Comment Ésaïe peut-il dire
que Dieu fait la paix, certes,
mais qu’il crée aussi le mal ?
( Ésaïe 45:1-20 ; Ecclésiaste 7:13-14 ; Jean 9:1-7 )
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Culte du dimanche 25 septembre 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot
Je vous propose de lire ce matin un texte très étrange, bien qu’il soit dans le livre d'Ésaïe, ce livre si proche des évangiles, ce livre que Jésus cite souvent. Voici comment Dieu se présente lui-même, selon ce texte :
« Je suis l’Éternel, et il n’y en a pas d’autre,
Façonnant la lumière et créant les ténèbres,
faisant la paix,
et créant le mal,
Moi, l’Éternel, faisant toutes ces choses. »
Ésaïe 45 :6-7
N'est-ce pas incroyable ? N'est-ce pas choquant de nous dire ainsi que Dieu ferait le mal ? N'est-ce pas contradictoire même de dire que Dieu ferait le mal puisque par définition, Dieu est le bien ultime ? N’est-ce pas dangereux, justifiant en quelque sorte de faire le mal ?
Je vous propose de faire une rapide enquête autour de cela. Et de commencer en cherchant si ce texte est unique en son genre dans cette affirmation que Dieu ferait le mal ?
Un passage du curieux livre de l’Ecclésiaste est souvent cité :
« Au jour du bonheur, sois heureux,
et au jour du malheur, réfléchis:
Dieu a fait l’un comme l’autre ; »
Ecclésiaste 7:14
Si l’on regarde bien, cette sentence de l’Ecclésiaste ne veut pas nécessairement dire que Dieu aurait créé le malheur. À mon avis, cela veut dire simplement que chaque journée qui nous est donnée a été créée par Dieu, puisqu’il est l’auteur du temps. Et par conséquent Dieu, en bon créateur qu’il est, peut nous aider à bonifier chacune de ces journées qu’il nous donne. Selon l’Ecclésiaste, Dieu nous aide à reconnaître le bonheur quand il est là (ce qui n’est pas si facile que ça), il nous aide à le reconnaître pour en être heureux, c’est-à-dire pour avancer grâce à la moindre chance que nous avons. Mais Dieu nous inviterait aussi, selon l’Ecclésiaste, à faire quelque chose du malheur qui nous frappe. Cela ne veut pas dire que le malheur viendrait de Dieu, l’Ecclésiaste ne dit pas cela. Ce texte ne se préoccupe pas de la question de savoir d’où vient ce mal, il nous propose seulement de faire quelque chose du malheur qui nous frappe, pour le recycler comme on recycle les ordures. La première chose que nous pouvons en faire, nous dit l’Ecclésiaste, c’est de profiter de l’occasion du malheur qui nous arrive pour réfléchir, cela peut nous aider à approfondir notre qualité d’être et peut-être aussi à avoir plus de compassion pour les malheureux. Dans le malheur, nous pourrions aussi améliorer notre propre intelligence de la vie, peut-être reconnaître que notre malheur n’est pas tout et qu’il n’étouffe pas nécessairement le bonheur qui serait là aussi pour peu que nous sachions en jouir.
Cette façon de considérer le malheur ne justifie pas le malheur, comme pour excuser Dieu de l’avoir mis sur notre route ou de ne pas nous en avoir protégé. Après la lecture de ce texte de l’Ecclésiaste, nous pouvons donc garder l’idée que le mal est un mal et qu’il n’est jamais voulu par Dieu, mais qu’il nous aide à ressusciter, à vivre le malheur d’une bonne façon et notre bonheur aussi.
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Un autre texte pourrait nous laisser supposer que Dieu crée du malheur, ce texte est dans l’Évangile selon Jean. Aïe, cela est plus dangereux car nous hésitons à écarter d’un revers de main un texte de l’Évangile (bien plus qu’un texte du difficile Ancien Testament). Il s’agit d’un passage où Jésus va à la rencontre d’un handicapé, ce qui suscite le débat suivant avec ses disciples :
« Ils posèrent cette question à Jésus : Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? Jésus répondit : Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché, mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui ! » Jean 9:2-3
C'est vrai qu'à l'époque certaines personnes pensaient que la maladie était une punition envoyée par Dieu ou une épreuve. Il est bien possible que ce genre d’idées vienne du passage d’Ésaïe que nous lisons ce matin. Hélas. Mais n’est-ce pas ce que Jésus confirmerait en répondant à ses disciples : le handicap de cet homme est « afin que les œuvres de Dieu soient manifestées » ? Franchement, je ne le pense pas. C’est vrai qu’isolément, ce verset pourrait être compris comme si Dieu avait fait naître cet homme handicapé pour que Jésus puisse ensuite manifester son salut en le guérissant. Mais cette idée est absolument horrible et perverse. Dieu n’utilise pas le mal comme moyen de marketing ou de pédagogie. À l’image de Dieu, nous voyons dans les Évangiles que Jésus est source de relèvement et de guérison, il est source de consolation, il n’est absolument pas du genre à crever les yeux de quelqu'un, ni comme punition, ni comme épreuve, et encore moins pour pourvoir montrer ensuite son pouvoir de guérison.
