Accepterons-nous d’être un adulte
dans la cité,
comme Dieu l’espère ?
(1 Samuel 8)
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Culte du dimanche 8 décembre 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot
En quoi est-ce que le gouvernement en place il y a 2500 ou 3000 ans en Israël aurait une importance sur notre façon de vivre et d’espérer ? Qu’est-ce que ça change que ce soit un juge qui gouverne plutôt qu’un roi ? La nuance semble fine, les juges cherchent leur propre intérêt comme les rois et le peuple est frappé de ras-le bol fiscal (v. 14, 15, 17)…
Mais ce qui est enjeu ici, c’est est une question spirituelle, une question de rapport à Dieu comme le dit la voix de l’Éternel au cœur du texte :
Ce n’est pas toi (Samuel) qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux.
Ils agissent à ton égard comme ils ont toujours agi depuis que je les ai fait monter d’Égypte jusqu’à ce jour,
ils m’ont abandonné, pour servir d’autres dieux (7-8)
Qu’est-ce qu’il y a de spécial dans le gouvernement proposé par Samuel ? Nous le voyons dans le dernier verset du livre des Juges, qui sert de conclusion :
Les enfants d’Israël s’en allèrent chacun dans sa tribu et dans sa famille,
ils retournèrent chacun dans son héritage.
En ce temps-là, il n’y avait pas de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui semblait bon.
(Juges 21:24-25)
Et cela est repris dans l’étrange conclusion du chapitre que je vous ai lu :
Samuel dit aux hommes d’Israël :
« Allez-vous-en chacun dans sa ville. »
(1 Samuel 8:22)
L’idée fondamentale, c’est le pluralisme, c’est la libération de chacun, l’autodétermination de chaque personne, de chaque famille, de chaque tribu, de chaque ville. Cela n’empêche pas la solidarité, le peuple se regroupe quand c’est nécessaire, de façon souple, afin de répondre à un défi posé par les circonstances. Il se regroupent pour faire face à une sécheresse, à une invasion, et pour rendre un culte à l’Éternel, le Dieu de tous. Mais ensuite, chacun retourne dans son lieu de vie, selon la personnalité et la vocation particulière de chacun, de chaque famille.
Cette visée est bien dans la perspective fondamentale rappelée dans la remarque attristée faite par l’Éternel : le projet de Dieu est et a toujours été de libérer chacun, de le faire monter hors d’Égypte, de nous élever au-dessus des simples contingences.
Alors qu’en demandant un roi, le peuple veut être et rester un groupe, que l’individu soit agrégé dans un corps, chacun bien à sa place dans les rouages d’une nation ordonnée, avec le roi qui décide, les soldats qui obéisse, les agriculteurs qui se font tondre, et les boulangères qui boulangent. Et d’être esclave de ce groupe, de cette nation comme une autre nation.
La question spirituelle importante est ici la place de l’individu dans le groupe. Le projet est d’émanciper chacun.
Ce que met en place Samuel pour cela est génial, il a tout compris de cette façon d’être de Dieu lui-même comme source de libération et d’élévation.
Samuel cherche à s’effacer au lieu de rester l’homme indispensable, il s’efface comme Jésus qui refusera absolument d’être fait roi par le peuple. Il s’efface comme l’excellent Nelson Mandela le fera. Pourtant, Samuel est âgé, mais il est loin d’être au bout du rouleau, le récit que nous suivons aujourd’hui est au chapitre 8 et Samuel est encore actif au chapitre 28, des années plus tard.
Samuel cherche donc à organiser la suite sans lui, au mieux pour le peuple. Et ce qu’il met en place correspond à une conception de la personne humaine, une certaine idée aussi de la prière et de la religion.
Il a choisi comme nom pour ses deux fils le résumé de ce qu’il espère voir à l’œuvre.
Dieu est source de vie, pas un tyran
Il appelle son premier-né Joël ce qui signifie « l'Éternel (Yo) est Dieu (El) ». Ce qu’il met ainsi en premier, c’est une confession de foi. Certaines versions de la Bible traduisent par « le Seigneur » le nom de Dieu YHWH « Yahou », ou son diminutif Ya ou Yo. Pourtant ce nom est à l’opposé d’une conception d’un Dieu lointain et terrible comme un Seigneur féodal écrasant son peuple d’impôts et d’obligations. L’Éternel, c’est au contraire la source de la vie, source de libération, d’élévation, de bénédiction et de vie. Yo-El est une confession de foi en un Dieu dont on n’a rien à craindre mais tout à espérer car il est source d’être il est source d’émancipation. Dire c’est l’Éternel qui est Dieu pour moi, c’est une question de culte, mais pas seulement, c’est aussi une conception de la justice, une visée pour chaque individu, pour chaque culture, chaque peuple. C’est une prière d’espérance et de louange, mais aussi la conscience que je suis autorisé à avoir des idées, que j’ai pour mission de faire des projets.
