Dieu injuste ?( Romains 9:14-26 ; Matthieu 18:32-35 ; Matthieu 25:26-30 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 24 juillet 2011 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, la question posée par l’apôtre Paul exprime notre sentiment à la lecture des deux finales des histoires rapportées par l’évangéliste Matthieu : Dieu ne serait-il pas injuste ? Cette question n’est pas seulement celle de Paul, d’ailleurs. Cette question est aussi la nôtre. C’est la question qui ressurgit à chaque fois qu’un drame éclate et que nous nous demandons pourquoi Dieu n’intervient pas pour l’éviter. C’est la question qui nous est posée par tous ceux que la religion rebute à cause du décalage qu’ils observent entre l’idéal de vie prêché par le christianisme et la réalité d’un quotidien qui est loin d’être réjouissant en tous points. Dieu est-il injuste ? C’est une question qui en amène une autre : Dieu est-il crédible ? Compte tenu des sérieuses réserves sur le fait que Dieu serait amour, de la part de ceux qui constatent qu’il y a beaucoup de malheurs et beaucoup d’injustice dans ce monde, il faut honnêtement se demander si le Dieu de Jésus-Christ est tout simplement crédible, digne de foi, digne que nous fassions confiance à ce qu’il nous promet. De fait, la question du mal et de sa persistance, voilà le motif le plus sérieux pour intenter un procès à Dieu, pour le traîner devant le tribunal de notre conscience. Le procès de Dieu, c’est ce qu’on appelle, en langage technique la théodicée : le procès de Dieu consiste à se demander de quelle manière Dieu pourrait être justifié face au mal et à la souffrance. Comment Dieu pourrait être encore crédible ? Peut-on ne pas devenir comme le docteur Rieux, dans La peste de Camus, qui est athée car il refuse d’aimer une création où les enfants souffrent, sont condamnés à mort par la maladie ? Ce procès de Dieu, c’est l’acte par lequel Alfred de Vigny entend donner du sens à l’expression « jugement dernier » : « ce sera ce jour-là que Dieu viendra se justifier devant toutes les âmes et tout ce qui est vie. Il paraîtra et parlera, il dira clairement pourquoi la création et pourquoi la souffrance et la mort de l’innocence. En ce moment, ce sera le genre humain ressuscité qui sera le juge, et l’Eternel, le Créateur, sera jugé par les générations rendues à la vie » (Journal, 15/09/1862). Minimiser le malLa première réponse chrétienne à cette injustice persistante, a été de minimiser le mal. Cela revient à dire que le mal est moins réel qu’on l’imagine, qu’il n’est pas aussi puissant qu’on le dit. Le mal serait surévalué par notre point de vue partiel, par notre connaissance imparfaite du monde tel qu’il est vraiment, avec l’intégralité de ses tenants et de ses aboutissants. Non seulement les voies de Dieu ne sont pas les nôtres, non seulement elles sont largement au-dessus de nous, mais nous n’avons qu’un accès partiel à la réalité du monde, à la réalité de l’histoire. C’est la conclusion à laquelle arrive Job, le personnage biblique qui a été confronté à toutes sortes de souffrances, et qui mesure à quel point son savoir est limité. Dès lors, notre savoir sur le mal, l’injustice, est nécessairement partiel et donc partial. A la limite, donner de l’importance au mal, c’est se donner de l’importance, c’est s’enfler démesurément. Déclarer que le mal auquel nous sommes confrontés est un grand problème, c’est une manière d’affirmer que nous sommes très importants. A sa manière, Augustin ira dans ce sens en disant que le mal n’est pas (qu’il n’est ni une substance, ni un principe éternel, ni une créature), ce qui permet de réduire le mal à n’être qu’une privation de la perfection. Le mal, c’est ce que voient ceux qui sont amers. Dans une même situation, les personnes joyeuses y voient un moindre bonheur, une moindre félicité, une situation à améliorer. Qu’en est-il de ces mauvais serviteurs qui se font punir dans les deux paraboles ? Subissent-ils une punition de la part du maître derrière lequel nous sommes enclins à discerner Dieu ? Cela n’est pas évident. Demandez à un