Par conséquent, Jésus ne dit pas que ce mal viendrait de Dieu quand il dit que cet homme est handicapé « afin que les œuvres de Dieu soient manifestées », bien entendu. Nous pouvons comprendre ce texte autrement. Plutôt que de s'interroger sur la culpabilité de X ou de Y pour que ce mal existe, Jésus nous oriente vers l’action. La souffrance de quelqu’un est d’abord un défi à relever pour Dieu et donc pour le croyant. C’est ainsi que Dieu travaille, nous montre Jésus. Il est amour et pardon, il ne se pose donc pas la question de savoir si la personne souffrante l’a bien cherché, il y a là de toute façon une œuvre à faire en urgence pour que la vie progresse. Et Jésus nous embauche dans ce chantier avec Dieu en ajoutant : « Il faut que NOUS fassions les œuvres de celui qui m'a envoyé ». Aucun doute, par conséquent, selon Jésus, Dieu est le Dieu du bien en toute circonstance.
Mais comment alors Ésaïe peut-il dire que Dieu se présente ainsi :
« Je suis l’Éternel, et il n’y en a pas d’autre,
Façonnant la lumière et créant les ténèbres,
faisant la paix, et créant le mal,
Moi, l’Éternel, faisant toutes ces choses. »
Il y a là d’abord, à mon avis, pour Ésaïe, la volonté de recentrer notre théologie sur un vrai monothéisme. Ce n’est pas inutile de le faire aujourd’hui aussi, mais à l’époque c’était particulièrement nécessaire car les hébreux en exil à Babylone se sont trouvés être en contact avec des polythéismes assez séduisants intellectuellement, et ils se sont laissés influencer. Le dualisme est une théologie où il y a deux dieux, un dieu bon qui crée de bonnes choses, et un dieu des ténèbres qui déconstruit de l’autre côté. Cette théologie est assez commode pour expliquer l’existence du mal en ce monde, les choses sont alors claires, et chacun peut choisir son camp. Certains hébreux ont « adapté » cette théorie en inventant une figure du mal personnifié, appelé Satan (en hébreu) ou Diable (en grec), une puissance invisible presque aussi puissante que Dieu comme on le voit par exemple au début du livre de Job. Ésaïe répond ici : vous êtes bien gentils avec cette théologie à la noix mais vous n’êtes plus dans le monothéisme. Il y a un seul Dieu, il n’y en a absolument pas d’autres. Vous pouvez inventer des armées d’anges qui tiennent lieu et place des dieux multiples des païens, vous pouvez inventer des diables et des démons par-dessus le marché, tout cela ne tient pas debout. Cela ne correspond pas à la réalité car il y a absolument un Dieu et un seul : c’est Dieu. Et de plus, nous dit Ésaïe, inventer d’autres créatures célestes mène à tout mélanger, à se mélanger soi-même.
Mais qui est Dieu, alors ? Que fait-il ? Serait-il un Dieu bon et méchant à la fois ? Il pourrait sembler que c’est ce que dit Ésaïe ici, mais non, c’est plus complexe que cela. Ésaïe dresse ici un portrait de l’action de Dieu et franchement, ce portrait est vraiment proche de ce Dieu que manifeste Jésus-Christ : un Dieu de pure bonté enthousiaste et active. Selon Ésaïe, Dieu nous libère sans discuter pour savoir si ce serait par notre faute que nous sommes prisonnier du mal, Dieu donne des trésors cachés, des trésors de bonté, de tendresse que nous n’imaginions pas. Dieu nous connaît individuellement, ajoute Ésaïe, il nous chérit tendrement, encore une fois sans condition, avant même que nous le connaissions, avant même que nous ayons la foi. Dieu est pour chacun une source de bonté et de vie juste, source de sagesse et de fidélité, source de création de notre être et de l’univers…
Donc, oui, vraiment comme annoncé, Dieu fabrique la lumière et fabrique la Paix. Il y a de quoi méditer sur chaque verset de ce chapitre pour se l’approprier et pour chercher à faire avec Dieu de belles œuvres.