Dieu est Père
Samuel appelle son second fils Abyah ce qui signifie « l’Éternel (Yah) est père (Ab) », exprimant la façon dont Dieu nous sauve.
Dieu n’est pas comme ce roi décrit par le texte, qui fait de ses sujets des serviteurs et qui en dispose selon son bon vouloir. Tant de personnes imaginent Dieu comme cela, un Dieu qui gouverne le monde d’en haut, donnant des ordres, réglant les problèmes pour nous, récompensant ou favorisant certains, punissant ou éprouvant d’autres… Samuel a une tout autre théologie, celle d’un Dieu comme un père, un Dieu qui agit d’une façon très intime, très personnelle en nous donnant la vie, en nous libérant, en nous élevant, en faisant de nous son héritier comme un charpentier élève son fils, qui est d’abord son apprenti, devient son assistant et même son successeur.
Quand Samuel s’efface et laisse la suite à ses fils, Samuel est alors fidèle à Dieu qui nous émancipe et nous confie ce monde, faisant de chacun de nous un gouverneur, chacun à sa façon.
C’est une conception de la personne dans le groupe mais aussi face à Dieu. Samuel incarne une relation directe de l’individu avec son Dieu, alors que quand l’individu est noyé dans le groupe, il est alors l’esclave de celui qui gouverne. Alors, nous dit le texte : « Vous crierez contre votre roi que vous vous serez choisi, et l’Éternel ne vous répondra pas. » Non que Dieu soit sourd ou qu’il fasse la tête, mais parce qu’une relation personnelle ne se construit qu’au jour le jour.
Il y a là un modèle pour notre action en faveur de ceux que nous avons à cœur d’aider et de servir, un modèle pour notre église. Le but de l’église est de viser à l’élévation de chaque personne individuelle puis de la libérer pour que chacun retourne dans sa ville, dans sa vie, dans son environnement. Que le haut lieu de sa prière soit dans sa chambre, que son entraide soit dans son quartier et son travail, qu’il y soit porteur d’espérance et lui aussi, d’émancipation.
L’Église devrait être comme ce puits de Béer-Schéba, un lieux où l’on va pour boire à cette source ancienne d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le puits de la Bible, le puits de la promesse, avant de retourner chez soi.
Une approximative cohérence
Le plan de Samuel est parfait. Mais la conduite de ses fils incarne une perversion possible de cette excellente théologie.
Les fils de Samuel ne marchèrent pas sur ses traces, ils penchaient vers le gain, aimaient beaucoup les cadeaux, et cela faisait pencher leur justice.
Le salut de Dieu est très individuel, très libérant pour chacun, élevant chacun dans sa propre dignité. Le risque c’est de pervertir cela en un égoïsme. Dieu me considère comme important, il m’invite à avoir mon point de vue, il m’élève, Dieu se fait même mon serviteur. Le risque est de se sentir tellement libéré, de se sentir tellement le roi, que l’on pense que tout nous est dû, que la justice se résume à notre point de vue, que c’est pure justice quand la chance nous sourit et que nous n’avons pas à évoluer.
Le risque aussi existe pour l’église, même quand elle a la meilleure des théologies possibles, c’est d’être tellement consciente de ce trésor, si fière de ce qu’elle a entre les mains comme cadeau pour le monde, qu’elle trouve juste et bon de travailler pour elle-même, comme ces fils de Samuel, et de mettre les personnes au service de l’institution. Alors que l’Église a elle aussi pour vocation d’être au service de l’émancipation de ses fidèles, et de s’effacer comme Samuel quand il renvoie chacun dans sa ville.
Donc, oui, il est essentiel d’avoir une saine vision de l’objectif grâce à une bonne théologie. Et il est bon ensuite d’avoir une vraie recherche de cohérence avec cet idéal.
Le peuple est déçu par ses juges, comme nous pouvons être déçu par l’église, par définition elle ne peut pas être à la hauteur de l’Évangile. Mais il nous appartient de la remettre sans cesse face l’Évangile, et de l’améliorer en commençant par demander à Dieu de nous améliorer nous-mêmes, de nous élever comme on élève un enfant.