enfant ce qu’il pense de ces histoires ; il vous dira que c’est bien fait, que c’est normal, alors que la plupart d’entre-nous auraient attendu plus de clémence pour ces serviteurs qui n’ont rien fait de mal, même s’ils n’ont pas été à la hauteur des autres. Force est de constater que nous projetons sur ces deux récits notre propre conception de la justice. Comme le souligne Paul, pour sa part, nous n’avons pas un point de vue suffisamment surplombant pour apprécier chaque situation, chaque événement à sa juste valeur, avec la même capacité que Dieu lui-même. Un peu de retenue, un peu d’humilité en quelque sorte. La limite de cette position qui consiste à réduire la portée et l’intensité du mal, c’est qu’elle inscrit l’attitude de Dieu dans ce trou noir qu’on appelle le mystère… un mystère qui rendrait vaine toute tentative de l’homme de comprendre quoi que ce soit à la justice divine. Le vase n’a peut-être pas de compte à demander à son potier, mais je ne considère pas qu’il soit prétentieux de déclarer que nous valons plus que des vases. Paul non plus, d’ailleurs, qui ne s’en tient pas à une leçon de modestie, mais va apporter une explication au bon plaisir de Dieu. Aiguiser notre conscienceContrairement au vase, nous avons une conscience, nous sommes doués de raison. Et les textes bibliques attestent que le travail de Dieu consiste à aiguiser notre conscience, à nous rendre capables de raisonner. Aussi, mettre notre intelligence en veilleuse dès que nous abordons la matière religieuse serait un affront à Dieu dont Jésus-Christ dit qu’il faut l’aimer aussi de toute notre intelligence. Dans cette perspective, les deux histoires dont nous avons extrait les finales pour mettre en évidence le caractère impitoyable de l’attitude Dieu sont justement destinées à forger notre conscience. Ces deux histoires, qu’on appelle paraboles, qui ne rapportent pas des faits qui se seraient déroulés tels quels, sont des contes destinés à nous faire réfléchir, à nous mettre en situation de nous demander ce que nous aurions fait en pareil cas et à envisager une ligne de conduite pour des contextes analogues. En caricaturant grossièrement les traits à dessein, Jésus exprime quelle est l’espérance de Dieu pour notre humanité en indiquant les voies privilégiées par Dieu et les voies qui s’avèrent être des impasses dans la vie. Agissant en pédagogue, Jésus utilise le mal, le malheur, la souffrance, pour mettre en évidence ce qui conduit au bonheur, à l’épanouissement, sans vouloir affirmer que Dieu agit exactement de la sorte. Dans ces textes, le mal a une fonction esthétique qui souligne ce qui est préférable, ce qui est juste. Le projet de Dieu, porté par Jésus, c’est de repérer la source du mal dans nos attitudes, dans nos réactions. A ce propos, Martin Buber dirait que l’origine du mal, c’est de manquer l’occasion d’entrer en relation avec autrui parce que, dans ce cas, le potentiel humain devient autonome, sans lien avec autrui et il prend une mauvaise direction puisqu’il se prive de la richesse des autres. En se privant des autres, en se privant de l’enseignement que l’on peut retirer de nos relations avec les autres, notre univers s’amoindrit et nous ne nous réalisons pas avec la même plénitude. Notre avenir perd de l’ampleur, notre présent perd de l’intensité… nous nous punissons en nous privant de certaines potentialités. La théologie de l’alliance, clef de compréhensionL’interaction entre Dieu, l’homme et le mal, nous pouvons l’exprimer en reprenant la thématique biblique de l’alliance, cet effort divin pour nouer une relation avec l’humanité et pour encourager l’homme à faire alliance avec les uns et les autres. L’alliance, c’est cette manière que Dieu emploie pour nous attirer vers une vie éloignée du malheur, des tracas. L’alliance, ce sont des paroles que Dieu nous adresse, que nous appelons parfois « commandements », parfois « lois », mais qui sont, en fait, des promesses. L’apôtre Paul, dans ce chapitre 9, s’appuie sur les alliances que Dieu passe avec des individus qui sont loin d’être des super héros dont le mérite