Mais où sont les ténèbres et le mal que Dieu serait censé créer, selon Ésaïe ?
Quand on regarde de près ce que Dieu fait, selon ce texte d’Ésaïe, La vie n’est pas si simple, comme la vie réelle.
Dieu façonne la lumière, nous dit Ésaïe, cela nous permet de voir le bien et le mal, et comme le propose l’Ecclésiaste cela nous permet de jouir du bien et de réfléchir sur le mal. Cette mise en lumière est bonne mais elle révèle aussi les zones d’ombres. Par son franc parler Dieu nous fait voir les ténèbres, il les rend intelligible à notre intelligence et nous donne aussi l’audace de les dire parfois, et pas seulement le bien, dans une parole prophétique.
Dieu fait également le bien en construisant la paix comme nous y invite Jésus dans cette parole de l’Évangile selon Jean. Oui, il y a bien des œuvres à accomplir pour créer l’humain dans l’humanité, pour poursuivre également l’œuvre de création dans la nature. C’est ce que souligne Ésaïe quand il dit que Dieu a créé le ciel et la terre dans le passé mais qu’il est aussi celui qui continue à créer.
Mais Ésaïe va plus loin en nous montrant que l’œuvre de Dieu est plus complexe que cela, plus tragique aussi, tant le bien et le mal sont mêlés dans ce qui reste de chaos et de méchanceté en ce monde. Il n’est pas possible de se contenter d’apporter du positif comme de la lumière et un supplément de création.
Dans son descriptif de l’action de Dieu, Ésaïe nous montre que pour libérer ses enfants, Dieu doit briser des portes de bronze et des verrous de fer. Ésaïe nous montre que la Parole de Dieu n’est pas qu’une parole de paix et de bénédiction mettant en lumière nos bons côtés, elle est aussi une parole qui dénonce nos idolâtries, et même notre tendance à nous fabriquer nos propres idoles.
Mais c’est encore plus compliqué que cela, dans la vraie vie, nous dit Ésaïe. L’Éternel encourage le bien et dénonce l’idolâtrie, mais c’est pourtant Cyrus, un homme loin d’être parfait, loin bien bien loin d’être un fidèle adorateur du seul vrai Dieu, c’est pourtant cet homme-là que Dieu appelle « son christ », son serviteur aimé, choisi, appelé, investi d’une mission pour faire du bien. Un intégriste dirait que c’est du relativisme, que c’est un horrible libéralisme, comment peut-on accepter ça ? Quoi ? Un homme à la théologie et à la moralité moyenne pourrait être appelé serviteur de Dieu, porteur du salut de Dieu ? Et bien oui, heureusement que oui, car sinon personne n’en serait digne. Cela ne nous empêche pas de chercher à entendre ce que Dieu nous dit et à changer radicalement dans nos erreurs et nos turpitudes, certes. Mais oui, Dieu assume le mal qui est en nous et nous prend tels que nous sommes.
Oui, Dieu, notre Dieu, l’Éternel est ainsi. Il a le parler fort et une bienveillance large. Cela peut nous troubler, nous faire penser que Dieu se cahce, est incompréhensible alors qu’il se révèle en pleine lumière. Mais comme Ésaïe, le prophète l’écoute et le suit. Il assume des convictions fermes, et les crie haut et fort : il n’y a absolument pas d’autre Dieu que l’Éternel. Oui, la priorité, c’est de bâtir la paix, c’est la douceur, la tendresse, la fidélité, c’est la bénédiction ruisselant sur chaque personne de tout peuple et de toute génération. Mais pour cela il y a des choses à dénoncer, il y a, non pas des personnes à briser, mais des tyrannies de bronze à forcer et des verrous d’inertie à briser, il y a des ténèbres que nous préférions ne pas voir, il y a des personnes que nous jugions bien mal (à commencer par nous-mêmes) qui sont à reconnaître comme de véritables envoyés de Dieu, comme des christs, des christs bien moyens, certes, mais qui sont réellement envoyées par Dieu pour porter son salut.
Oui, Dieu est libéral. Et alors ? Dieu est Dieu, malheur à celui qui lui contesterait ce droit, il passerait à côté du principe même de la vie, et de la vie bonne, et de la vie plus heureuse.
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Lecture de la Bible
Ésaïe 45:1-25
Ainsi parle l’Éternel à son christ, à Cyrus, 2 Qu’il tient par la main, Pour terrasser les nations devant lui, Et pour relâcher la ceinture des rois, Pour lui ouvrir les portes, Afin qu’elles ne soient plus fermées; Je marcherai devant toi, J’aplanirai les chemins montueux, Je romprai les portes d’airain, Et je briserai les verrous de fer.
