Découvrir l’Éternel
quand on ne le connaît pas
(Exode 3)
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Culte du dimanche 29 mai 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, au moment où Moïse approche de l'Horeb, il est dans la situation de quelqu'un qui n'a encore jamais entendu parler de I Eternel. Moïse a été élevé à la cour du roi d'Egypte, il a été élevé dans la tradition égyptienne et lorsqu'il arrive dans le pays de Madian, on le prend pour un égyptien. En ce sens, il est semblable à une personne qui n'a jamais été directement au contact du Dieu biblique, à la manière d'un enfant, à la manière de quelqu'un qui n'a pas été élevé dans la connaissance de t Eternel. Et c'est à lui, à cet homme, que Dieu va décider de se révéler, ce qui est particulièrement précieux pour nous car cet épisode nous permet de d'envisager de quelle manière nous pouvons présenter I Eternel notre Dieu à quelqu'un qui n'en a jamais entendu parler. Cet épisode biblique nous renseigne sur la pédagogie de Dieu, une pédagogie qui suit trois pistes différentes. Tout d'abord en faisant référence à l'histoire familiale, deuxièmement en s'appuyant sur la vie quotidienne et, troisièmement, en s'attaquant à la question de l'être.
1. Histoire familiale
Lorsque Dieu se présente, il commence par évoquer les figures des anciens: le père de Moïse ainsi qu'Abraham, Isaac et Jacob; trois personnages avec lesquels une relation privilégiée s'est tissée, auxquels s'ajoute le père de Moïse. L'Eternel ne se présente pas comme le Dieu de Moïse (et pour cause: Moïse, ignore qui il est) mais comme le Dieu de son pre et de ces trois figures traditionnelles (que Moïse ne connaît pas forcément non plus, peut-être en a-t-il néanmoins entendu parler puisqu'il a manifesté une forme de sympathie pour les Hébreux un peu plus tôt). Cette pédagogie consiste à faire découvrir Dieu à travers l'histoire familiale, à travers ce que nos anciens nous ont fait connaître de lui, explicitement ou implicitement. La première source de connaissance est la tradition de la famille dans laquelle nous pouvons puiser de nombreuses informations pour découvrir Dieu, sa vie, son oeuvre. Nous n'affirmons pas autre chose lorsque nous chantons ce couplet de la Cévenole où nous disons « cévenols, le Dieu de nos pères, n'est-il pas notre Dieu toujours? ». Pour nous, Dieu est d'abord ce que nos prédécesseurs, en particulier au sein de la famille, en ont fait. C'est te Dieu du calendrier lorsqu'il n'est question de Dieu 9u'à Noël et à Pâques; c'est le Dieu de l'abondance lorsqu'il est convoqué pour les bénédicités qui précèdent les repas; c'est le Dieu du dialogue et de la découverte lorsqu'il est le sujet de discussions familiales à l'occasion d'un partage biblique, de commentaires suite à une prédication, d un questionnement commun sur tel ou tel aspect de la vie spirituelle. C'est le Dieu de l'enfer lorsqu'il est présenté comme une obligation à laquelle il faut se soumettre de ré ou de force. C'est le maître du néant lorsqu'il est copieusement oublié dans la vie de famille.
Nous faisons l'expérience de Dieu à travers ce que nos parents, nos grands-parents, nos proches, en disent, en pensent et en fonction de ce que nous faisons en son nom. Les enfants font feu de tout bois, aussi bien de la piété familiale que de nos expressions langagières les plus usuelles telles que le fameux « grâce à Dieu » qu'il nous arrive parfois d'utiliser à raison et souvent à tort. Tout cela est une manière de faire de la théologie qui se diffuse chez ceux qui nous entourent et qui forge, chez eux, une image de Dieu.