Mais finalement, ce que veut changer le peuple ce n’est pas tant Samuel puisqu’ils continuent à se tourner vers lui, ce n’est pas tant ses fils puisqu’ils auraient pu demander à Samuel de trouver de meilleurs gouverneurs plus dignes de leur idéal, et que cela ne les refroidit pas le peuple quand il est averti que les rois aussi profiteront d’eux. Alors que cherche le peuple en réalité ?
Un individu dans sa ville, pas une fusion
Ce qu’ils veulent c’est un roi qui règne sur eux. Un roi qui marche devant eux et qu’ils n’aient pas à choisir par eux-mêmes où aller, un roi qui leur dise le métier qu’ils doivent faire, un roi qui combatte leurs combats et qu’ils ne soient que des pions. C’est l’idée même d’une émancipation qui les met mal à l’aise. Ce qu’ils veulent c’est ça : « nous serons comme les autres nations »,. Nous errons d’abord une nation, un groupe. Et nous serons parmi les autres et comme les autres. Un groupe, ça tient chaud, ça sécurise, et même si l’on est dans l’erreur, on se sent moins responsable, moins bête.
En réalité, cela ne nous met pas tellement à l’aise d’être adulte, d’être responsable.
Bien des despotes règnent ainsi, dans le monde mais aussi dans leur famille ou dans leur église. Et les fidèles sont souvent très contents. Ils donnent 10% de ce qu’ils gagnent et ont ainsi le sentiment d’avoir fait ce qu’il faut. Ils pensent ce qu’on leur dit de penser, pratiquent ce qu’on leur dit de pratiquer et ils se sentent en sécurité. Et puis il y a la ferveur collective qui tient chaud au cœur.
Et bien non, Dieu a plus d’ambition pour nous que d’être un groupe. C’est évidemment d’être un individu égoïste qui se prend pour Dieu, mais pas bon non plus d’être un pion sous l’emprise d’un groupe. Dieu nous libère comme Jésus le fait sans cesse, mettant sur pieds chacune et chacun et l’encourageant à poursuivre son propre chemin, avec une parole comme « tes péchés sont pardonnés, ta foi t’a sauvée, vas en paix ». Jésus s’efface lui aussi, nous disant « il est avantageux pour vous que je m’en aille » (Jn 16 :7) Et Jésus s’énerve de l’apathie de ses apôtres : « Comment ne discernez-vous pas par vous-mêmes ce qui est juste ? » (Luc 12:57).
Alors pourquoi Dieu accepte-t-il de leur donner un roi ? Parce que Dieu est comme ça. Il laisse libre et il libère. Mais il ne se désintéresse pas. Dieu nous écoute, il nous aide à comprendre les enjeux de nos choix. Samuel ne se prend pas pour Dieu, au lieu de répondre directement ce qu’il en pense, Samuel prie Dieu, car lui dont le nom signifie « Dieu écoute » sait que Dieu écoute et que ce n’est pas une mauvaise idée d’écouter son avis.
Dieu nous écoute, il cherche à nous aider à voir clair, ce qui demande parfois de revenir et revenir dans la prière, dans les avis partagés et dans la réflexion personnelle. Puis Dieu nous laisse décider, et il nous accompagne dans le chemin que nous choisirons même s’il n’est pas celui qu’il aurait choisi.
Et Samuel fera comme son Dieu, il écoute le peuple, l’avertit et va l’accompagner de son mieux. Le peuple veut absolument un roi comme tout le monde, avec Dieu, ils vont l’aider à choisir le roi, puis un autre, puis leurs successeurs. Dieu va essayer de conseiller, de bénir, de guider, d’appeler… Dieu se refuse à aliéner, à tyranniser, il se refuse à enfermer l’individu dans la masse du groupe.
En chemin, en genèse
Mais nous sommes dans cet entre-deux. Nous ne sommes plus tout à fait des enfants et avons peur d’être adulte. Nous voudrions être libre mais nous avons peur de nous tromper, nous voulons choisir mais sans perdre aucun des choix possibles. Nous voudrions nous exprimer, mais que personne n’entende. Nous voulons changer mais nous sommes angoissés par les situations nouvelles, nous avons peur d’être debout, peur de soulever un pied pour avancer.