seraient une vie impeccable. Il s’appuie aussi sur l’alliance que Dieu passe avec des personnes qui ne sont pas issues du peuple d’Israël et qui sortent donc des schémas religieux classiques. Les promesses qui sont faites à ces personnes sont autant d’impulsions nouvelles qui vont leur permettre de donner à leur vie une tournure exceptionnelle, autrement plus fameuse que si elles s’en étaient tenues à leurs propres capacités, à leurs propres projets. Que Paul emploie le terme « miséricorde » (Ro 9/15) confirme bien que l’action de Dieu est de déployer son amour, sa miséricorde, par-dessus notre justice, au-delà de ce à quoi nous nous attendons. Dans quel but ? Dans le but de réduire la distance qui nous sépare de ce que nous sommes capables d’entreprendre et donc dans le but de réduire le mal tel qu’Augustin le définit ou le péché, pour reprendre le vocabulaire biblique. L’interaction entre Dieu, l’homme et le mal se joue dans cette alliance que Dieu renouvelle sans cesse et que Jésus a incarné. Cette alliance, c’est l’art et la manière que Dieu a de faire en sorte que ces promesses qu’il nous adresse s’accomplissent au lieu de rester lettre morte ou acte de condamnation. Pour bien comprendre en quoi la promesse n’est pas seulement une parole en l’air mais un acte puissant de la part de Dieu, nous pouvons nous mettre à l’écoute de ce texte écrit par une éclaireuse dont le totem était Lézard et qui écrivit ceci au sujet de la promesse scoute : « Devant un feu tranquille, viens faire ta Promesse. Ce n’est pas difficile ; ce n’est pas audacieux ; ce n’est pas présomptueux de promettre qu’on veut faire tout son possible pour servir Dieu ; aider son prochain ; obéir à la Loi. Ce n’est pas difficile parce que tu ne promets pas de ne jamais faillir ; tu ne promets pas de ne jamais désobéir, de ne jamais te tromper ; cela tu ne le pourrais pas, car tu n’es pas une sainte ; pas plus que moi ; pas plus que nous. Tu promets seulement de faire tout ton possible… ce que tu peux ; comme tu peux ; de ton mieux. Devant ce feu tranquille, viens faire ta Promesse. La Promesse est une force ; une direction que tu donnes à ton effort. Et l’effort te conduira d’effort en effort, à travers la vie, jusqu’au but que tu t’es proposé. La Promesse est une force. Quand tu l’auras faite, tu ne seras pas meilleure ; tu seras plus forte. Et s’il t’arrive un jour d’hésiter, de ne pas très bien savoir si telle chose est faisable ou si elle est de celles qui ne doivent pas se faire, tu te souviendras qu’un soir, devant un feu tranquille, à l’heure où les clartés se voilent, où les bruits s’apaisent, au milieu des camarades qui avaient le même idéal que toi, tu as promis de servir Dieu, et tu n’hésiteras plus. Tu sauras si la chose est faisable ou si elle est de celles qui ne doivent pas se faire. La Promesse est une force. Tu ne seras pas toujours aussi bien disposée qu’aujourd’hui. Tu n’auras pas toujours cette joie débordante ou cette calme sérénité, parce qu’il y a des tourments dans la vie, de grandes lassitudes, des chagrins d’enfants et des tristesses d’adultes, de soudaines incertitudes. Alors, peut-être, par un triste matin d’une triste journée, tu te diras : « A quoi bon tout cela ?... » et puis tu te souviendras qu’un soir, devant un feu tranquille, à l’heure où les clartés se voilent, où les bruits s’apaisent, au milieu des camarades qui avaient le même idéal que toi, tu as promis de servir Dieu. » C’est la promesse qui rend Dieu crédible car elle révèle que le seul champ d’interaction de Dieu, c’est nous, les humains. Elle révèle que Dieu ne peut interagir qu’avec notre capacité de compréhension qui stimule notre faculté d’action. C’est par la promesse que s’exprime la justice de Dieu car à chaque fois que nous faisons quelque chose des talents qu’il nous confie, à chaque fois que nous agissons selon sa dynamique d’amour, les ténèbres reculent, notre horizon s’élargit, le malheur s’amenuise… Dieu nous permet d’être un peu plus nous-mêmes, il nous rend un peu plus justes. Amen
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