2. Vie quotidienne
La deuxième manière pour Dieu de se faire connaître, de se révéler, est la vie quotidienne. Ici, dans ce texte, il est question de la situation du peuple Hébreu, de sa souffrance, de sa servitude. C'est dans cette situation particulière que l'Eternel se fait connaître à Moïse et non dans un exposé théorique sur la divinité ou sur le sens du religieux. Comment connaître Dieu, comment le découvrir? à travers des signes que l'Eternel va distiller parmi les Egyptiens pour les aider à ouvrir les yeux sur cette situation particulière et pour les aider à découvrir qui est Dieu et ce qu'il espère de nous. Ces signes, ces « riifl'ot » souvent traduits en français par « prodiges », sont traduits en grec par « thaumasios »: ce qui étonne, ce qui est admirable, mais aussi ce qui est étrange, absurde. A la question « comment reconnaître Dieu? », l'Eternel répond qu'il faut interpréter les signes de la vie quotidienne, pour y repérer les anomalies, les accidents de l'histoire, l'imprédictible, ce qui est déraisonnable, ce qui fait dérailler l'enchaînement mécanique des faits.
De tels signes, nous les trouvons par exemple lorsque quelqu'un abandonne son égoïsme naturel pour se mettre au service de quelqu'un d'autre. Nous les trouvons aussi dans la manière que certains ont de se lancer dans un projet. Là où le bon sens commun dit qu'il faut faire avec les moyens du bord, il arrive que certains envisagent les choses autrement en se fixant l'objectif qu'ils veulent atteindre et en rassemblant ensuite les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif. Dans le premier cas, on ne fait jamais que ce que l'on peut faire, dans le second cas, on se projette au-delà de ce qui a priori possible. Dans le premier cas on agit conformément à ce qui s'est toujours fait, dans le second cas on s'efforce de rendre possible ce que nous estimons juste et nécessaire. De tels signes divins, nous les observons lorsque le désir va au-delà du disponible du moment. De tels signes nous les observons lorsque quelque chose, quelqu'un, devrait s'écrouler, mais se relève, bien au contraire. De tels signes nous les observons lorsque l'espérance reste vivace alors qu'il y a tellement lieu de désespérer.
3. L'Etre
La troisième voie par laquelle Dieu se fait connaître, c'est la redoutable question de l'être. En général, on ne retient de ce texte que l'épisode du buisson qui brûle et ne se consume pas et cette expression mystérieuse « ehyeh asher ehyeh » par laquelle l'Eternel se présente et, dans une certaine mesure, se définit. Cette expression est un véritable casse-tête pour les traducteurs. Elle est composée du verbe être conjugué à la première personne du singulier à l'inaccompli puis du relatif que/qui et, à nouveau, du verbe être conjugué de la même manière. En hébreu les verbes sont conjugués à l'accompli lorsque l'action est achevée, à l'inaccompli quand l'action est inachevée, ce que le français peut rendre aussi bien par un présent que par un futur. Ceci explique que, selon les traductions, vous pourrez lire « je suis qui je suis » ou « je suis qui je serai » ou « je serai qui je suis » ou encore « je serai qui je serai ». La traduction grecque propose « je suis celui qui est ». Chaque traduction confère un sens particulier à cette expression. « Je suis qui je suis » semble être une fin de non-recevoir lancée à Moïse qui demande à l'Eternel quel est son nom pour pouvoir le présenter au peuple Hébreu, mais cela est contraire à l'esprit de ce texte qui rapporte l'effort divin pour se révéler à Moïse; l'épisode du buisson ardent n'est pas destiné à creer un écran de fumée autour de l'Eternel mais à apporter toute la lumière nécessaire. « Je serai qui je suis)) semble indiquer que Dieu ne change pas, qu'il est immuable, semblable à du marbre, alors que nous voyons dans d'autres épisodes bibliques que Dieu change, qu'il change d'avis, de stratégie, de pédagogie, selon la situation et les personnes.
a. Dieu attire vers l'avenir
Le fait que Dieu se révèle par une expression où le verbe être est conjugué deux fois a l'inaccompli nous oriente vers une compréhension de Dieu qui n'est ni orientée vers le passé ni figée dans le présent. Si l'Eternel nous invite à revisiter le passé pour y trouver ses traces, s'il nous invite à lire le présent pour y trouver ses signes, le nom qu'il se donne nous invite à le découvrir dans l'avenir. A la limite, peu importe la traduction exacte de cette expression pourvu que l'on comprenne que l'Eternel est celui qui nous attire vers l'avenir, vers ce qui advient.
