Dialoguer avec l’Eternel, ce n’est pas prendre ses rêves pour la réalité(Daniel 2) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 12 mai 2013 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, les chrétiens sont parfois taxés d’être de doux rêveurs. Je ne sais pas si nous sommes doux, mais il est heureux d’être rêveur. Non pas rêveur au sens de déconnecté de la réalité, au sens de la tête dans les nuages et les pieds pas vraiment sur terre, mais rêveur au sens de celui qui fait un rêve pendant son sommeil. Dès le livre de la Genèse, les rêves constituent une matière dans laquelle les auteurs bibliques n’hésitent pas à puiser, soit plus de deux mille ans avant les psychanalystes viennois. Les rêves bibliques se produisent la nuit, ils ont un rapport avec l’Eternel et ils sont porteurs d’une vérité qui, jusque là, n’était pas évidente pour le rêveur. Les chrétiens sont parfois accusés d’être de doux rêveurs comme s’ils vivaient dans une vaste illusion. J’aimerais vous montrer que, dans la perspective biblique, le rêve n’a rien d’une illusion, mais qu’il a toute sa place dans le processus de révélation qui est l’un des thèmes centraux de la théologie chrétienne. L’absence de révélationL’originalité de ce passage biblique est qu’il parle d’un rêve qui n’existe plus. C’est comme si le roi Nabuchodonosor arrivait chez son psychanalyste pour interpréter son rêve alors qu’il n’en a aucun souvenir. A priori la tâche est impossible : le psychanalyste est sans matériaux. Ce serait demander à un exégète d’interpréter un texte dont il n’a pas connaissance. Comment les magiciens, sorciers, enchanteurs et chaldéens pourraient-ils dire le rêve et en donner une explication s’ils en ignorent tout ? C’est l’expérience du croyant qui n’entend aucune parole de Dieu. C’est lorsque nous ressentons l’absence de Dieu. Ni voix, bien entendu, ni message, ni signe de la part du divin. Rien. Notre foi semble résonner dans le vide. Comme les magiciens, sorciers et autres enchanteurs convoqués par le roi, nous n’avons rien à nous mettre sous la dent. Ils disent juste, les personnages réunis autour du roi, en affirmant que seul Dieu peut dire ce que le roi demande, à savoir son rêve et son interprétation. Nous voulons entendre une parole de Dieu, nous aimerions avoir accès à la vérité, mais rien. Il n’y a que silence, un silence qui risque de devenir mortel. Mais peut-on vraiment imaginer que l’Eternel retienne sa parole, ses signes, qu’il s’obstine à ne pas se manifester ? Parfois nous pensons que le silence de Dieu est causé parce que nous sommes trop insignifiant (l’Eternel à mieux à faire) ou que nous ne sommes pas assez qualifié pour qu’il se tourne vers nous. Cela signifierait-il que l’Eternel attende que nous soyons roi ou docteur en théologie pour daigner s’adresser à nous ? Non, puisque ni le roi ni les spécialistes n’ont le moindre début d’explication. Dieu s’exprimePour Daniel, en revanche, cela ne pose pas autant de problème. Il est donc intéressant d’observer comment il s’y prend pour obtenir ce que le roi et les spécialistes patentés n’ont pas obtenu. Il est indiqué dans le texte qu’il s’adresse à l’Eternel et que le secret du roi lui est révélé pendant la nuit. Déjà, notons que la sagesse pratique de Daniel consiste à tirer les conséquences du constat qui avait été fait : si Dieu seul peut révéler le rêve, autant lui demander. C’est ce qu’a fait Daniel, tout simplement. Cette simplicité détonne avec notre propre expérience. Ce n’est pas parce que nous demandons que nous avons automatiquement une réponse en retour. L’Eternel semble avare de réponses, également. Intéressons-nous encore à Daniel pour comprendre comment il s’y prend pour réussir son entreprise. Nous pourrions penser que Daniel bénéficie d’une révélation particulière, sur le mode surnaturel. Mais la sobriété du récit nous oriente sur une autre piste. « Le secret fut révélé à Daniel dans une vision pendant la nuit », écrit le rédacteur. La nuit désigne la période propice au rêve. Daniel a-t-il rêvé ce que le roi avait rêvé ? Je ne pense pas que Daniel se soit endormi et qu’il ait rêvé comme nous le faisons tous. Daniel a eu une vision, il a visualisé le secret du roi. Cette visualisation, c’est précisément le travail du rêve qui a pour but de former une image unique. Daniel a-t-il rêvé ? Avec le psychanalyste Daniel Sibony qui s’est intéressé à ce passage biblique (Lectures bibliques, p.323), j’opte plutôt pour le fait que Daniel a reconstruit le rêve du roi. Il ne l’a pas rêvé, il l’a produit en utilisant les différents mécanismes qui seront théorisés plus tard par Freud. Peu importe que vous reteniez les termes techniques, mais voilà comment Daniel a pu fabriquer le rêve du roi, en réorganisant le désir profond du roi et son environnement comme le ferait un rêve. Il a repris les mots du roi et il les a déplacés, à la manière du travail onirique. Le roi promettait de mettre les consultants en pièces ? Le rêve contiendra donc des pièces, des morceaux, qui seront les différentes parties de la statue. Il promettait aussi de la gadoue ? Le rêve finira donc dans l’argile des pieds de la statue. Il était question de maison, qui dans la langue biblique désigne aussi la maisonnée, la famille au sens le plus large qui soit ? Il sera donc question de maison royale, de royaumes, qui