3 Je te donnerai des trésors cachés, Des richesses enfouies, Afin que tu saches Que je suis l’Éternel qui t’appelle par ton nom, Le Dieu d’Israël.
4 Pour l’amour de mon serviteur Jacob, Et d’Israël, mon élu, Je t’ai appelé par ton nom, Je t’ai parlé avec bienveillance, avant que tu me connaisses.
5 Je suis l’Éternel, et il n’y en a pas d’autre, à part moi il n’y a pas de Dieu; Je t’ai ceint, avant que tu me connaisses. 6 C’est afin que l’on sache, du soleil levant au soleil couchant, Que à part moi il n’y a pas de Dieu: Je suis l’Éternel, et il n’y en a pas d’autre, 7 Façonnant la lumière et créant les ténèbres, faisant la paix, et créant le mal; Moi, l’Éternel, faisant toutes ces choses.
8 Que les cieux répandent d’en haut Et que les nuées laissent couler la justice! Que la terre s’ouvre, qu’elle porte comme fruit le salut et la justice, qu’elle fleurissent ensemble, moi, l’Éternel, j’ai créé cela.
9 Quel malheur pour qui conteste avec son créateur! -Vase parmi des vases de terre! -L’argile dit-elle à celui qui la façonne: Que fais-tu? Et l’œuvre dit-elle à l’ouvrier: Tu n’as pas de mains? 10 Quel malheur pour qui dit à son père: Pourquoi m’as-tu engendré? Et à sa mère: Pourquoi m’as-tu enfanté?
11 Ainsi parle l’Éternel, le Saint d’Israël, et son créateur: Veut-on me questionner sur l’avenir, Me donner des ordres sur mes enfants et sur l’œuvre de mes mains? 12 C’est moi qui ai fait la terre, Et qui sur elle ai créé l’homme; C’est moi, ce sont mes mains qui ont déployé les cieux, Et c’est moi qui ai disposé toute leur armée. 13 C’est moi qui ai suscité Cyrus dans ma justice, Et j’aplanirai tous ses chemins; Il rebâtira ma ville, et libérera mes captifs, Sans rançon ni présents, dit l’Éternel des puissances.
14 Ainsi parle l’Éternel: Les gains de l’Egypte et les profits de l’Ethiopie, Et ceux des Sabéens à la taille élevée, Passeront chez toi et seront à toi. Ces peuples marcheront à ta suite, Ils passeront enchaînés, Ils se prosterneront devant toi, et te diront en suppliant: C’est auprès de toi seulement que se trouve Dieu, Et il n’y a pas d’autre Dieu que lui.
15 Mais tu es un Dieu qui te caches, Dieu d’Israël, sauveur!
16 Ils sont tous honteux et confus, Ils s’en vont tous avec ignominie, Les fabricateurs d’idoles. 17 C’est par l’Éternel qu’Israël obtient le salut, Un salut éternel; Vous ne serez ni honteux ni confus, Jusque dans l’éternité. 18 Car ainsi parle l’Éternel, Le créateur des cieux, le seul Dieu, Qui a formé la terre, qui l’a faite et qui l’a affermie, Qui l’a créée pour qu’elle ne soit pas déserte, Qui l’a formée pour qu’elle soit habitée: Je suis l’Éternel, et il n’y en a pas d’autre.
19 Je n’ai pas parlé en cachette, Dans un lieu ténébreux de la terre; Je n’ai pas dit à la postérité de Jacob: Cherchez-moi vainement! Moi, l’Éternel, je dis ce qui est vrai, Je proclame ce qui est droit.
20 Assemblez-vous et venez, approchez ensemble, Réchappés des nations!
Ecclésiaste 7:13, 14
Regarde l’oeuvre de Dieu: qui pourra redresser ce qu’il a courbé?
14 Au jour du bonheur, sois heureux, et au jour du malheur, réfléchis: Dieu a fait l’un comme l’autre, afin que l’homme ne découvre en rien ce qui sera après lui.
Jean 9:1-7
Jésus vit, en passant, un homme aveugle de naissance.
2 Ses disciples lui posèrent cette question: Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle?
3 Jésus répondit: Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché; mais c’est afin que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui.
4 Il faut que nous fassions, tandis qu’il est jour, les oeuvres de celui qui m’a envoyé; la nuit vient, où personne ne peut travailler.
5 Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.
6 Après avoir dit cela, il cracha à terre, et fit de la boue avec sa salive. Puis il appliqua cette boue sur les yeux de l’aveugle,
7 et lui dit: Va, et lave-toi au réservoir de Siloé (nom qui signifie envoyé). Il y alla, se lava, et s’en retourna voyant clair. |
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