Trop souvent la quête religieuse s'apparente à un retour exclusif vers le passé où se trouverait un supposé âge d'or des origines, le moment où tout se passait merveilleusement bien entre Dieu et l'humanité... avant la chute... Ce nom de Dieu qui conjugue l'être à l'inaccompli, à l'inachevé, nous soigne de cette nostalgie d'un âge d'or, à la manière du cinéaste Woody Allen qui, dans Minuit à Paris, nous sensibilise au fait que l'on peut toujours croire que c'était mieux avant, voire parfait, alors que notre vrai bonheur est à venir. Dieu nous invite à interroger le passé et à scruter le présent pour découvrir ce qu il a réalisé jusque là en faveur de l'humanité mais avec la promesse que le meilleur est encore à venir et qu'il sera avec nous comme il ne l'a encore jamais été avec quiconque.
b. L'être est dégagé de toute contingence
Ce que nous pouvons également relever du nom que Dieu se donne, c'est qu'il dit que l'être, le fait d'être, est dégagé de toute contingence. Le mieux, pour comprendre cela, est de se tourner vers le philosophe qui a probablement le mieux exposé ce qu'est « être », Martin Heidegger. Contrairement à Hegel ou Marx qui présentent l'être comme le produit de l'histoire, d'un contexte social, Heidegger s'attache à définir l'être libéré de toute contrainte externe, de tout objectif, de toute finalité. Lorsqu'il affirme que « cet étant a ceci de propre qu'il n'a qu'à être pour que cet être qui est le sien lui soit découvert», Heidegger nous aide à comprendre cette expression divine « ehyeh asher ehyeh »: être, ce n'est pas obéir à un destin qui nous est imposé, ce n'est pas se soumettre à un objectif qui nous est assigné, ce n'est pas se résoudre à accomplir une tâche qui nous est assignée, c'est le fait d'habiter, de remplir tout notre espace, de pouvoir être complètement soi-même (ou de ne pas l'être). Nous pouvons illustrer cela en réalisant que le texte de la Genèse où Dieu établit l'homme (Adam) dans le jardin d'Eden et lui dit d'en cultiver le sol (c'est-à-dire la Adamah) et de le garder, il lui recommande de cultiver son jardin pour accroître la possibilité d'être, plutôt que pour en faire un jardinier.
En libérant notre être de toute contrainte par la définition qu'il donne de lui-même (et en nous souvenant que nous sommes à sa ressemblance) et en agissant de telle sorte que cette liberté soit toujours renouvelée, quitte à nous faire sortir des esclavage dans lesquels nous tombons à l'occasion, l'Eternel dégage notre identité de tout acte nécessaire pour accéder à notre dignité d'être humain. Autrement dit, nous n'avons pas besoin de faire nos preuves pour être quelqu'un, du moins aux yeux de Dieu; nous n'avons pas à réaliser quoi que ce soit pour atteindre le statut d'être humain. Parce que I Eternel se révèle être le fondement de l'être, nous pouvons réaliser que Dieu nous rejoint dans notre mal être, que' qu'il soit, dans notre difficulté à habiter notre être, à nous sentir être au même titre qu'un autre. Même diminué physiquement, même avec un statut social inférieur à certains, même avec des capacités moindre que d'autres, même sans aucune lettre de noblesse, notre être n'est en rien diminué car il est le sujet de la préoccupation de Dieu qui, constamment, cherche à libérer notre être de ce qui l'opprime, de ce qui le fait souffrir, de ce qui le bride, de ce qui l humilie. Dieu se découvre dans cet effort incessant pour chercher et sauver notre être parfois perdu aux fins fonds de nos misères.
Exode 3 nous enseigne que ce qu'il a fait autrefois pour nos anciens, l'Eternel le fera quotidiennement pour chacun, à savoir contrarier le cours ordinaire des choses, bousculer les conventions qui nous contraignent à subir la vie et nous empêchent d'être nous-mêmes, nous empêchent d'habiter pleinement le jardin de notre existence et de célébrer la vie. En stimulant notre curiosité comme il le fit pour Moïse, l'Eternel nous attire vers lui pour nous faire accéder au temps de l'inaccompli, au temps de l'action ouverte sur des initiatives qui renouvellent notre être, notre capacité d'être et nos manières d'être.
