des autres n’osait se joindre à eux; mais le peuple les louait hautement.
14 Le nombre de ceux qui croyaient au Seigneur, hommes et femmes, augmentait de plus en plus; 15 en sorte qu’on apportait les malades dans les rues et qu’on les plaçait sur des lits et des couchettes, afin que, lorsque Pierre passerait, son ombre au moins en couvre quelques-uns. 16 La multitude accourait aussi des villes voisines à Jérusalem, amenant des malades et des gens tourmentés par des esprits impurs; et tous étaient guéris. |
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