Dieu n’a pas honte de l’enfant que nous sommes mais il ne nous garde pas à ce stade de l’enfance. En Dieu nous avons cette sécurité qui nous autorise à être. En Dieu nous avons cette chaleur que nous cherchions en nous noyant dans la chaleur du troupeau, mais cette chaleur de l’amour de Dieu nous met debout. Comme dans ce projet des hébreux d’avoir un roi comme tout le monde, quand nous avons un projet, Dieu nous écoute, il nous dit quand notre projet est génial, mais quand il est moyen, il nous répond je déjà suis hyper content que tu aies un projet, alors je vais t’aider au mieux.
Dieu nous écoute, nous enseigne, nous encourage directement. Pourtant nous avons encore besoin de l’encouragement de quelqu’un en chair et en os qui nous soutienne à l’instant où nous sommes faibles mais sache nous envoyer dès que nous sommes debout, nous disant « Vas par toi-même », comme l’a dit Dieu à Abraham. Nous avons besoin de nous entendre dire cette vérité : que Dieu nous pardonne et nous bénit. Nous en avons besoin parce que nous ne sommes pas seulement un esprit, mais aussi un corps.
Nous avons besoin d’une église qui nous dise que nous sommes autorisé à avoir une opinion différente, une église qui nous accueille et qui nous sache nous dire que la vraie vie n’est pas ici, retourne maintenant dans ta ville à toi, ta ville et non ton île déserte.
Amen.
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Lecture de la Bible
1 Samuel 8
1 Lorsque Samuel devint vieux, il établit ses fils juges sur Israël. 2 Son fils premier-né se nommait Joël, et le second Abija, ils étaient juges à Beer-Schéba.
3 Les fils de Samuel ne marchèrent pas sur ses traces, ils se tournaient vers le gain, recevaient des cadeaux, et tournaient la justice.
4 Tous les anciens d’Israël s’assemblèrent, et vinrent auprès de Samuel à Rama. 5 Ils lui dirent : « Voici, tu es vieux, et tes fils ne marchent pas sur tes traces, maintenant, établis sur nous un roi pour nous gouverner, comme il y en a chez toutes les nations. »
6 Samuel vit avec déplaisir qu’ils disaient : Donne-nous un roi pour nous gouverner. Et Samuel pria l’Eternel.
7 L’Eternel dit à Samuel : « Écoute la voix du peuple dans tout ce qu’il te dira, car ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux. 8 Ils agissent à ton égard comme ils ont toujours agi depuis que je les ai fait monter d’Egypte jusqu’à ce jour, ils m’ont abandonné, pour servir d’autres dieux. 9 Écoute donc leur voix, mais donne-leur des avertissements, et fais-leur connaître le droit du roi qui régnera sur eux. »
10 Samuel rapporta toutes les paroles de l’Eternel au peuple qui lui demandait un roi. 11 Il dit : « Voici quel sera le droit du roi qui régnera sur vous. Il prendra vos fils, et il les mettra sur ses chars et parmi ses cavaliers, afin qu’ils courent devant son char, 12 il s’en fera des chefs de mille et des chefs de cinquante, et il les emploiera à labourer ses terres, à récolter ses moissons, à fabriquer ses armes de guerre et l’attirail de ses chars. 13 Il prendra vos filles, pour en faire des parfumeuses, des cuisinières et des boulangères. 14 Il prendra la meilleure partie de vos champs, de vos vignes et de vos oliviers, et la donnera à ses serviteurs. 15 Il prendra la dîme du produit de vos semences et de vos vignes, et la donnera à ses serviteurs. 16 Il prendra vos serviteurs et vos servantes, vos meilleurs boeufs et vos ânes, et s’en servira pour ses travaux. 17 Il prendra la dîme de vos troupeaux, et vous-mêmes serez ses esclaves. 18 Et alors vous crierez contre votre roi que vous vous serez choisi, et l’Éternel ne vous répondra pas. »
19 Le peuple refusa d’écouter la voix de Samuel. Ils dirent : « Non ! Au contraire, il y aura un roi au-dessus de nous, 20 et nous aussi nous serons comme toutes les nations, notre roi nous gouvernera, il avancera devant nous et il combattra nos combats. »
21 Samuel, après avoir entendu toutes les paroles du peuple, les redit aux oreilles de l’Eternel.
22 Et l’Eternel dit à Samuel : « Écoute leur voix, et établis un roi sur eux ». Et Samuel dit aux hommes d’Israël : « Allez-vous-en chacun dans sa ville. » |
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