Amen
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Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
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Lecture de la Bible
Exode 3
Moïse faisait paître le troupeau de Jéthro, son beau-père, sacrificateur de Madian; et il mena le troupeau derrière le désert, et vint à la montagne de Dieu, à Horeb.
2 L’ange de l’Eternel lui apparut dans une flamme de feu, au milieu d’un buisson. Moïse regarda; et voici, le buisson était tout en feu, et le buisson ne se consumait point.
3 Moïse dit: Je veux me détourner pour voir quelle est cette grande vision, et pourquoi le buisson ne se consume point.
4 L’Eternel vit qu’il se détournait pour voir; et Dieu l’appela du milieu du buisson, et dit: Moïse! Moïse!
Et il répondit: Me voici!
5 Dieu dit: N’approche pas d’ici, ôte tes souliers de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre sainte.
6 Et il ajouta: Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Moïse se cacha le visage, car il craignait de regarder Dieu.
7 L’Eternel dit: J’ai vu la souffrance de mon peuple qui est en Egypte, et j’ai entendu les cris que lui font pousser ses oppresseurs, car je connais ses douleurs.
8 Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens, et pour le faire monter de ce pays dans un bon et vaste pays, dans un pays où coulent le lait et le miel, dans les lieux qu’habitent les Cananéens, les Héthiens, les Amoréens, les Phéréziens, les Héviens et les Jébusiens.
9 Voici, les cris d’Israël sont venus jusqu’à moi, et j’ai vu l’oppression que leur font souffrir les Egyptiens.
10 Maintenant, va, je t’enverrai auprès de Pharaon, et tu feras sortir d’Egypte mon peuple, les enfants d’Israël.
11 Moïse dit à Dieu: Qui suis-je, pour aller vers Pharaon, et pour faire sortir d’Egypte les enfants d’Israël?
12 Dieu dit: Je serai avec toi; et ceci sera pour toi le signe que c’est moi qui t’envoie: quand tu auras fait sortir d’Egypte le peuple, vous servirez Dieu sur cette montagne.
13 Moïse dit à Dieu: J’irai donc vers les enfants d’Israël, et je leur dirai: Le Dieu de vos pères m’envoie vers vous. Mais, s’ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je?
14 Dieu dit à Moïse: Je suis celui qui suis. Et il ajouta: C’est ainsi que tu répondras aux enfants d’Israël: Celui qui s’appelle ‘Je suis’ m’a envoyé vers vous.
15 Dieu dit encore à Moïse: Tu parleras ainsi aux enfants d’Israël: L’Eternel, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, m’envoie vers vous. Voilà mon nom pour l’éternité, voilà mon nom de génération en génération.
16 Va, rassemble les anciens d’Israël, et dis-leur: L’Eternel, le Dieu de vos pères, m’est apparu, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Il a dit: Je vous ai vus, et j’ai vu ce qu’on vous fait en Egypte,
17 et j’ai dit: Je vous ferai monter de l’Egypte, où vous souffrez, dans le pays des Cananéens, des Héthiens, des Amoréens, des Phéréziens, des Héviens et des Jébusiens, dans un pays où coulent le lait et le miel.
18 Ils écouteront ta voix; et tu iras, toi et les anciens d’Israël, auprès du roi d’Egypte, et vous lui direz: L’Eternel, le Dieu des Hébreux, nous est apparu. Permets-nous de faire trois journées de marche dans le désert, pour offrir des sacrifices à l’Eternel, notre Dieu.
19 Je sais que le roi d’Egypte ne vous laissera point aller, si ce n’est par une main puissante.
20 J’étendrai ma main, et je frapperai l’Egypte par toutes sortes de prodiges que je ferai au milieu d’elle. Après quoi, il vous laissera aller.
21 Je ferai même trouver grâce à ce peuple aux yeux des Egyptiens, et quand vous partirez, vous ne partirez point à vide.
22 Chaque femme demandera à sa voisine et à celle qui demeure dans sa maison des vases d’argent, des vases d’or, et des vêtements, que vous mettrez sur vos fils et vos filles. Et vous dépouillerez les Egyptiens. |
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