seront les pièces de la statue. Daniel opère aussi par condensation. Car la maison est aussi ce qui contient le père et le fils (ab et ben, en hébreu). La condensation de ab et ben sera faite dans eben, la pierre en hébreu, qui va briser la statue. Enfin, la statue est le résultat de la figuration, ce qui permet de lier les différents éléments d’un rêve, ce qui permet de les faire tenir ensemble et de produire une image cohérente. La statue est ce qui entoure le roi dans son palais : à la fois comme mobilier et par ses serviteurs qui sont aussi actifs et entreprenants que des statues. Avec des conseillers pareils, nul besoin de statues, ni de plantes vertes. En suivant cette hypothèse de lecture, le dialogue engagé par Daniel avec l’Eternel consiste à confronter les éléments qui constituent le quotidien avec l’ultime, ce qui revient à faire une lecture théologique du présent. En écoutant le roi exprimer ses menaces et en les confrontant à ce qu’il connaît de l’absolu, Daniel peut débusquer la logique de rétribution qui anime le roi et qui contraste singulièrement avec la dynamique de la grâce et du pardon. Il peut aussi entendre les accents mortifères du roi qui traduisent de fortes pulsions de mort à l’œuvre chez lui, par contraste avec le dynamisme créateur de vie. Ceci pour dire que le dialogue avec l’Eternel, n’est pas comme une conversation entre amis, qu’elle ne consiste pas dans une exégèse d’un texte biblique ou religieux. Le dialogue avec l’Eternel, c’est la mise en tension du quotidien et de ce qui fait figure d’absolu pour nous. Aussi, la dialogue avec l’Eternel ne consiste pas à mettre à jour une vérité universelle, mais à révéler notre vérité ou, dans le cas de Daniel, la vérité du roi. Le dialogue de Daniel avec l’Eternel n’est pas une conversation avec quelqu’un, mais la mise en rapport de l’absolu et du particulier. C’est là, d’ailleurs, une caractéristique de la théologie libérale. Elle consiste à prendre au sérieux la parole de l’individu qui nous parle, ce que ne font pas les consultants du roi qui, plus exactement, qui en font un mauvais usage. Car, ce que les consultants retiennent, c’est le caractère menaçant. Ils ont, certes, raison de prendre les menaces ou les promesses du roi au sérieux, mais leur erreur est de ne pas entendre derrière ces mots le sens qui s’y cache, à savoir la vérité de la personne qui s’exprime. Le rêve est le travail de notre psychisme pour mettre en forme notre désir profond et le faire accéder à notre conscience. Ce désir est plus profond que ce que nous donnons à voir. Ce désir profond est formé à la fois de nos angoisses et de nos espoirs. Il est le fruit de notre condition personnelle et des aspirations divines auxquelles nous sommes sensibles. C’est pour cela que les nuits du roi sont agitées. Sa nature profonde bataille avec ses intuitions théologiques. Le décalage profond entre ce qu’il veut et ce qu’il pourrait vouloir s’il laissait plus de place à l’absolu, l’agite, le terrorise. La mise à jour de ce désir profond que nous réfrénons de bien des manières, c’est la révélation de ce que nous sommes vraiment, de notre identité véritable qui est notamment le résultat de ce que Dieu construit en nous (qui est la conscience que nous avons de l’absolu). La théologie libérale, à la manière de Daniel, écoute d’une oreille attentive la parole de l’interlocuteur car elle sait que se disent là des intuitions authentiques de ce que peut être une vie divine pour celui qui parle. Le divin s’exprime dans nos phrases, même chargées d’avertissements et de mort. Il n’y a pas que dans les bénédictions qu’une parole de Dieu peut frayer son chemin : dans les insultes également, pour aussi extraordinaire que cela puisse paraître. Cela est vrai à la condition de ne pas en rester à la lettre du texte. Prendre un texte à la lettre, c’est ce que l’on fait pour interpréter un rêve, justement, puisqu’il se lit comme un rébus, quand il est chargé d’éléments énigmatiques. Ce sont les littéralistes qui prennent leurs rêves pour la réalité. Ici nous découvrons que le rêve, cette part intime de notre être peut être détenteur d’une vérité qui jusque là nous échappait. C’est ainsi que Daniel justifie son travail d’interprétation auprès du roi, en lui disant que c’est pour qu’il connaisse les pensées de son cœur (v. 30). L’intérêt de ce passage biblique est qu’il ne fait pas du rêve le sommet de la vie chrétienne, puisqu’on peut très bien ne pas se souvenir de ses rêves et avoir accès, néanmoins, à cette part de nous-mêmes qui contient le secret de Dieu. Le rêve et son interprétation renvoient à cette possibilité que nous avons d’accéder à la vérité de notre existence, et de pouvoir ensuite nous déterminer plus librement dans nos choix de vie. Parce que le roi prend conscience de ce qu’il a au fond de lui, il peut agir en conséquence. Il sait qu’en s’obstinant dans sa voie, il se mettra en danger, lui et sa descendance qui volera en éclat. Par cette révélation du présent dont il a été le bénéficiaire, il peut décider de l’orientation à donner à son proche avenir en toute connaissance de cause. Le dialogue avec l’Eternel nous ouvre à un entretien infini avec le vivant pour que nous entrions, nous aussi, dans la vie qui subsistera éternellement. Amen
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